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12/11/2019 | FRANCE | N°19BX01833

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 12 novembre 2019, 19BX01833


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Madame E... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 28 novembre 2018 par lequel le préfet de l'Indre lui a refusé le séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n°1802070 du 5 avril 2019, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 mai 2019, Mme C..., représentée par Me F..., avocate, demand

e à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annul...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Madame E... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 28 novembre 2018 par lequel le préfet de l'Indre lui a refusé le séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n°1802070 du 5 avril 2019, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 mai 2019, Mme C..., représentée par Me F..., avocate, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 5 avril 2019 ;

3°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Indre du 28 novembre 2018 ;

4°) d'enjoindre au préfet de l'Indre, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 313-11 du CESEDA, à titre subsidiaire de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " étudiant " sur le fondement de l'article L. 313-7 I. du CESEDA, et à titre infiniment subsidiaire, de lui délivrer un titre de séjour au titre de l'admission exceptionnelle sur le fondement de l'article L. 313-14 du CESEDA.

Elle soutient que :

- le préfet a commis une erreur d'appréciation de sa situation au regard de l'article L. 313-11 6° en tant qu'elle est mère d'une enfant française, et que le préfet n'établit pas que le ressortissant français se déclarant être le père l'aurait reconnue frauduleusement ;

- elle aurait dû se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-7 I du CESEDA ;

- elle justifie de circonstances exceptionnelles justifiant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du CESEDA, un retour dans son pays d'origine l'exposant aux lois de la charia alors qu'elle a trahi son époux ;

- le préfet s'est cru à tort lié par l'avis de l'OFPRA ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme, s'il est soutenu qu'elle a de la famille dans son pays d'origine, ses deux enfants aînés sont issus de relations sexuelles auxquelles elle n'a pas consenti ;

- la décision méconnaît l'article 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par ordonnance du 26 juillet 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er octobre 2019 à midi.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention relative aux droits de l'enfant, signée le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- la convention entre la République française et la République du Cameroun relative à la circulation et au séjour des personnes, signée à Yaoundé le 24 juin 1994 ;

- le CESEDA ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. D... A....

Considérant ce qui suit :

1. Madame E... C..., ressortissante camerounaise née le 6 novembre 1998, est entrée irrégulièrement en France le 12 août 2016 selon ses déclarations. Le 28 février 2018, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile. Le 11 juillet 2018, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en tant que parent d'enfant français sur le fondement de l'article L. 313-11 6° du CESEDA. Par un arrêté du 28 novembre 2018, le préfet de l'Indre a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme C... relève appel du jugement du 5 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du CESEDA (CESEDA) : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ", et aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec, même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du CESEDA, qui n'ont pas entendu écarter l'application de ces principes. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du CESEDA, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme C... a déclaré aux services de la préfecture être entrée en France le 12 août 2016 alors qu'elle était enceinte. Devant l'OFPRA elle a déclaré qu'avant d'entrer sur le sol national elle a été contrainte de se prostituer à Géroua, au Nigéria. au Niger en Algérie et en Lybie, avant de rejoindre l'Italie où ses empreintes digitales ont été relevées le 1l juin 2016. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il apparaît peu vraisemblable au regard de ces déclarations qu'elle ait été en présence de M. B... durant la période de conception de l'enfant.

5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que, M. B..., déjà connu pour une précédente reconnaissance frauduleuse de paternité faite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou un titre de séjour, reconnaissance qui a été annulée par un jugement du 9 juin 2011 du tribunal de grande instance de Châteauroux, aurait eu avec la requérante une vie commune et qu'il contribuerait à l'entretien et à l'éducation de l'enfant née le 21 février 2017 qu'il a reconnue le 6 juin 2017. Dans ces conditions, le préfet de 1'Indre, à qui incombe la charge de la preuve, qui a saisi le 6 décembre 2018 le procureur de la République pour soupçon de reconnaissance frauduleuse de paternité, doit être regardé comme établissant que la reconnaissance de l'enfant de la requérante par un ressortissant français qui a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention d'un titre de séjour avait un caractère frauduleux. Par suite, le préfet de 1'Indre à qui il appartenait de faire échec à cette fraude dès lors que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'était pas acquise, était légalement fondé à refuser, pour ce motif, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par Mme C..., alors même qu'à la date de ce refus, cette enfant était titulaire d'une carte nationale d'identité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 6° de 1'article L. 313-1 l du CESEDA doit être écarté.

6. En deuxième lieu, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du CESEDA, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens d'examiner d'office si l'intéressée peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressée.

7. Mme C... ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-7 du CESEDA, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'elle n'a présenté sa demande de titre de séjour que sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du CESEDA en tant que parent d'enfant français.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du CESEDA : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...) ". En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de ces dispositions, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention "vie privée et familiale" répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".

9. Mme C... soutient qu'elle ne peut retourner au Cameroun où elle avait été mariée de force avec un homme qui lui avait imposé des relations sexuelles et avec qui elle avait eu deux enfants, justifiant son départ de son pays, et qu'elle tente de reconstruire sa vie en France, où elle suit une formation qualifiante, avec sa fille. Toutefois, d'une part l'OFPRA a estimé que son récit était peu crédible, lequel n'a été contredit par aucun élément nouveau versé au dossier. D'autre part, la seule scolarisation de sa fille en France ne saurait constituer un motif exceptionnel. Elle ne peut dès lors être regardée comme justifiant de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels d'admission au séjour au sens de l'article L. 313-14 du CESEDA. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de cet article doit être écarté.

10. En quatrième lieu, il ne ressort pas des termes de l'arrêté du 28 novembre 2018, qui relève notamment que Mme C... n'établit pas craindre des risques pour sa vie en cas de retour de son pays d'origine au sens l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et qu'elle n'a apporté aucun élément relatif à sa situation personnelle susceptible de constituer des circonstances humanitaires, que le préfet de l'Indre se soit cru tenu de lui refuser un titre de séjour et de prendre une décision portant obligation de quitter le territoire à son encontre en conséquence de la décision de l'OFPRA. La seule circonstance que le préfet vise cette décision ne saurait signifier qu'il s'est cru lié par celle-ci. Dès lors le moyen tiré de ce que le préfet de l'Indre se serait cru lié par l'avis de l'OFPRA doit être écarté.

11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Pour l'application des stipulations précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

12. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est arrivée récemment en France alors qu'elle a vécu la majeure partie de sa vie au Cameroun et où vivent deux de ses enfants âgés de 7 et 3 ans, ses parents, son frère et deux de ses soeurs. Par ailleurs, Mme C... ne justifie d'aucun lien stable en France ni d'aucune démarche d'intégration en dehors du seul certificat scolaire délivré en octobre 2018 pour l'année 2018/2019. Dès lors, eu égard aux conditions et à la durée de séjour de la requérante, l'arrêté n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Il s'ensuit qu'elle n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme.

13. En dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 9 de la convention internationale des droits de l'enfant " 1. Les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. (...) ". Mme C... ne peut utilement se prévaloir de ces stipulations, dès lors qu'elles créent seulement des obligations entre Etats et sans ouvrir de droit aux personnes physiques. Dès lors, ce moyen doit être écarté comme inopérant.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 novembre 2018 du préfet de l'Indre. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée au préfet de l'Indre.

Lu en audience publique, le 12 novembre 2019.

La présidente-assesseure,

Fabienne ZUCCARELLOLe président-rapporteur,

Dominique A...Le greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX01833


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01833
Date de la décision : 12/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. NAVES
Rapporteur ?: M. Dominique NAVES
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : GOMOT-PINARD

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-11-12;19bx01833 ?
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