La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/12/2018 | FRANCE | N°15BX04145

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 20 décembre 2018, 15BX04145


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Entreprise Travaux Plâtrerie (ETP), agissant en son nom et en qualité de mandataire commun du groupement constitué avec la société Massoutier et la société Ricard, a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet à lui verser la somme totale de 4 651 143,90 euros TTC assortie des intérêts au taux légal.

Par un jugement n° 1105702 du 13 octobre 2015, le tribunal administratif de Toulouse a condamné le centre hospita

lier intercommunal de Castres-Mazamet à payer à la société ETP la somme de 166 313,4...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Entreprise Travaux Plâtrerie (ETP), agissant en son nom et en qualité de mandataire commun du groupement constitué avec la société Massoutier et la société Ricard, a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet à lui verser la somme totale de 4 651 143,90 euros TTC assortie des intérêts au taux légal.

Par un jugement n° 1105702 du 13 octobre 2015, le tribunal administratif de Toulouse a condamné le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet à payer à la société ETP la somme de 166 313,49 euros, assortie des intérêts au taux de 2,38 % à compter du 25 septembre 2011, mis les frais d'expertise, liquidés à la somme de 21 496,90 euros, à la charge du centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet et de la société ETP à concurrence de la somme de 10 748,45 euros chacun, et rejeté le surplus des conclusions de la requête de la société ETP.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 décembre 2015, 14 septembre 2016, 25 octobre 2016 et 11 octobre 2018, les sociétés ETP, Massoutier et Ricard, représentées par la SCP Salesse et associés, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 octobre 2015 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de la demande de première instance ;

2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet à verser une somme de 3 526 975, 33 euros TTC à la société ETP, une somme de 1 113 488, 36 euros à la société Massoutier et une somme de 10 680, 18 euros TTC à la société Ricard ;

3°) d'ordonner avant dire-droit une expertise ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet une somme de 5 000 euros à au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- c'est à tort que le tribunal a considéré que les conclusions présentées pour le compte des sociétés Massoutier et Ricard étaient irrecevables ; la société Massoutier avait bien donné pouvoir au cabinet d'avocats Salesse, de sorte que sa demande a été présentée par un mandataire mentionné à l'article R. 431-2 du code de justice administrative ; la société Ricard avait également donné un mandat exprès pour engager cette action contentieuse ; l'action n'était ainsi pas menée par la société ETP, pour le compte du groupement, mais pour le compte de chacune des sociétés, par un avocat ;

- s'agissant de la réfaction de 99 400 euros pour non-conformité des plans de récolement, le tribunal aurait dû admettre le devis de 10 215 euros produit par la société ETP dans le cadre de l'expertise ; il n'est d'ailleurs pas établi que le devis de 99 400 euros aurait été suivi d'exécution par le maitre d'ouvrage ; ce devis présente un montant excessif, ainsi que cela ressort encore du nouveau devis produit devant la cour ; il convient de tenir compte de l'expertise ordonnée le 19 octobre 2016 par le tribunal administratif, confiée à M.A..., laquelle ne retient aucune retenue à la page 91 du rapport ;

- s'agissant de l'allongement du chantier, le tribunal s'est livré à une lecture erronée du rapport d'expertise ; l'expert a en réalité exclu de l'allongement du chantier la période de six mois correspondant à la durée neutralisée par le dégât des eaux ; l'expert commet une erreur en intégrant la tâche n° 36 du planning " cloisons circulations " au lot n° 5 ; les titulaires du lot ont contesté l'attribution de cette tâche par un courrier de réserve du 8 avril 2013, et cette tâche n'a été ni réalisée ni facturée par le groupement d'entreprises ; le délai d'intervention ne peut en conséquence être porté à 13 mois ; l'allongement du chantier est imputable à une faute du CHIC, ainsi que cela résulte du rapport de M.C... ; ainsi, le CHIC a fait le choix de disjoindre les missions d'OPC et de maitrise d'oeuvre, ce qui implique une coordination par le maitre d'ouvrage ; le maitre d'ouvrage a manqué à cette mission de synthèse et de coordination ; il a également commis des fautes dans la direction du chantier, n'ayant accompli aucune diligence ; le maitre d'ouvrage a également tardé à tirer les conséquences du dégât des eaux ; le CHIC a d'ailleurs admis sa responsabilité en accordant au maitre d'oeuvre une rémunération complémentaire au titre de l'allongement de sa mission DET ; ces fautes sont caractérisées par le rapport d'expertise de M.C... ; ses préjudices sont justifiés ;

- s'agissant de la pénalité pour non remise des DOE, elle fait double emploi avec la réfaction opérée pour non-conformité des plans de récolement ; le maitre d'oeuvre avait proposé au maître d'ouvrage de renoncer aux pénalités et réfactions opérées au titre des DOE ; le CHIC n'explique pas en quoi le tribunal a eu tort de faire usage de son pouvoir de modulation du montant de la pénalité infligée au titre des DOE, de sorte que son appel incident doit être rejeté ; l'expert A...ne retient qu'une somme de 17 500 euros à ce titre ;

- une expertise comptable serait utile à la cour ; le tribunal n'a pas tenu compte des réclamations de la société Massoutier mais a pris en compte les pénalités et retenues relevant de cette entreprise et les a imputés à la société ETP ;

- contrairement à ce que soutient le CHIC, les demandes présentées par la société ETP en son nom propre étaient recevables.

Par des mémoires en défense enregistrés les 11 juillet 2016, 31 octobre 2016 et 2 novembre 2018, le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet conclut au rejet de la requête, et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné, ainsi que la mise à la charge des sociétés ETP, Massoutier et Ricard d'une somme de 10 000 euros eu titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le mandataire d'un groupement conjoint n'est pas habilité à agir en justice au nom des autres membres du groupement ; le tribunal a admis, en statuant sur les demandes de la société ETP, la recevabilité de la requête émanant du groupement, entité ne disposant pas de la personnalité morale ; la requête n'a pas été présentée au nom de l'une des sociétés composant le groupement ;

- tant les pénalités que la réfaction se justifiaient eu égard aux stipulations contractuelles portant sur les DOE ; la réception ayant été prononcée au 4 octobre 2010, le groupement avait jusqu'au 4 décembre 2010 pour remettre des DOE conformes aux prescriptions du marché ; or les plans produits n'étaient pas des plans de récolement mais des plans d'architecte et différaient sensiblement de la réalité ; comme l'a relevé le tribunal, les sociétés n'établissent pas que les devis qu'elles produisent incluraient l'ensemble des prestations que leur groupement aurait dû réaliser ;

- s'agissant d'un prétendu allongement du chantier, le tribunal n'a pas commis d'erreur quant à la durée du chantier ; les sociétés omettent de prendre en compte les travaux supplémentaires, qui nécessitaient l'augmentation corrélative de la durée d'exécution, la neutralisation d'une période de six mois consécutive au dégât des eaux, dont les conséquences ont été indemnisées à la faveur d'un protocole transactionnel, l'exécution de la tâche 36 du planning, dévolue au lot n°5 sans réserve du groupement et exécuté, ainsi que l'exécution, de concert avec les lots 8B et 9, de la tâche 62 " plafonds suspendus " ; en tout état de cause, il n'est pas justifié de ce que les surcoûts auraient bouleversé l'économie du contrat ou seraient imputables à une faute du maitre d'ouvrage ; sur ce point, les sociétés ne sont pas recevables à invoquer pour la première fois en appel la responsabilité contractuelle pour faute du maitre d'ouvrage, qui soulève une cause juridique distincte de celle invoquée devant le tribunal ; les préjudices ne sont en outre pas justifiés, les documents internes établis par l'entreprise ne présentant pas un caractère probant.

Par une ordonnance du 12 octobre 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 novembre 2018 à 12h00.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de l'opération de construction d'un nouvel hôpital à Castres, le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet (CHIC) a, par un marché à prix forfaitaire conclu le 3 octobre 2006, confié le lot n° 5 " cloisons sèches, doublages, châssis " à un groupement conjoint composé de la société Entreprise Travaux Plâtrerie (ETP), mandataire commun du groupement, de la société Massoutier et de la société Ricard, chacune de ces entreprises ayant en charge l'un des trois sous-lots correspondant à des zones distinctes. La réception des travaux a été prononcée le 4 janvier 2011 avec effet au 4 octobre 2010. Le projet de décompte final a été notifié au maître d'oeuvre le 21 janvier 2011. Le décompte général, notifié le 11 juillet 2011, a fixé le montant total du marché à la somme de 6 053 409,97 euros TTC, à concurrence de 2 828 690,86 euros pour la société ETP, 2 597 575,37 euros pour la société Massoutier et 627 143,74 euros pour la société Ricard. Le groupement a présenté le 4 août 2011 un mémoire en réclamation portant sur un montant supplémentaire total de 4 622 007,97 euros TTC, qui a été rejeté. Le différend sur le solde du marché a été porté par les sociétés ETP, Massoutier et Ricard devant le tribunal administratif de Toulouse. Par un jugement du 13 octobre 2015, le tribunal administratif, d'une part, a rejeté comme irrecevables les conclusions présentées au nom des sociétés Ricard et Massoutier, au motif que la société ETP n'était pas habilitée à les représenter, d'autre part, a condamné le CHIC à payer à la société ETP une somme de 166 313,49 euros et rejeté le surplus des demandes présentées par la société ETP en son nom propre, enfin, a mis les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 21 496,90 euros, à la charge du CHIC et de la société ETP à concurrence de la somme de 10 748,45 euros chacun. Les sociétés ETP, Massoutier et Ricard font appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes et demandent à la cour de condamner le CHIC à verser une somme de 3 526 975, 33 euros TTC à la société ETP, une somme de 1 113 488, 36 euros à la société Massoutier et une somme de 10 680, 18 euros TTC à la société Ricard. Le CHIC demande à la cour, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné.

Sur la recevabilité des demandes de première instance :

En ce qui concerne les demandes des sociétés Ricard et Massoutier :

2. En premier lieu, aux termes du quatrième alinéa du 31 de l'article 2 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, applicable au marché litigieux : " Les entrepreneurs groupés sont conjoints lorsque, les travaux étant divisés en lots dont chacun est assigné à l'un des entrepreneurs, chacun d'eux est engagé pour le ou les lots qui lui sont assignés ; l'un d'entre eux, désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l'égard du maître de l'ouvrage jusqu'à la date, définie au 1 de l'article 44, à laquelle ces obligations prennent fin. Le mandataire représente, jusqu'à la date ci-dessus, l'ensemble des entrepreneurs conjoints, vis-à-vis du maître de l'ouvrage, de la personne responsable du marché et du maître d'oeuvre, pour l'exécution du marché. Il assure, sous sa responsabilité, la coordination de ces entrepreneurs en assumant les tâches d'ordonnancement et de pilotage des travaux ". Aux termes du troisième alinéa du 44 de l'article 13 du même cahier : " Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'oeuvre dans le délai indiqué au premier alinéa du présent article. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50 ". Aux termes du 52 de l'article 13, relatif au " règlement en cas d'entrepreneurs groupés ou de sous-traitants payés directement " : " Le mandataire ou l'entrepreneur est seul habilité à présenter les projets de décomptes et à accepter le décompte général ; sont seules recevables les réclamations formulées ou transmises par ses soins ". Aux termes du 5 de l'article 50 : " Lorsque le marché est passé avec des entrepreneurs groupés conjoints, le mandataire représente chacun d'eux pour l'application des dispositions du présent article jusqu'à la date, définie au 1 de l'article 44, à laquelle prennent fin les obligations contractuelles, chaque entrepreneur étant ensuite seul habilité à poursuivre les litiges qui le concernent ". Enfin, aux termes du 1 de l'article 44 : " Le délai de garantie est, sauf stipulation différente du marché et sauf prolongation (...) d'un an à compter de la date d'effet de la réception, ou de six mois à compter de cette date si le marché ne concerne que des travaux d'entretien ou des terrassements (...) ".

3. Il résulte de l'ensemble de ces stipulations que si, en principe, lorsque le marché est confié à un groupement conjoint d'entrepreneurs, le mandataire de ce groupement ne représente les entrepreneurs conjoints vis-à-vis du maître de l'ouvrage, de la personne responsable du marché et du maître d'oeuvre que jusqu'à l'expiration du délai de garantie des travaux, il demeure, même après l'expiration de ce délai, seul habilité à signer le décompte général et à présenter, le cas échéant, le mémoire de réclamation prévu par le troisième alinéa du 44 de l'article 13 du cahier des clauses administratives générales. En revanche, il n'est habilité à poursuivre, pour le compte des entrepreneurs conjoints, la procédure de règlement du différend né de la présentation de ce mémoire, dans les conditions fixées aux paragraphes 22 et suivants de l'article 50, que jusqu'à l'expiration du délai de garantie.

4. Il résulte clairement des pièces du dossier de première instance que la requête enregistrée devant le tribunal administratif de Toulouse le 20 décembre 2011 a été présentée par l'entreprise ETP en sa qualité de mandataire du groupement ETP-Massoutier-Ricard. Or, à la date d'enregistrement de cette requête, le délai de garantie de parfait achèvement d'un an suivant la date d'effet de la réception, fixée ainsi qu'il a été dit au 4 octobre 2010, était expiré. Par suite, et ainsi que l'a relevé le tribunal, la société ETP n'avait plus qualité pour agir en tant que mandataire du groupement conjoint pour poursuivre devant le juge du contrat, pour le compte des entrepreneurs conjoints, la procédure de règlement du différend né de la présentation du mémoire de réclamation du 4 août 2011.

5. En second lieu, aux termes de l'article R. 431-5 du code de justice administrative : " Les parties peuvent également se faire représenter : 1° Par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 (...) ". Aux termes de l'article R. 431-2 du même code : " Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, soit par un avoué en exercice dans le ressort du tribunal administratif intéressé, lorsque les conclusions de la demande tendent au paiement d'une somme d'argent, à la décharge ou à la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d'un litige né d'un contrat (...) ".

6. Comme l'ont relevé les premiers juges, les pouvoirs donnés par les sociétés Massoutier et Ricard à la société ETP pour agir en leurs noms n'ont pu régulièrement habiliter cette dernière, qui ne figure pas au nombre des mandataires énumérés par les dispositions précitées, à les représenter.

7. Il résulte de ce qui précède que la société ETP n'avait pas qualité pour saisir le tribunal administratif de Toulouse au nom des autres sociétés composant le groupement d'entreprises dont il s'agit, fût-ce par le ministère d'un avocat. Les sociétés Ricard et Massoutier ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes comme étant irrecevables.

En ce qui concerne la recevabilité des demandes présentées par la société ETP en son nom propre :

8. Le CHIC fait valoir qu'en statuant sur les demandes de la société ETP en son nom propre, le tribunal administratif a implicitement admis la recevabilité de conclusions émanant d'un groupement conjoint d'entreprises, qui ne dispose pas de la personnalité morale. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 4 du présent arrêt, la demande de première instance a été présentée par l'entreprise ETP, en sa qualité de mandataire du groupement ETP-Massoutier-Ricard, soit au nom de chacune des trois entreprises membres de ce groupement. Le tribunal a ainsi considéré à juste titre que cette demande comportait, notamment, des conclusions présentées par la société ETP en son nom propre, lesquelles étaient recevables. La fin de non-recevoir opposée par le CHIC à ces conclusions ne peut, dès lors, être accueillie.

Au fond :

En ce qui concerne les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché :

9. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie, soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

10. En premier lieu, la société ETP soutient avoir rencontré dans l'exécution du marché litigieux des difficultés liées à l'allongement de la durée du chantier, qu'elle impute aux fautes commises selon elle par le CHIC, tenant à un défaut de synthèse et de coordination entre les missions d'OPC et de maitrise d'oeuvre qui étaient disjointes, à un manque de diligences dans la direction du chantier et à une inertie à tirer les conséquences d'un dégât des eaux survenu sur le chantier. Toutefois, la responsabilité contractuelle sans faute de la collectivité publique cocontractante au titre de l'imprévision procède d'une cause juridique distincte de la responsabilité contractuelle pour faute. Or, et ainsi que le fait valoir le CHIC, la demande de première instance de la société ETP relative aux difficultés d'exécution du marché liées à l'allongement du chantier se plaçait uniquement sur le terrain de la responsabilité contractuelle sans faute du CHIC au titre des sujétions imprévues, et la société ETP ne se prévalait pas de ce qu'une faute de ce centre hospitalier aurait été à l'origine des difficultés d'exécution invoquées. Le moyen tiré de la responsabilité contractuelle pour faute du CHIC, soulevé pour la première fois en appel, est par suite irrecevable.

11. En second lieu, la société ETP soutient que les difficultés d'exécution liées à l'allongement de la durée du chantier trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise déposé par M. B...le 19 décembre 2013, que le calendrier prévisionnel initial confiait au groupement titulaire du lot n° 5 la tâche 44 " Bâtiment MCO-cloisons sèches/doublages ", la tâche 56 " " Bâtiment MCO-cloisons sèches/fermeture " et la tâche 109 " bâtiment psychiatrie-cloisons sèches/fermeture ", dont la durée totale d'exécution était de 7 mois et demi. Il résulte également de l'instruction que le chantier du lot n° 5 a pris fin le 30 septembre 2010, portant la durée totale du chantier à 29 mois. Toutefois, et ainsi que l'a relevé le tribunal administratif, cet allongement de la durée du chantier a été causé, pour une période de 6 mois, par l'interruption des travaux en raison d'un important dégât des eaux, dont les conséquences dommageables ont déjà donné lieu à une indemnisation de la société ETP en vertu d'un protocole d'accord signé le 28 avril 2010 par lequel cette dernière s'est engagée à ne pas réclamer d'autre indemnité du fait de ce retard. Par ailleurs, la société ETP ne conteste ni que le planning initial omettait par erreur de confier au groupement titulaire du lot n° 5 la tâche 62 " plafonds suspendus ", ni l'estimation faite par l'expert qui a évalué à cinq mois le temps de réalisation de cette tâche. Elle ne conteste pas davantage que des travaux supplémentaires lui ont été confiés, dont le temps d'exécution peut être estimé selon l'expert à deux mois. Il résulte encore du rapport d'expertise que la tâche 36 " cloisons circulation " a été dévolue au lot n° 5 par l'ordre de service 5-2 modifiant le planning initial des travaux. Si la société ETP soutient qu'elle a émis des réserves sur cet ordre de service, ces réserves ne portaient cependant pas sur le principe même de dévolution de cette tâche aux titulaires du lot n° 5, et il résulte des mentions du décompte général (9 500 m² de cloisons CL10 et CL10B d'une épaisseur de 120 mm) que ces travaux ont bien été réalisés par les titulaires du lot n° 5, travaux dont le temps de réalisation est évalué par l'expert, sans contredit sur ce point, à cinq mois et demi. Il n'est enfin pas contesté que les travaux ont été interrompus pendant deux mois en raison d'intempéries. Dans ces conditions, la société ETP n'établit pas avoir été confrontée dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat.

En ce qui concerne la moins-value de 99 400 euros :

12. Il résulte de l'instruction que le groupement a remis les dossiers des ouvrages exécutés (DOE) les 23 novembre 2010 et 3 décembre 2010, soit dans le délai de deux mois suivant la réception des travaux imparti par les stipulations de l'article 4.7.5 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché. Il est toutefois constant que les plans de récolement que devaient contenir ces DOE en vertu de l'article 4.2 du CCTP n'étaient pas conformes aux prescriptions du marché puisqu'étaient fournis des plans d'architecte, qui n'étaient pas de nature à refléter l'état réel des ouvrages réalisés. Il résulte également du rapport d'expertise susmentionné que les plans remis le 21 mars 2011 ne constituaient pas davantage des plans de récolement. Faute de remise des plans de récolement, le maitre d'ouvrage était fondé à appliquer à l'entreprise une retenue correspondant aux frais qu'il a dû engager en vue de la réalisation de plans de récolement.

13. Pour justifier du montant de la retenue appliquée à ce titre, soit 99 400 euros, le CHIC a produit un devis établi le 18 avril 2011 par un géomètre. La société ETP, en se bornant à se prévaloir d'un devis se montant à 10 125 euros qu'elle n'a toutefois pas produit, n'établit pas le caractère prétendument excessif de la retenue ainsi opérée.

En ce qui concerne les pénalités de retard :

14. Aux termes de l'article 4.7.5 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché litigieux : " Les autres documents constituant les dossiers des ouvrages exécutés (DOE) (...) doivent être remis dans les deux mois suivant la date de réception des travaux. En cas de retard dans la remise de ces documents, des retenues pourront être appliquées conformément à l'article 4.7.3 du présent CCAP. ". L'article 4.7.3 du CCAP fixe le montant de ces retenues à 500 euros par jour calendaire.

15. En application de ces dispositions, le décompte général du marché litigieux comporte une pénalité de 54 000 euros, correspondant à 108 jours de retard dans la remise de DOE. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a ramené le montant de cette pénalité à 27 000 euros et réintégré une somme de 27 000 euros dans le solde du marché.

16. D'une part, contrairement à ce que soutient la société ETP, la pénalité litigieuse, qui sanctionne le retard à remettre des DOE complets, n'a pas la même nature que la moins-value correspondant au coût de réalisation des plans de récolement, et ne fait ainsi pas double emploi avec celle-ci.

17. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit aux points 12 et 13 du présent arrêt que les DOE, qui ne comportaient pas les plans de récolement qu'ils devaient en principe notamment contenir, ont été partiellement remis les 23 novembre 2010 et 3 décembre 2010, soit dans le délai de deux mois suivant la réception des travaux imparti par les stipulations précitées de l'article 4.7.5 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché, et que l'absence de remise des plans de récolement a par ailleurs donné lieu à une moins-value. Dans ces conditions, le CHIC n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, faisant usage de leur pouvoir de modulation, ont ramené le montant de la pénalité en cause à 27 000 euros.

18. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la société ETP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté le surplus de ses demandes, d'autre part, que le CHIC n'est pas davantage fondé à solliciter la réformation du même jugement en tant qu'il l'a condamné.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les sociétés ETP, Massoutier et Ricard au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge desdites sociétés une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le CHIC et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête des sociétés ETP, Ricard et Massoutier, ensemble l'appel incident du centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet, sont rejetés.

Article 2 : Les sociétés ETP, Ricard et Massoutier verseront au centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société ETP, à la société Ricard, à la société Massoutier et au centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 décembre 2018.

Le rapporteur,

Marie-Pierre BEUVE DUPUYLe président,

Aymard de MALAFOSSE

Le greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 15BX04145


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX04145
Date de la décision : 20/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-02 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat. Règlement des marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : SCP SALESSE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-20;15bx04145 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award