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31/12/2018 | FRANCE | N°17BX00336

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 31 décembre 2018, 17BX00336


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part d'annuler l'arrêté du 10 août 2015 par lequel le président du conseil départemental de la Gironde lui a infligé une sanction disciplinaire du premier groupe, consistant en une mesure d'exclusion temporaire de trois jours et, d'autre part, de mettre à la charge du département de la Gironde la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice ayant résulté de cette décision illégale.

Par un jugement n° 1504362 du 30 novembre

2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure dev...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part d'annuler l'arrêté du 10 août 2015 par lequel le président du conseil départemental de la Gironde lui a infligé une sanction disciplinaire du premier groupe, consistant en une mesure d'exclusion temporaire de trois jours et, d'autre part, de mettre à la charge du département de la Gironde la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice ayant résulté de cette décision illégale.

Par un jugement n° 1504362 du 30 novembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés respectivement les 30 janvier 2017 et 25 juillet 2018, M. F..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 30 novembre 2016 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 10 août 2015 par lequel le président du conseil départemental de la Gironde lui a infligé une sanction disciplinaire du premier groupe, consistant en une mesure d'exclusion temporaire de trois jours ;

3°) de mettre à la charge du département de la Gironde la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête ;

4°) de mettre à la charge du département de la Gironde la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé ;

- les faits ayant justifiés la sanction ne sont pas établis ;

- la sanction prononcée est disproportionnée ;

- la sanction en litige lui a causé un préjudice, qui doit être évalué à 5 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 juin 2018, le département de la Gironde, représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation de M. F... à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par le requérant n'est fondé.

Par une ordonnance du 26 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 6 septembre 2018 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sylvie Cherrier,

- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., représentant le département de la Gironde.

Une note en délibéré présentée par le département de la Gironde a été enregistrée le 20 décembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... a été recruté par le département de la Gironde à compter du 1er septembre 2013 en qualité d'adjoint technique de 2ème classe des établissements d'enseignement de 7ème échelon. Il a été affecté au collège de Podensac pour y occuper les fonctions de second de cuisine. Par un arrêté du 10 août 2015, le président du conseil départemental de la Gironde lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de trois jours. M. F... relève appel du jugement du 30 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice en ayant résulté.

Sur la légalité de la sanction prononcée le 10 août 2015 :

2. En premier lieu, l'arrêté en litige vise la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriales et le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux. Elle indique par ailleurs qu'il est reproché à M. F... d'avoir, le 10 février 2015, méconnu son droit de réserve à propos du fonctionnement de la demi-pension, de consommer de l'alcool sur son lieu de travail et de manquer à son devoir de probité en détournant des denrées alimentaires à des fins personnelles. Il énonce ainsi avec suffisamment de précision les éléments de droit et de fait ayant justifié la sanction prononcée à l'encontre de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation en droit et en fait ne peut être accueilli.

3. En deuxième lieu, M. F... soutient que la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie.

4. Il ressort des pièces du dossier que, chaque trimestre, une délégation de parents d'élèves est autorisée à venir déjeuner à la cantine afin de constater les conditions dans lesquelles les élèves prennent leurs repas. Une telle délégation a notamment été reçue le 10 février 2015. Au cours de sa visite, elle s'est entretenue avec M. F..., qui occupait alors le poste de second de cuisine et qui a notamment évoqué les " mauvaises conditions de travail ", le " problème de stockage de la marchandise ", un " manque de capacité en frigos ", et un " problème de four (pas aux normes et capacité insuffisante) ". De tels propos, inscrits dans le compte-rendu établi par la délégation à l'issue de sa visite et confirmés par le président des parents d'élèves auprès du chef d'établissement, ont été assumés par M. F... auprès de M. C..., chef cuisinier chargé de la gestion de la cuisine du collège. Par suite, la matérialité du premier grief ayant justifié la sanction en litige doit être regardée comme établie.

5. En ce qui concerne le second grief, le département de la Gironde se prévaut du rapport établi par le principal du collège le 15 avril 2015, dans lequel il est indiqué, d'une part, que le lendemain du conseil d'administration du collège tenu le 27 novembre 2014, à l'issue duquel un " verre de l'amitié " avait été partagé par les participants, M. F... aurait bu un peu de vin qui restait de la veille et emporté une bouteille pleine qui aurait été retrouvée dans son vestiaire, d'autre part, que des commandes de vin avaient été fréquemment passées pour la cuisine du collège, que des sorties de stock de vin et de rhum avaient été constatées sans pouvoir être justifiées, lesquelles avaient cessé après le départ en congé de M. F..., pour reprendre à son retour et, enfin, que l'intéressé avait admis, au cours d'un entretien avec le principal, en présence du chef cuisinier, qu'il avait consommé de l'alcool en service à plusieurs reprises et présentait une dépendance à l'alcool. Néanmoins, et outre que les évènements ainsi rapportés, contestés par l'intéressé, ne sont corroborés par aucune autre pièce du dossier, ils ne permettent pas d'établir que M. F... aurait consommé de manière habituelle de l'alcool pendant ses heures de travail. Le certificat médical établi par le docteur Arnaud le 7 avril 2015, s'il relève que M. F... a une consommation d'alcool chronique quotidienne depuis l'adolescence, ne permet pas de conclure qu'une telle consommation se serait produite sur le lieu de travail, ce certificat indiquant d'ailleurs un état de sevrage depuis quatre mois. Par ailleurs, l'évaluation professionnelle de l'intéressé en date du 12 février 2015, postérieure aux faits reprochés, ne fait aucune mention d'un quelconque problème de consommation d'alcool pendant les heures de travail, la note de 1 (" tout à fait adapté aux exigences du poste ") lui ayant été attribuée pour l'ensemble des comportements professionnels évalués, et l'appréciation littérale faisant état d'un " comportement professionnel de qualité ". Enfin, le département de la Gironde ne produit aucun témoignage permettant d'établir que M. F... aurait consommé de l'alcool sur son lieu de travail en dehors des moments où une telle consommation était autorisée, l'intéressé produisant quand à lui des attestations établies par quatre de ses collègues qui, s'ils font état de relations conflictuelles avec le chef cuisinier, indiquent n'avoir jamais vu le requérant consommer de l'alcool pendant les heures de travail. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le second grief ayant justifié la sanction en litige ne peut être regardé comme établi.

6. S'agissant enfin du troisième grief, comme l'a relevé le tribunal administratif, le président du département de la Gironde n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que M. F... aurait détourné des denrées alimentaires à des fins personnelles.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : / Premier groupe : l'avertissement ; le blâme ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ; (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

8. En évoquant avec des parents d'élèves divers aspects de la gestion et du fonctionnement du service en cuisine de la cantine scolaire, en des termes qui en soulignaient les dysfonctionnements et les insuffisances, M. F... a manqué à l'obligation de discrétion professionnelle prescrite par l'article 26 de la loi susvisée du 13 juillet 1983. Toutefois, eu égard à la gravité limitée de cette faute et au regard de l'absence d'antécédents de l'intéressé et de ses évaluations élogieuses, en prononçant à raison de celle-ci une exclusion temporaire de fonction de trois jours sans sursis, ce qui constitue la plus sévère des sanctions du premier groupe, le président du conseil départemental de la Gironde a, dans les circonstances de l'espèce, prononcé une sanction disproportionnée aux faits reprochés. Par suite, M. F... est fondé à demander l'annulation de la décision du 10 août 2015 lui ayant infligé cette sanction.

Sur les conclusions indemnitaires :

9. En conséquence de la décision du 10 août 2015 l'excluant effectivement du service pendant trois jours, dont il vient d'être dit qu'elle est entachée d'illégalité, M. F... a été privé de son traitement pendant trois jours. Cette situation illégale lui a causé des préjudices dont il est fondé à demander réparation.

10. En l'absence de toute précision quant à la perte de salaire induite par la décision en litige, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre en le fixant à 150 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2015, date d'enregistrement de son recours devant la juridiction administrative.

11. Si M. F... demande également à être indemnisé des préjudices constitués par la perte de son logement et la mutation qu'il a acceptée à la suite de la décision du 10 août 2015, il n'établit pas que la sanction prononcée à son encontre est la cause directe et certaine de la demande qui lui a été faite de quitter le logement qu'il occupait à titre temporaire au sein du collège et de sa décision d'accepter la mutation qui lui a été proposée au collège Toulouse Lautrec à Langon. Il n'est pas davantage établi que l'inaptitude temporaire constatée par le médecin de prévention, les arrêts de travail successifs et le traitement médical qui lui ont été prescrits, le suivi psychologique dont il fait l'objet et la prise en charge à 100 % dont il bénéficie pour une affection de longue durée, seraient les conséquences directes et certaines de la sanction en litige. Enfin, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral ayant résulté de la sanction prononcée illégalement à l'encontre de M. F... en lui attribuant la somme de 250 euros à ce titre. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2015.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions en annulation dirigées contre la décision du 10 août 2015, ainsi que sa demande indemnitaire.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. F..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le département de la Gironde demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de ce dernier le versement à M. F... de la somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1504362 du 30 novembre 2016 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 10 août 2015, par lequel le président du conseil départemental de la Gironde a infligé à M. F... une sanction disciplinaire du premier groupe, consistant en une mesure d'exclusion temporaire de trois jours, est annulé.

Article 3 : Le département de la Gironde versera à M. F... la somme de 400 euros au titre du préjudice subi, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2015.

Article 4 : Le département de la Gironde versera à M. F... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Les conclusions présentées par le département de la Gironde au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F...et au département de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

M. David Katz, premier conseiller,

Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 31 décembre 2018.

Le rapporteur,

Sylvie CHERRIER

Le président,

Laurent POUGETLe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX00336


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX00336
Date de la décision : 31/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-09-02-01 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Caractère disciplinaire d'une mesure. Mesure présentant ce caractère.


Composition du Tribunal
Président : M. POUGET L.
Rapporteur ?: Mme Sylvie CHERRIER
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : SEBBAN

Origine de la décision
Date de l'import : 04/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-31;17bx00336 ?
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