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10/03/2020 | FRANCE | N°17BX03955

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 10 mars 2020, 17BX03955


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime a demandé au tribunal administratif de Poitiers, par une requête enregistrée sous le n° 1502634, d'annuler l'arrêté du 8 juin 2015 par lequel la préfète de la région Poitou-Charentes a mis à sa charge un prélèvement complémentaire de 2,9 millions d'euros, par une requête enregistrée sous le n° 1502949, d'annuler la décision préfectorale du 22 septembre 2015 de rejet de son recours gracieux et, par une requête enregistrée sous le n

° 1601146, d'annuler le titre de perception du 13 août 2015 ainsi que les décisions...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime a demandé au tribunal administratif de Poitiers, par une requête enregistrée sous le n° 1502634, d'annuler l'arrêté du 8 juin 2015 par lequel la préfète de la région Poitou-Charentes a mis à sa charge un prélèvement complémentaire de 2,9 millions d'euros, par une requête enregistrée sous le n° 1502949, d'annuler la décision préfectorale du 22 septembre 2015 de rejet de son recours gracieux et, par une requête enregistrée sous le n° 1601146, d'annuler le titre de perception du 13 août 2015 ainsi que les décisions implicites de rejet de son recours gracieux tendant à être déchargée de l'obligation de payer la somme de 2,9 millions euros.

Par un jugement n° 1502634, 1502949, 1601146 du 11 octobre 2017, rectifié par ordonnance en date du 7 novembre 2017 du président du tribunal administratif de Poitiers, ce tribunal a partiellement fait droit aux demandes présentées par la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime en annulant le titre de perception du 13 août 2015 émis à son encontre ainsi que les décisions implicites de rejet nées le 5 avril 2016 de son recours gracieux.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 14 décembre 2017 et le 14 janvier 2019, la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime, représentée par la SELARL BRT, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 11 octobre 2017 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la préfète de la région Poitou-Charentes du 22 septembre 2015 refusant d'abroger l'arrêté n° 2015-D2/B2/063 du 8 juin 2015 portant recouvrement du prélèvement complémentaire à effectuer sur son fonds de roulement au titre de l'année 2014 ;

2°) d'annuler la décision de rejet de la préfète de la région Poitou-Charentes du 22 septembre 2015 et d'annuler l'arrêté n° 2015-D2/B2/063 du 8 juin 2015 portant recouvrement du prélèvement complémentaire à effectuer sur son fonds de roulement au titre de l'année 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- depuis de nombreuses années, elle constitue des réserves financières afin de permettre un investissement de 5,8 millions d'euros en faveur de son centre de formation des apprentis ;

- le 4 septembre 2014, elle a sollicité de la préfète de région, son autorité de tutelle, de valider son projet de délocalisation du centre de formation des apprentis et d'approuver son investissement dans le cadre des dispositions de l'article 1601 du code général des impôts, issu de la loi de finances rectificative n° 2014-891 du 8 août 2014, afin d'éviter que la trésorerie constituée entre dans l'assiette du prélèvement de 50 % institué par ces dispositions ;

- par courrier du 9 septembre 2014, la préfète de région a donné son accord au programme de délocalisation du centre de formation des apprentis, en visant les dispositions de la loi de finances rectificative n° 2014-891 du 8 août 2014 ; ce courrier emportait approbation budgétaire de l'investissement au sens de l'article 3 du décret du 11 décembre 2014 ;

- l'arrêté n° 14-D2/B2/201 du 19 décembre 2014 considérait que le fonds de roulement au sens du 7ème alinéa de l'article 1601 du code général des impôts atteignait 12 532 000 euros au 31 décembre 2012, que le montant représentant quatre mois de charges courantes décaissables s'établissait à 4 763 121 euros, que l'excédent du fonds de roulement se montait à la différence de ces deux valeurs, soit 7 768 879 euros et excédait le montant des réserves affectées aux investissements à déduire d'un montant de 6 229 584 euros, en conséquence de quoi la préfète a décidé que le prélèvement sur fonds de roulement devait représenter la somme de 769 648 euros, soit 50 % de la partie excédant quatre mois de charges et hors réserves affectées ; ce prélèvement a fait l'objet d'un titre de perception du 23 décembre 2014, payé et non contesté ;

- sur la base d'un courriel daté du 25 janvier 2015 émanant du ministère des finances, soit 4 mois et demi après la décision de validation du 9 septembre 2014, par un courrier du 29 mai 2015, la préfète de région lui a notifié une décision d'émettre un titre de perception complémentaire au titre des prélèvements destinés au fonds de financement et d'accompagnement du réseau des chambres des métiers et de l'artisanat, en réintégrant à l'assiette des prélèvements les réserves de 5,8 millions euros destinés au financement du centre de formation des apprentis ;

- par l'arrêté du 8 juin 2015 portant recouvrement complémentaire, la préfète de région a mis à sa charge un prélèvement complémentaire de 2,9 millions d'euros ;

- c'est à tort et au prix d'une dénaturation que les premiers juges ont qualifié la décision préfectorale du 9 septembre 2015 de décision favorable formulée sous condition résolutoire, alors qu'il s'agit d'une décision créatrice de droit qui ne pouvait être retirée que dans le délai de quatre mois de la jurisprudence Ternon ; or, ce délai de quatre mois dont disposait le préfet pour procéder au retrait de la décision créatrice de droit donnant son accord au projet de délocalisation du centre de formation des apprentis et fixant l'assiette du prélèvement sur son fonds de roulement était expiré lorsque la décision du 29 mai 2015 est intervenue ; une telle interprétation reviendrait à autoriser l'insertion dans un acte d'une disposition indiquant qu'un droit est acquis sous réserve que celui qui l'accorde ne change pas d'avis ; à supposer que la condition résolutoire soit regardée comme telle, l'événement la déclenchant n'est pas intervenu, dès lors que cette condition concerne le projet et son financement et non pas la question de la déductibilité des réserves affectées de l'assiette de prélèvement ; la déductibilité de l'investissement autorisé sous réserve relève du champ d'application de la loi et n'entre pas dans celui de la condition résolutoire édictée ;

- l'arrêté du 8 juin 2015 contesté portant recouvrement complémentaire de 2,9 millions d'euros a été pris en application de l'article 3 du décret du 11 décembre 2014 relatif aux conditions de gestion du fonds de financement et d'accompagnement du réseau des chambres des métiers et de l'artisanat, lui-même illégal dès lors qu'il méconnaît l'article 1601 du code général des impôts ; d'une part, les conditions supplémentaires introduites par l'article 3 du décret du 11 décembre 2014 pour permettre la déductibilité des réserves affectées de l'assiette d'imposition, soit l'approbation budgétaire, autorisation d'emprunt ou dépassement du droit additionnel à la cotisation foncière des entreprises, et temporelle, sont plus rigoureuses que celle résultant de l'article 1601 du code général des impôts faisant seulement référence à une validation formelle par l'autorité de tutelle ; d'autre part, sous couvert de préciser les modalités d'application de la loi, le pouvoir réglementaire ne peut édicter des conditions non prévues par celle-ci, en l'occurrence en supprimant le mécanisme de déductibilité prévu par le législateur pour les chambres des métiers et de l'artisanat n'ayant pas procédé à l'approbation budgétaire de leurs investissements avant le 10 août 2014, dès lors que cette limitation dans le temps n'était pas prévue par la loi ;

- à supposer que l'instruction ministérielle versée aux débats constitue bien une " instruction ministérielle contraire ", intervenue postérieurement au 31 décembre 2014, elle méconnaît les termes de l'alinéa 3 de l'article 3 du décret du 11 décembre 2014, qui clôt la procédure de décision au 31 décembre 2014 ; l'article 3 de ce décret, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, ne se borne pas à préciser la date d'entrée en vigueur de la loi ; en tout état de cause, cette condition temporelle était superflue ;

- le principe d'égalité a été méconnu dès lors qu'elle produit des arrêtés établissant que les chambres des métiers et de l'artisanat de la Vienne et des Deux-Sèvres ont été autorisées par le préfet à déduire leurs dépenses d'investissement de l'assiette de leur contribution au seul visa des délibérations de leurs assemblées générales ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en interprétant l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique comme permettant à l'administration d'édicter un titre de perception postérieurement au 31 décembre 2014, dès lors que la faculté d'émettre un titre de perception rectificatif est cantonnée dans le temps et devait nécessairement intervenir au plus tard le 31 décembre 2014, comme l'a prévu l'article 3 du décret du 11 décembre 2014 ; le titre de perception émis postérieurement à la décision préfectorale du 29 mai 2015 s'est nécessairement substitué au précédent ;

- pour les mêmes motifs que ceux développés à l'appui des conclusions dirigées contre l'arrêté du 8 juin 2015, la décision du 22 septembre 2015 du préfet rejetant sa demande d'abrogation de cet arrêté, encoure l'annulation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2018, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête de la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime.

Il fait valoir que :

- la lettre en date du 9 septembre 2014 adressée à la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime par la préfète de région portant approbation du projet de délocalisation du centre de formation des apprentis à Lagord n'est pas une décision créatrice de droit ; par ce courrier, la préfète exprimait un avis favorable sur le principe du projet d'investissement décidé par la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime par délibération du 25 juin 2014, mais ne rentrait pas dans le champ des actes de tutelle en matière financière, limitativement énumérés aux articles 28, 28-2 et 28-3 du code de l'artisanat et 1601 du code général des impôts, soit l'approbation budgétaire, l'autorisation d'emprunt ou de ligne de trésorerie, et l'autorisation de dépassement du droit additionnel à la contribution foncière des entreprises ; ces investissements ne figuraient pas dans un document budgétaire approuvé par l'autorité de tutelle avant le 10 août 2014, date d'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative de 2014 ; cette lettre, qui n'emporte aucune conséquence juridique en elle-même, ne relève pas de la jurisprudence Ternon ;

- la lettre en cause du 9 septembre 2014 ne comporte aucune condition résolutoire, la mention " sous la réserve d'instructions ministérielles éventuellement contraires à venir " ne saurait être interprétée comme telle, car elle ne formalise aucun accord entre l'Etat et la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime ;

- l'exception d'illégalité soulevée par la requérante à l'encontre de l'article 3 du décret du 11 décembre 2014 n'est pas fondée pour soutenir que l'arrêté du 8 juin 2015 est dépourvu de base légale ; le décret du 11 décembre 2014, en prévoyant que les investissements et les réserves qui leur sont affectées doivent être validés avant le 10 août 2014 par approbation budgétaire, autorisation d'emprunt ou de ligne de trésorerie, ou autorisation de dépassement du droit additionnel à la contribution foncière des entreprises, rend applicables les dispositions de l'article 9 de la loi de finances rectificative pour 2014, de sorte que l'administration ne pouvait anticiper avant de le connaître le contenu de la méthode de calcul du prélèvement, explicité par l'article 3 du décret du 11 décembre 2014 ;

- l'administration pouvait légalement se fonder sur l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, pour décider d'émettre un titre de perception complémentaire visant à corriger l'erreur d'assiette initiale du premier prélèvement de 769 648 euros du 23 décembre 2014, et ce, sans condition de délai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la constitution ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 ;

- la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

- le décret n° 2014-1499 du 11 décembre 2014 relatif aux conditions de gestion du fonds de financement et d'accompagnement du réseau des chambres des métiers et de l'artisanat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... B...,

- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 4 septembre 2014, le président de la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime a demandé au préfet de région, en tant qu'autorité de tutelle, de valider son programme d'investissement relatif au déménagement du centre de formation des apprentis de La Rochelle à Lagord, qui avait été précédemment approuvé par les assemblées générales de la chambre consulaire des 22 novembre 2012, 26 juin 2013 et 25 juin 2014. Par sa lettre du 9 septembre 2014, la préfète de la région Poitou-Charentes a donné son accord pour cet investissement et son autofinancement partiel par 5,8 millions d'euros mis en réserve à cet effet sur le fonds de roulement institué par l'article 1601 du code général des impôts sous réserve d'instructions ministérielles à venir. La préfète de région a opéré un premier prélèvement dans les réserves de la chambre des métiers et de l'artisanat, pour un montant de 769 648 euros, sur une assiette dont étaient exclus les 5,8 millions d'euros mis en réserve pour le déménagement du centre de formation des apprentis. Toutefois, un courriel émanant du ministère des finances du 29 janvier 2015 a indiqué que " dans le calcul de ce prélèvement, 5,8 millions d'euros de réserves affectées à des investissements n'auraient pas dû être déduites, car non retranscrites dans un budget ou une autorisation d'emprunt ou de droit additionnel approuvés expressément ou tacitement avant le 10 aout 2014 ". Le taux du prélèvement s'élevant à 50 %, comme il résulte des termes de l'article 1601 du code général des impôts, la préfète de région a décidé, par un arrêté du 8 juin 2015 d'émettre un titre complémentaire de 2,9 millions d'euros. A la suite de cet arrêté, la chambre des métiers a adressé à l'autorité préfectorale deux lettres le 22 juillet 2015 par lesquelles elle a contesté les termes de la lettre du 29 mai 2015 ainsi que ceux de l'arrêté du 8 juin 2015. La préfète de région a rejeté ces deux recours gracieux par un courrier du 22 septembre 2015. Le 13 août 2015, un titre de perception d'un montant de 2,9 millions d'euros a été émis à l'encontre de la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime. La chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime a alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à l'annulation de la lettre de la préfète de région du 22 septembre 2015 rejetant les recours administratifs formés à l'encontre de la lettre du 29 mai 2015 et de l'arrêté du 8 juin 2015, du titre de perception du 13 août 2015 ainsi que des décisions implicites de rejet de sa demande tendant à la décharger de l'obligation de payer 2,9 millions d'euros. Par un jugement n° 1502634, 1502949, 1601146 du 11 octobre 2017, rectifié par ordonnance en date du 7 novembre 2017 du président du tribunal administratif de Poitiers, ce tribunal a annulé, à la demande de la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime, le titre de perception du 13 août 2015 émis à son encontre ainsi que les décisions implicites de rejet nées le 5 avril 2016 de son recours gracieux. La chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime relève appel du jugement n° 1502634, 1502949, 1601146 du 11 octobre 2017 en tant que ce tribunal a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté en date du 8 juin 2015 par lequel la préfète de région a mis à sa charge un prélèvement complémentaire de 2,9 millions d'euros et contre la décision préfectorale du 22 septembre 2015 rejetant son recours gracieux.

Sur la légalité de l'arrêté du 8 août 2015 :

2. Sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. Une décision administrative explicite accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l'administration avait l'obligation de refuser cet avantage. En revanche, n'ont pas cet effet les mesures qui se bornent à procéder à la liquidation de la créance née d'une décision prise antérieurement. Le maintien indu d'un avantage financier n'a pas le caractère d'une décision accordant un avantage financier et constitue une simple erreur de liquidation. Il appartient à l'administration de corriger cette erreur sans que l'intéressé puisse se prévaloir de droits acquis à l'encontre d'une telle rectification.

3. En l'espèce, par un courrier du 4 septembre 2014, la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime, établissement public administratif de l'Etat, a présenté un dossier de demande de validation du projet de délocalisation du centre de formation des apprentis. Il ressort des pièces du dossier et en particulier de la lettre du 9 septembre 2014 que lui a adressée la préfète de région qu'en l'état des renseignements dont elle disposait et " sous la réserve d'instructions ministérielles éventuellement contraires à venir ", elle donnait un accord de principe aux opérations projetées de délocalisation du centre de formation des apprentis, de fermeture concomitante du centre d'hébergement actuel, et de réalisation de travaux aux ateliers mécaniques du centre, ces opérations, " actuellement évaluées à un total de 39 millions d'euros TTC ", " pourront être financées par un prélèvement sur le fonds de roulement de votre chambre prévu à hauteur d'un montant de 5,8 millions d'euros ". La lettre du 9 septembre 2014 relative au maintien du fonds de roulement tel que relevé par la préfète de région ne saurait être regardée, au vu des termes dans lesquels elle est rédigée, comme revêtant la nature d'une décision créatrice de droit pour la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime, mais constitue une simple erreur de liquidation. Par suite, la décision du 29 mai 2015 par laquelle l'administration a mis fin à cette erreur en intégrant dans le calcul du prélèvement autorisé les réserves affectées au projet de délocalisation du centre de formation des apprentis pour un montant de 5,8 millions d'euros et prescrivant l'émission d'un titre de perception rectificatif le 8 août 2015, mettant à la charge de cette dernière un prélèvement complémentaire de 2,9 millions d'euros, ne procède pas au retrait d'une décision créatrice de droit qui serait intervenu au-delà du délai de quatre mois à compter de son édiction.

4. Selon les dispositions de l'article 1601 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 9 de la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014, applicable en l'espèce : " Une taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises est perçue au profit des chambres régionales de métiers et de l'artisanat ou des chambres de métiers et de l'artisanat de région et de l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat. / Le produit de cette taxe est affecté à chacun des bénéficiaires mentionnés au premier alinéa dans la limite du plafond prévu au I de l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012. / Ce plafond prévu au même I est décomposé en deux sous-plafonds : un sous-plafond relatif à la somme des produits du droit fixe défini au a du présent article, du droit additionnel défini au b du présent article (...) et un sous-plafond relatif au produit du droit additionnel pour le financement d'actions de formation défini au c du présent article (...) / Pour l'application du premier sous-plafond susmentionné, il est opéré en fin d'exercice, au profit du budget général, un prélèvement sur le fonds mentionné au 6° de l'article 5-8 du code de l'artisanat, correspondant à la différence entre le premier sous-plafond susmentionné et la somme des ressources fiscales perçues par l'ensemble des bénéficiaires au titre du droit fixe défini au a et du droit additionnel défini au b du présent article et de l'article 3 de la loi n° 48-977 du 16 juin 1948 précitée. / En 2014, le fonds mentionné au 6° de l'article 5-8 du code de l'artisanat est alimenté par un prélèvement sur les chambres de métiers et de l'artisanat de région, les chambres de métiers et de l'artisanat départementales (...) dont le fonds de roulement constaté fin 2012, hors réserves affectées à des investissements votés et formellement validés par la tutelle, est supérieur à quatre mois de charges. Le prélèvement est fixé pour tous les établissements concernés à 50 % de la partie excédant quatre mois de charges, hors réserves affectées. Dans chaque région, le prélèvement sur chaque établissement concerné est effectué par titre de perception émis par l'ordonnateur compétent. Il est recouvré comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine. Son produit est reversé au fonds de financement et d'accompagnement. / Le fonds de roulement est défini, pour chaque établissement, par différence entre les ressources stables (capitaux propres, provisions, dettes d'emprunt) et les emplois durables (actif immobilisé). Les charges prises en compte pour ramener le fonds de roulement à une durée sont les charges décaissables non exceptionnelles (charges d'exploitation moins provisions pour dépréciation, moins dotations aux amortissements et plus les charges financières) (...) ".

5. Aux termes des dispositions de l'article 3 du décret du 11 décembre 2014 relatif aux conditions de gestion du fonds de financement et d'accompagnement du réseau des chambres de métiers et de l'artisanat : " En 2014, l'émission du titre de perception mentionné au sixième alinéa de l'article 1601 du code général des impôts est assurée par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du ressort territorial de chaque établissement redevable, par délégation du préfet de région, calculée à partir : / - du fonds de roulement et des charges décaissables non exceptionnelles, définis au septième alinéa de l'article 1601 du code général des impôts et issus du compte de gestion de 2012 certifié par le commissaire aux comptes de la chambre et approuvé par le préfet de région ; / - des réserves affectées aux investissements venant en réduction de l'assiette du prélèvement mentionné au sixième alinéa de l'article 1601 du code général des impôts, dès lors que les investissements et les montants de réserves qui leur sont explicitement affectées ont été votés par l'assemblée générale de la chambre et validés avant le 10 août 2014 par le préfet de région par approbation budgétaire ou autorisation d'emprunt ou de dépassement du droit additionnel à la cotisation foncière des entreprises. / Le préfet de région transmet l'ensemble des pièces nécessaires à la liquidation au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, qui émet le titre de perception à l'encontre de l'établissement concerné au plus tard le 31 décembre 2014. / Le produit recouvré de ce prélèvement est reversé par le comptable public au fonds de financement et d'accompagnement dans le mois suivant celui de son recouvrement ".

6. Il résulte des termes de l'article 3 du décret du 11 décembre 2014 que le prélèvement prévu par le sixième alinéa de l'article 1601 du code général des impôts, issu de l'article 9 de la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014, est calculé à partir du fonds de roulement et des charges décaissables non exceptionnelles résultant du compte de gestion pour l'année 2012, dont les réserves affectées aux investissements sont déduites, à la double condition que ces investissements et le montant des réserves qui leur sont explicitement affectées d'une part, aient été votés par l'assemblée générale de la chambre consulaire et d'autre part, aient été validés par le préfet de région avant le 10 août 2014.

7. Il ressort des termes mêmes de l'article 1601 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 9 de la loi de finances rectificative pour 2014, que la loi a expressément exclu de l'assiette du fonds de roulement les réserves affectées à des investissements votés et formellement validés par la tutelle. Par suite, si les modalités de calcul du prélèvement ont été fixées par l'article 3 du décret du 11 décembre 2014 relatif aux conditions de gestion du fonds de financement et d'accompagnement du réseau des chambres de métiers et de l'artisanat, elles sont en rapport direct avec l'objet de la loi. Ainsi, contrairement à ce que soutient la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime, les dispositions de l'article 3 du décret du 11 décembre 2014, qui subordonnent l'exclusion de l'assiette du prélèvement des réserves affectées à leur validation formelle par le préfet avant le 10 août 2014 suivant l'une des trois modalités expressément prévues, soit l'approbation budgétaire, l'autorisation d'emprunt ou le dépassement du droit additionnel à la cotisation foncière des entreprises, ne sauraient avoir pour effet de créer des conditions non prévues par la loi. Enfin, la circonstance que certaines dispositions de l'article 3 du décret du 11 décembre 2014, qui précisent la date d'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative pour 2014 seraient superflues, est, en tout état de cause, sans influence sur la légalité de l'arrêté contesté. Par suite, la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime n'est pas fondée à soutenir que, du fait de l'illégalité de l'article 3 du décret du 11 décembre 2014, l'arrêté du 8 juin 2015 est entaché d'illégalité.

8. Conformément aux dispositions précitées de l'article 3 du décret du 11 décembre 2014, les réserves affectées aux investissements ne peuvent venir en déduction de l'assiette du prélèvement que si elles figurent dans le compte de gestion 2012 ou dans les documents budgétaires ultérieurs, à condition que ces derniers soient validés par le préfet avant le 10 août 2014 suivant l'une des trois modalités que cet article prévoit expressément. Il ressort des pièces du dossier que si les réserves affectées aux investissements, et en particulier les réserves d'un montant de 5,8 millions d'euros affectées à la délocalisation du centre de formation des apprentis, ont fait l'objet d'un vote par délibérations de l'organe délibérant de la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime des 22 novembre 2012, 26 juin 2013 et 25 juin 2014, il est constant qu'elles n'ont fait l'objet ni d'une approbation budgétaire, ni d'une autorisation d'emprunt ou de dépassement du droit additionnel à la cotisation foncière des entreprises validées par le préfet avant le 10 août 2014, comme le prévoit l'article 3 précité du décret du 11 décembre 2014. Par ailleurs, la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime n'a produit aucun document budgétaire ultérieur, approuvé par le préfet, inscrivant les réserves affectées au projet de délocalisation du centre de formation des apprentis. Par suite, ces réserves ne pouvaient venir en déduction du fonds de roulement constaté par le compte de gestion pour l'année 2012. La chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que le préfet aurait entaché sa décision de rejet d'erreur de droit en faisant application du décret du 11 décembre 2014.

9. La chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime reprend en appel le moyen, déjà soulevé en première instance, tiré de ce que, en excluant de l'assiette du prélèvement ses réserves affectées, le principe d'égalité a été méconnu en produisant deux arrêtés préfectoraux, au demeurant non datés, qui établiraient, selon cette dernière, que les chambres des métiers de la Vienne et des Deux-Sèvres ont été autorisées par le préfet à déduire leurs dépenses d'investissement de l'assiette de leur contribution au seul visa des délibérations de leurs assemblées générales. Elle ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption du motif pertinent retenu par les premiers juges.

10. Aux termes de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " (...) Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation. En cas d'erreur de liquidation, l'ordonnateur émet un ordre de recouvrer afin, selon les cas, d'augmenter ou de réduire le montant de la créance liquidée. Il indique les bases de la nouvelle liquidation. Pour les créances faisant l'objet d'une déclaration, une déclaration rectificative, indiquant les bases de la nouvelle liquidation, est souscrite ".

11. Si l'article 3 du décret du 11 décembre 2014 prévoit que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi devait émettre le titre de perception au plus tard le 31 décembre 2014, l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 permet d'émettre un titre de perception supplémentaire au-delà de cette date, afin d'augmenter ou de réduire le montant de la créance liquidée, notamment " en cas d'erreur de liquidation ". Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 ne peut qu'être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 juin 2015 portant recouvrement complémentaire de 2,9 millions d'euros.

Sur la légalité de la décision du 22 septembre 2015 :

13. Pour les mêmes motifs que ceux précédemment énoncés, les moyens développés à l'appui des conclusions dirigées contre la décision du 22 septembre 2015 étant les mêmes que ceux formulés à l'appui de la demande dirigée contre l'arrêté du 8 juin 2015, ces conclusions en annulation ne peuvent qu'être rejetées. Par suite, la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision préfectorale du 22 septembre 2015.

Sur les frais d'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime demande le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la chambre des métiers et de l'artisanat de la Charente-Maritime et au ministre de l'économie et des finances. Une copie pour information en sera adressée au préfet de la Vienne et au préfet de la région Nouvelle Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 4 février 2020 à laquelle siégeaient :

M. Dominique Naves, président,

Mme C... D..., présidente-assesseure,

Mme A... B..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 10 mars 2020.

Le rapporteur,

Agnès B...Le président,

Dominique NAVESLe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

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N° 17BX03955


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17BX03955
Date de la décision : 10/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Organisation professionnelle des activités économiques - Chambres des métiers.

Établissements publics et groupements d'intérêt public - Régime juridique des établissements publics.


Composition du Tribunal
Président : M. NAVES
Rapporteur ?: Mme Agnès BOURJOL
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : SELARL BRT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-03-10;17bx03955 ?
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