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09/02/2021 | FRANCE | N°19BX01461

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 09 février 2021, 19BX01461


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... H... épouse I... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'ordonner une expertise médicale afin de déterminer les causes des troubles neurologiques qu'elle a présentés dans les suites de l'anesthésie péridurale réalisée lors de son accouchement

au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux le 25 octobre 2014, ainsi que d'évaluer ses préjudices.

Par un jugement n° 1704183 du 12 février 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :


Par une requête enregistrée le 11 avril 2019, Mme I..., représentée par la SELARL Coubris, Courtoi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... H... épouse I... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'ordonner une expertise médicale afin de déterminer les causes des troubles neurologiques qu'elle a présentés dans les suites de l'anesthésie péridurale réalisée lors de son accouchement

au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux le 25 octobre 2014, ainsi que d'évaluer ses préjudices.

Par un jugement n° 1704183 du 12 février 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 avril 2019, Mme I..., représentée par la SELARL Coubris, Courtois et associés, demande à la cour d'annuler ce jugement, d'ordonner

une expertise et de réserver les dépens.

Elle soutient que :

- elle a présenté des douleurs lombaires dès le 26 octobre 2014, lendemain de l'anesthésie péridurale, et un déficit sensitif des membres inférieurs dès le 27 octobre ; une IRM du 15 décembre 2014 a permis de confirmer le diagnostic d'arachnoïdite, et des examens ont mis en évidence une dénervation périnéale et des troubles de la sensibilité rectale ;

- les experts missionnés par la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI), qui n'ont pas exclu l'existence d'une affection iatrogène en lien avec la péridurale, ont estimé impossible d'établir un lien de causalité au motif qu'il n'y avait pas eu de difficulté lors de la pose de la péridurale, alors qu'aucun document du dossier médical ne précise les conditions de réalisation de cette anesthésie ;

- les experts se sont contredits en affirmant, d'une part, que les règles de l'art médical avaient été respectées alors qu'ils avaient relevé que la pose de la péridurale n'était pas décrite, et d'autre part, que si une infection était à l'origine de l'arachnoïdite, elle ne pourrait être qualifiée de nosocomiale en raison de l'infection urinaire à citobacter koresi, alors qu'aucun germe n'a jamais été retrouvé ;

- le CHU a manqué à son devoir d'information en s'abstenant de l'informer du risque que représentait l'anesthésie péridurale compte tenu de l'infection urinaire ; elle a ainsi perdu une chance de se soustraire à cet acte, ce qui était possible contrairement à ce qu'ont affirmé les experts ;

- les experts ont été très imprécis sur l'hypothèse la plus probable d'une arachnoïdite inflammatoire, retenue par le " staff " le 18 décembre 2014, en se bornant à indiquer qu'il y a concomitance entre la pose de la péridurale et les phénomènes neurologiques sans que l'on puisse établir un lien de causalité évident, alors qu'ils n'ont pas exclu la possibilité d'une affection iatrogène et qu'ils n'ont pas étudié la littérature relative à des cas de troubles comparables après un geste de type péridurale ou ponction lombaire ;

- elle a produit une analyse critique d'un neurologue concluant que l'arachnoïdite paraît imputable de façon directe, certaine et exclusive à la pose de l'anesthésie péridurale, dès lors qu'il existe une concordance de siège anatomique et de temps évolutif et qu'aucun antécédent neurologique n'existait ;

- elle est ainsi fondée à demander l'organisation d'une expertise afin d'éclairer les circonstances et causes exactes des troubles dont elle souffre, et d'évaluer ses préjudices.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 juin 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot, Ravaut et associés, conclut à titre principal au rejet de la requête, et à titre subsidiaire à ce qu'une expertise soit ordonnée.

Il fait valoir que :

- Mme I... ne démontre pas davantage en appel qu'en première instance l'utilité d'une nouvelle mesure d'expertise ;

- à titre subsidiaire, si la cour estime nécessaire d'ordonner une expertise, il conviendra que l'expert puisse évaluer l'existence éventuelle d'un manquement afin de lui permettre d'exercer un recours contre l'établissement hospitalier.

Par un mémoire enregistré le 28 août 2019, la CPAM de la Gironde, représentée

par l'AARPI CB2P, demande à la cour d'annuler le jugement du 12 février 2019 et d'ordonner une expertise.

Elle soutient qu'une nouvelle expertise est nécessaire, à confier à un neurologue,

et reprend l'argumentation de Mme I....

Par un mémoire en défense enregistré le 20 mars 2020, le CHU de Bordeaux, représenté par Me M..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les éléments produits par Mme I... ne remettent pas utilement en cause le rapport sur lequel le tribunal s'est fondé, de sorte qu'une nouvelle expertise n'est pas utile.

Mme I... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 août 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de Mme B... C..., rapporteure publique,

- et les observations de Me L..., représentant l'ONIAM et de Me G..., représentant la CPAM de la Gironde.

Considérant ce qui suit :

1. Le 24 octobre 2014 à 13 h 30, Mme I..., qui présentait un diabète gestationnel et une infection urinaire récidivante traitée depuis juillet 2014, a été admise au CHU de Bordeaux pour accoucher de son premier enfant. Elle a été installée en salle de travail à minuit,

une péridurale a été posée à 5 heures, une antibiothérapie a été mise en place en raison du contexte infectieux, et l'enfant est né à 11 h 29. Mme I... a présenté des douleurs lombaires avec paresthésies sans atteinte motrice le 26 octobre vers 9 heures, puis un déficit sensitif

des membres inférieurs est apparu le 27 octobre. Le 28 octobre, alors que l'infection urinaire

à citrobacter koseri persistait avec une température à 38,3 degrés malgré le traitement antibiotique, une imagerie par résonance magnétique (IRM) avec injection a montré un " aspect aspécifique d'arachnoïdite infectieuse ", et un électromyogramme a mis en évidence

des anomalies de conductions des ondes " F ". Si la poursuite de l'hospitalisation a permis

une évolution favorable de l'infection, les troubles neurologiques persistaient lors du retour

au domicile le 12 novembre avec une incontinence fécale, une hypoesthésie des deux fesses

et des paresthésies en regard des quatre derniers orteils des deux pieds. L'apparition de douleurs lombaires à type de décharges électriques dans les deux membres inférieurs, ainsi que

de douleurs à type de brûlures sur le haut des fesses, l'arrière des cuisses et les talons,

a nécessité deux nouvelles hospitalisations du 26 novembre au 5 décembre, puis du 13 au

26 décembre 2014, la seconde ayant été marquée par une admission en réanimation en raison d'une bradycardie consécutive à l'introduction d'une corticothérapie. Après la réalisation d'une ponction lombaire, le diagnostic d'arachnoïdite non infectieuse a été retenu comme le plus vraisemblable. Le 26 août 2015, Mme I... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) d'Aquitaine, laquelle a organisé une expertise dont le rapport, remis le 1er décembre 2015, conclut à l'absence de faute médicale et à l'impossibilité d'affirmer avec certitude

si les mécanismes de survenue des troubles sensitifs ont une origine infectieuse ou inflammatoire. Par un avis du 13 janvier 2016, la CCI a rejeté la demande de Mme I... aux motifs que les experts avaient exclu l'accident médical et l'infection nosocomiale, et estimé qu'il était impossible d'établir un lien évident avec une affection iatrogène en lien avec la péridurale réalisée le 24 octobre 2014. Mme I... a alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'expertise afin de déterminer les causes de ses troubles et d'évaluer ses préjudices. Elle relève appel du jugement du 12 février 2019 par lequel le tribunal a rejeté cette demande aux motifs que l'expertise réalisée à la demande de la CCI permettait de se prononcer en toute connaissance de cause sur une éventuelle action en responsabilité à l'encontre du CHU de Bordeaux, et que les experts avaient mené leur mission de manière objective et complète, alors même qu'ils n'avaient pas retenu de lien certain entre la péridurale et l'arachnoïdite.

2. Si les experts ont estimé que la concomitance entre la pose de la péridurale

et les phénomènes neurologiques ne permettait pas d'établir un lien de causalité évident entre l'acte d'anesthésie et les troubles, ils ont néanmoins relevé que les signes cliniques n'étaient liés ni à un état antérieur, ni à l'évolution de la pathologie initiale caractérisée par l'infection urinaire, et indiqué que la possibilité d'une affection iatrogène ne pouvait être formellement exclue. A la question de l'existence d'un éventuel accident médical, ils ont répondu qu'un aléa dont l'origine exacte, inflammatoire ou infectieuse, ne pouvait être précisée, avait eu des conséquences anormales au regard de l'évolution prévisible de l'état de la patiente. Ils ont ainsi laissé ouverte la possibilité d'un accident médical ou d'une affection iatrogène relevant d'une indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale. Mme I... a produit en première instance les conclusions d'un professeur émérite de neurologie selon lesquelles l'arachnoïdite du cône terminal de la moelle et des racines de la queue de cheval serait imputable de façon directe, certaine et exclusive à la pose de l'anesthésie péridurale. Cette appréciation est fondée sur les constats d'une concordance anatomique, l'anesthésie consistant à introduire un cathéter souple et creux en regard du cône terminal et des racines de la queue de cheval, et de temps, les premiers troubles étant apparus moins de 24 heures plus tard. Mme I... produit en outre en appel des articles dont il résulte que l'arachnoïdite peut être une complication d'actes médicalement indiqués tels qu'une injection para-spinale ou une chirurgie dorsale, et font état de cas sévères apparus soit tardivement, soit de manière aiguë, en l'espace de 24 heures, après une seule ponction lombaire, une péridurale, une infiltration épidurale, une chirurgie, un traumatisme ou une infection virale. Dès lors que l'hypothèse de l'affection iatrogène ou de l'accident médical n'a pas été analysée par les experts, Mme I... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande au motif que la désignation d'un nouvel expert ne s'avérait pas utile et, par suite, à demander l'annulation de ce jugement.

3. Il y a lieu pour la cour, statuant par l'effet dévolutif de l'appel, d'ordonner l'expertise sollicitée ainsi qu'il est indiqué dans le dispositif du présent arrêt.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1704183 du 12 février 2019 est annulé.

Article 2 : Il sera procédé à une expertise médicale contradictoire par un expert spécialisé

en neurologie, en présence de Mme I... et de la CPAM de la Gironde d'une part, du CHU de Bordeaux et de l'ONIAM d'autre part.

Article 3 : L'expert aura pour mission :

1°) de prendre connaissance du dossier médical de Mme I..., du rapport de l'expertise

réalisée à la demande de la CCI par les professeurs Vallat et Terrier, ainsi que des observations critiques du professeur Henry, et d'examiner Mme I... ; de demander le cas échéant la réalisation des examens complémentaires qui paraîtraient utiles à la réponse aux questions posées ;

2°) de présenter les risques de l'anesthésie péridurale, leur gravité et leur fréquence, et de rechercher si Mme I... en a été informée lors de la consultation d'anesthésie

du 19 septembre 2014 ; de dire si l'état infectieux qu'elle présentait à son arrivée à la maternité le 24 octobre 2014 l'exposait à un risque accru de complications en lien avec cette anesthésie ; le cas échant, de préciser si une information particulière aurait dû lui être délivrée avant la pose de la péridurale, et de donner son avis sur l'existence d'une perte de chance de se soustraire à l'anesthésie péridurale en raison d'un défaut d'information sur les risques ;

3°) en s'appuyant sur la littérature médicale dont les références seront précisées, de présenter l'état des connaissances actuelles sur l'arachnoïdite ou syndrome de la queue de cheval et les mécanismes conduisant à sa survenance, en particulier dans les suites d'un acte médical ;

4°) après avoir exposé les conditions de l'apparition et l'évolution des troubles neurologiques de Mme I..., de donner son avis sur l'existence d'un lien de causalité entre ces troubles et la péridurale posée le 25 octobre 2014 ; de préciser si les troubles neurologiques peuvent être rattachés à une autre cause que la péridurale, notamment à un " mécanisme obstétrical " comme l'indique l'avis de la CCI du 13 janvier 2016 ; le cas échéant, d'expliciter ce " mécanisme " et de préciser s'il résulte du processus naturel de l'accouchement ou d'un geste médical ;

5°) de donner son avis sur l'origine infectieuse ou inflammatoire de l'arachnoïdite ; dans l'un ou l'autre cas, de dire si l'arachnoïdite est imputable à un défaut d'asepsie ou une erreur

dans le geste de pose de la péridurale, ou à tout autre manquement aux bonnes pratiques ;

6°) de décrire les troubles présentés par Mme I... et d'évaluer ses préjudices en lien exclusif avec l'arachnoïdite :

- de dire si l'état de santé de Mme I... a entraîné un déficit fonctionnel temporaire, et d'en préciser les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux ;

- de dire si l'état de santé de Mme I... peut être considéré comme consolidé ; de préciser s'il subsiste un déficit fonctionnel permanent, et dans l'affirmative d'en fixer le taux ;

- de dire si l'état de santé de Mme I... a justifié ou justifie l'aide d'une tierce personne ; de fixer les modalités, la qualification et la durée de cette intervention ;

- de préciser les frais liés au handicap ;

- de préciser la nature de la recherche d'activité professionnelle mentionnée par Mme I... au cours de la précédente expertise et de donner son avis sur la répercussion de l'incapacité médicalement constatée sur la possibilité d'exercer une activité professionnelle, avec ou sans lien avec la formation initiale de Mme I... ;

- de donner son avis sur l'existence de préjudices personnels en lien avec la pathologie (souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice d'agrément, préjudice sexuel), et le cas échéant d'en évaluer l'importance ;

- d'apporter tous autres éléments estimés utiles à l'évaluation des préjudices de Mme I....

Article 4 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressée.

Article 5 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Après avoir prêté serment,

il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 6 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code

de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans le délai fixé par la présidente de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec l'accord de ces dernières, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... H... épouse I..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021 à laquelle siégeaient :

Mme N... K..., présidente,

Mme A... F..., présidente-assesseure,

Mme D... J..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.

La rapporteure,

Anne F...

La présidente,

Catherine K...La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

3

N° 19BX01461


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01461
Date de la décision : 09/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-04-02-02-01 Procédure. Instruction. Moyens d'investigation. Expertise. Recours à l'expertise.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : CABINET COUBRIS, COURTOIS et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-02-09;19bx01461 ?
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