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05/11/2020 | FRANCE | N°20BX00941

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 05 novembre 2020, 20BX00941


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête n° 1902849 M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler la décision du 14 juin 2019 par laquelle la préfète de la Vienne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a délivré une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement, d'autre part, d'enjoindre à la préfète de la Vienne de lui délivrer le titre de séjour sollicité, ou à défaut de réexaminer sa demande, dans un d

élai de 45 jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et enfin, de mettr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête n° 1902849 M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler la décision du 14 juin 2019 par laquelle la préfète de la Vienne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a délivré une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement, d'autre part, d'enjoindre à la préfète de la Vienne de lui délivrer le titre de séjour sollicité, ou à défaut de réexaminer sa demande, dans un délai de 45 jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à son avocat sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une requête n° 1902850, Mme F... A... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler la décision du 14 juin 2019 par laquelle la préfète de la Vienne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a délivré une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement, d'autre part, d'enjoindre à la préfète de la Vienne de lui délivrer le titre de séjour sollicité, ou à défaut de réexaminer sa demande, dans un délai de 45 jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à son avocat sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1902849 et 1902850 du 13 février 2020, le tribunal administratif de Poitiers a annulé les arrêtés du 14 juin 2019 de la préfète de la Vienne, lui a enjoint de délivrer à M. et à Mme D... un titre de séjour " vie privée et familiale " dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser Me Gand, avocat des requérants, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Procédure devant la cour :

Par une requête n° 20BX00941, la préfète de la Vienne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de rejeter la demande de première instance présentée par Mme A... épouse D....

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal de Poitiers a estimé que son arrêté portait une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de Mme A... épouse D... car, malgré la durée de son séjour en France, celle-ci ne l'a jamais été de façon régulière. Elle n'a aucune famille en dehors de son époux qui a fait l'objet d'une mesure d'éloignement concomitante et n'est pas particulièrement bien intégrée dans la société française. Elle a des attaches dans son pays d'origine.

Par une requête n° 20BX0942, la préfète de la Vienne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de rejeter la demande de première instance présentée par M. D....

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal de Poitiers a estimé que son arrêté portait une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de M. D... car, malgré la durée de son séjour en France, celle-ci ne l'a jamais été de façon régulière. Il n'a aucune famille en dehors de son épouse qui a fait l'objet d'une mesure d'éloignement concomitante et n'est pas particulièrement bien intégré dans la société française. Il a des attaches dans son pays d'origine.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... B... ;

- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D..., de nationalité congolaise (République démocratique du Congo), nés respectivement le 8 juin 1965 et le 24 juin 1974, sont entrés irrégulièrement en France le 18 décembre 2002. Après le rejet de leur demande d'asile en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile du 30 janvier 2006, un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire leur a été opposé le 19 mai 2006, qui a été réitéré par un arrêté du préfet de la Vienne du 27 mai 2008 et par un autre arrêté du 30 janvier 2012. Ils ont contesté en vain la légalité de ces arrêtés devant les juridictions administratives. En 2013, ils ont demandé leur admission exceptionnelle au séjour en se prévalant d'une présence sur le territoire français de dix ans. Suite à l'avis défavorable émis par la commission du titre de séjour, l'autorité préfectorale a rejeté tacitement leur demande, leur faisant connaître ensuite les motifs de ses décisions par des courriers du 13 décembre 2013. Suite à de nouvelles demandes d'admission exceptionnelle au séjour déposées le 28 janvier 2016, la préfète de la Vienne les a implicitement rejetées. Par un jugement du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Poitiers a annulé ces dernières décisions et a enjoint à la préfète de la Vienne de réexaminer leur situation. Par des arrêtés en date du 14 juin 2019, la préfète de la Vienne leur a refusé la délivrance du titre sollicité et leur fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de renvoi. M. et Mme D... ont demandé l'annulation de ces arrêtés devant le tribunal administratif de Poitiers qui leur a donné gain de cause par un jugement n°1902849 et 1902850 du 13 février 2020. La préfète de la Vienne relève appel de ce jugement par deux requêtes distinctes.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 20BX00941 et 20BX00942 de la préfète de la Vienne présentent à juger des questions semblables et sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement

3. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

4. Pour annuler les arrêtés en litige, le tribunal administratif de Poitiers a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la CEDH, au motif notamment que M. et Mme D... étaient sur le territoire français depuis dix-sept ans, qu'ils démontraient avoir établis des liens personnels et être ainsi parfaitement intégrés et ne plus avoir d'attaches dans leur pays d'origine depuis que leurs deux enfants étaient décédés dans un accident de la circulation le 23 septembre 2011.

5.Toutefois, si M. et Mme D... résident en France depuis l'année 2002, il ressort des pièces du dossier qu'ils ont vécu la plus grande partie de leur vie dans leur pays d'origine, M. D... jusqu'à l'âge de 37 ans et son épouse jusqu'à l'âge de 28 ans. Par ailleurs, ils ne justifient pas à la date des arrêtés en litige d'une insertion professionnelle réussie en France, ni de leur insertion sociale, alors qu'ils ont fait l'objet de cinq refus d'admission au séjour, assortis de mesures d'éloignement non exécutées. En outre, ils ne font état d'aucune circonstance faisant obstacle à ce que leur cellule familiale se reconstitue dans leur pays d'origine. Ainsi, compte tenu de la durée et des conditions de leur séjour sur le territoire national, les arrêtés contestés n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ils ont été pris. Par suite, la préfète de la Vienne est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler les arrêtés en litige.

6. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens invoqués en première instance par M. et Mme D... à l'encontre de ces arrêtés.

7. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) ". L'article L. 312-2 du même code dispose que : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article L. 431-3. /L'étranger est convoqué par écrit au moins quinze jours avant la date de la réunion de la commission qui doit avoir lieu dans les trois mois qui suivent sa saisine ; il peut être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et être entendu avec l'assistance d'un interprète. (...) ". Aux termes de l'article R. 312-2 du même code : " Le préfet ou, à Paris, le préfet de police saisit pour avis la commission lorsqu'il envisage de refuser de délivrer ou de renouveler l'un des titres mentionnés aux articles L. 313-11, L. 314-11 et L. 314-12 à l'étranger qui remplit effectivement les conditions qui président à leur délivrance. /La commission est également saisie dans les cas prévus aux articles L. 313-14 et L. 431-3. /Cette demande d'avis est accompagnée des documents nécessaires à l'examen de l'affaire, comportant notamment les motifs qui conduisent le préfet à envisager une décision de retrait, de refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour, ainsi que les pièces justifiant que l'étranger qui sollicite une admission exceptionnelle au séjour réside habituellement en France depuis plus de dix ans.".

8. A la suite de l'annulation par le tribunal administratif de Poitiers dans ses jugements du 6 juin 2019 des décisions implicites nées du silence gardé par la préfète de la Vienne à leur demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée le 28 janvier 2016 et de l'injonction faite par le tribunal de réexaminer la situation de M. et Mme D..., la préfète de la Vienne devait prendre une nouvelle décision après une nouvelle instruction afin, notamment, de vérifier qu'aucune circonstance nouvelle, de fait ou de droit, n'avait modifié la situation de M. et Mme D.... Par ailleurs, il est constant que M. et Mme D... justifient résider habituellement en France depuis plus de dix ans. Or, l'autorité préfectorale n'a pas soumis leur demande pour avis à la commission du titre de séjour avant de prononcer les refus de séjour en litige, ce qui constitue une irrégularité.

9. Toutefois, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été, en l'espèce, privé d'une garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise.

10. Il ressort des pièces du dossier, qu'à la suite des demandes d'admission exceptionnelle au séjour que M. et Mme D... avaient présentées le 28 janvier 2016, l'autorité préfectorale a saisi la commission du titre de séjour qui a rendu un avis défavorable à leur régularisation le 5 octobre 2016. Si, postérieurement, la préfecture de la Vienne a sollicité à deux reprises les intéressés pour obtenir des pièces complémentaires et que M. et Mme D... ne se sont pas présentés à réunion de la commission du titre de séjour le 12 juin 2018, qui n'a pu de ce fait évaluer leur demande de titre de séjour, toutefois, M. et Mme D... font valoir que dans le cadre du réexamen de leur demande, en exécution du jugement du 6 juin 2019 du tribunal administratif de Poitiers, ils auraient porté à connaissance de la commission si elle avait été saisie des éléments nouveaux récents tenant à leur insertion professionnelle, notamment des contrats de travail qu'ils ont signés dès le 24 juin 2019. En l'espèce, la circonstance que la préfète de la Vienne n'a pas consulté la commission du titre de séjour à la suite de l'annulation par le tribunal administratif de Poitiers de précédents refus d'admission exceptionnelle au séjour les a donc privés d'une garantie. M. et Mme D... sont fondés à soutenir que le défaut de consultation de la commission du titre de séjour entache les arrêtés en litige d'irrégularité.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Vienne n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Poitiers a, par le jugement attaqué, annulé ses arrêtés du 14 juin 2019.

Sur les conclusions à fins d'injonction

12. Il y a lieu, eu égard aux motifs de l'annulation des arrêtés en litige et compte tenu du fait qu'aucun des autres moyens soulevés par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Poitiers n'est de nature à justifier qu'il soit fait droit à leurs conclusions aux fins d'injonction tendant à la délivrance d'un titre de séjour, il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Vienne de procéder au réexamen de leur demande d'admission exceptionnelle au séjour dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte. Par suite, il y a lieu d'annuler l'article 2 du jugement attaqué.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1902849 et 1902850 du 13 février 2020 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Vienne de procéder au réexamen de la demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par M. et Mme D... dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la préfète de la Vienne et le surplus des conclusions présentées par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Poitiers sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. G... D... et à Mme F... A... épouse D.... Copie en sera adressée à la préfète de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 28 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme E... H..., présidente-assesseure,

Mme C... B..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 5 novembre 2020.

Le rapporteur,

Déborah B...Le président,

Didier ARTUSLe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX00941, 20BX00942


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00941
Date de la décision : 05/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Déborah DE PAZ
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS GAND PASCOT

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-11-05;20bx00941 ?
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