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12/05/2020 | FRANCE | N°18BX00272

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 12 mai 2020, 18BX00272


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 60 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence subis par son fils B... A... et une indemnité de 70 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles qu'elle a elle-même subis, en raison des carences de l'Etat dans la prise en charge des troubles autistiques de son fils et de condamner l'État à lui verser une indemnité de 143 759,13 euros au titre de son préju

dice économique et financier, montant à actualiser au jour du jugement.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 60 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence subis par son fils B... A... et une indemnité de 70 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles qu'elle a elle-même subis, en raison des carences de l'Etat dans la prise en charge des troubles autistiques de son fils et de condamner l'État à lui verser une indemnité de 143 759,13 euros au titre de son préjudice économique et financier, montant à actualiser au jour du jugement.

Par un jugement n° 1502187 du 23 novembre 2017, le tribunal administratif de Pau a condamné l'Etat à verser à Mme F... la somme totale de 11 880 euros à titre personnel et la somme de 5 000 euros au nom de son enfant B... A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 22 janvier 2018 et le 20 décembre 2019, Mme F..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Pau du 23 novembre 2017 en tant qu'il a limité la carence reconnue de l'Etat à la période du 6 décembre 2014 au 1er octobre 2015 et n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 60 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence subis par son fils B... A... et une indemnité de 70 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles qu'elle a elle-même subis, en raison des carences de l'Etat dans la prise en charge des troubles autistiques de son fils, et de condamner l'État à lui verser une indemnité de 186 144,35 euros au titre du préjudice économique et financier, montant à actualiser au jour de l'arrêt ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- sa requête tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat au regard des défaillances dans la prise en charge de son fils B... relève de la compétence de la juridiction administrative ; elle est par ailleurs recevable compte tenu du rejet implicite de sa demande indemnitaire par le ministre des solidarités et de la santé ;

- l'obligation de scolarisation et de prise en charge pluridisciplinaire des enfants handicapés et atteints de troubles autistiques est posée par les articles L. 114-1 et L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles ;

- or, elle ne parvient pas à obtenir une prise en charge adaptée de son fils au sein d'un institut médico-éducatif (IME) conformément à la décision de la commission des droits et de l'autonomie et des personnes handicapées (CDAPH) et aux recommandations de la Haute autorité de santé ;

- B... n'a pu être placé au sein de l'IME " La Convention " qu'à compter de l'été 2016 et à temps partiel, cet institut ne proposant pas de prise en charge par un psychologue comportementaliste ;

- c'est à tort que le tribunal a limité la carence de l'Etat à la période comprise entre le 9 décembre 2014 et le 1er octobre 2015 ; B... a, en effet, fait l'objet d'une nouvelle décision de la CDAPH, notifiée le 4 février 2016, d'orientation vers un IME pour la période du 1er octobre 2015 au 31 août 2018 ; or, il n'a pu bénéficier d'un placement qu'à compter du 23 août 2016 ; cette carence se poursuit dès lors qu'il ne bénéficie que d'une prise en charge à temps partiel, et non conforme aux recommandations de la HAS en l'absence de psychologue comportementaliste ;

- le préjudice moral de B... et de sa mère ont été sous-évalués par le tribunal alors qu'ils durent depuis plus de trois ans ; ils sont fondés à solliciter respectivement les sommes de 60 000 et 70 000 euros ;

- le préjudice économique et financier de la requérante a été évalué de manière insuffisante par le tribunal, qui n'a pas tenu compte des besoins réels de prise en charge de l'enfant ; ils ont ainsi droit, au titre de de la prise en charge éducative, à une somme mensuelle de 1 748,97 euros d'octobre 2013, date du début de la déscolarisation de l'enfant, jusqu'à son entrée en IME en septembre 2016, soit pendant 35 mois, équivalent à la somme de 61 213,95 euros, compte tenu de la prestation de compensation du handicap (PCH) perçue ; par ailleurs, la prise en charge par ses soins d'un psychologue comportementaliste, à hauteur de 216,30 euros, et d'un éducateur spécialisé à hauteur d'un montant différentiel de 61,16 euros par mois, doivent être imputés à l'Etat, soit un total de 277,46 euros mensuels à compter du 24 août 2016 jusqu'au jour de l'arrêt à intervenir ; en outre, les pertes de revenus de Mme F..., qui s'est trouvée contrainte d'abandonner son activité professionnelle de chargée d'études au sein de la société CREDES, doivent être indemnisées à raison d'une moyenne de 857,76 euros mensuels à compter d'octobre 2013, soit un total de 63 832 euros jusqu'à fin décembre 2019 ; enfin, l'incidence professionnelle sera justement réparée à hauteur d'une somme totale de 50 000 euros au regard du retentissement passé et futur ainsi que des pertes de droits à la retraite ; le total de son préjudice économique s'établit donc à la somme de 186 144,35 euros, qu'il conviendra d'actualiser.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2019, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la responsabilité de l'Etat ne peut être recherchée que dans le cadre d'une orientation prononcée par la CDAPH qui n'a pu être mise en oeuvre en raison d'un manque de places disponibles aux fins d'assurer la prise en charge pluridisciplinaire de l'enfant atteint de troubles autistiques ; il doit être tenu compte des prises en charge proposées dans chaque cas d'espèce ;

- l'enfant B... a été pris en charge dès son plus jeune âge, en 2006, à l'âge de 4 ans, dans le cadre d'une scolarisation à temps partiel en classe maternelle puis en classe d'inclusion scolaire et d'un suivi médico-éducatif à domicile jusqu'en septembre 2012 ; à compter de cette date et ayant été diagnostiqué comme souffrant d'un syndrome autistique typique, il a bénéficié d'une prise en charge à temps partiel au sein de l'IME " Les Hirondelles " ; cependant, cette prise en charge n'a pas pu être assurée au-delà du mois de juin 2013 ; une proposition d'orientation vers un autre IME, " La Convention ", a été refusée par la requérante, l'enfant étant alors à nouveau scolarisé en classe d'inclusion à temps partiel ; mais à compter d'octobre 2013, l'intéressée a décidé de reprendre son enfant à domicile ; finalement, l'enfant a été admis dans ce dernier IME à compter du 23 août 2016 ;

- aucune faute imputable à l'Etat ne peut être reconnue au-delà de la période retenue par le tribunal ; en effet, à compter de septembre 2015 puis de la seconde décision de la CDAPH du 4 février 2016, les éléments du dossier ne permettent pas d'établir l'existence de démarches infructueuses ni que des établissements auraient été sollicités et auraient refusé de prendre en charge l'enfant en raison d'un manque de places ;

- enfin, si la requérante indique que la prise en charge de son enfant serait inadaptée, elle n'a pas contesté la décision de la CDAPH qui a expressément désigné l'établissement " La Convention " en 2016, et il ne ressort pas des pièces du dossier que la prise en charge dans l'établissement en question serait effectivement inadaptée ;

- en tout état de cause, les montants sollicités au titre du préjudice financier ne sauraient être retenus dès lors que seuls les préjudices directs peuvent être indemnisés, déduction faite de toutes les prestations sociales perçues.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'éducation ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... ;

- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public ;

- et les observations de Me E... pour Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... est la mère de B... A..., né le 4 décembre 2002, lequel est porteur du syndrome génétique dit de Williams Beuren et a été diagnostiqué comme souffrant de ce syndrome autistique typique à l'âge de 9 ans. Après avoir bénéficié d'un accompagnement par une assistante de vie scolaire lors de sa scolarisation en maternelle, il a été intégré de 2009 à 2012 dans une classe d'inclusion scolaire à temps partiel en raison de son impossibilité de suivre une scolarité à temps complet, et a fait l'objet d'une prise en charge médico-éducative à domicile en parallèle. A partir de septembre 2012, il a été pris en charge, à raison de deux jours par semaine, à l'institut médico-éducatif (IME) " Les Hirondelles " à Auch. Cette prise en charge a été interrompue à compter de juillet 2013 compte tenu de l'incapacité de l'établissement à la poursuivre dans des conditions satisfaisantes. Une proposition d'orientation vers un autre IME " La Convention ", également situé à Auch et spécialisé dans la prise en charge des enfants atteints de troubles du spectre autistique, a été refusée par Mme F..., au motif que cet IME ne disposait pas de psychologue comportementaliste. L'enfant a ensuite été placé au sein d'une classe d'inclusion scolaire mais en a été retiré mi-octobre 2013 compte tenu de son comportement, et une prise en charge à domicile selon la méthode comportementale dite " Applied Behavior Analysis " (ABA) a alors été décidée par sa mère. A la suite d'une demande de ses parents, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) du Gers a décidé, le 6 février 2014, d'orienter B... vers un établissement médico-éducatif (IME) pour la période du 6 février 2014 au 30 septembre 2015. Une nouvelle décision de la CDAPH du 4 février 2016, à la suite d'une nouvelle demande du 15 janvier 2016 de Mme F..., a été prise pour une orientation vers un IME, au titre de la période du 1er octobre 2015 au 31 août 2018, et a spécifiquement désigné l'IME " La Convention " à Auch, au sein duquel B... a été pris en charge à compter du 23 août 2016.

2. Entre temps, par un recours gracieux du 11 septembre 2015, Mme F... avait demandé au ministre des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes de désigner un établissement médico-éducatif assurant une prise en charge pluridisciplinaire pour son fils ou à défaut, l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait subir ainsi que de celui de son fils. Le silence gardé par l'administration ayant fait naître une décision implicite de rejet, l'intéressée, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de son fils B..., a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à réparer les préjudices subis tant par elle-même que par son fils en raison du défaut de prise en charge de celui-ci dans un établissement spécialisé. Elle relève appel du jugement du 23 novembre 2017 en tant que le tribunal administratif a limité la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 11 880 euros à titre personnel et la somme de 5 000 euros pour le compte de son enfant.

Sur la responsabilité :

3. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 351-1 du code de l'éducation : " Les enfants et adolescents présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant sont scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires et les établissements visés aux articles L. 213-2, L. 214-6, L. 422-1, L. 422-2 et L. 442-1 du présent code (...), si nécessaire au sein de dispositifs adaptés, lorsque ce mode de scolarisation répond aux besoins des élèves. Les parents sont étroitement associés à la décision d'orientation et peuvent se faire aider par une personne de leur choix. La décision est prise par la commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles, en accord avec les parents ou le représentant légal (...) ". L'article L. 351-2 du même code ajoute : " La commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles désigne les établissements ou les services ou à titre exceptionnel l'établissement ou le service correspondant aux besoins de l'enfant ou de l'adolescent en mesure de l'accueillir. La décision de la commission s'impose aux établissements scolaires ordinaires et aux établissements ou services mentionnés au 2° et au 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles dans la limite de la spécialité au titre de laquelle ils ont été autorisés ou agréés. Lorsque les parents ou le représentant légal de l'enfant ou de l'adolescent handicapé font connaître leur préférence pour un établissement ou un service correspondant à ses besoins et en mesure de l'accueillir, la commission est tenue de faire figurer cet établissement ou service au nombre de ceux qu'elle désigne, quelle que soit sa localisation ". Et selon l'article L. 114-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté (...) ". Enfin, l'article L. 246-1 de ce même code précise : " Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques. Adaptée à l'état et à l'âge de la personne et eu égard aux moyens disponibles, cette prise en charge peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social ".

4. Il résulte de ces dispositions que le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, quelles que soient les différences de situation. Si, eu égard à la variété des formes du syndrome autistique, le législateur a voulu que la prise en charge, afin d'être adaptée aux besoins et difficultés spécifiques de la personne handicapée, puisse être mise en oeuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l'accueil dans un établissement spécialisé ou par l'intervention d'un service à domicile, c'est sous réserve que la prise en charge soit effective dans la durée, pluridisciplinaire, et adaptée à l'état et à l'âge de la personne atteinte de ce syndrome. Une carence de l'Etat dans l'accomplissement de cette mission est de nature à engager sa responsabilité, sans que l'administration puisse utilement se prévaloir de l'insuffisance des structures d'accueil existantes ou du fait que des allocations compensatoires sont allouées aux parents d'enfants handicapés, celles-ci n'ayant pas un tel objet.

5. Par ailleurs, en vertu de l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles, il incombe uniquement à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), à la demande des parents, de se prononcer sur l'orientation des enfants atteints du syndrome autistique et de désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de ceux-ci et étant en mesure de les accueillir, ces structures étant tenues de se conformer à la décision de la commission. Ainsi, et comme l'ont relevé les premiers juges, lorsqu'un enfant autiste ne peut être pris en charge par l'une des structures désignées par la CDAPH en raison d'un manque de places disponibles, l'absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l'Etat dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d'une telle prise en charge dans une structure adaptée. En revanche, lorsque les établissements désignés refusent d'admettre l'enfant pour un autre motif, ou lorsque les parents estiment que la prise en charge effectivement assurée par un établissement n'est pas adaptée aux troubles de leur enfant, l'Etat ne saurait, en principe, être tenu pour responsable de l'absence ou du caractère insuffisant de la prise en charge, lesquelles ne révèlent pas nécessairement, alors, l'absence de mise en oeuvre par l'Etat des moyens nécessaires.

6. Il résulte de l'instruction que, saisie par les parents de B... d'une demande d'orientation le 10 octobre 2013, la CDAPH du Gers a, par une décision du 6 février 2014, prononcé l'orientation de B... vers un institut médico-éducatif, pour la période du 6 février 2014 au 30 septembre 2015 et a désigné pour l'accueillir, en internat modulable, " tout établissement ou service dans la limite de la spécialité au titre de laquelle il a été autorisé ou agréé ". Mme F..., qui n'a pas contesté cette décision de la CDAPH du Gers, a cependant demandé une prise en charge dans un établissement proposant l'analyse appliquée au comportement (méthode ABA). Par une lettre du 23 octobre 2014, la directrice de l'IME Val Fleuri, établissement situé à Mons (Haute-Garonne), a rejeté la demande d'admission en section autisme pour un motif indéterminé. Puis, par une lettre du 9 décembre 2014, le directeur de l'IME " La Convention " à Auch, vers lequel Mme F... s'était finalement tournée, a indiqué qu'il n'avait pas de place disponible aux fins d'accueillir l'enfant. Dans ces conditions, à compter de cette date et jusqu'au terme de la période de validité de la décision de la CDAPH du 6 février 2014, soit le 30 septembre 2015, la responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée en raison de la carence de ses services à prendre en charge le jeune B... du fait d'un manque de places disponibles dans le département de résidence.

7. Si, par une nouvelle décision du 4 février 2016, en réponse à une demande formulée par la requérante le 15 janvier 2016, la CDAPH du Gers a prononcé son orientation vers un IME et désigné l'IME " La Convention " pour l'accueillir, il est constant que B... a intégré cet établissement à compter du 23 août 2016, sans qu'il ne résulte de l'instruction et ne soit d'ailleurs utilement soutenu qu'entre le 4 février et le 23 août 2016, Mme F... aurait sollicité en vain et faute de place disponible, l'admission de son fils dans cet IME habilité à accueillir des enfants souffrant d'autisme dans le cadre d'un semi-internat.

8. Il résulte ainsi de ce qui précède, comme l'ont justement relevé les premiers juges, que B... n'a pu bénéficier d'une prise en charge conforme à la décision d'orientation de la CDAPH du Gers entre le 9 décembre 2014, date de la décision du directeur de l'IME " La Convention " rejetant, faute de place disponible, sa demande d'admission et le 1er octobre 2015, date de fin d'application de la décision d'orientation du 6 février 2014 de la commission. En revanche, et postérieurement à cette date, Mme F... qui n'a sollicité à nouveau son placement dans une structure adaptée que le 15 janvier 2016, n'établit pas que l'enfant se serait vu opposer un refus de prise en charge dans une structure adaptée à son état au motif d'un manque de places disponibles. Par ailleurs, il n'est pas démontré, contrairement à ce que se borne à alléguer la requérante, que la prise en charge proposée par l'IME " La Convention " depuis le 23 août 2016 serait inadaptée ou insuffisante, en particulier en termes de prise en charge psychologique. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas utilement soutenu qu'antérieurement à la lettre du 10 octobre 2013 par laquelle les parents de l'enfant ont saisi la CDAPH, ils auraient tenté en vain d'obtenir une telle orientation pour leur fils B..., de sorte que la responsabilité de l'Etat ne saurait être recherchée au titre de ces différentes périodes. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré qu'une carence de l'Etat dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement, dans une structure adaptée, d'une prise en charge pluridisciplinaire au sens de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles, était établie pour la seule période du 9 décembre 2014 au 30 septembre 2015 inclus et que cette carence, liée à une insuffisance des capacités d'accueil, constituait une faute de nature à engager sa responsabilité à raison des préjudices en lien direct avec ce manquement.

Sur les préjudices indemnisables :

En ce qui concerne le préjudice personnel de l'enfant :

9. Comme l'ont justement relevé les premiers juges, l'absence de prise en charge de B... au titre de la période du 9 décembre 2014 au 30 septembre 2015 lui a causé un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, dès lors qu'il n'a pas pu bénéficier d'un accompagnement adapté à son état, nonobstant la prise en charge à domicile dont il bénéficiait alors. La requérante n'est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait fait une insuffisante appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 5 000 euros pour la période considérée.

En ce qui concerne les préjudices de Mme F... :

10. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être exposés au point 9, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence propres de la mère de l'enfant en lui allouant une indemnité de 3 000 euros.

11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment des factures produites et des éléments présentés par Mme F... devant la CDAPH, que, dans le cadre de la prise en charge à domicile de l'enfant décidée par ses parents au regard de l'impossibilité de lui faire intégrer un IME, un psychologue spécialisé dans la méthode " ABA " est intervenu au domicile sur la période concernée de carence fautive de l'Etat, à raison d'une moyenne de 8 heures hebdomadaires et pour un coût mensuel qui peut être évalué à 930 euros. Par ailleurs, une éducatrice également spécialisée dans cette même méthode est intervenue à raison de six heures par semaine en moyenne, soit un coût mensuel de 290 euros, resté à la charge de Mme F.... Eu égard au syndrome dont est atteint B..., le suivi par un psychologue et une éducatrice peut, comme l'ont souligné les premiers juges, être regardé comme étant justifié. Mme F... a dû faire appel à ces intervenants uniquement pour pallier la carence fautive de l'Etat. En revanche, les autres demandes au titre d'un accompagnement non spécialisé ou d'équithérapie n'apparaissent pas justifiées, tandis que la prise en charge par un orthophoniste a été intégralement financée par la sécurité sociale. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que Mme F... a bénéficié, pour le compte de B..., du versement d'une prestation de compensation du handicap (PCH), incluant des besoins éducatifs à raison de 30 heures par mois, à hauteur d'un montant mensuel de 1 556,43 euros du 1er janvier 2014 au 30 septembre 2015. Elle a également perçu un montant mensuel de 83,33 euros au titre des frais de transport pour le suivi en orthophonie et un montant forfaitaire de 100 euros mensuels au titre des charges spécifiques destinées à couvrir des frais de protections absorbantes ainsi que le suivi psychologique de l'enfant. Dans ces conditions, et en admettant même que la prise en charge de l'enfant aurait nécessité un accompagnement supplémentaire non spécialisé à hauteur de 18 heures par semaine et pour un coût mensuel évalué par l'intéressée de 720 euros par mois, ce dont la requérante ne justifie pas, il ne résulte pas de l'instruction que la carence de l'Etat dans la prise en charge de l'enfant aurait entraîné pour Mme F... un préjudice financier, en lien direct et certain avec l'impossibilité pour l'Etat de permettre à son fils d'intégrer un institut médico-éducatif durant cette période, supérieur à la somme de 8 880 euros que les premiers juges lui ont allouée à ce titre.

12. En dernier lieu, si, à l'appui de sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice résultant d'une perte de revenus, Mme F... soutient qu'elle s'est trouvée contrainte de cesser d'exercer son activité professionnelle de chargée d'études au sein de la société CREDES, comme l'ont justement relevé les premiers juges, il ne résulte pas de l'instruction, notamment de son seul curriculum vitae, que Mme F... aurait cessé son activité professionnelle à la suite de la décision de la CDAPH, de sorte qu'elle n'établit pas que cette cessation d'activité serait intervenue en lien direct et certain avec la carence fautive de l'Etat.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a condamné l'Etat à lui verser la somme totale de 11 880 euros à titre personnel et la somme de 5 000 euros pour le compte de son enfant B..., à raison de la carence fautive de l'Etat pour la période considérée.

Sur les dépens :

14. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme F... aurait engagé de tels frais au titre de la présente instance, si bien que les conclusions qu'elle présente en ce sens ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat verse à Mme F... la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... F... et au ministre des solidarités et de la santé. Copie en sera adressée à l'agence régionale de santé Occitanie.

Délibéré après l'audience du 11 février 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme Anne Meyer, président-assesseur,

M. Thierry C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 mai 2020.

Le président de la 2ème chambre,

Catherine Girault

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 18BX00272


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX00272
Date de la décision : 12/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Aide sociale - Différentes formes d'aide sociale - Aide sociale aux personnes handicapées - Accueil et hébergement.

Aide sociale - Institutions sociales et médico-sociales - Établissements - Questions communes - Établissements médico-éducatifs.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de l'enseignement.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Thierry SORIN
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : SELAS KERDONCUFF AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-05-12;18bx00272 ?
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