La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/02/2019 | FRANCE | N°16BX02465

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre - formation à 3, 08 février 2019, 16BX02465


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Château Chéri a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler d'une part, la décision du 2 juillet 2012 par laquelle le préfet de la Gironde l'a déchue de ses droits attribués par un contrat d'agriculture durable, ensemble le rejet de son recours gracieux et, d'autre part, la décision du 7 juillet 2014 par laquelle le préfet a confirmé la décision prise le 2 juillet 2012.

Par un jugement n° 1403779 du 24 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demande

s.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Château Chéri a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler d'une part, la décision du 2 juillet 2012 par laquelle le préfet de la Gironde l'a déchue de ses droits attribués par un contrat d'agriculture durable, ensemble le rejet de son recours gracieux et, d'autre part, la décision du 7 juillet 2014 par laquelle le préfet a confirmé la décision prise le 2 juillet 2012.

Par un jugement n° 1403779 du 24 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 21 juillet 2016 et le 1er juin 2017, la société Château Chéri, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 mai 2016 en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision préfectorale du 2 juillet 2012 ;

2°) d'annuler la décision préfectorale du 2 juillet 2012 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que :

- la requête enregistrée au tribunal le 6 septembre 2014 n'est pas tardive en raison de l'absence d'accusé de réception du recours gracieux formé par la société le 13 juillet 2012 à l'encontre de cette décision, en méconnaissance des dispositions de l'article 19 de la loi du 12 avril 2000 ; le délai de recours ne lui est donc pas opposable ;

- par ailleurs, la mention des voies et délais de recours dans la notification de la décision du 2 juillet 2012 est incomplète faute de précision du délai au terme duquel l'absence de réponse au recours gracieux éventuellement formé valait décision implicite de rejet ;

- au fond : la décision du 2 juillet 2012 a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière en raison de l'absence de consultation de la commission départementale d'orientation de l'agriculture prévue à l'article R. 341-15 du code rural ;

- la société était dans l'impossibilité de réaliser la totalité des travaux de plantation et d'alignement des arbres prévus en raison de la nécessité de réaliser des travaux importants de terrassement, tandis que le géologue assurant le suivi de la propriété a déconseillé la plantation en bordure de falaise afin d'éviter de la fragiliser ; enfin, la plantation de nouveaux spécimens nécessitait d'arracher des variétés naturelles, ce qui contrevenait aux stipulations de l'article 8 de l'annexe 3 du contrat d'agriculture durable stipulant de " ne pas détruire, modifier, aliéner un monument naturel du paysage(...) " ;

- les factures relatives à la création de la salle de dégustation et à l'acquisition d'un girobroyeur ont été transmises au CNASEA lorsqu'elle a sollicité le paiement des aides en litige ; ces investissements ont été réalisés et payés ;

- enfin, compte tenu du caractère seulement partiel des manquements aux engagements souscrits, il y avait seulement lieu, en vertu de l'article 8 du décret du 20 août 2003 et des dispositions et du point 9 de l'article 18 de l'arrêté du 30 octobre 2003 relatif aux aides accordées aux titulaires de contrats d'agriculteur durable, de réduire le montant du remboursement à la somme de 6 257, 48 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 avril 2017, le ministre de l'agriculture, de l'agro alimentation et de la forêt conclut au rejet de la requête.

Le ministre fait valoir que :

- aucun cas de force majeure, au sens de l'article 11 de l'arrêté du 20 août 2003 relatif aux engagements agroenvironnementaux, qui reprend les dispositions de l'article 33 du règlement (CE) n° 445/2002 de la Commission du 26 février 2002 portant modalités d'application du règlement (CE) 1257/1999 du Conseil du 17 mai 1999, ne peut être retenu qui pourrait exonérer la société de ses obligations ;

- la décision de déchéance totale de droits, compte tenu de l'étendue et de l'importance du non-respect des engagements engagés en matière de plantation, est fondée.

Par une ordonnance du 2 juin 2017, la clôture de l'instruction de cette affaire a été fixée, en dernier lieu, au 13 juin 2017 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le code rural et de la pêche ;

- le décret n° 2003-675 du 22 juillet 2003 relatif aux contrats d'agriculture durable, modifiant le code rural ;

- le décret n° 2003-774 du 20 août 2003 relatif aux engagements agro-environnementaux et fixant les conditions de souscriptions des personnes physiques ou morales ;

- le décret n° 2007-1261 du 21 août 2007 relatif au financement des exploitations agricoles ;

- l'arrêté du 30 octobre 2003 relatif aux aides accordées aux titulaires de contrats d'agriculture durable ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sylvande Perdu,

- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant la société Château Chéri.

Considérant ce qui suit :

1. La société Château Chéri a souscrit le 3 août 2005 un contrat d'agriculture durable, pour une action agroenvironnementale portant sur l'action n° 0501-A-00 " Plantation et entretien d'une haie " (536 mètres linéaires prévus) et l'action n° 0502-A-00 " Plantation et entretien d'un alignement d'arbres " (33 arbres prévus), d'une durée de cinq ans. Ce contrat portait également sur une aide aux investissements pour la création d'une salle de dégustation et de vente, d'une aire de remplissage, d'une table de tri, et pour l'acquisition d'un broyeur. A la suite d'un contrôle sur place réalisé le 17 novembre 2009 qui a révélé que la société n'avait pas tenu ses engagements contractuels, le préfet de la région Aquitaine, après avoir invité la société Château Chéri à présenter ses observations, a prononcé, par une décision du 2 juillet 2012, la résiliation du contrat et a décidé que la société devait rembourser les sommes indûment perçues. La société a formé un recours gracieux à l'encontre de cette décision, reçu le 13 juillet 2012. Par ordre de reversement du 22 octobre 2012, l'agence de services et de paiement a mis en recouvrement la somme concernée, d'un montant total de 13 153,88 euros. A la suite d'une demande adressée par la société Château Chéri, le 9 novembre 2012, l'agence de services et de paiement a, par une décision du 22 novembre 2012, suspendu les poursuites. Par lettre du 22 avril 2014, la société Château Chéri a adressé au préfet de la Gironde, une nouvelle contestation de la décision du 2 juillet 2012, laquelle a été rejetée le 7 juillet 2014.

2. Par un jugement du 24 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté pour tardiveté les conclusions de la requête de la société Château Chéri dirigées contre la décision du 2 juillet 2012, et pour irrecevabilité les conclusions dirigées contre la décision du 7 juillet 2014 qu'il a regardée comme étant purement confirmative de la décision du 2 juillet 2012 devenue définitive. La société Château Chéri interjette appel de ce jugement. Elle doit ainsi être regardée comme demandant non seulement l'annulation de la décision du 2 juillet 2012 prononçant la déchéance de ses droits mais encore de celle du 7 juillet 2014.

Sur la recevabilité de la requête de première instance dirigée contre la décision du 2 juillet 2012 :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 18 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations alors en vigueur : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives ". Aux termes de l'article 19 de la même loi : " Toute demande adressée à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé de réception délivré dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications prévues par le décret mentionné au premier alinéa (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 21 de la même loi applicable au litige : " Sauf dans les cas où un régime de décision implicite d'acceptation est institué dans les conditions prévues à l'article 22, le silence gardé pendant plus de deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet ". Aux termes de l'article 1er du décret du 6 juin 2001 : " L'accusé de réception prévu par l'article 19 de la loi du 12 avril 2000 susvisée comporte les mentions suivantes : / 1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d'une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ;(...)/ L'accusé de réception indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision (...) " ;

4. Il résulte de ces dispositions combinées que, sauf dans le cas où un décret en Conseil d'Etat prévoit un délai différent, le silence gardé pendant plus de deux mois par les autorités administratives sur les recours gracieux ou hiérarchiques qui leur ont été adressés fait naître une décision implicite de rejet. Il résulte des dispositions de l'article 1er du décret du 6 juin 2001 que le délai de recours à l'encontre de cette décision implicite de rejet ne court que si le recours gracieux ou hiérarchique a fait l'objet d'un accusé de réception comportant les mentions exigées par ces dispositions.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Château Chéri a formé, le13 juillet 2012, à l'encontre de la déchéance de ses droits prononcée le 2 juillet 2012, un recours gracieux qui, reçu le jour même, a été implicitement rejeté. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond et il n'est pas contesté que ce recours gracieux n'a pas fait l'objet d'un accusé de réception. Par suite, c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi. Le jugement en date du 24 mai 2016 doit, dès lors, être annulé.

6. Il y a lieu pour la cour administrative d'appel de se prononcer immédiatement sur cette demande par voie d'évocation.

7. La société Château Chéri soutient que le préfet de la Gironde a entaché sa décision d'un vice de procédure en n'ayant pas consulté la commission départementale d'orientation de l'agriculture préalablement à la résiliation du contrat en litige ainsi que le prévoit l'article R. 341-15 du code rural.

8. Aux termes des dispositions de l'article R. 341-15 du code rural et de la pêche, restées applicables au contrat en litige en vertu du II de l'article 3 du décret n° 2007-1261 du 21 août 2007 : " Lorsque le titulaire ne se conforme pas à un ou plusieurs engagements pris dans le cadre des actions souscrites, les subventions sont suspendues, réduites ou supprimées dans les conditions prévues aux articles 62 et 64 du règlement (CE) n° 445/2002 de la Commission du 26 février 2002./ Un arrêté du ministre chargé de l'agriculture prévoit les modalités selon lesquelles les subventions versées en contrepartie des actions souscrites sont suspendues, réduites ou supprimées. Ces suspensions, réductions ou suppressions sont décidées par le préfet. Elles sont proportionnées à la gravité du manquement et ne peuvent aller au-delà du remboursement de la totalité des aides perçues. / Lorsque la cohérence du contrat d'agriculture durable est remise en cause du fait de l'importance du ou des engagements non respectés, le préfet peut le résilier après avoir recueilli l'avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture. ". Le point 9 de l'article 18 de l'arrêté du 30 octobre 2003 précise : " Le préfet apprécie l'importance des engagements non respectés en regard de l'objectif du contrat pour prononcer une déchéance partielle temporaire ou définitive ou bien une déchéance totale temporaire des droits. Si la cohérence du contrat d'agriculture durable est remise en cause du fait de l'importance des engagements non respectés, le préfet peut le résilier après avoir recueilli l'avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture. ".

9. Il résulte des dispositions précitées que s'il incombe au préfet de prononcer la suspension, la réduction ou la suppression d'une action faisant l'objet d'un contrat d'agriculture durable, la résiliation d'un tel contrat dont la cohérence et, par suite, l'exécution sont remises en cause du fait de l'importance des manquements du bénéficiaire à ses engagements, ne peut être prononcée, en raison de la gravité même de la mesure, qu'après avis de la commission départementale d'agriculture.

10. Ainsi que le font apparaître tant la lettre du 7 juin 2010 énumérant les manquements reprochés à la société Château Chéri que la décision du 2 juillet 2012 elle-même, le préfet a prononcé la déchéance totale des droits de la requérante au titre du contrat d'agriculture durable et la résiliation du contrat en raison de la méconnaissance des engagements stipulés dans le contrat, remettant en cause la cohérence de celui-ci dès lors, en particulier, qu'aucune des deux actions pour lesquelles une aide agro-environnementale avait été accordée à la société n'a été réalisée. Par suite, la décision de résiliation du contrat du 2 juillet 2012 devait, en application de l'article R. 341-15 du code rural, être préalablement soumise pour avis à la commission départementale d'orientation de l'agriculture. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que tel a été le cas.

11. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Eu égard à la garantie que constitue l'avis de la commission départementale d'orientation agricole devant laquelle la requérante pouvait présenter des observations, et à l'influence que cet avis pouvait avoir sur la décision du préfet, l'absence de cette consultation entraîne l'irrégularité de la procédure à l'issue de laquelle la déchéance du contrat en litige a été prononcée.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, que la décision du 2 juillet 2012 et, par voie de conséquence, celle du 7 juillet 2014, doivent être annulées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'articles L.761-1 du code de justice administrative :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Château Chéri et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1403779 du 24 mai 2016 et les décisions du préfet de la région Aquitaine du 2 juillet 2012 et du 7 juillet 2014 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à la société Château Chéri une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Château Chéri, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à l'agence de services et de paiement.

Copie en sera adressée au préfet de la région Nouvelle-Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2019 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

Mme Sylvande Perdu, premier conseiller,

M. Romain Roussel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 février 2019.

Le rapporteur,

Sylvande Perdu

Le président,

Philippe Pouzoulet

Le greffier,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 16BX02465


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX02465
Date de la décision : 08/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-01-07 Procédure. Introduction de l'instance. Délais.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: Mme Sylvande PERDU
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : CABINET GRAVELLIER - LIEF - DE LAGAUSIE - RODRIGUES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-02-08;16bx02465 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award