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30/06/2020 | FRANCE | N°18BX00852

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 30 juin 2020, 18BX00852


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Mme M... N... et M. J... N..., agissant en leur nom personnel

et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur D... N..., ainsi que

Mme I... N... agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de son fils mineur K..., ont demandé au tribunal administratif de Poitiers, à titre principal, d'ordonner avant dire-droit une expertise médicale, et, à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affection

s iatrogènes (ONIAM) à leur verser la somme totale de 3 631 642,80 euros en réparatio...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Mme M... N... et M. J... N..., agissant en leur nom personnel

et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur D... N..., ainsi que

Mme I... N... agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de son fils mineur K..., ont demandé au tribunal administratif de Poitiers, à titre principal, d'ordonner avant dire-droit une expertise médicale, et, à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes (ONIAM) à leur verser la somme totale de 3 631 642,80 euros en réparation des préjudices consécutifs au dommage corporel de Mme M... N....

Par un jugement n° 1600035 du 26 décembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers, après avoir rejeté les conclusions des consorts N... et de l'ONIAM tendant à ce que soit ordonnée une expertise, a condamné l'ONIAM à verser à Mme M... N... une somme totale de 647 235,05 euros en réparation de ses préjudices propres, sous déduction de la somme de 300 000 euros versée à titre provisionnel, avec intérêts au taux légal à compter

du 2 octobre 2015 et capitalisation des intérêts, ainsi qu'une rente viagère d'un montant annuel de 29 690 euros, payable à trimestre échu, et revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, a mis à la charge de l'ONIAM une somme de 1 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 février 2018 et 17 juin 2019, l'ONIAM, représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) à titre principal :

- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 décembre 2017 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'une expertise médicale soit ordonnée ;

- d'ordonner avant-dire droit une expertise médicale, réalisée au contradictoire du centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers ;

2°) à titre subsidiaire, de réformer le jugement du tribunal administratif de Poitiers

du 26 décembre 2017 en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme N... une somme totale de 647 235,05 euros en réparation de ses préjudices et a mis à sa charge une somme

de 1 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et de réduire ces sommes à de plus justes proportions.

Il soutient que :

- le tribunal a écarté toute responsabilité du centre hospitalier sans répondre à ses moyens sur ce point ; le jugement est dès lors insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que les premiers juges l'ont débouté de sa demande de réalisation d'une expertise médicale, qui serait utile pour la résolution du litige ; l'indemnisation au titre de la solidarité nationale est subordonnée à l'absence de responsabilité de l'établissement de santé ; or, le tribunal s'est basé sur l'analyse de l'expertise amiable sans même répondre aux contestations des conclusions de cette expertise par la note médicale et la littérature scientifique versées au dossier ; il résulte pourtant de ces éléments médicaux que l'embolisation réalisée le 26 mai 2010 n'était pas justifiée compte tenu de ce que l'anévrisme était de petite taille et asymptomatique ; ce choix thérapeutique aurait à tout le moins dû être précédé du recueil du consentement éclairé de la patiente sur les risques de cette intervention, ce qui n'a manifestement pas été le cas ; de même, Mme N... ayant bénéficié d'un double contrôle par angioscanner et IRM, la réalisation, le 27 septembre 2010, d'une artériographie de contrôle n'était pas justifiée ; ces fautes sont de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;

- l'expertise amiable n'a pas été réalisée à son contradictoire et ne lui est donc pas opposable ;

- l'indemnisation allouée à Mme N... doit être déterminée déduction faite des créances des organismes sociaux, qu'il ne saurait être condamné à rembourser au titre de la solidarité nationale, et sous déduction de la provision de 300 000 euros déjà versée ;

- en ce qui concerne les préjudices patrimoniaux temporaires de Mme N...,

Mme N... n'a tout d'abord exposé aucune dépense de santé, et ne présente d'ailleurs aucune demande à cet égard en appel ; sa perte de gains professionnels a été entièrement couverte par les indemnités journalières versées par l'institut de prévoyance AG2R, ce dont Mme N... convient en appel ; s'agissant des frais d'aménagement de la salle de bains, ce poste de préjudice avait été retenu par l'expertise amiable, et Mme N... sollicite sur ce point la confirmation du jugement ; s'agissant de l'aide par tierce personne, dont doit être déduite la prestation de compensation du handicap, il convient de confirmer le jugement, ce que demande également Mme N... ;

- en ce qui concerne les préjudices patrimoniaux permanents, Mme N... n'a présenté aucune demande chiffrée devant le tribunal s'agissant des dépenses de santé futures, de sorte que ses conclusions d'appel relatives à ce poste de préjudice sont nouvelles et, par suite, irrecevables ; l'analyse des premiers juges sera confirmée s'agissant de la perte de gains professionnels futurs, de l'incidence professionnelle, qui inclut la perte de retraite, de l'aide par une tierce personne, laquelle ne devrait, subsidiairement, pas excéder 945 952,10 euros ; s'agissant des frais d'aménagement du domicile , les demandes complémentaires présentées en appel ne sont pas justifiées par les pièces produites ; Mme N... avait également demandé une indemnité au titre des frais de fauteuil roulant électrique et d'aménagement du véhicule, demandes sur lesquelles il sera statué ce que de droit, sous réserve de l'irrecevabilité des conclusions, nouvelles en appel, relatives au renouvellement de ces frais ; subsidiairement, le renouvellement du fauteuil tous les 5 ans n'excédera pas 23 106 euros et celui de l'aménagement du véhicule 22 166,31 euros.

- en ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux temporaires, le tribunal s'est livré à une évaluation excessive ; la somme allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire ne saurait excéder 10 986 euros ; s'agissant des souffrances endurées, l'analyse du tribunal sera confirmée ; c'est à tort que les premiers juges ont alloué une indemnité au titre du préjudice esthétique temporaire, qui n'a pas été retenu par l'expertise amiable et l'avis de la CCI, et, subsidiairement, l'indemnité allouée à ce titre ne saurait excéder 2 500 euros ;

- en ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux permanents, l'évaluation du tribunal sera confirmée s'agissant du déficit fonctionnel permanent et du préjudice esthétique permanent ; comme l'ont estimé les premiers juges, le préjudice d'agrément n'est pas établi, ce que Mme N... ne conteste pas en appel ; l'indemnisation du préjudice sexuel ne saurait excéder 8 000 euros ; ainsi que l'a relevé le tribunal, le préjudice d'établissement invoqué n'est pas caractérisé en l'espèce, la requérante ayant fondé une famille antérieurement à l'accident ;

- sauf en cas de décès de la victime directe, en matière d'accident médical non fautif,

les victimes indirectes ne peuvent obtenir d'indemnisation au titre de la solidarité nationale ;

le rejet, par le tribunal, des conclusions des victimes indirectes, n'est pas contesté en appel ;

- la somme de 1 600 euros mise à sa charge par le tribunal au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est excessive, et doit être ramenée

à 1 200 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 octobre 2018, Mme N..., représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'ONIAM d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et demande, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à une somme totale de 647 235,05 euros.

Elle soutient que :

- elle ne maintient pas en appel sa demande de réalisation d'une expertise ; les critiques de l'ONIAM portant sur l'expertise amiable ne justifient pas que soit ordonnée une expertise ; comme l'a relevé l'expert, elle présentait, du fait de son tabagisme, un facteur de risque justifiant que soit réalisée une embolisation ; en tout état de cause, le fait générateur du dommage n'est pas cette embolisation, mais l'artériographie de contrôle ; s'agissant de cette artériographie, l'expert explique qu'elle était indiquée au regard des données actuelles de la science, même si cette pratique a été ultérieurement remplacée par un contrôle par IRM ;

- la circonstance que l'expertise amiable n'ait pas été réalisée au contradictoire de l'ONIAM ne fait pas obstacle à ce qu'elle soit prise en compte dès lors qu'elle est suffisamment précise et complète sur l'origine du dommage et a été communiquée à l'ONIAM, qui a ainsi pu la critiquer dans le cadre du débat contentieux ;

- le jugement sera confirmé sur le principe de la réparation intégrale de ses préjudices au titre de la solidarité nationale ;

- le jugement sera en revanche réformé en ce qui concerne l'évaluation de certains de ses préjudices ; s'agissant des frais de fauteuil roulant électrique, elle sollicite,

outre l'indemnisation des frais d'acquisition allouée en première instance, un capital

de 30 198, 49 euros au titre des frais de renouvellement ; l'indemnité allouée au titre de l'incidence professionnelle, liée à l'impossibilité de poursuivre son activité de vendeuse mais aussi d'exercer toute autre activité professionnelle, doit être portée à 100 000 euros ; son préjudice de perte de retraite, qui se distingue de celui relatif à l'incidence professionnelle, doit être évalué à 96 473, 19 euros ; les frais d'assistance par tierce personne doivent être évalués sur la base d'un taux horaire de 15 euros et s'élèvent à 49 440 euros par an ou, si la cour les indemnise sous la forme d'un capital, à 1 867 200 , 48 euros ; dès lors qu'elle rencontre des difficultés pour obtenir le versement de la rente allouée en première instance, elle demande que la réparation soit accordée sous la forme d'un capital ; en ce qui concerne les besoins d'aménagement du domicile, sa situation a évolué du fait de son déménagement dans une maison en location, qui n'est pas adaptée à son handicap, et elle sollicite ainsi une indemnité de 111 988, 09 euros à ce titre ; s'agissant des frais d'aménagement du véhicule, elle sollicite, outre l'indemnisation des frais d'acquisition allouée en première instance, un capital

de 38 396, 58 euros au titre des frais de renouvellement ; l'indemnité allouée en réparation de son déficit fonctionnel temporaire doit être portée à 14 648 euros ; l'indemnité allouée au titre de ses souffrances temporaires doit être portée à 30 000 euros ; la réparation de son déficit fonctionnel permanent doit être portée à 312 000 euros ; l'indemnité allouée en réparation de son préjudice esthétique permanent doit être portée à 10 000 euros ; l'indemnité allouée en réparation de son préjudice sexuel doit être portée à 10 000 euros ;

- concernant les autres préjudices, l'évaluation du tribunal sera confirmée ;

- ainsi que l'a jugé le tribunal, la somme allouée en réparation de ses préjudices doit être assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2015, et d'une capitalisation des intérêts à compter du 2 octobre 2016.

Par un mémoire enregistré le 8 novembre 2018, l'AG2R Réunica Prévoyance, représentée par la Selarl Europa Avocats (Me F...), demande à la cour d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a refusé d'ordonner une expertise médicale, et d'ordonner cette expertise aux frais avancés de l'ONIAM.

Elle soutient que :

- l'expertise amiable diligentée par une CCI n'est pas une expertise judiciaire, et les médecins experts nommés ne présentent pas les mêmes garanties statutaires qu'un expert judiciaire ;

- elle a versé à Mme N... des indemnités journalières puis une rente d'invalidité pour un montant qui excède d'ores et déjà 80 000 euros ; alors qu'elle a la qualité de tiers payeur subrogé dans les droits de la victime, elle n'était pas partie aux opérations de l'expertise amiable ; le principe du contradictoire n'est, dans ces conditions, pas respecté ;

- une expertise doit être ordonnée aux fins de déterminer l'existence, ou non,

d'une faute du centre hospitalier.

Par un mémoire enregistré le 3 janvier 2019, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers conclut au rejet de la requête et des conclusions d'appel de Mme N...

et de l'AG2R Réunica Prévoyance.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé faute d'avoir répondu au moyen tiré du défaut d'indication de l'embolisation et de l'artériographie ;

- l'ONIAM ne justifie pas de l'utilité d'ordonner une nouvelle expertise ; une nouvelle expertise ne présenterait aucune utilité s'agissant de la réalisation d'une embolisation,

les séquelles de l'intéressée ne résultant pas de cet acte mais de l'artériographie

du 27 septembre 2010 ; l'expert s'est également interrogé sur l'utilité d'une artériographie de contrôle ;

- l'expertise ordonnée par une CCI est opposable aux parties et présente les mêmes garanties qu'une expertise juridictionnelle, et peut à tout le moins être retenue à titre d'élément d'information ; l'ONIAM a pu discuter les conclusions de l'expertise amiable ;

- l'indemnisation allouée au titre de l'incidence professionnelle comprenant la perte de droits à la retraite ne pourra aucunement excéder la somme de 90 500 euros ;

- le jugement devra être confirmé sur l'aide par tierce personne ;

- les frais d'aménagement d'un nouveau logement suite à un divorce correspondent en réalité à un achat et ne sont pas justifiés ;

- la somme allouée au titre du déficit temporaire total devra être ramenée

à 10 986 euros.

Par une ordonnance du 20 mai 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 juin 2019 à 12 heures.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme O... C...,

- les conclusions de Mme Aurélie Chauvin, rapporteur public,

- les observations de Me Macicior, avocat, représentant l'ONIAM,

- et les observations de Me G..., avocat, en visio-audience, représentant Mme M... N....

Une note en délibéré présentée par Me G... pour Mme M... N... a été enregistrée le 11 juin 2020, annulant et remplaçant celle enregistrée le 10 juin 2020.

Une note en délibéré présentée par Me B... pour l'ONIAM a été enregistrée le 12 juin 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Mme N... a été prise en charge le 6 avril 2010 au sein du service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers pour des fourmillements de l'hémiface gauche et un engourdissement au niveau du bras droit, révélant un accident vasculaire ischémique. Les examens réalisés entre le 7 avril et le 9 avril 2010, un scanner cérébral, une IRM encéphalique et une IRM cérébrale, ont mis en évidence l'existence d'un anévrisme sylvien droit de 5 mm non rompu, avec un collet large. Une embolisation a été réalisée

le 26 mai 2010 au sein du même établissement. L'intéressée a fait l'objet, le 27 septembre 2010, toujours au sein du CHU de Poitiers, d'une angio-IRM puis d'une artériographie de

contrôle. Au décours de l'artériographie, elle a présenté une tétraparésie. En l'absence de récupération significative de son état, elle a introduit une demande d'indemnisation amiable auprès de la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) de Poitou-Charentes qui, après avoir diligenté une expertise puis un complément d'expertise, a estimé, par son avis rendu

le 6 février 2014, que le dommage subi par Mme N... était entièrement imputable

à un accident médical non fautif et que la réparation des préjudices en résultant incombait

à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale. Mme N...

a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Poitiers d'ordonner une expertise, réalisée au contradictoire de l'ONIAM. Cette demande a été rejetée par une ordonnance

du 12 novembre 2014. L'appel de Mme N... à l'encontre de cette ordonnance a été rejeté par une ordonnance du juge d'appel des référés de la cour administrative d'appel

de Bordeaux n° 14BX03271 du 8 avril 2015. Par une ordonnance du 13 avril 2015, le juge

des référés du tribunal administratif de Poitiers a condamné l'ONIAM à verser

à Mme N... une provision de 300 000 euros.

2. Mme N..., ainsi que son conjoint, son fils mineur, sa fille majeure et son petit-fils mineur, ont saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant, à titre principal, à ce qu'une expertise soit ordonnée, et à titre subsidiaire à la condamnation de l'ONIAM à leur verser une somme totale de 3 631 642,80 euros en réparation de leurs préjudices. Par un jugement du 26 décembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers, après avoir rejeté les conclusions de Mme N... et de l'ONIAM tendant à ce que soit ordonnée une expertise, a estimé que la réparation du dommage de Mme N... incombait intégralement à l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, a condamné ce dernier à verser à l'intéressée une indemnisation totale de 647 235,05 euros en réparation de ses préjudices propres, sous déduction de la somme de 300 000 euros versée à titre provisionnel, avec intérêts au taux légal à compter du

2 octobre 2015 et capitalisation des intérêts, ainsi qu'une rente viagère d'un montant annuel

de 29 690 euros, a mis à la charge de l'ONIAM une somme de 1 600 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, et a enfin rejeté les conclusions présentées par les consorts N... en leur qualité de victimes indirectes et par l'AG2R Réunica Prévoyance en sa qualité de tiers payeur subrogé dans les droits de Mme N.... L'ONIAM relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, Mme N... demande à la cour de réformer ce même jugement en tant qu'il a limité son indemnisation aux montants précités, et l'AG2R Réunica Prévoyance demande sa réformation en tant qu'il n'a pas ordonné une expertise.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Devant le tribunal administratif, l'ONIAM a fait valoir que la responsabilité du CHU de Poitiers était susceptible d'être engagée à raison de fautes commises lors de la prise en charge de Mme N..., et a produit une note médicale rédigée par deux médecins de l'ONIAM, dont l'un spécialiste en radiologie, indiquant que les actes d'embolisation et d'artériographie de contrôle réalisés, respectivement, les 26 mai 2010 et 27 septembre 2010, n'étaient pas médicalement justifiés, et que Mme N... n'avait en outre pas reçu une information complète avant que ces actes soient pratiqués. Or, les premiers juges ont rejeté la demande de l'ONIAM tendant à l'organisation d'une expertise sans répondre à son argumentation relative à l'utilité d'une telle mesure au regard des éléments médicaux produits. Le tribunal a ainsi considéré que le dommage était imputable à un accident médical non fautif dont la réparation incombait à l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, sans examiner le moyen tiré de l'application au litige du régime de la responsabilité pour faute de l'établissement de santé. Or, ce moyen, s'il avait été fondé, d'une part, aurait conduit au rejet des conclusions indemnitaires dirigées contre l'ONIAM ou, dans l'hypothèse d'une faute ayant entraîné une perte de chance, à la réduction du montant de l'indemnité due par l'ONIAM, d'autre part, aurait conduit, au moins partiellement, à l'indemnisation des consorts N... en leur qualité de victimes indirectes et au remboursement des dépenses exposées par l'AG2R Réunica Prévoyance en sa qualité de tiers payeur subrogé dans les droits de Mme N.... Par suite, ainsi que le fait valoir l'ONIAM, le jugement attaqué est insuffisamment motivé et doit, en raison de cette irrégularité, être annulé.

4. Il y a lieu de statuer, par la voie de l'évocation, sur les demandes présentées par les consorts N..., l'ONIAM et l'AG2R Réunica Prévoyance devant le tribunal administratif de Poitiers.

Sur la demande de nouvelle expertise :

5. Une expertise amiable diligentée par une commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), constitue, pour le juge administratif, un simple élément d'information qu'il lui est loisible de retenir, sous réserve qu'il ait été soumis à un débat contradictoire, et dès lors qu'il est corroboré par d'autres éléments du dossier ou encore n'est pas contesté par les parties.

6. En l'espèce, l'expertise amiable diligentée par la CCI de Poitou-Charentes, confiée à un radiologue et un médecin spécialisé dans la réparation du dommage corporel, conclut à l'absence de faute du CHU de Poitiers lors de la prise en charge de Mme N..., estimant que le dommage est entièrement imputable à un accident médical non fautif, d'occurrence exceptionnelle, survenu au décours de l'artériographie de contrôle réalisée le 27 septembre 2010, vraisemblablement dû à une migration d'un embol cruorique par l'artère vertébrale vers l'artère cérébelleuse postérieure (PICA) et l'artère centro-médullaire. Toutefois, cette analyse médicale, qui n'est corroborée par aucune autre pièce du dossier, est contestée par l'ONIAM qui produit une note médicale rédigée par deux médecins, dont l'un est radiologue, indiquant, d'une part, que l'acte d'embolisation du 26 mai 2010 n'était pas médicalement justifié compte tenu des caractéristiques de l'anévrisme, d'autre part, que l'expertise ne se prononce pas sur la validité du double contrôle effectué le 27 septembre 2010 ayant consisté en une angio-IRM suivie d'une artériographie de contrôle, et ajoutant que Mme N... n'avait pas reçu une information complète avant que ces actes soient pratiqués.

7. En l'état de l'instruction, les seuls éléments d'information produits au dossier ne permettent pas à la cour de déterminer l'origine du dommage subi par Mme N... et par suite si la réparation des préjudices en résultant incombe, fût-ce pour partie, au CHU de Poitiers ou à l'ONIAM. Par suite, il y a lieu, avant de statuer sur les droits à réparation des consorts N... et de l'AG2R Réunica Prévoyance, d'ordonner une expertise médicale aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600035 du 26 décembre 2017 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les demandes des consorts N... et de l'AG2R Réunica Prévoyance, procédé à une expertise médicale en présence de Mme M... N..., de l'AG2R Réunica Prévoyance, du CHU de Poitiers et de l'ONIAM.

Article 3 : L'expert aura pour mission :

1°) Après s'être fait communiquer l'intégralité du dossier médical de Mme N..., notamment de tous documents relatifs au suivi, examens, consultations et actes de soins relatifs à la prise en charge de son anévrisme sylvien droit, et avoir pris connaissance de l'expertise amiable diligentée par la CCI de Poitou-Charentes, de décrire son état de santé ;

2°) de décrire les conditions dans lesquelles les interventions d'embolisation et d'artériographie ont été réalisées les 26 mai 2010 et 27 septembre 2010 au CHU de Poitiers en réunissant tous les éléments devant permettre de déterminer si la prise en charge (investigations, traitements, soins, surveillance, organisation du service) a été exempte de manquement, c'est-à-dire, concernant la prise en charge médicale proprement dite, si elle a été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque des faits en litige et, concernant l'organisation et le fonctionnement du service, s'ils ont été conformes aux bonnes pratiques et aux recommandations existantes ;

3°) de préciser si la réalisation, à la suite immédiate d'une angio-IRM de contrôle, d'une artériographie de contrôle le 27 septembre 2010, présentait une utilité et, dans l'affirmative, d'éclairer la cour sur l'apport de ce double contrôle ;

4°) d'indiquer s'il a été procédé de façon complète à l'information de Mme N..., c'est-à-dire si elle a été informée, avant les actes de soins, de l'ensemble des risques fréquents et des risques graves, même rares, normalement prévisibles, qu'elle encourait en donnant son consentement aux actes de soins en cause ;

5°) de déterminer l'origine du dommage subi par Mme N... en appréciant, le cas échéant, la part respective prise par les différents facteurs qui y auraient concouru en recherchant, à cet égard, quelle incidence sur la survenance du dommage ont pu avoir la présence d'autres pathologies, et l'état antérieur ;

6°) dans le cas où le dommage serait directement imputable à un accident médical survenu sans manquement aux règles de l'art et aux données acquises de la science, d'évaluer le taux du risque opératoire qui s'est, le cas échéant, réalisé en l'espèce, c'est-à-dire la probabilité que le dommage avait de survenir en raison de l'acte de soins en cause, eu égard aux séries statistiques disponibles et aux caractéristiques particulières de l'état de

santé pré-opératoire de Mme N... ; de quantifier également la probabilité qu'avait

Mme N..., avant les actes de soins litigieux, d'être atteinte à court terme et à moyen terme (préciser le délai), du fait de l'évolution spontanée de son état antérieur, c'est-à-dire en l'absence de tout geste médical, du même handicap que celui dont elle a été effectivement atteinte à l'issue de la prise en charge litigieuse ; l'expert précisera les références des données médicales sur lesquelles il se fonde, en retranscrivant au besoin les passages de la littérature scientifique qui lui paraîtraient pertinents ;

7°) de préciser, dans le cas où le manquement éventuellement commis au cours de la prise en charge médicale n'aurait entraîné pour Mme N... qu'une perte de chance d'échapper au dommage constaté, c'est-à-dire dans le cas où la survenue du dommage ne procèderait pas directement de ce manquement mais de l'évolution de son état de santé antérieur, d'un accident médical non fautif ou de défaillances de tous types dans son suivi, si cette perte de chance résulte d'un défaut d'information ou d'un retard dans la prise en charge médicale ;

a) dans le cas d'un manquement à l'obligation d'information, de préciser l'importance du risque auquel le geste médical en cause exposait Mme N... et l'importance du risque encouru en l'absence de geste médical, et donner des éléments d'appréciation sur le choix habituel des patients placés dans la même situation ;

b) dans le second cas, quantifier la probabilité avec laquelle Mme N... aurait subi le même dommage si la prise en charge avait été exempte de manquement, et la probabilité qu'elle encourait de subir, du fait des manquements commis en l'espèce, les dommages dont elle est atteinte, au regard des statistiques relatives aux patients placés dans des situations analogues, c'est-à-dire subissant les mêmes manquements dans leur prise en charge ; l'expert précisera les références des données médicales sur lesquelles il se fonde, en retranscrivant au besoin les passages de la littérature scientifique qui lui paraîtraient pertinents ;

8°) de décrire, sans imputer le taux de perte de chance éventuellement retenu, la nature et l'étendue des préjudices résultant de la prise en charge hospitalière de Mme N..., en les distinguant de son état antérieur et des conséquences prévisibles de sa prise en charge médicale si celle-ci s'était déroulée normalement ; à cet égard, d'apporter les éléments suivants :

a) dire si l'état de Mme N... est consolidé ou s'il est susceptible d'amélioration ou de dégradation ; proposer, si possible, une date de consolidation de l'état de l'intéressée en fixant notamment la période d'incapacité temporaire et le taux de celle-ci, ainsi que le taux d'incapacité permanente partielle ;

b) donner son avis sur les dépenses de santé rendues nécessaires par l'état

de Mme N... en lien avec les faits en litige ;

c) préciser les frais liés au handicap dont la nécessité résulterait du dommage ;

d) décrire et évaluer les souffrances physiques, psychiques ou morales subies en lien avec les faits en litige ;

e) évaluer le préjudice d'agrément ;

f) donner à la cour tous autres éléments d'information nécessaires à la réparation de l'intégralité du dommage subi par Mme N... à raison des faits en litige ;

9°) de préciser clairement, pour chacun de ces postes de préjudices :

a) la part qui résulte du manquement et/ou de l'accident médical en cause ;

b) la part éventuelle qui résulterait de l'état de santé antérieur de la patiente ;

c) la part éventuelle qui résulterait de faits postérieurs au manquement ou à l'accident médical, survenus dans un autre établissement de santé que celui dans lequel sont survenus le manquement et/ou l'accident en litige.

Article 4 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du même code, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressée.

Article 5 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment,

il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à

R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.

Article 6 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires

dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes, à Mme M... N..., à M. J... N..., à Mme I... N..., à la Caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne, à la SMIP, à l'AG2R La Mondiale et au Centre Hospitalier Régional Universitaire de Poitiers.

Délibéré après l'audience du 9 juin 2020 à laquelle siégeaient :

Mme L... H..., présidente,

Mme A... E..., présidente-assesseure,

Mme O... C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 juin 2020.

Le président de la 2ème chambre,

Catherine H...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX00852


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX00852
Date de la décision : 30/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Instruction - Moyens d'investigation - Expertise - Recours à l'expertise.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : SCP DROUINEAU COSSET BACLE LE LAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 13/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-06-30;18bx00852 ?
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