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29/10/2019 | FRANCE | N°19BX00795

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 29 octobre 2019, 19BX00795


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 2 mars 2017 par laquelle le préfet de la Gironde lui a refusé le bénéfice du regroupement familial présenté au profit de son épouse.

Par un jugement n° 1702974 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 février 2019, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce

jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 octobre 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 2 mars ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 2 mars 2017 par laquelle le préfet de la Gironde lui a refusé le bénéfice du regroupement familial présenté au profit de son épouse.

Par un jugement n° 1702974 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 février 2019, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 octobre 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 2 mars 2017 de préfet de la Gironde susmentionné ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une autorisation de regroupement familial au profit de son épouse, Mme E..., dans un délai de trente jours sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision contestée est entachée d'un défaut de motivation en fait et méconnaît les article L. 211-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration, dès lors que le préfet n'a pas examiné sa situation familiale et professionnelle, ni tenu compte de l'intensité des liens qu'il a tissés en France ainsi que de la stabilité de son mariage et de ses deux enfants ; cette motivation révèle un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;

- le préfet de la Gironde a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il vit en France avec son épouse depuis leur mariage célébré le 4 janvier 2014, soit près de cinq ans, et que leurs deux enfants sont scolarisés en France ; le préfet s'est estimé en situation de compétence liée ;

- la décision contestée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il a vocation à résider régulièrement et durablement sur le territoire français, ayant obtenu la délivrance d'une carte de résident, qu'il exerce une activité professionnelle en qualité de maçon dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée ; il justifie de la stabilité et de l'intensité de ses liens en France depuis plus de cinq ans, que son épouse vit avec lui depuis leur mariage de sorte que sa vie privée et familiale ne peut se poursuivre hors de France ;

- elle porte une atteinte disproportionnée aux intérêts supérieurs de son enfant, tels que défendus par l'article 3-1 de la convention de New York.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mai 2019, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête. Il fait valoir qu'en l'absence d'élément nouveau il confirme son mémoire de première instance auquel il se réfère expressément.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 janvier 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... F..., a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., de nationalité turque, titulaire depuis 2010 d'un titre de séjour " vie privée et familiale ", en cours de renouvellement à la date de la décision attaquée, a présenté le 28 juin 2016, une demande de regroupement familial au bénéfice de Mme E..., de nationalité turque, avec laquelle il s'est marié le 4 janvier 2014. M. A... relève appel du jugement du 18 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 mars 2017 par laquelle le préfet de la Gironde a rejeté sa demande de regroupement familial au profit de son épouse.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. En premier lieu, M. A... reprend en appel le moyen déjà soulevé en première instance et tiré du caractère insuffisamment motivé de l'arrêté contesté au regard des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Il ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge.

3. Il ne ressort, ni de cette motivation ni d'aucune pièce du dossier, que le préfet de la Gironde n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation personnelle de M. A....

4. Aux termes des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint (...). ". En vertu de l'article L. 411-6 du même code : " Peut être exclu du regroupement familial : (...) 3° Un membre de la famille résidant en France. ". Selon son article R. 411-6 : " Le bénéfice du regroupement familial ne peut être refusé à un ou plusieurs membres de la famille résidant sur le territoire français dans le cas où l'étranger qui réside régulièrement en France dans les conditions prévues aux articles R. 411-1 et R. 411-2 contracte mariage avec une personne de nationalité étrangère régulièrement autorisée à séjourner sur le territoire national sous couvert d'une carte de séjour temporaire d'une durée de validité d'un an. Le bénéfice du droit au regroupement familial est alors accordé sans recours à la procédure d'introduction. Peuvent en bénéficier le conjoint et, le cas échéant, les enfants de moins de dix-huit ans de celui-ci résidant en France, sauf si l'un des motifs de refus ou d'exclusion mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-5 leur est opposé. ".

5. Après avoir relevé la présence sur le territoire national de Mme E..., le préfet a fait état de son mariage avec le requérant, et que cette dernière se maintenait irrégulièrement en France. Il ressort des pièces du dossier que Mme E..., qui est entrée en France le 27 décembre 2012 pour y solliciter l'asile et a fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une mesure d'éloignement le 9 novembre 2015 à laquelle elle s'est soustraite, résidait déjà sur le territoire français lors de la demande de regroupement familial. Dès lors, elle est au nombre des personnes susceptibles d'être exclues du bénéfice du regroupement familial en application du 3° des dispositions de l'article L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet de la Gironde a pu, pour ce motif et sans commettre d'erreur de droit, rejeter la demande de regroupement familial présentée par M. A... au profit de son épouse. Le préfet, qui ne s'est pas estimé en situation de compétence liée ainsi qu'il ressort des mentions de la décision contestée, n'a pas méconnu l'étendue de son pouvoir d'appréciation.

6. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". En application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé.

7. Mme E..., qui est entrée en France le 27 décembre 2012, s'est mariée le 4 janvier 2014 à un compatriote, M. A..., séjournant régulièrement sur le territoire et le couple a eu deux enfants, nés à Bordeaux et à Lormont les 25 juillet 2013 et 8 octobre 2015. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'elle a fait l'objet d'une mesure d'éloignement, par arrêté du 9 novembre 2015, qui n'a pas été exécutée. M. A... n'allègue pas être dépourvu d'attaches personnelles et familiales dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de dix-sept ans, et son épouse, jusqu'à l'âge de vingt-et-un ans et où résident les parents de cette dernière ainsi que sa fratrie. M. A... se prévaut de l'ancienneté de son mariage contracté en 2012, de ce qu'il réside régulièrement en France depuis 2010, qu'il justifie de liens intenses en France compte tenu de son intégration professionnelle et que la décision du préfet est susceptible de compromettre la stabilité de son mariage. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que lui et son épouse partageaient une communauté de vie depuis 2012. Compte tenu du jeune âge de leurs deux enfants mineurs, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer en Turquie. Dans ces conditions, la décision de refus de bénéfice du regroupement familial ne peut être regardée, eu égard au caractère irrégulier du séjour en France de Mme E..., comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs qui lui ont été opposés. La décision contestée n'a, dès lors, pas été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur la situation personnelle et familiale de M. A....

8. Aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Ces stipulations sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

9. Il ressort des pièces du dossier que le requérant et son épouse ont la même nationalité et que ce dernier ne fait état d'aucun élément qui ferait obstacle à ce qu'ils reconstituent ensemble leur cellule familiale en Turquie, alors même qu'il réside régulièrement en France. Ainsi, eu égard notamment au jeune âge des deux enfants du requérant, et dès lors que la décision litigieuse n'a ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants de leur mère, le préfet de la Gironde n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ne peuvent être accueillies.

Sur les frais d'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont M. A... demande le versement à son conseil au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Dominique Naves, président,

Mme G... H..., présidente-assesseure,

Mme B... F..., conseiller,

Lu en audience publique, le 29 octobre 2019.

Le rapporteur,

Agnès F...Le président,

Dominique NAVESLe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX00795


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX00795
Date de la décision : 29/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. NAVES
Rapporteur ?: Mme Agnès BOURJOL
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : DA ROS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-29;19bx00795 ?
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