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03/11/2020 | FRANCE | N°18BX02940

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 03 novembre 2020, 18BX02940


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'ordonner

une expertise médicale avant-dire droit afin d'évaluer ses préjudices en lien avec la chute dont

il a été victime le 5 novembre 2014 sur la voie communale n° 5 au lieu-dit Bruguet

à Saint-Sardos, de condamner la commune de Saint-Sardos à lui verser une provision

de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices, et de mettre à sa charge

une somme de 1 500 euros au titre de l'artic

le L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1603472 du 31 mai 2018, le tribunal a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'ordonner

une expertise médicale avant-dire droit afin d'évaluer ses préjudices en lien avec la chute dont

il a été victime le 5 novembre 2014 sur la voie communale n° 5 au lieu-dit Bruguet

à Saint-Sardos, de condamner la commune de Saint-Sardos à lui verser une provision

de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices, et de mettre à sa charge

une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1603472 du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 juillet 2018 et un mémoire enregistré le 24 mars 2020, M. D..., représenté par la SCPI Michel Albarède et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de retenir l'entière responsabilité de la commune de Saint-Sardos, ou à titre subsidiaire de fixer la part de responsabilité de la commune à 75 % ;

3°) d'ordonner une expertise médicale afin d'évaluer ses préjudices en lien avec la chute dont il a été victime le 5 novembre 2014 ;

4°) de condamner la commune de Saint-Sardos à lui verser une provision de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Sardos une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le 5 novembre 2014, alors qu'il circulait à cyclomoteur sur la voie communale n° 5 à Saint-Sardos, il a fait une chute au lieu-dit Bruguet en raison de la présence anormale et importante de gravillons ; il a présenté une fracture-luxation de la cheville gauche associée à une fracture du pilon tibial, a subi trois interventions chirurgicales, a été licencié pour inaptitude

à sa profession de serveur et conservait une incapacité permanente partielle de 33 %

le 16 septembre 2016 ;

- l'enquête a mis en évidence la présence de gravillons sur la totalité de l'axe dans lequel est survenu l'accident, ce qui excédait ce à quoi un usager peut normalement s'attendre sur une route de campagne ; à supposer qu'il ait eu connaissance des travaux, il pouvait légitimement s'attendre à ce que la route soit praticable en l'absence de signalisation d'un danger ; aucune photographie ne fait apparaître une signalisation et l'attestation du maire, qui ne comporte aucune précision sur les dates des travaux et de la mise en place de panneaux, n'apporte pas la preuve de l'entretien normal de la voirie ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'obstacle n'était pas visible ; il n'a commis aucune faute dès lors qu'il roulait à une vitesse réduite et raisonnable, ainsi que l'ont relevé les gendarmes, et a été surpris par la présence non signalée des gravillons ;

- à titre subsidiaire, la part de responsabilité de la commune devra être fixée à 75 % ;

- le taux d'incapacité de 33 % retenu par la CPAM constitue un élément médico-légal de nature à justifier sa demande de provision.

Par un mémoire enregistré le 22 août 2018, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Tarn demande à la cour de réserver ses droits.

Elle fait valoir qu'elle n'est pas en mesure de chiffrer sa créance définitive.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 septembre 2019, la commune

de Saint-Sardos, représentée par la SELARL H... et Associés, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. D... une somme de 2 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la route avait subi quelques jours avant l'accident une réfection ponctuelle par la technique du " point à temps " consistant à répandre une émulsion de bitume et des gravillons aux endroits dégradés, tels que les nids de poule ; M. D..., qui l'empruntait tous les jours pour se rendre à son lieu de travail, avait nécessairement connaissance de la présence de gravillons ;

- contrairement à ce que soutient M. D..., des panneaux signalant les gravillons avaient été posés au début et à la fin de la zone de travaux ; la circonstance qu'ils n'apparaissent pas sur les photographies du lieu présumé de la chute figurant au procès-verbal d'enquête ne démontre pas leur absence ;

- à titre subsidiaire, la demande de provision ne peut qu'être rejetée en l'absence

de toute pièce permettant de quantifier le préjudice.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25 % par une décision du 22 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteur public,

- et les observations de Me H..., représentant la commune

de Saint-Sardos.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... relève appel du jugement du 31 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune

de Saint-Sardos à l'indemniser des préjudices en lien avec l'accident de scooter dont il a été victime sur la voie communale n° 5, au lieu-dit Bruguet, le 5 novembre 2014 vers 15 heures.

2. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en apportant la preuve, soit de l'absence de défaut d'entretien normal, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

3. M. D..., usager de la voie publique, apporte la preuve du lien de causalité entre l'accident et l'état de la voie communale n° 5 en produisant les attestations d'un témoin et des personnes qui lui ont porté secours, ainsi que le procès-verbal établi par les services de gendarmerie, dont il résulte que son scooter a dérapé dans une courbe en raison de la présence de gravillons.

4. Il résulte de l'instruction que la chaussée avait fait l'objet, quelques jours avant l'accident, de travaux de réparation selon la technique du " point à temps " consistant à combler les inégalités par une émulsion de bitume recouverte de gravillons destinés à y pénétrer avec

le passage des véhicules. Aucune signalisation n'apparaît sur les photographies prises par les services de gendarmerie, montrant deux vues générales de l'axe sur lequel circulait M. D..., ainsi que deux vues rapprochées faisant apparaître les traces de glissades dans les gravillons.

En se bornant à produire un courrier de son maire à la compagnie d'assurances Axa du

19 juillet 2016 indiquant que des panneaux signalant les gravillons avaient été positionnés, sans préciser ni à quelle date, ni à quel endroit, la commune de Saint-Sardos n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'entretien normal de la voie.

5. Toutefois, M. D..., qui empruntait quotidiennement la voie n° 5 pour se rendre à son travail et en revenait lorsque l'accident s'est produit, avait connaissance de la présence des gravillons. Alors même qu'il roulait à une vitesse réduite selon les gendarmes et le témoin,

il aurait dû redoubler de prudence en abordant la courbe, au niveau de laquelle les gravillons étaient visibles ainsi qu'il résulte des photographies figurant au dossier. Par suite, les préjudices doivent être imputés à hauteur de 30 % à la faute de la victime et de 70 % à la commune

de Saint-Sardos.

6. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que

les premiers juges ont rejeté ses demandes d'expertise et d'allocation d'une provision à valoir

sur l'indemnisation de ses préjudices. Par suite, le jugement doit être annulé.

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel,

de statuer sur le droit à réparation de M. D.... Toutefois, l'état de l'instruction ne permet pas de déterminer l'étendue de ses préjudices. Par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.

8. Il résulte de l'instruction que l'accident a été à l'origine d'une fracture luxation

de la cheville gauche associée à une fracture du pilon tibial ayant nécessité une intervention chirurgicale d'ostéosynthèse dans les suites de laquelle sont apparues des complications possiblement imputables à une infection nosocomiale. Eu égard aux seules conséquences directes de la fracture, il y a lieu de de condamner la commune de Saint-Sardos à verser

à M. D... une provision de 2 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1603472 du 31 mai 2018 est annulé.

Article 2 : Il sera procédé à une expertise médicale contradictoire en présence de M. D..., de la commune de Saint-Sardos et de la CPAM du Tarn.

Article 3 : L'expert aura pour mission :

1°) de prendre connaissance du dossier médical et de tous documents relatifs aux conséquences dommageables de l'accident du 5 novembre 2014, et d'examiner M. D... ;

2°) de décrire les conséquences dommageables de l'accident et les traitements dont M. D... a fait l'objet ;

3°) de dire si l'état de santé de M. D... en lien avec l'accident a entraîné un déficit fonctionnel temporaire, et d'en préciser les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux ;

4°) de dire si l'état de santé de M. D... en lien avec l'accident peut être considéré comme consolidé ; de préciser s'il subsiste un déficit fonctionnel permanent, et dans l'affirmative d'en fixer le taux ;

5°) de dire si l'état de santé de M. D... en lien avec l'accident a justifié ou justifie l'aide d'une tierce personne ; de fixer les modalités, la qualification et la durée de cette intervention ;

6°) de préciser les frais liés au handicap nécessités par l'accident et ses conséquences ;

7°) de donner son avis sur la répercussion de l'incapacité médicalement constatée sur l'activité professionnelle de M. D..., et le cas échéant sur la nécessité d'un changement d'emploi et d'une réadaptation à une nouvelle activité professionnelle ;

8°) de donner son avis sur l'existence de préjudices personnels en lien avec l'accident (souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice d'agrément), et le cas échéant d'en évaluer l'importance ;

9°) dans l'hypothèse où les préjudices pourraient être partiellement imputables à une infection nosocomiale, de distinguer la part imputable à cette infection de celle résultant des seules conséquences de la fracture et de son traitement.

Article 4 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé.

Article 5 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Après avoir prêté serment,

il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable de la présidente de la cour.

Article 6 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe sous forme dématérialisée dans le délai fixé par la présidente de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 7 : La commune de Saint-Sardos est condamnée à verser à M. D... une provision

de 2 000 euros.

Article 8 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... D..., à la commune de Saint-Sardos et à la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme I... F..., présidente,

Mme A... C..., présidente-assesseure,

Mme B... E..., conseillère.

Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.

La rapporteure,

Anne C...

La présidente,

Catherine F...La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au préfet de Tarn-et-Garonne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

5

N° 18BX02940


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX02940
Date de la décision : 03/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Instruction - Moyens d'investigation - Expertise - Recours à l'expertise.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages sur les voies publiques terrestres - Entretien normal - Chaussée.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : ALBAREDE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-11-03;18bx02940 ?
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