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22/09/2020 | FRANCE | N°19BX04534

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 22 septembre 2020, 19BX04534


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 4 septembre 2019 par lequel le préfet de la Corrèze lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1901719 du 6 novembre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la c

our :

Par une requête enregistrée le 29 novembre 2019, un mémoire enregistré le 10 mars 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 4 septembre 2019 par lequel le préfet de la Corrèze lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1901719 du 6 novembre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 novembre 2019, un mémoire enregistré le 10 mars 2020 et des pièces enregistrées le 1er septembre 2020, M. B..., représente par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 6 novembre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Corrèze du 4 septembre 2019 ;

Il soutient que :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 311-6 et de l'article D. 311-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que le principe de non rétroactivité des lois et règlements ;

- elle méconnaît l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;

- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

- cette décision n'est pas motivée ;

- elle est illégitime et disproportionnée ;

Par un mémoire en défense enregistré le 20 février 2020, le préfet de la Corrèze conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 mars 2020.

Par ordonnance du 12 mars 2020, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 23 avril 2020 à 12h.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... C..., a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., de nationalité ukrainienne, est né le 25 juin 1976 à Erevan en Arménie. Il est entré selon ses déclarations en France le 1er août 2017 et a déposé le 22 novembre 2017 une demande d'asile qui lui a été refusée par une décision du 11 septembre 2018 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et ce refus a été confirmé par la Cour nationale du droit d'asile le 29 août 2019. M. B... relève appel du jugement du 6 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 septembre 2019 par lequel le préfet de la Corrèze, sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants: (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 , à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Lorsque, dans l'hypothèse mentionnée à l'article L. 311-6, un refus de séjour a été opposé à l'étranger, la mesure peut être prise sur le seul fondement du présent 6° ;(...) ".

3. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la demande d'asile de M. B..., déposée le 22 novembre 2017, a été rejetée par décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 11 septembre 2018 et de la Cour nationale du droit d'asile le 29 août 2019. Ainsi, à la date de l'arrêté attaqué, M. B... relevait bien du cas prévu par les dispositions précitées du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans lequel le préfet peut obliger un étranger à quitter le territoire.

4. Par ailleurs, M. B... ne peut utilement invoquer, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué, ni les dispositions de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018 selon lesquelles l'autorité administrative doit inviter l'étranger qui a présenté une demande d'asile à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et à déposer sa demande dans un délai fixé par décret, ni les dispositions de l'article D. 311-3-2 du même code, créé par le décret du 23 février 2019 pris pour l'application de la loi du 10 septembre 2018, dès lors que ces dispositions ne s'appliquent qu'aux demandes d'asile présentées postérieurement au 28 février 2019, date de publication de ce décret, ce qui n'est pas le cas du requérant.

5. Enfin, si le requérant soutient que l'application combinée des dispositions de l'article L. 311-6 et de l'article D. 311-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile serait contraire au principe de non rétroactivité des lois et règlements, au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ce moyen est inopérant, dès lors que comme cela a été indiqué précédemment, ces dispositions n'ont pas été appliquées à la situation de M. B....

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires réglées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...). ".

7. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente serait tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter son point de vue de manière utile et effective. En particulier, l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français au titre de l'asile, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Il lui appartient donc, lors du dépôt de sa demande, de produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande, et il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Par conséquent, le droit de l'intéressé d'être entendu implique seulement que l'autorité administrative prenne en compte ces nouveaux éléments, mais n'impose pas à cette dernière, en particulier lorsque, comme en l'espèce, elle fait application du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour obliger l'intéressé à quitter le territoire français à la suite du rejet définitif de sa demande d'asile, de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur cette mesure d'éloignement. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... aurait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ni qu'il aurait été empêché de présenter spontanément des observations avant que ne soit prise la décision d'éloignement. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de son droit à être entendu ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, M. B... soutient avoir établi sa vie privée et familiale en France, avec son épouse et ses trois enfants, qui y sont scolarisés, et où il est parfaitement intégré. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le requérant est entré irrégulièrement en France le 1er août 2017, soit seulement deux ans avant la date de la décision en litige. En outre, il ne démontre pas disposer d'attaches personnelles en France en dehors de sa propre cellule familiale dont son épouse qui, au demeurant, ne dispose pas d'un droit au séjour et fait également l'objet d'une mesure d'éloignement. Dès lors, rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue hors de France, et notamment en Ukraine, pays dont tous les membres du foyer ont la nationalité et où les enfants pourront poursuivre leur scolarité. Par ailleurs, il ne justifie d'aucune intégration socioprofessionnelle particulière sur le territoire français, nonobstant le suivi de cours de langue française. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée de séjour et des conditions d'entrée et de séjour du requérant en France, la décision contestée ne porte pas au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle ne méconnaît dès lors pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

9. En vertu des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. En l'espèce, l'arrêté contesté vise ces dispositions et indique les raisons pour lesquelles le préfet a considéré que M. B..., qui est présent en France irrégulièrement depuis deux ans, devait être interdit de retour en France, notamment son absence d'attache en France et le fait que sa conjointe faisait également l'objet d'une mesure d'éloignement. Ces indications étaient suffisantes pour permettre à l'intéressé de comprendre et de contester la mesure ainsi prise à son encontre. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté.

10. Enfin, si M. B... soutient qu'il n'a jamais fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public, ces circonstances ne sont pas, à elles seules, de nature à permettre de considérer que la décision portant interdiction de retour d'une durée d'un an serait disproportionnée, compte tenu des conditions dans lesquelles il s'est maintenu en France. Par suite, ce moyen doit également être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Corrèze du 4 septembre 2019.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Corrèze.

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

M. D... C..., président assesseur,

M. Stéphane Gueguein, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 septembre 2020.

Le rapporteur,

Dominique C... Le président,

Philippe Pouzoulet Le greffier,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX04534


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04534
Date de la décision : 22/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: M. Dominique FERRARI
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : ARMAND

Origine de la décision
Date de l'import : 03/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-09-22;19bx04534 ?
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