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12/05/2020 | FRANCE | N°18BX00466,18BX00495

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 12 mai 2020, 18BX00466,18BX00495


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... I... veuve G..., M. C... G..., M. F... G... et M. B... G..., agissant en leur nom propre et en leur qualité d'ayants droit de M. E... G..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à leur verser une indemnité d'un montant total de 1 870 492 euros, avec intérêts à compter de la date du jugement, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la prise en charge fautive de M. G... dans cet établissement.



Par un jugement n° 1600909 du 5 décembre 2017, le tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... I... veuve G..., M. C... G..., M. F... G... et M. B... G..., agissant en leur nom propre et en leur qualité d'ayants droit de M. E... G..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à leur verser une indemnité d'un montant total de 1 870 492 euros, avec intérêts à compter de la date du jugement, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la prise en charge fautive de M. G... dans cet établissement.

Par un jugement n° 1600909 du 5 décembre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le CHU de Bordeaux à verser les sommes de 1 426,80 euros aux consorts G... en leur qualité d'ayants droit, de 49 310,41 euros à M. B... G..., de 43 926,83 euros à M. F... G... et de 34 311,97 euros à M. C... G..., et à verser à la caisse du régime social des indépendants une somme de 13 161,81 euros en remboursement de ses débours, et a rejeté le surplus des conclusions.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 5 février 2018 sous le n° 18BX00466 et des mémoires enregistrés les 18 mai et 20 juillet 2018, les consorts G..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et Associés, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qui concerne le montant des sommes allouées ;

2°) de condamner le CHU de Bordeaux à verser les sommes de 33 644 euros aux ayants droit de Brahim G..., de 1 996 509 euros à Mme G..., de 123 078 euros à M. C... G..., de 141 002 euros à M. F... G... et de 158 717 euros à M. B... G..., avec intérêts à compter de l'arrêt à intervenir ;

3°) de déclarer l'arrêt à intervenir, qui devra joindre la requête introduite par le centre hospitalier, opposable à l'organisme social et de dire que dans l'hypothèse d'un recours subrogatoire, celui-ci s'exercera dans les conditions prévues à l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leurs prétentions indemnitaires sont recevables en totalité dès lors qu'elles excèdent les demandes de première instance du seul fait de l'actualisation de leurs préjudices en application du nouveau barème de capitalisation publié dans la Gazette du Palais au début de l'année 2018 ;

- il y a lieu de confirmer le jugement en ce qui concerne d'une part la responsabilité pour faute du CHU de Bordeaux du fait d'un retard de diagnostic d'une infection à staphylocoque et du traitement chirurgical inadapté d'un anévrisme infectieux, et d'autre part le taux de perte de chance de survie de 60 % ;

En ce qui concerne les préjudices de Brahim G... :

- l'indemnité relative à l'assistance par une tierce personne doit être portée de 1 426,80 euros à 3 644 euros sur la base d'un tarif horaire de 22 euros, celui de 9,74 euros retenu par le tribunal étant insuffisant ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, M. G... a eu conscience de sa mort imminente dès lors que son état n'a cessé de s'aggraver entre les mois de mai et juillet 2010 durant lesquels il est resté alité, et qu'il a dû subir deux interventions chirurgicales en moins d'une semaine ; ce préjudice doit être évalué à 30 000 euros ;

En ce qui concerne le préjudice économique de Mme G... :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, ce préjudice n'a pas été indemnisé dans le cadre du protocole d'accord transactionnel, le " préjudice financier " mentionné dans ce protocole étant relatif aux seuls frais d'obsèques ;

- le décès de M. G... a entraîné la mise en liquidation judiciaire de la SARL Espace Auto dont Mme G... était gérante salariée ; pour les années 2010 à 2016, les pertes de revenus du foyer en lien avec le décès de M. G... se sont élevées à une somme totale de 426 957 euros ; à compter de 2017, le préjudice économique de Mme G... doit être évalué à 60 595 euros par an, capitalisés par application de la valeur de l'euro de rente viagère de 30,106 à l'âge de 53 ans, dont il convient de déduire le préjudice économique de 272 797 des trois enfants et le capital décès de 6 924 euros versé par le RSI, soit un total de 1 971 509 euros ;

En ce qui concerne le préjudice économique des enfants :

- pour les années 2010 à 2016, une part de 15 % de la perte de revenus de 426 957 euros pour le foyer doit être attribuée à chaque enfant, soit 64 043 euros ; à partir de l'année 2017, il convient d'appliquer à 15 % de la perte annuelle moyenne de revenu du foyer de 60 595 euros la valeur de l'euro de rente jusqu'à l'âge de 25 ans, soit 0,994 pour M. C... G..., 2,966 pour M. F... G... et 4,915 pour M. B... G... ; le préjudice économique total s'élève ainsi à 73 078 euros pour M. C... G..., à 91 002 euros pour M. F... G... et à 108 717 euros pour M. B... G... ;

En ce qui concerne le préjudice d'accompagnement de Mme G... :

- Mme G..., qui s'est occupée de son époux au domicile et lui a rendu visite à l'hôpital, justifie d'un préjudice d'accompagnement qu'il convient de fixer à 25 000 euros après application du taux de perte de chance de 60 % ;

En ce qui concerne les préjudices d'accompagnement et d'affection des enfants :

- il convient de distinguer le préjudice d'accompagnement du préjudice d'affection ; le premier doit être évalué à 20 000 euros et le second à 30 000 euros pour chacun des enfants, après application du taux de perte de chance de 60 %.

Par des mémoires en défense enregistrés les 20 mars et 25 juin 2018, le CHU de Bordeaux et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentés par Me J..., concluent au rejet de la requête.

Ils font valoir que :

- les demandes des consorts G... sont irrecevables en tant qu'elles excèdent les demandes de première instance, sans que la publication d'un nouveau barème de capitalisation dépourvu de valeur réglementaire puisse être utilement invoquée ;

- l'indemnité accordée au titre de l'assistance d'une tierce personne est suffisante ;

- M. G... n'a pas été conscient de sa mort imminente ;

- Mme G... n'est pas recevable à demander l'indemnisation de ses pertes de revenus et de son préjudice d'accompagnement, pris en compte par l'allocation d'une somme de 15 887 euros au titre de son préjudice moral et financier dans le cadre du protocole transactionnel, ;

- les indemnités allouées aux enfants au titre du préjudice économique et des préjudices d'accompagnement et d'affection ne sont pas insuffisantes.

Par un mémoire enregistré le 25 mai 2018, la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, venant aux droits de la caisse du régime social des indépendants d'Auvergne, représentée par la SCP Rouxel-Harmand, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées à son profit.

II. Par une requête enregistrée le 6 février 2018 sous le n° 18BX00495 et des mémoires enregistrés les 20 mars et 25 juin 2018, le CHU de Bordeaux et la SHAM, représentés par Me J..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1600909 du 5 décembre 2017 ;

2°) de ramener à de plus justes proportions les indemnités allouées aux consorts G... et à la caisse du régime social des indépendants d'Auvergne.

Ils soutiennent que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que le tribunal a indemnisé des pertes de revenus des enfants en se fondant sur les revenus professionnels de M. G... des années 2007 à 2009 au cours desquelles ces revenus avaient baissé, alors qu'il aurait dû apprécier la réalité de l'activité économique de la société Espace Auto et sa pérennité en examinant la période antérieure à l'année 2007 ; en l'espèce, le lien entre le décès de M. G... et la cessation d'activité de l'entreprise dont Mme G... a poursuivi l'exploitation jusqu'au 11 mars 2014 n'est pas établi ;

- eu égard à la situation critique de la société Espace Auto, victime de nombreux vols au point que l'assureur ne voulait plus maintenir sa garantie, le préjudice économique des enfants ne peut être déterminé sur une projection du revenu professionnel de leur père jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de 25 ans ;

- pour calculer le préjudice économique, le tribunal n'a, ni déduit le capital décès versé par le RSI d'Auvergne, ni recherché si les enfants avaient perçu d'autres sommes du fait du décès de leur père.

Par des mémoires en défense enregistrés les 18 mai et 20 juillet 2018, les consorts G..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et Associés concluent au rejet de la requête et demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement sur le montant des sommes allouées et de condamner le CHU de Bordeaux à verser les sommes de 33 644 euros aux ayants droit de M. G..., de 1 996 509 euros à Mme G..., de 123 078 euros à M. C... G..., de 141 002 euros à M. F... G... et de 158 717 euros à M. B... G..., avec intérêts à compter de l'arrêt à intervenir ;

2°) de déclarer l'arrêt à intervenir opposable à l'organisme social et de dire que dans l'hypothèse d'un recours subrogatoire, celui-ci s'exercera dans les conditions prévues à l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- la prise en compte des revenus des trois dernières années est conforme à une jurisprudence constante ; au demeurant, ils justifient des revenus des années 2004 à 2006, qui sont supérieurs ; l'année 2009, au cours de laquelle les revenus ont chuté du fait de l'état de santé de M. G..., ne peut être prise en compte pour le calcul du revenu moyen ;

- la baisse constante des ventes, et par voie de conséquence les pertes financières apparues en 2010, puis la cessation d'activité de la SARL Espace Auto, sont imputables au décès de M. G..., et non aux cambriolages survenus en 2012.

Par un mémoire enregistré le 25 mai 2018, la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, venant aux droits de la caisse du régime social des indépendants d'Auvergne, représentée par la SCP Rouxel-Harmand demande à la cour de confirmer le jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées à son profit.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... G..., né le 23 janvier 1955, souffrait de lombalgies résistantes aux traitements et présentait une artériopathie des membres inférieurs, traitée à droite le 8 avril 2009 par une thrombo-endartériectomie iliaque primitive et un pontage ilio-fémoral, et à gauche le 20 novembre 2009 par la mise en place d'une endoprothèse au niveau de l'artère iliaque primitive. Le 15 mai 2010, il a été pris en charge au service des urgences du CHU de Bordeaux pour des douleurs dorsales et des symptômes d'infection. Ces derniers, traités par une antibiothérapie à l'aveugle, ont persisté. Le 27 juillet 2010, le patient a été hospitalisé dans le service des maladies infectieuses du CHU de Bordeaux pour un tableau fébrile évoquant une spondylodiscite. Les examens réalisés ont mis en évidence un abcès en L2-L3 avec compression des racines de la queue de cheval et présence d'un staphylocoque doré sensible à la méticilline. Le patient a été placé sous antibiothérapie dans l'attente de la réalisation d'une intervention, différée en raison de la prise de Plavix. Le 17 août 2010, un scanner a mis en évidence un faux anévrisme de l'artère iliaque primitive gauche avec suspicion de fuite vasculaire, ce qui a conduit le chirurgien du CHU, le même jour, à remplacer l'endoprothèse par voie endovasculaire. La persistance de la fuite vasculaire et une sténose au niveau du stent iliaque gauche ont nécessité une reprise chirurgicale, réalisée le 20 août 2010. L'état général de M. G... s'est dégradé jusqu'à son décès d'une défaillance multiviscérale le 26 août 2010. Saisie par Mme G..., la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) Aquitaine a missionné deux experts dont le rapport, daté du 10 septembre 2012, relève un retard d'un mois dans la prise en charge thérapeutique de l'infection, ainsi que la réalisation non conforme aux recommandations du traitement chirurgical de l'anévrisme infectieux le 17 août 2010, et conclut que ces deux fautes ont fait perdre une chance de survie de 60 % à M. G.... Par un avis du 19 décembre 2012, la CRCI a invité la SHAM, assureur du CHU de Bordeaux, à présenter une proposition d'indemnisation aux consorts G.... Deux protocoles transactionnels partiels ont été signés les 20 mai et 23 juillet 2014 pour un montant total d'indemnisation de 24 837 euros. Les consorts G..., agissant en leur nom propre et en leur qualité d'ayants droit de M. G..., ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande de condamnation du CHU de Bordeaux à leur verser une somme totale de 1 870 492 euros en réparation des préjudices qu'ils estimaient non indemnisés par ces protocoles. Par un jugement n° 1600909 du 5 décembre 2017, le tribunal a condamné l'établissement hospitalier à verser les sommes de 1 426,80 euros aux consorts G... en leur qualité d'ayants droit, les sommes de 49 310,41 euros à M. B... G...,

de 43 926,83 euros à M. F... G... et de 34 311,97 euros à M. C... G..., et la somme de 13 161,81 euros à la caisse du régime social des indépendants en remboursement de ses débours. Par la requête n° 18BX00466, les consorts G... demandent à la cour de réformer ce jugement en ce qui concerne le montant des sommes allouées. Par la requête n° 18BX00495, le CHU de Bordeaux et la SHAM demandent à la cour de le réformer en tant qu'il alloue des indemnités aux enfants de M. G... au titre de leur préjudice économique.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées sous les nos 18BX00466 et 18BX00495 sont relatives au même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement :

3. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement, invoqué par le CHU de Bordeaux et la SHAM dans leur requête sommaire n° 18BX00495 et non repris ultérieurement, n'est pas assorti des précisions permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé.

Sur la responsabilité :

4. Les parties ne contestent ni les fautes retenues par le jugement à raison d'un retard de diagnostic de l'infection et de la pose d'une nouvelle endoprothèse au contact d'un abcès

le 17 août 2010, ni la fixation à 60 % de la part de responsabilité du CHU de Bordeaux eu égard à l'état de santé préexistant de M. G....

Sur les préjudices de M. G... :

En ce qui concerne l'assistance d'une tierce personne :

5. Le principe de réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance brut augmenté des charges sociales, dans le respect des règles du droit du travail. Par suite, c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte les congés payés au motif que l'assistance avait été apportée par l'épouse de l'intéressé.

6. La nécessité de l'aide d'une tierce personne retenue par le tribunal durant quatre heures par jour du 26 mai au 26 juillet 2010 n'est pas contestée. Il n'y a pas lieu de retenir, comme le demandent les consorts G..., un taux horaire supérieur au salaire minimum de 2010 par référence aux tarifs d'une société de services, qui n'est pas intervenue en l'espèce. Compte tenu des charges sociales et des majorations pour congés payés, dimanches et jours fériés, l'évaluation de ce préjudice doit être portée à 3 415 euros, dont l'indemnisation incombe au CHU de Bordeaux à hauteur de 60 %, soit 2 049 euros.

En ce qui concerne la conscience d'une espérance de vie réduite :

7. Le droit à réparation du préjudice résultant de la douleur morale que la victime d'un dommage a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en oeuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès, lequel peut être transmis à ses héritiers.

8. Les consorts G... font valoir que M. G... aurait eu conscience de sa mort imminente dès lors que son état n'a cessé de s'aggraver entre les mois de mai et juillet 2010, durant lesquels il est resté alité en raison de son état fébrile, et compte tenu des deux dernières interventions chirurgicales qu'il a subies. Toutefois, l'état fébrile de mai à juillet 2010 ne présentait pas un caractère de particulière gravité, et il ne résulte pas de l'instruction, et notamment pas de l'expertise, laquelle fait état de troubles de conscience avant l'intervention du 17 août 2010 et relève un état confusionnel après cette intervention, que M. G... aurait eu conscience de son décès imminent. Par suite, le préjudice moral allégué n'est pas établi.

Sur le préjudice économique des consorts G... :

9. Eu égard au référentiel d'indemnisation en matière de préjudice moral habituellement utilisé en matière de responsabilité hospitalière, l'indemnité d'un montant global de 15 887 euros allouée par la SHAM à Mme G... " en réparation de son préjudice moral et financier " ne peut inclure dans ce préjudice financier les pertes de revenus subies par l'intéressée du fait du décès de son époux, comme le prétendent le CHU de Bordeaux et la SHAM, mais seulement, ainsi que le font valoir les consorts G..., les frais d'obsèques. Par suite, les consorts G... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté la demande relative au préjudice économique de Mme G... au motif qu'il avait été indemnisé dans le cadre du protocole transactionnel signé le 20 mai 2014.

10. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, de déterminer le préjudice économique des consorts G....

11. D'une part, le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu, le cas échéant, de ses propres revenus et déduction faite des prestations reçues en compensation. Le préjudice est établi par référence à un pourcentage des revenus de la victime affecté à l'entretien de la famille. En outre, l'indemnité allouée aux enfants de la victime décédée est déterminée en tenant compte de la perte de la fraction des revenus de leur parent décédé qui aurait été consacrée à leur entretien jusqu'à ce qu'ils aient atteint au plus l'âge de 25 ans.

12. D'autre part, compte tenu de la proximité du départ en retraite de M. G..., décédé à l'âge de 55 ans, il y a lieu d'indemniser de manière distincte le préjudice économique subi par les consorts G... avant et après la date à laquelle leur époux et père aurait pris sa retraite.

13. Il résulte de l'instruction qu'à l'exception d'un capital décès de 6 924 euros, les consorts G... n'ont pas perçu de prestation en compensation du décès de leur époux et père. En réponse à une mesure d'instruction leur demandant de justifier du montant de la pension que M. G... aurait perçue à son admission à la retraite, ainsi que du montant de la pension de réversion éventuellement perçue par Mme G..., les consorts G..., auxquels il appartenait de produire tous documents de nature à permettre à la cour d'apprécier l'âge auquel leur époux et père aurait perçu une pension de retraite, ainsi que le montant de celle-ci, se sont bornés à indiquer que Mme G... ne percevait aucune pension de réversion et que M. G... n'avait jamais reçu d'attestation mentionnant le montant de la pension qu'il aurait perçue.

Dans ces circonstances, et eu égard à l'état de santé de M. G..., il y a lieu de fixer à 62 ans l'âge auquel il aurait cessé son activité professionnelle, soit à la fin du mois de janvier 2017, et d'évaluer le montant de sa pension au minimum vieillesse.

En ce qui concerne la période du 27 août 2010 au 31 janvier 2017 :

14. Il résulte de l'instruction que M. G... était gérant de la SARL Espace Auto qu'il avait créée en 2001, ayant pour objet la vente de véhicules neufs et d'occasion, dans laquelle son épouse était salariée. Contrairement à ce que font valoir le CHU de Bordeaux et la SHAM,

les difficultés ayant conduit à une situation de cessation de paiements en 2014 sont survenues après le décès de M. G..., alors que Mme G... avait repris seule l'exploitation de l'entreprise. Si les revenus générés par la SARL Espace Auto n'ont cessé de diminuer par rapport au niveau élevé atteint en 2004, la société ne se trouvait pas, au moment du décès de son gérant, dans une situation de nature à faire regarder sa pérennité comme compromise. Par suite, il y a lieu de déterminer le revenu de référence du foyer au regard des revenus des années 2007, 2008 et 2009 des époux G... tels qu'ils apparaissent sur les avis d'imposition, soit

respectivement 86 320, 71 843 et 29 660 euros, dont la moyenne est de 62 607 euros. Eu égard à une consommation personnelle du défunt de l'ordre de 15 %, il y a lieu de fixer à 53 000 euros le revenu annuel disponible de l'épouse et des enfants. Il résulte de l'instruction qu'après le décès de son époux, les revenus d'activité perçus par Mme G... doivent être regardés comme nuls. La perte annuelle de revenus subie par le foyer doit ainsi être évaluée à 53 000 euros,

soit 341 087 euros au titre de la période du 27 août 2010 au 31 janvier 2017, dont il convient de déduire 17 996 euros de salaires versés par la SARL Espace Auto à Mme G... en 2010, ainsi que le capital décès de 6 924 euros versé par la caisse du régime social des indépendants.

Le préjudice économique global du foyer s'élève ainsi à 316 167 euros.

S'agissant des enfants :

15. Eu égard à la composition de la famille, il y a lieu de fixer le préjudice économique de chacun des enfants, nés les 5 juin 1992, 6 octobre 1995 et 14 septembre 1997, tous trois âgés de moins de 25 ans durant toute la période en cause, à 10 % de la somme déterminée au point précédent, soit 31 616 euros.

S'agissant de Mme G... :

16. Eu égard aux préjudices des trois enfants déterminés au point précédent,

soit 94 848 euros au total, le préjudice économique de Mme G... doit être fixé à 221 319 euros.

En ce qui concerne la période postérieure au 1er février 2017 :

17. Ainsi qu'il a été dit au point 13, il y a lieu d'évaluer le montant de la pension de retraite qu'aurait perçue M. G... au minimum vieillesse, soit un revenu annuel du foyer de l'ordre de 9 600 euros. Eu égard à une consommation personnelle du défunt de 15 %, il y a lieu de fixer à 8 160 euros la perte annuelle de revenus subie par le foyer, somme qu'il convient de capitaliser en lui appliquant le prix de l'euro de rente viagère d'un homme de 62 ans,

soit 19,268. Le préjudice économique global des consorts G... s'élève ainsi à 157 227 euros.

S'agissant des enfants :

18. Il y a lieu de fixer le préjudice de M. C... G... pour la période du

1er février au 5 juin 2017, date à laquelle il a atteint l'âge de 25 ans, à 277 euros.

19. A compter du 6 juin 2017, eu égard à l'évolution de la composition de la famille,

15 % des revenus du foyer doivent être regardés comme consacrés à chacun des deux enfants restant à charge jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de 25 ans.

20. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le préjudice de M. F... G..., né le 6 octobre 1995, doit être évalué à 4 361 euros du 1er février 2017 au

6 octobre 2020, date à laquelle il aura atteint l'âge de 25 ans.

21. Compte tenu des éléments indiqués précédemment, le préjudice de M. B... G..., né le 14 septembre 1997, doit être évalué à 3 681 euros du 1er février 2017 à la date du présent arrêt, puis à 3 630 euros de cette date au 14 septembre 2022 par application à la part annuelle lui revenant du prix de l'euro de rente d'un homme de 22 ans jusqu'à l'âge de 25 ans, de 2,966, soit au total 7 311 euros.

S'agissant de Mme G... :

22. Il résulte de ce qui a été dit aux points 17 à 21 que le préjudice économique

de Mme G... doit être évalué à 145 278 euros.

En ce qui concerne le préjudice économique total :

23. Il résulte ce qui précède qu'eu égard à sa part de responsabilité de 60 %, le CHU de Bordeaux doit être condamné à verser les sommes de 19 136 euros à M. C... G...,

21 582 euros à M. F... G..., 23 356 euros à M. B... G... et 219 958 euros

à Mme G... au titre de leur préjudice économique.

Sur les préjudices d'accompagnement et d'affection des consorts G... :

En ce qui concerne le préjudice d'accompagnement de Mme G... :

24. Le préjudice d'accompagnement, correspondant aux troubles dans les conditions d'existence des proches de la victime jusqu'au décès de celle-ci, ne peut être regardé comme réparé par l'indemnité allouée par la SHAM à Mme G... au titre de son préjudice moral dans le cadre du protocole transactionnel signé le 20 mai 2014. Il résulte de l'instruction qu'en raison du retard de diagnostic de l'infection, M. G... est resté alité à son domicile durant trois mois, ce qui a nécessairement affecté les conditions d'existence de son épouse. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 1 500 euros, soit 900 euros après application du taux de perte de chance de 60 %.

En ce qui concerne le préjudice d'accompagnement et le préjudice d'affection des enfants :

25. Les consorts G... n'invoquent aucun élément susceptible de démontrer que les enfants de M. G... auraient subi des modifications dans leurs conditions d'existence de nature à leur ouvrir droit à une indemnité avant le décès de leur père.

26. Il y a lieu d'évaluer à 25 000 euros le préjudice d'affection subi par chacun des enfants du fait du décès de leur père, et de fixer à 15 000 euros chacun, après application du taux de 60 %, la somme due par le CHU de Bordeaux à M. C... G..., M. F... G...

et M. B... G....

27. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser aux consorts G... en qualité d'ayants droit de M. G... doit être portée à 2 049 euros, que les sommes qu'il a été condamné à verser aux enfants de M. G... doivent être ramenées à 34 136 euros pour M. C... G..., 36 582 euros pour M. F... G...

et 38 356 euros pour M. B... G..., et que le CHU de Bordeaux doit être en outre condamné à verser à Mme G... une somme de 220 858 euros.

Sur les droits de la caisse du régime social des indépendants d'Auvergne :

28. Les conclusions du CHU de Bordeaux et de la SHAM tendant à ce que les sommes allouées à la caisse du régime social des indépendants d'Auvergne soient réduites à de plus justes proportions ne sont assorties d'aucune précision. Par suite, elles ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les intérêts :

29. Aux termes de l'article 1231-7 du code civil : " En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement (...) ". Il résulte de ces dispositions que même en l'absence de demande en ce sens et même lorsque le juge ne l'a pas explicitement prévu, tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts, du jour de son prononcé jusqu'à son exécution. Par suite, les conclusions des consorts G... tendant à ce que les sommes qui leur sont allouées portent intérêts à compter de la date de l'arrêt sont dépourvues d'objet.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

30. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par les consorts G...

dans les instances nos 18BX00466 et 18BX00495.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser aux consorts G...

en qualité d'ayants droit de M. G... est portée à 2 049 euros.

Article 2 : La somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à M. C... G...

est ramenée à 34 136 euros.

Article 3 : La somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à M. F... G...

est ramenée à 36 582 euros.

Article 4 : La somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à M. B... G...

est ramenée à 38 356 euros.

Article 5 : Le CHU de Bordeaux est condamné à verser une somme de 220 858 euros

à Mme G....

Article 6 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1600909 du 5 décembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 7 : Le CHU de Bordeaux versera aux consorts G... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... G..., à M C... G..., à M. F... G..., à M. B... G..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale

des travailleurs indépendants.

Délibéré après l'audience du 11 février 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... D..., présidente-assesseure,

M. Thierry Sorin, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 12 mai 2020.

Le président de la 2ème chambre,

Catherine Girault

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

Nos 18BX00466, 18BX00495


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX00466,18BX00495
Date de la décision : 12/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03-02-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Évaluation du préjudice. Préjudice matériel. Perte de revenus. Perte de revenus subie du fait du décès d'une personne.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : SCP ROUXEL HARMAND

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-05-12;18bx00466.18bx00495 ?
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