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20/12/2018 | FRANCE | N°16BX03882

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 20 décembre 2018, 16BX03882


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...E...a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'ordonner à la société Electricité de France (EDF) de déplacer ou d'enterrer, à ses frais, la portion de ligne électrique qui surplombe une parcelle lui appartenant, et de condamner cette société à lui verser une indemnité de 30 500 euros en réparation du préjudice résultant de l'échec de la vente d'une parcelle voisine dont il est également propriétaire.

Par un jugement n° 1400703 du 15 septembre 2016, le tribunal administrat

if de La Réunion a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...E...a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'ordonner à la société Electricité de France (EDF) de déplacer ou d'enterrer, à ses frais, la portion de ligne électrique qui surplombe une parcelle lui appartenant, et de condamner cette société à lui verser une indemnité de 30 500 euros en réparation du préjudice résultant de l'échec de la vente d'une parcelle voisine dont il est également propriétaire.

Par un jugement n° 1400703 du 15 septembre 2016, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 décembre 2016, et des mémoires et pièces enregistrés les 27 septembre, 30 octobre et 7 novembre 2017, M.E..., représenté par Me A...D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 septembre 2016 du tribunal administratif de La Réunion ;

2°) d'enjoindre à la société EDF de déplacer à ses frais la portion de ligne électrique qui surplombe sa parcelle cadastrée DZ 525 ;

3°) de condamner la société EDF au paiement de la somme de 30 500 euros en réparation du préjudice résultant de l'échec de la vente de la parcelle DZ 524 en application du compromis de vente conclu le 2 novembre 2011, subsidiairement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de la responsabilité sans faute ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 750 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le débat contradictoire n'a pas été respecté devant le tribunal puisque le second mémoire d'EDF a été produit la veille de la clôture d'instruction ;

- il n'est pas contesté que l'ouvrage litigieux a été irrégulièrement implanté en l'absence de signature d'une convention de servitude de passage ;

- il ne demande pas la suppression de l'ouvrage, mais seulement son déplacement ou son enterrement, dans le respect de la continuité du service public et sans rupture du réseau de distribution ; le déplacement ou l'enterrement sont techniquement réalisables et EDF a d'ailleurs fréquemment recours à l'enfouissement des lignes, y compris à La Réunion ; l'intérêt général ne peut donc justifier le maintien de la ligne ; en revanche, la ligne actuelle présente un risque en cas de chute et porte atteinte à l'environnement ;

- si elle devait néanmoins être maintenue, il serait alors fondé à solliciter une indemnité de 5 000 euros sur le terrain de la responsabilité sans faute d'EDF ; le versement d'une telle indemnité peut être décidé d'office par le juge, sous peine d'une violation du droit à un procès équitable garanti par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la société EDF a par ailleurs commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; elle lui a en effet communiqué des informations inexactes sur les caractéristiques de la ligne électrique surplombant ses parcelles DZ 254 et DZ 525 ;

- la vente de la parcelle DZ 524 n'a pu avoir lieu en 2011 en raison de la découverte de la vérité sur ces caractéristiques, qui a amené les candidats acquéreurs à se rétracter ; or, du fait de la signature d'un compromis de vente, il avait une espérance légitime d'obtenir le prix de la vente projetée ; il a dû attendre le 29 mai 2012 pour vendre sa parcelle, à un prix moindre ; il a ainsi perdu 20 000 euros résultant de la différence entre la somme attendue lors de la première vente et celle effectivement obtenue par la suite, et il a subi un surcoût de 10 500 euros lié au retard de la vente de la parcelle ;

- le lien direct et certain de causalité entre la faute d'EDF et les préjudices invoqués est établi.

Par des mémoires enregistrés les 11 septembre et 27 octobre 2017, la société EDF conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le second mémoire d'EDF n'a pas été communiqué aux parties et ne comporte aucun élément nouveau sur lequel le tribunal aurait fondé sa décision ; le contradictoire n'a donc pas été méconnu ;

- la construction de la ligne haute tension en cause a été déclarée d'utilité publique ; elle est nécessaire au transport d'électricité ; toute intervention ayant pour finalité de déplacer ou d'enfouir la ligne perturberait le bon fonctionnement du réseau pendant une durée importante ; les services d'exploitation d'EDF estiment à 70 000 le nombre d'usagers qui seraient privés d'électricité pendant les travaux ; le coût de ces travaux est évalué à 1,5 million d'euros ; par ailleurs, les inconvénients liés au surplomb des parcelles du requérants sont minimes, tant en termes d'esthétique que de santé ; il n'en résulte pas d'atteinte au droit de propriété ou à la jouissance du bien ;

- les conclusions de M. E...tendant à voir engagée la responsabilité sans faute d'EDF sont nouvelles en appel et donc irrecevables ;

- la rétractation d'acquéreurs potentiels dans le cadre d'un compromis de vente constitue un aléa normal des transactions immobilières ; la différence entre la tension effective de la ligne et celle dont le requérant avait connaissance n'entraîne aucun préjudice particulier ; l'intervalle de sept mois qui sépare la première tentative de vente de la vente effective, et la différence de prix ont d'autres causes que l'erreur d'information sur la tension de la ligne ; le chiffrage des préjudices proposé par le requérant n'est même pas justifié.

Par une ordonnance en date du 11 septembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 14 novembre 2017 à 12 heures.

Par un mémoire enregistré le 13 novembre 2017, la société EDF maintient ses conclusions par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,

- et les observations de MeF..., représentant M. E...et de MeB..., représentant la société EDF.

Considérant ce qui suit :

1. M. E...a fait l'acquisition en 2003 de deux parcelles voisines cadastrées DZ 524 et DZ 525 sur le territoire de la commune de Saint-Pierre, à La Réunion. Ces deux parcelles sont surplombées par une ligne électrique exploitée par la société Electricité de France (EDF) dont cette société, sollicitée en 2010 par M. E...à l'occasion de son projet de vente de la parcelle DZ 524, lui a indiqué qu'il s'agissait d'une ligne moyenne tension de 15 Kv. Des candidats à l'acquisition de la parcelle se sont toutefois rétractés le 9 novembre 2011 du compromis signé avec M. E...après avoir appris que la ligne traversant cette parcelle était en réalité une ligne à haute tension de 63 Kv. Ce dernier a alors demandé à EDF, en vain, d'une part, l'indemnisation du préjudice résultant de l'échec de la vente de sa parcelle au prix et dans les délais résultant du compromis de vente qui avait été signé le 2 novembre 2011 et, d'autre part, le déplacement ou l'enfouissement de la ligne, aux frais du gestionnaire du réseau. M. E...a porté ses demandes devant le tribunal administratif de La Réunion et, celui-ci les ayant rejetées par un jugement du 15 septembre 2016, il relève appel dudit jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si la société EDF a présenté devant le tribunal administratif de La Réunion un second mémoire en défense enregistré le 16 mai 2013, veille de la clôture de l'instruction, il résulte de l'instruction que le jugement attaqué ne se fonde sur aucun élément nouveau contenu dans ce mémoire, lequel n'a pas donné lieu à communication. Dans ces conditions, M. E...n'est pas fondé à soutenir que le principe d'un débat contradictoire devant le tribunal aurait été méconnu. Par suite, son moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires principales :

3. Il résulte de l'instruction que c'est, ainsi que le fait valoir M.E..., au motif de l'existence d'une ligne à haute tension au-dessus de la parcelle DZ 524 que les candidats à l'acquisition de cette parcelle ont dénoncé le 9 novembre 2011 le compromis de vente conclu le 2 novembre précédent. Cette rétractation est, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, sans lien direct avec l'erreur contenue dans l'information sur la tension de la ligne communiquée par EDF à M. E...en novembre 2010. Aussi, celui-ci n'est, en tout état de cause, pas fondé à demander réparation des préjudices qu'il estime avoir subi en ne vendant pas son bien dans les délais et au prix initialement envisagés, en invoquant la faute d'EDF tenant à cette erreur d'information. Ses conclusions tendant à la condamnation d'EDF sur ce fondement doivent, par suite, être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions à fin de déplacement ou d'enfouissement de l'ouvrage :

4. Lorsque le juge administratif est saisi d'une demande d'exécution d'une décision juridictionnelle dont il résulte qu'un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière, il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'exécution de cette décision implique qu'il ordonne la démolition de cet ouvrage, de rechercher, d'abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible. Dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d'une part, les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

5. Si, d'une part, la société EDF a reconnu ne pas disposer de titre fondant une servitude de passage de la ligne à haute tension au-dessus de la parcelle DZ 525 de M.E..., celui-ci se déclare opposé à toute régularisation de cette situation par la signature d'une convention avec le gestionnaire de la ligne. Il ne résulte pas, par ailleurs, des pièces du dossier qu'une procédure d'établissement unilatérale de servitude serait en l'espèce envisagée.

6. D'autre part, il résulte de l'instruction que la ligne à haute tension traversant la parcelle du requérant, déclarée d'utilité publique par un arrêté du préfet de La Réunion du 21 août 1986, constitue un élément essentiel et structurant du réseau d'alimentation en électricité de La Réunion, desservant une portion non négligeable du territoire de l'île. Il apparaît que toute intervention consistant à déplacer ou enfouir cette ligne de telle sorte qu'elle ne surplombe plus la propriété de M. E...aurait nécessairement pour effet d'interrompre l'approvisionnement en électricité de 70 000 usagers privés et publics et que le coût d'une telle intervention, qui implique d'intervenir sur des pylônes de 31 mètres de hauteur avec des moyens techniques lourds, avoisinerait 1,5 million d'euros. Par ailleurs, les publications générales produites par M. E...au soutien de sa thèse selon laquelle les lignes à haute tension seraient un facteur de risques en matière de santé et pour l'environnement, n'établissent pas que de tels risques existeraient en l'espèce, compte tenu de la hauteur des câbles et alors notamment que, d'une part, la société EDF fait valoir sans être contredite que les valeurs des champs électromagnétiques mesurés autour des lignes à haute tension qu'elle exploite sont très inférieures aux normes préconisées par l'Organisation mondiale de la santé et aux recommandations de l'Union européenne, transposées en France par un arrêté du 17 mai 2001, et que, d'autre part, aucun élément ne permet de conclure qu'une atteinte particulière serait portée au biotope, et notamment aux oiseaux, autour de la ligne considérée. Enfin, le risque allégué de chute des pylônes en cas d'événement climatique violent n'est pas davantage avéré. Dans ces conditions, et alors au demeurant que M. E...n'a pas été lui-même dissuadé d'acquérir la parcelle par la présence de la ligne électrique litigieuse, le déplacement ou l'enfouissement de cette ligne, quand bien même elle est techniquement réalisable, entraînerait en l'espèce une atteinte excessive à l'intérêt général.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires subsidiaires :

7. M. E...demande à la cour la condamnation de la société EDF au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le terrain de la responsabilité sans faute, dans l'hypothèse où il ne serait pas fait droit à ses conclusions tendant au déplacement ou à l'enfouissement de la ligne. La responsabilité sans faute étant d'ordre public, de telles conclusions peuvent être présentées pour la première fois en appel. Toutefois, lorsque le requérant s'est rendu acquéreur des parcelles cadastrées DZ 524 et DZ 525, il ne pouvait ignorer la présence de lignes électriques en surplomb de ces parcelles. Le préjudice invoqué résulte ainsi d'une situation à laquelle il s'est sciemment exposé et ne lui ouvre pas droit à réparation.

8. Il résulte de ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge d'EDF, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. E...de la somme qu'il sollicite au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme quelconque à la charge de M. E...sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société EDF tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...E...et à la société Electricité de France.

Copie en sera adressée au ministre des outre-mer.

Délibéré après l'audience publique du 29 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

M. David Katz, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 20 décembre 2018.

Le rapporteur,

Laurent POUGETLe président,

Aymard de MALAFOSSELe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 16BX03882


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX03882
Date de la décision : 20/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

26-04-04-01 Droits civils et individuels. Droit de propriété. Actes des autorités administratives concernant les biens privés. Voie de fait et emprise irrégulière.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET L.
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : PLATEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-20;16bx03882 ?
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