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09/08/2019 | FRANCE | N°18BX04543,18BX04550

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 09 août 2019, 18BX04543,18BX04550


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 14 mars 2018 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1802713 du 29 novembre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour por

tant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

I. Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 14 mars 2018 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1802713 du 29 novembre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 26 décembre 2018 sous le numéro 18BX04543, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 29 novembre 2018.

Il soutient que :

- Mme A... A... ne produit aucun justificatif probant de sa présence en France entre 1997 et 2001 et entre 2007 et 2016 ;

- elle et sa mère se sont rendues à plusieurs reprises au Cambodge entre 2009 et 2012 ;

- l'activité professionnelle exercée est précaire et procure des revenus modestes. Elle n'a d'ailleurs pas sollicité d'autorisation de travailler ;

- elle est célibataire et sans enfant. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut donc être accueilli.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2019, Mme F... A... A..., représentée par Me D..., conclut :

- à ce qu'elle soit admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

- au rejet de la requête ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne, à titre principal, de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans le délai de quinze jour à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ;

- à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen individuel de sa situation ;

- le refus de titre de séjour n'a pas respecté la procédure contradictoire prévue par les articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration car elle a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents et elle ignorait qu'elle pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;

- la commission du titre de séjour aurait dû être consultée en raison de sa présence habituelle en France depuis plus dix ans ;

- contrairement à ce qu'indique l'arrêté, elle justifie de sa présence en France entre 1997 et 2018 et sa mère réside en France et non au Cambodge ;

- le refus de titre de séjour méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;

- le refus de titre de séjour méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'obligation de quitter le territoire français est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 et le droit d'être entendu ;

- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le délai de départ volontaire est insuffisamment motivée, ce qui révèle un défaut d'examen de sa situation ;

- la décision fixant le délai de départ volontaire méconnaît l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ;

- le préfet s'est cru à tort en situation de compétence liée pour déterminer le délai de départ volontaire ;

- la décision fixant le délai de départ volontaire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée.

Par ordonnance du 31 janvier 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er avril 2019 à midi.

Mme F... A... A... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 mai 2019.

II. Par une requête, enregistrée le 26 décembre 2018 sous le numéro 18BX04550, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 29 novembre 2018 du tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que pour les motifs exposés dans la requête au fond, il existe des moyens sérieux de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement, le rejet des conclusions à fin d'annulation.

Par ordonnance du 31 janvier 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er avril 2019 à midi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné Mme E... pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les observations de Mme A... A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... A..., ressortissante cambodgienne née le 16 janvier 1991, est entrée en France en 1997. En janvier 2016, elle sollicite la régularisation de sa situation auprès de la préfecture du Lot-et-Garonne. Cette préfecture n'étant pas compétente territorialement, Mme A... A... adresse une demande de titre de séjour à la préfecture de la Haute-Garonne le 11 juillet 2017 sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 14 mars 2018, le préfet de la Haute-Garonne rejette sa demande, lui fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixe le pays de destination. Par une requête enregistrée sous le n° 18BX04543, le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 29 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à Mme A... A.... Par une seconde requête enregistrée sous le n° 18BX04550, le préfet de la Haute-Garonne sollicite le sursis à exécution de ce jugement.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées respectivement sous les numéros 18BX04543 et 18BX04550 sont dirigées contre le même jugement, concernent les mêmes parties et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour statuer par un seul arrêt.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

3. Par une décision du 9 mai 2019 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux, Mme A... A... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de Mme A... A... dans l'instance n° 18BX04543 tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Pour annuler l'arrêté du 14 mars 2018 du préfet de la Haute-Garonne, le tribunal a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

6. Mme A... A... fait valoir qu'elle est entrée en France en 1997 à l'âge de 6 ans où elle a été élevée par sa mère, qu'elle y a été scolarisée et qu'elle travaille depuis juin 2016 en qualité d'aide ménagère. Il ressort des pièces du dossier que si la requérante est célibataire et sans enfant, elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales en France où réside sa mère qui est titulaire d'une carte de résident. En outre, et alors qu'il ressort de l'extrait d'acte de naissance que son père est décédé, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir l'existence d'attaches familiales au Cambodge. En effet, la circonstance que les pièces produites par le préfet de la Haute-Garonne permettent d'établir que la mère de la requérante s'est rendue au Cambodge en 2009, 2010 et 2012, alors que sa fille était majeure, ne permet pas, contrairement à ce que soutient le préfet, d'établir l'existence d'attaches familiales dans ce pays. Par ailleurs, si le préfet conteste la présence en France de Mme A... A... entre 1997 et 2001 puis entre 2007 et 2016, il ressort des pièces du dossier, et notamment des certificats de scolarité, que Mme A... A... a été scolarisée en 2001 à l'école publique de Gaillard puis en 2002 à l'école élémentaire de Layrac puis de 2003 à 2007 au collège Théophile De Viau. En outre, selon les attestations concordantes de voisins et de commerçants situés à proximité de son domicile, Mme A... A... aurait résidé à Layrac jusqu'en 2013 avant de déménager pour Toulouse. Si, comme le soutient le préfet de la Haute-Garonne, ces pièces ne permettent pas d'établir avec certitude la présence continue de l'intéressée en France entre 1997 et 2018, il ressort néanmoins de ces pièces qu'elle a résidé en France à tout le moins de 2001 à 2007 et de 2016 à 2018, soit pendant une partie importante de sa vie, et que toutes ses attaches familiales connues se trouvent en France. Dans ces conditions, et nonobstant la circonstance, pour éminemment regrettable qu'elle soit, que Mme A... A... n'ait pas cherché à régulariser sa situation avant 2016 à l'âge de 25 ans, les circonstances particulières de l'espèce susmentionnées révèlent que l'arrêté litigieux porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé son arrêté du 14 mars 2018 et lui a enjoint de délivrer à Mme A... A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Mme A... A... réitère en appel ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne, à titre principal, à la délivrance d'un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, au réexamen de sa situation. Comme indiqué précédemment les conclusions principales ont déjà été accueillies par les premiers juges. Le présent arrêt, en rejetant l'appel interjeté par le préfet de la Haute-Garonne, ne réforme pas cette injonction. En outre, l'exécution du présent arrêt, qui rejette l'appel formé par le préfet de la Haute-Garonne, n'implique pas de prononcer une nouvelle injonction en ce sens. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A... A... en appel doivent être rejetées.

Sur la demande de sursis à exécution :

9. Le présent arrêt statuant au fond sur les conclusions du préfet de la Haute-Garonne, sa requête aux fins de sursis à exécution est devenue sans objet.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

10. Mme A... A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 mai 2019 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D..., avocat de Mme A... A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros.

DECIDE

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par Mme A... A... dans l'instance n° 18BX04543 tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18BX04550 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1802713 du29 novembre 2018 du tribunal administratif de Toulouse.

Article 3 : La requête n° 18BX04543 du préfet de la Haute-Garonne et le surplus des conclusions de Mme A... A... sont rejetés.

Article 4 : Sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier versera à Me D... une somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme A... A... et à Me D.... Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Pouget, président,

M. Paul-André C..., premier conseiller,

M. David Katz, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 août 2019.

Le rapporteur,

Paul-André C...Le président,

Marianne Pouget

Le greffier,

Florence Faure

La République mande et ordonne au ministre de l'Intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 18BX04543-18BX04550


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18BX04543,18BX04550
Date de la décision : 09/08/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme POUGET M.
Rapporteur ?: M. Paul-André BRAUD
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : SELARL SYLVAIN LASPALLES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-08-09;18bx04543.18bx04550 ?
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