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05/02/2019 | FRANCE | N°17BX00068,17BX00074

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre - formation à 3, 05 février 2019, 17BX00068,17BX00074


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme D...M..., Mme N...G..., M. A...G...et Mme Q...G...ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 30 septembre 2013 déclarant d'utilité publique, à la suite de la tempête Xynthia, l'expropriation de biens exposés à un risque naturel ainsi que les décisions implicites du préfet de la Charente-Maritime rejetant les recours gracieux formulés par M. et MmeM... et M. et MmeG..., respectivement les 27 janvier et 3 février 2014.

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n jugement n° 1400919 du 9 novembre 2016, le tribunal administratif de Poitiers a ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme D...M..., Mme N...G..., M. A...G...et Mme Q...G...ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 30 septembre 2013 déclarant d'utilité publique, à la suite de la tempête Xynthia, l'expropriation de biens exposés à un risque naturel ainsi que les décisions implicites du préfet de la Charente-Maritime rejetant les recours gracieux formulés par M. et MmeM... et M. et MmeG..., respectivement les 27 janvier et 3 février 2014.

Par un jugement n° 1400919 du 9 novembre 2016, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à leurs demandes en annulant l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime en date du 30 septembre 2013 en tant qu'il concerne les parcelles cadastrées AY 72 et 73 situées rue de la Plage à Aytré et les parcelles cadastrées BC 54, 56, 62, 63, 66 et 67 au lieu-dit Fief de Roux à Aytré, ainsi que les décisions implicites de rejet de leurs recours gracieux.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 7 janvier 2017 sous le n° 17BX00068, M. O...M...et Mme F...M..., représentés par MeJ..., demandent à la cour d'annuler ce jugement du 9 novembre 2016 du tribunal administratif de Poitiers.

Ils soutiennent que :

- ils sont propriétaires de la maison située 64 route de la Plage à Aytré que le frère du requérant, M. D...M..., occupe avec son épouse sans régularisation ;

- le tribunal administratif a fait une interprétation erronée des dispositions de l'article R. 561-2 du code de l'environnement ; cet article impose que le dossier soumis à enquête publique comporte une analyse des risques décrivant les phénomènes naturels auxquels les biens sont exposés et de fournir des précisions permettant d'apprécier l'importance et la gravité de la menace qu'ils présentent pour les vies humaines ;

- en l'espèce, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le risque de submersion au regard de la configuration de la côte et des lieux à cet endroit précis du littoral est établi ; le quartier de la Rue de la Plage pouvait être très rapidement submergé dans l'hypothèse d'une hausse brutale et importante du niveau de la mer ; en l'espèce, ce niveau est passé au-delà de la dune située en bord de plage et a inondé l'ensemble du quartier situé à proximité ; il n'est pas possible de déterminer précisément à quel endroit et dans quelle proportion la submersion va avoir lieu, ce qui explique le risque particulièrement grave sur certains points du littoral de submersion brutale ; c'est donc une appréciation globale qui doit être effectuée relativement à un risque dont le caractère exceptionnel le rend d'autant plus difficile à prévoir.

Par ordonnance du 21 juin 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 14 septembre 2018 à 12 heures.

II. Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés sous le n° 17BX00074 le 9 janvier 2017 et le 4 septembre 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 9 novembre 2016 et de rejeter la demande de M. et Mme D...M..., de Mme N...G..., de M. A...G...et de Mme Q...G....

Il soutient que :

- en jugeant que l'imprécision de l'évaluation des délais nécessaires à l'alerte des populations exposées et à leur complète évacuation était de nature à vicier la procédure telle que prévue par les dispositions combinées des articles L. 561-1 et R. 561-2 du code de l'environnement, les juges de première instance ont entaché leur décision d'une erreur de droit ; dans une décision CE du 7 avril 1999, Association " vivre et rester au pays ", n° 189263, le Conseil d'Etat a jugé que l'obligation d'évaluer le coût des mesures alternatives de protection ne trouve à s'appliquer que si des mesures susceptibles de protéger de manière efficiente les populations peuvent être mises en oeuvre ; ce raisonnement est également applicable à l'obligation d'évaluer les délais d'alerte et d'évacuation des populations dès lors qu'il n'est pas pertinent d'évaluer ces délais lorsque la mise en place d'un tel dispositif ne permet pas en l'espèce de protéger la population ;

- le dossier d'enquête publique précisait les motifs pour lesquels un dispositif d'alerte et d'évacuation ne permettrait pas de protéger la population au vu des circonstances de l'espèce ; le préfet n'était donc pas tenu d'en évaluer les délais ;

- les premiers juges ont également commis une erreur de qualification juridique des faits dès lors que l'évaluation était suffisamment précise ;

- dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, les autres moyens soulevés doivent être écartés ;

- le moyen tiré de l'incomplétude du dossier de première analyse doit être écarté dès lors qu'aucun texte législatif ou règlementaire n'impose de dossier de première analyse ;

- la décision du 23 octobre 2012 d'engager la procédure d'expropriation a été prise par les autorités compétentes qui bénéficiaient d'une délégation de signature en vertu du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005, et du fait de leurs qualités de directeurs d'administration centrale et de chefs de service ;

- M. L...était bien compétent pour signer l'arrêté prescrivant l'ouverture de l'enquête publique conjointe du 5 avril 2013 ;

- le II de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique n'impose pas de joindre au dossier d'enquête publique un plan général des travaux ;

- les observations faites au cours de l'enquête ont été récapitulées par la commission d'enquête dans son rapport ; cette commission a donné son avis sur toutes ces observations ;

- la commission d'enquête a rendu un avis favorable en exposant de manière suffisante les raisons motivant cet avis ;

- la note de synthèse fournie à chaque membre du conseil municipal comprenait tous les éléments leur permettant d'appréhender le contexte, de comprendre les motifs de droit et de fait de la mesure d'expropriation envisagée et d'en mesurer les implications ; elle précisait en outre que le dossier d'enquête publique était à la disposition des conseillers ;

- l'utilité publique de l'expropriation des parcelles AY 72 et 73 est démontrée : les hauteurs de submersion ont été très élevées (2 mètres à l'intérieur de la maison sise 62, rue de la plage ) du fait de la faible cote naturelle du secteur de la route de la Plage et la propagation de l'inondation a été très rapide soit moins de six heures ; l'eau est restée piégée dans la cuvette pendant une douzaine de jours ; les trois décès que la commune d'Aytré a déploré sont d'ailleurs intervenus dans le secteur de la rue de la Plage ; la mise en place d'un système d'alerte et d'évacuation serait en l'espèce inefficient compte tenu de la rapidité de la submersion et de la très grande difficulté d'évacuer les personnes en danger du fait de la morphologie en cuvette des lieux ; de plus, lorsque sont additionnées les incertitudes sur les phénomènes en proche côtier, les incertitudes sur la propagation à la côte, les incertitudes sur le comportement des ouvrages et les incertitudes sur les débits de franchissements, sans études spécifiques très poussées sur chaque environnement particulier de côte et chaque conjonction possible de caractéristiques des phénomènes météo-marins, il est difficile d'obtenir des prévisions suffisamment fiables, notamment en termes d'intensité de la submersion, pour prendre des mesures d'alerte et d'évacuation proportionnées ; enfin, un système permettant l'écoulement de l'eau sous la voie ferrée ne ferait que déplacer le problème dès lors que la voie ferrée joue le rôle d'un ouvrage de protection des terrains situés à l'Est et si l'écoulement de l'eau sous la voie ferrée diminuerait peut-être la hauteur de submersion dans le secteur de la rue de la Plage, elle augmenterait les risques sur les terrains à l'Est de la voie ferrée ;

- l'utilité publique de l'expropriation de la maison située au lieu-dit Fief de Rioux est également justifiée compte tenu de l'exposition directe de la maison à la submersion et à la dynamique des vagues ; la maison a quasiment les pieds dans l'eau et se situe à la limite du dispositif de protection constitué par les enrochements, lesquels ne sont pas dimensionnés pour un évènement de type " Xynthia " ; de plus, cette exposition a augmenté à la suite de la tempête puisque la falaise a reculé sur une profondeur de 3 à 5 mètres ; l'isolement de la maison rend son évacuation délicate et pourrait mettre en danger les services de secours.

Par ordonnance du 21 juin 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 14 septembre 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 95-101 du 2 février 1995 ;

- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;

- le décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Madelaigue ;

- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de la tempête dénommée " Xynthia " survenue dans la nuit du 27 au 28 février 2010, qui a affecté notamment les côtes du département de la Charente-Maritime en provoquant des inondations de certains secteurs urbanisés à l'origine de décès et d'importants dégâts matériels, en particulier sur le territoire de la commune d'Aytré, une " zone de solidarité ", zone d'extrême danger permettant notamment à l'Etat de proposer l'acquisition amiable des biens situés dans ce périmètre, a intégré une partie significative du quartier bordant la rue de la Plage. Par arrêté du 5 avril 2013, le préfet de la Charente-Maritime a prescrit l'ouverture d'une enquête d'utilité publique et d'une enquête parcellaire conjointes en vue d'exproprier quatre maisons d'habitation et deux campings situés dans ce secteur. Par arrêté du 30 septembre 2013, le préfet de la Charente-Maritime a déclaré d'utilité publique l'expropriation de ces biens. Par un jugement du 9 novembre 2016, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit aux demandes de M. et Mme D...M..., de Mme N...G..., de M. A...G...et de Mme Q...G...en annulant cet arrêté du préfet de la Charente-Maritime en tant qu'il concerne les parcelles cadastrées AY 72 et 73 situées rue de la Plage et les parcelles cadastrées BC 54, 56, 62, 63, 66 et 67 au lieu-dit Fief de Roux à Aytré. M. O...M..., frère de M. D...M...et le ministre de la transition écologique et solidaire relèvent appel de ce jugement par deux requêtes enregistrées respectivement sous les n° 17BX00068 et 17BX00074. Ces deux requêtes concernent un même jugement et la légalité de la même décision administrative. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

2. Pour annuler l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 30 septembre 2013 déclarant d'utilité publique l'expropriation de biens exposés à un risque naturel en tant qu'il concerne les parcelles cadastrées AY 72 et 73 situées rue de la Plage et les parcelles cadastrées BC 54, 56, 62, 63, 66 et 67 au lieu-dit Fief de Roux, les premiers juges ont considéré que l'obligation posée par l'article R. 561-2 du code de l'environnement avait été méconnue en l'absence de précision dans le dossier soumis à l'enquête publique du délai d'alerte et du caractère extrêmement sommaire de la mention des délais nécessaires à l'évacuation, privant d'une garantie les personnes concernées par l'expropriation.

3. Aux termes de l'article R. 561-2 du code de l'environnement, dans ses dispositions en vigueur à la date de la décision contestée : " I.-Le préfet engage la procédure d'expropriation à la demande des ministres chargés, respectivement, de la prévention des risques majeurs, de la sécurité civile et de l'économie. II.-Le dossier soumis à l'enquête publique en application du II de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est complété par une analyse des risques décrivant les phénomènes naturels auxquels les biens sont exposés, et permettant d'apprécier l'importance et la gravité de la menace qu'ils présentent pour les vies humaines au regard notamment des critères suivants : 1° Les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles le phénomène naturel est susceptible de se produire ; 2° L'évaluation des délais nécessaires à, d'une part, l'alerte des populations exposées et, d'autre part, leur complète évacuation. "

4. Le dossier d'enquête publique souligne dans un document intitulé " analyse des risques " que sur la commune d'Aytré, la ligne ferroviaire Bordeaux-La Rochelle passe près de la mer où elle frôle la baie ne laissant place entre la dune et la voie ferrée qu'à l'étroite route de la Plage. Cette étude précise aussi que le quartier de la rue de la Plage est situé dans une zone formant une cuvette qui peut être très rapidement submergée, piégeant ainsi les habitants sans possibilité d'évacuation et qu'il en est de même pour la maison du quartier Le Fief de Roux située à proximité immédiate de la côte et en contrebas de la falaise exposée en première ligne à l'action des vagues et aux submersions. Rapportant ensuite l'expérience de la tempête Xynthia, le dossier d'enquête décrit de manière circonstanciée l'évènement, dans sa chronologie et dans ses effets en soulignant notamment que l'eau s'est engouffrée vers 3 heures du matin en repoussant le cordon dunaire profitant des brèches formées par les escaliers d'accès au rivage et que la butte de la voie ferrée a refermé le piège transformant la rue en une gigantesque bassine. Il est encore exposé que sur près d'un kilomètre, la mer a atteint jusqu'à 1,80 m de hauteur dans les habitations et que dans ce quartier, l'eau est restée piégée une douzaine de jours malgré le dispositif de pompage mis en place dès le deuxième jour. Le dossier indique précisément les délais et modalités d'alerte des habitants dans les heures ayant précédé l'arrivée de la tempête puis de leur assistance par les services de secours. Il est à cet égard précisé que les secours n'ont pu accéder à la rue de la Plage par des moyens traditionnels et qu'il a fallu attendre que les vents faiblissent pour procéder à des hélitreuillages. La maison d'habitation située sur les parcelles AY 72 et 73 se situe à proximité immédiate d'un accès à la plage par lequel l'eau s'est engouffrée lors de la tempête. De puissantes rafales de vent ont aggravé le phénomène en ajoutant de forts effets dynamiques empêchant toute arrivée des secours par des voies traditionnelles. S'agissant des parcelles situées au lieu-dit Fief de Roux, l'expertise complémentaire effectuée par le Conseil général de l'environnement et du développement durable a confirmé le caractère dangereux de cette construction, compte tenu de son isolement qui peut entraîner la mise en danger des services de secours et de son exposition directe à la dynamique des vagues et de la submersion. Dans cette zone, la piste cyclable a été détruite et la falaise a reculé sur une profondeur estimée entre 3 et 5 mètres. Dans ces conditions, et compte tenu de l'incertitude des prévisions météorologique et hydrologique, il doit être considéré que le dossier soumis à enquête publique a comporté une analyse des risques décrivant les phénomènes naturels auxquels les biens sont exposés permettant d'apprécier les motifs pour lesquels la mise en place d'un système d'alerte et d'évacuation ne permettait pas de sauvegarder la population dans ces secteurs. Par suite, c'est à tort que pour annuler l'arrêté attaqué, le tribunal administratif s'est fondé sur l'absence de précision dans le dossier soumis à l'enquête publique, du délai d'alerte et d'évacuation des populations.

5. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D...M..., Mme N...G..., M. A...G...et Mme Q...G....

Sur la régularité de la demande du ministre chargé de la prévention des risques :

6. En premier lieu, il résulte des dispositions du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement et des décisions des 11 juillet 2008, 7 septembre 2011 et 28 mai 2012 portant nomination des intéressés, que M. H...E..., directeur général de la prévention des risques, M. K...B..., directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, et M. C...P..., chef de service au ministère de l'économie et des finances, étaient compétents pour signer, respectivement au nom du ministre chargé de la prévention des risques, du ministre chargé de la sécurité civile et du ministre de l'économie, la décision du 23 octobre 2012 demandant au préfet d'engager la procédure d'expropriation.

7. En second lieu, aucun texte législatif ou règlementaire n'impose au ministre chargé de la prévention des risques majeurs de demander un dossier de " première analyse ". Le moyen tiré du vice de procédure entachant la décision du ministre en charge de la prévention des risques naturels majeurs du 23 octobre 2012 doit, en tout état de cause, être écarté.

Sur l'arrêté d'ouverture de l'enquête publique :

8. Par un arrêté du 6 mars 2012, régulièrement publié le 8 mars 2012 au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Charente-Maritime a donné délégation à M. Michel Tournaire, secrétaire général de la préfecture, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figurent les procédures d'expropriation pour cause d'utilité publique. Par suite, le moyen tiré de ce que M. L... n'était pas compétent pour signer l'arrêté prescrivant l'ouverture de l'enquête conjointe du 5 avril 2013 manque en fait et doit être écarté.

Sur la composition du dossier d'enquête publique :

9. Aux termes de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " L'expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : I. - Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages : 1° Une notice explicative ; 2° Le plan de situation ; 3° Le plan général des travaux ; 4° Les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; 5° L'appréciation sommaire des dépenses (...). II. - Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de l'acquisition d'immeubles (...) : 1° Une notice explicative ; 2° Le plan de situation ; 3° Le périmètre délimitant les immeubles à exproprier ; 4° L'estimation sommaire des acquisitions à réaliser (...) ".

10. Le dossier d'enquête publique de l'opération d'expropriation en litige a pour seul objet l'acquisition d'immeubles exposés au risque de submersion marine menaçant gravement des vies humaines. Ce dossier devait ainsi être composé des seules pièces prévues au II précité de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, et n'avait pas à comporter un plan général des travaux. Dès lors, le moyen tiré du caractère incomplet du dossier soumis à enquête en méconnaissance du I de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est inopérant et doit être écarté.

Sur le recueil des observations du public et l'avis de la commission d'enquête :

11. Aux termes de l'article R. 11-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " (...) Le préfet, après consultation du commissaire enquêteur ou du président de la commission d'enquête, précise par arrêté : (...) 2° Les heures et le lieu où le public pourra prendre connaissance du dossier et formuler ses observations sur un registre ouvert à cet effet. Ce registre, à feuillets non mobiles, est coté et paraphé par le commissaire enquêteur, le président de la commission d'enquête ou l'un des membres de celle-ci. (...) ". Aux termes de l'article R. 11-8 du même code : " Pendant le délai fixé à l'article R. 11-4, les observations sur l'utilité publique de l'opération peuvent être consignées par les intéressés directement sur les registres d'enquête. Elles peuvent également être adressées par écrit, au lieu fixé par le préfet pour l'ouverture de l'enquête, au commissaire enquêteur ou au président de la commission d'enquête, lequel les annexe au registre mentionné à l'article précité. Aux termes de l'article R. 11-10 du même code : " Le commissaire enquêteur ou la commission examine les observations consignées ou annexées aux registres et entend toutes personnes qu'il paraît utile de consulter ainsi que l'expropriant s'il le demande. / Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête rédige des conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à l'opération (...) ".

12. Si les intimés soutiennent qu'ils n'ont pas eu copie du registre d'enquête publique, aucune disposition législative ou réglementaire, notamment du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, n'impose une telle transmission. A supposer même qu'ils n'auraient pu obtenir malgré leur demande la copie de documents administratifs, il leur appartient de saisir la commission d'accès aux documents administratifs de tels refus. Il n'est au demeurant ni établi, ni même allégué, que le public ne pouvait consulter les observations émises durant l'enquête ou que certaines personnes auraient été empêchées de prendre connaissance du dossier d'enquête ou de faire connaître leurs observations.

13. Il ressort du rapport de la commission d'enquête que cette dernière, d'une part, a fait mention des observations formulées par le public et y a répondu, d'autre part, a émis un avis favorable à l'utilité publique des expropriations en indiquant les raisons justifiant sa position notamment sur la situation des biens objets de la procédure d'expropriation et l'absence de mesures de protection et de sauvegarde efficiente possible face au risque de submersion. Dès lors, le moyen tiré de la motivation insuffisante de l'avis et des conclusions de la commission d'enquête manque en fait et doit être écarté.

Sur l'avis de la commune d'Aytré :

14. L'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales prévoit que : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d'une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, doit permettre aux conseillers municipaux de connaître le contexte et de comprendre les motifs de fait et de droit ainsi que les implications des mesures envisagées. Elle n'impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés, à qui il est au demeurant loisible de solliciter des précisions ou explications conformément à l'article L. 2121-13 du même code, une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.

15. Il ressort des pièces du dossier que la note explicative de synthèse présente le projet d'expropriation envisagé, dont le dossier était à la disposition des élus au service d'urbanisme de la mairie, et précise que ni la mise en oeuvre du plan communal de sauvegarde, ni les ouvrages de protection prévus dans le cadre du programme d'actions de prévention des inondations (PAPI) ne peuvent suffire en cas de phénomène d'une intensité égale ou supérieure à Xynthia. Cette note explicative comprend tous les éléments permettant aux conseillers d'appréhender le contexte, de comprendre les motifs de droit et de fait de la mesure et d'en mesurer les implications. Dans ces conditions, le droit à l'information des membres du conseil municipal d'Aytré résultant des articles L. 2121-12 et L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales n'a pas été méconnu.

Sur l'utilité publique des expropriations :

16. Aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'environnement, dans ses dispositions en vigueur à la date de la décision contestée : " Sans préjudice des dispositions prévues au 5° de l'article L. 2212-2 et à l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, lorsqu'un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines, l'Etat peut déclarer d'utilité publique l'expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce risque, dans les conditions prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités l'expropriation. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la faculté de mettre en oeuvre la procédure d'expropriation qu'elles prévoient est notamment subordonnée à la double condition que, d'une part, les risques en cause soient au nombre des risques prévisibles dont elles dressent limitativement la liste et, d'autre part, qu'ils menacent gravement des vies humaines.

17. Il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement ayant créé l'expropriation des biens exposés à des risques naturels que le recours à cette procédure est une simple faculté offerte à l'Etat, dont l'opportunité s'apprécie au regard du coût de la mesure d'acquisition par rapport à la mise en oeuvre d'autres moyens de protection, en cas de menace grave pour les vies humaines exclusivement imputable aux éléments naturels.

18. En premier lieu, il ressort des pièces des dossiers, ainsi qu'il a été dit au point 4 que le secteur de la route de la Plage est situé entre le cordon dunaire et le talus de la voie ferrée et que le terrain naturel a dans ce secteur une cote assez faible (altitude comprise entre 2,20 m et 3,50 m). Lors de la tempête Xynthia, l'eau n'a pas submergé le cordon dunaire mais s'est cependant infiltrée par le biais des voies d'accès à la plage. Les hauteurs de submersion ont été très élevées atteignant quasiment 2 mètres à l'intérieur de la maison située 64 route de la Plage, la propagation de l'inondation a été très rapide et l'eau est restée piégée dans la cuvette pendant une douzaine de jours. Il ressort également du rapport du 15 juin 2011 du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), dont les énonciations ne sont pas contestées, que, dans ce secteur " La conservation d'une urbanisation dans le quartier qui borde la rue de la Plage, entre cordon littoral et voie ferrée nécessiterait que l'endiguement du site soit rendu insubmersible en toutes circonstances. Le problème est d'obtenir une fiabilité absolue dans la mesure où il s'agit d'une cuvette profonde (jusqu'à 2 mètres) et de faible volume (de l'ordre de 120 000 m3) : une brèche de faible dimension telle que ce qui peut se produire à l'occasion de la pose d'une canalisation suffirait à remplir le site en une demi-heure ". Les auteurs du rapport concluent que " les experts n'ont pas de solution satisfaisante à proposer ". S'agissant de la maison située au lieu-dit Fief de Rioux, l'expertise effectuée par le CGEDD a confirmé son caractère dangereux compte tenu de son exposition directe à la submersion, de la dynamique des vagues et de l'isolement de cette maison, qui rend son évacuation difficile pouvant mettre en danger les services de secours. S'agissant de la mise en place d'un système d'alerte et d'évacuation, les développements exposés au point 4 ont montré qu'un tel dispositif serait en l'espèce inefficient.

19. D'ailleurs, le secteur considéré a été classé en zone rouge Rs1 par le plan de prévention des risques naturels d'érosion et de submersion marine (PPRL) de la commune d'Aytré approuvé par l'arrêté du 7 mai 2014 du préfet de la Charente-Maritime, cette zone étant définie comme une zone de danger qui englobe l'ensemble des zones submersibles situées dans la bande de sur-aléa liée à la présence d'ouvrages de protection et susceptibles à ce titre d'être soumis à une aggravation du risque par rupture de l'ouvrage et dans les zones d'extrême danger, dans laquelle aucune construction nouvelle n'est autorisée.

20. Au vu de l'ensemble de ces éléments, et alors que les intimés n'apportent aucun élément permettant de mettre en doute la réalité du risque de submersion en ce qui concerne leurs propriétés, les secteurs en cause doivent être regardés comme exposés à un risque prévisible de submersion marine menaçant gravement des vies humaines au sens des dispositions de l'article L. 561-1 du code de l'environnement eu égard notamment à la vitesse de montée des eaux en cas d'inondation et aux conditions d'accès de ces secteurs.

21. Enfin, M. et Mme G...ne saurait utilement invoquer la différence de traitement avec la propriété voisine de M. E...dont les caractéristiques ne sont pas précisées de sorte que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité des citoyens devant la loi ne peut, en tout état de cause, être accueilli.

22. En second lieu, il ressort des énonciations, non contredites, du rapport d'enquête que l'étude des protections individuelles qui ont été envisagées rue de la Plage et au lieu-dit Fief de Rioux n'apportent pas de solution permettant d'assurer la sécurité des personnes. Au surplus, les estimations effectuées préalablement à la déclaration d'utilité publique en vue de chiffrer le coût d'éventuels travaux de réalisation d'une protection localisée enserrant les propriétés et d'une défense rapprochée amovible qui est évalué de façon précise dans le dossier d'enquête, lequel n'est pas, contrairement à ce qui est soutenu, insuffisant sur ce point, font apparaître un coût bien supérieur à celui de l'indemnisation de l'expropriation des biens concernés.

23. Ainsi, et en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existerait, dans les secteurs considérés, des moyens de sauvegarde et de protection des populations pour l'application des dispositions de l'article L. 561-1 du code de l'environnement.

24. Compte-tenu de ce qui a été dit aux points 18 à 22, l'opération déclarée d'utilité publique répond à une finalité d'intérêt général. L'expropriant n'était pas en mesure de réaliser cette opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation. Eu égard à l'intérêt général qui s'attache à la protection des populations contre le risque de submersion marine, l'atteinte portée à la propriété privée n'est pas de nature à retirer aux expropriations contestées leur caractère d'utilité publique.

25. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête de M. O...M..., le ministre de la transition écologique et solidaire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a prononcé l'annulation de l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime en date du 30 septembre 2013 en tant qu'il concerne les parcelles cadastrées AY 72 et 73 situées 64 route de la Plage et les parcelles cadastrées BC 54, 56, 62, 63, 66 et 67 au lieu-dit Fief de Roux à Aytré.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1400919 du tribunal administratif de Poitiers du 9 novembre 2016 est annulé.

Article 2 : La demande de M. et Mme D...M..., de Mme N...G..., de M. A...G...et de Mme Q...G...présentée devant le tribunal administratif de Poitiers est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, à M. O... M..., à Mme F...M..., à M. et Mme D...M..., à Mme N... I...veuveG..., à M. A...G...et à Mme Q...G....

Une copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 8 janvier 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Frédéric Faïck, premier conseiller,

Mme Florence Madelaigue, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 5 février 2019.

Le rapporteur,

Florence MadelaigueLe président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Florence Deligey

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX00068, 17BX00074


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX00068,17BX00074
Date de la décision : 05/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

34-04-02-01-02 Expropriation pour cause d'utilité publique. Règles de procédure contentieuse spéciales. Pouvoirs du juge. Moyens. Acte déclaratif d'utilité publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Florence MADELAIGUE
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : CABINET DESCUBES BALLOTEAU LAPEGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-02-05;17bx00068.17bx00074 ?
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