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11/03/2021 | FRANCE | N°19BX00301

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 11 mars 2021, 19BX00301


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser une somme de 168 277,12 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa prise en charge, le 2 mai 2016, à l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué.

Par un jugement n° 1700993 du 20 novembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à lui verser une somme de 3 159 euros en réparation de ses préjudices.

Procédure devant la cour :

Par une

requête et des mémoires, enregistrés le 21 janvier 2019, le 30 novembre 2020 et le 7 janvier ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser une somme de 168 277,12 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa prise en charge, le 2 mai 2016, à l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué.

Par un jugement n° 1700993 du 20 novembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à lui verser une somme de 3 159 euros en réparation de ses préjudices.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 21 janvier 2019, le 30 novembre 2020 et le 7 janvier 2021, M. E..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 20 novembre 2018 en tant que le tribunal administratif de Bordeaux a limité à la somme de 3 159 euros l'indemnité qu'il a condamné l'Etat à lui verser en réparation de ses préjudices ;

2°) de porter à la somme de 168 277,12 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros, à verser à son conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges se sont bornés à retenir l'existence d'un retard de diagnostic en raison de l'absence d'une radiographie de contrôle post-opératoire alors qu'un médecin lui a indiqué, à tort, que cette opération était anodine sans lui signaler les difficultés susceptibles de survenir compte tenu de sa dentition, notamment le risque de fracture de la mandibule qui s'est réalisé, et qu'il n'a été procédé à l'extraction que de deux dents sur les quatre qui devaient être retirées ;

- s'il avait été informé des risques encourus de fracture de la mandibule et d'atteintes des nerfs, il aurait refusé l'opération, qui n'avait aucun caractère obligatoire ;

- l'ampleur des lésions qu'il a subies révèle l'existence d'un geste chirurgical fautif, ce que confirme le rapport d'expertise qui mentionne une prise en charge globale entachée de négligences fautives ;

- il a immédiatement signalé les douleurs dont il souffrait après l'opération et l'établissement de santé a également commis une faute en lui imposant de rentrer à son domicile sans procéder à une radiographie de contrôle préalablement ;

- il ne peut lui être reproché aucun manque de diligence pour signaler ses douleurs dans les jours ayant suivi l'opération alors qu'il les a signalées le jour même et qu'il n'en a pas été tenu compte ; il n'a pas reçu d'appel de l'établissement de santé le lendemain de l'intervention contrairement à ce que le ministère des armées a indiqué devant le tribunal ;

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que les fautes commises par l'établissement de santé ne sont à l'origine que d'un retard de consolidation, alors qu'elles doivent être regardées comme la cause de l'ensemble des préjudices qu'il a subis ;

- ses préjudices en lien avec ces fautes devront être évalués aux sommes suivantes :

o 12 000 euros au titre des souffrances endurées, qui doivent être évaluées à 4/7 et non à 3,5/7 comme retenu par l'expert ;

o 4 000 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire de 25 % ;

o 28 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent de 20 % ;

o 3 000 euros au titre du préjudice d'agrément lié aux difficultés de diction et de chant qui l'ont contraint à renoncer à animer des soirées ;

o 2 000 euros au titre du préjudice esthétique lié à l'affaissement de la joue droite ;

o 118 800 euros au titre de sa perte de gains professionnels ;

o 477,12 euros au titre des dépenses de santé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2020, la ministre des armées conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que les sommes demandées par M. E... soient réduites à de plus justes proportions.

Elle soutient que :

- l'information délivrée par l'établissement de santé était suffisante ;

- aucune faute n'a été commise au cours de l'opération de M. E... le 2 mai 2016 ;

- la fracture mandibulaire est une complication exceptionnelle qui s'analyse en un accident médical non fautif ;

- M. E... a manqué de diligence en n'appelant pas le service d'odontologie de l'établissement et en ne se rendant pas aux urgences pour signaler les douleurs dont il souffrait ;

- à supposer que l'existence d'une faute au cours de l'opération soit retenue, M. E... ne pourrait prétendre qu'aux sommes suivantes :

o 2 400,48 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;

o 5 500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 5 % ;

o 5 000 euros au titre des souffrances endurées ;

o 1 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

- le préjudice d'agrément et la perte de chance professionnelle dont se prévaut le requérant ne sont pas établis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... G...,

- les conclusions de Mme L... B..., rapporteure publique,

- et les observations de Me J..., représentant M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. E... a subi, le 2 mai 2016 à l'âge de 66 ans, une opération chirurgicale à l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué pour l'extraction de quatre dents de sagesse. Dans les suites immédiates de l'intervention, qui n'a permis l'extraction que de deux dents, M. E... a présenté d'importantes douleurs à la mâchoire et à la langue. Il a regagné son domicile le jour même après qu'une radiographie de contrôle ait été programmée le 8 juin 2016, mais face à la persistance de ses douleurs, l'intéressé a fait procéder à une radiographie anticipée le 17 mai 2016, qui a révélé une fracture de la mandibule droite à angle droit. M. E... a subi une nouvelle intervention le 31 mai 2016 à la polyclinique de Bordeaux Nord, au cours de laquelle la fracture a été réduite et une plaque d'ostéosynthèse a été installée. L'ablation de cette plaque a été effectuée lors d'une troisième intervention chirurgicale le 2 février 2017. Imputant à l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué des fautes dans la réalisation de l'intervention du 2 mai 2016, M. E... a, par un courrier du 5 octobre 2016, formé une demande d'indemnisation préalable auprès du ministre de la défense, qui a été rejetée par une décision implicite. L'intéressé a alors sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux une expertise médicale. L'expert désigné a remis son rapport le 23 janvier 2018. M. E... relève appel du jugement du 20 novembre 2018 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a limité à 3 159 euros la somme qu'il a condamné l'Etat à lui verser en réparation de ses préjudices. Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 152,76 euros par une ordonnance du 26 janvier 2018 du président du tribunal administratif de Bordeaux ont été mis à la charge de l'Etat par les premiers juges.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen (...) ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

3. M. E... soutient pour la première fois en appel qu'il n'a pas reçu une information complète sur les risques encourus. Pour démontrer que ce dernier a reçu, avant l'intervention réalisée le 2 mai 2016, une information conforme aux prescriptions légales, la ministre des armées fait valoir que l'intéressé a signé, le jour même de l'opération, un document intitulé " Reconnaissance d'informations données aux patients et consentement éclairé ". Par la signature de ce document, produit au dossier, M. E... a notamment attesté qu'il lui a été " clairement indiqué la nature et le but de l'intervention chirurgicale qui sera pratiquée, les suites habituelles, l'inconfort possible qu'elle est susceptible d'entraîner, ainsi que les risques et complications potentiels liés à cette chirurgie et à son état de santé ", qu'il a " eu la possibilité de poser des questions et que le chirurgien y a répondu de façon complète et satisfaisante ", qu'il a " bien compris les réponses qui lui ont été fournies " et " qu'ayant reçu une information loyale, claire et appropriée à son état, il donne son consentement pour que soit réalisée l'intervention prévue ". Les termes dans lesquels ce document est rédigé ne suffisent pas à démontrer, il est vrai, que M. E... a effectivement reçu une information complète sur les risques qu'entraînait l'opération envisagée, et notamment celui de fracture de la mandibule. Ce document permet toutefois de démontrer que, conformément aux dispositions précitées, un entretien a eu lieu avant l'intervention, au cours duquel M. E..., qui est lui-même médecin, a été mis à même d'interroger le praticien qui allait l'opérer afin de prendre une décision éclairée. L'expert désigné par le tribunal a, en outre, indiqué que la prise en charge de M. E... au sein de l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué a été consciencieuse dans sa phase préopératoire, avec information et consentement éclairé. Dans ces conditions, le moyen ne peut qu'être écarté.

4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

5. Ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, la circonstance que seulement deux dents, au lieu des quatre prévues, aient été retirées au cours de l'intervention du 2 mai 2016 compte tenu des difficultés rencontrées par le chirurgien, n'est pas susceptible de caractériser une faute de l'établissement de santé.

6. M. E... expose que l'opération du 2 mai 2016 a été la cause d'une fracture de l'angle mandibulaire droit, d'une lésion du nerf alvéolaire inférieur droit ainsi que d'une atteinte du nerf lingual à gauche et soutient que ces séquelles révèlent nécessairement un geste chirurgical particulièrement violent, grossier et maladroit. Toutefois, l'expert désigné par le tribunal, qui n'a relevé aucun geste fautif au cours de l'intervention, a précisé que les douleurs neurologiques et névralgiques, les oedèmes et hématomes et même exceptionnellement les fractures maxillaires font partie des complications opératoires décrites dans la littérature médicale pour ce type d'opération. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué aurait commis une faute au cours de l'intervention du 2 mai 2016.

7. Il résulte en revanche de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué a demandé à M. E..., qui a immédiatement signalé d'intenses douleurs et qui indique avoir fait part de son souhait de rester en observation, de regagner son domicile le jour même de l'intervention, dont le déroulement s'est révélé particulièrement difficile, sans avoir préalablement procédé à une radiographie de contrôle. Une telle abstention présente, dans les circonstances de l'espèce, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, un caractère fautif. La ministre des armées fait valoir que M. E... n'a pas répondu à l'appel de l'hôpital le lendemain de l'intervention et qu'il ne s'est pas rendu aux urgences dans les jours suivant l'opération, mais elle ne conteste pas l'existence d'une telle faute, à l'origine d'un retard de diagnostic, et n'a pas présenté de conclusions par la voie de l'appel incident.

Sur l'indemnisation des préjudices :

8. M. E... soutient que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des dépenses de santé restées à sa charge. Toutefois, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, il ne résulte pas de l'instruction que l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué aurait commis une faute qui serait à l'origine de la fracture de la mandibule dont il a souffert. L'absence de radiographie de contrôle avant sa sortie de l'établissement n'est à l'origine, ainsi que les premiers juges l'ont retenu, que d'un retard de diagnostic de cette fracture, laquelle aurait, en toute hypothèse, nécessité que l'intéressé expose les frais pour lesquels il demande une indemnisation. Par suite, faute de lien de causalité entre les dépenses de santé de M. E... et la faute commise par l'établissement de santé, cette demande ne peut qu'être rejetée.

9. Il résulte de l'instruction que M. E... a signé, le 24 avril 2016, un contrat de travail à durée déterminée pour occuper, au Liban, un poste de médecin coordinateur et organisateur des services au Khoury General Hospital du 1er juin 2016 au 30 mai 2019. Il sollicite l'indemnisation d'une perte de gains professionnels dès lors que son état de santé l'a conduit à renoncer à un tel contrat. Toutefois, ainsi que l'a jugé le tribunal, le retard de diagnostic qui résulte de la faute commise par l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué ne saurait être regardé comme étant à l'origine d'un tel état de santé mais, tout au plus, d'un retard de consolidation de quelques semaines. Dans ces conditions, à défaut de lien de causalité entre la faute commise par l'établissement de santé et le préjudice dont se prévaut le requérant, la demande présentée par M. E... à ce titre doit être rejetée.

10. Le retard de diagnostic dont la faute commise par l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué est à l'origine se limite à la période comprise entre le 2 et le 17 mai 2016, date à laquelle la fracture de la mandibule dont souffrait M. E... a été diagnostiquée au bénéfice d'une radiographie de contrôle anticipée, réalisée à sa propre initiative. Ainsi, le requérant ne saurait demander que la somme de 159 euros qui lui a été allouée par le tribunal au titre du déficit fonctionnel temporaire dont il a souffert du 2 mai 2016 au 8 juin 2016, date à laquelle l'établissement de santé avait initialement programmé une radiographie de contrôle, soit majorée.

11. Le tribunal n'a pas fait une insuffisante évaluation des souffrances endurées par M. E..., globalement évaluées par l'expert à un degré de 3,5 sur une échelle de 7, à raison du seul retard de diagnostic imputable à l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué en lui allouant une somme de 3 000 euros à ce titre.

12. Si M. E... soutient que c'est à tort que les premiers juges ont refusé d'indemniser son préjudice esthétique, son déficit fonctionnel permanent et son préjudice d'agrément alors que l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué a commis une faute à l'origine de la fracture de la mandibule dont il a souffert, une telle faute ne résulte pas de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 6. Dans ces conditions, la demande présentée au titre de ces préjudices, lesquels ne présentent pas de lien de causalité avec le retard de diagnostic résultant de la faute commise par l'établissement de santé, doit être rejetée.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a limité à 3 159 euros la somme qu'il a condamné l'Etat à lui verser en réparation de ses préjudices. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... E..., à la ministre des armées et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.

Copie en sera adressée au Dr Burgaud, expert.

Délibéré après l'audience du 9 février 2021 à laquelle siégeaient :

Mme K... I..., présidente,

Mme A... D..., présidente-assesseure,

Mme C... G..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 mars 2021.

La rapporteure,

Kolia G...

La présidente,

Catherine I...

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX00301


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