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12/04/2021 | FRANCE | N°19BX03861

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 12 avril 2021, 19BX03861


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... C... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du ministre du travail prise le 14 février 2014, retirant sa décision implicite du 16 décembre 2013, annulant la décision de l'inspecteur du travail du 31 juillet 2013 et autorisant son licenciement.

Par un jugement n°1401097 du 13 octobre 2015, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du ministre du travail du 14 février 2014.

Procédure initiale devant la cour :

Par une requête, enregistrée

le 11 décembre 2015, la SARL Triangle Propreté, représentée par Me H..., demandait à la cour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... C... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du ministre du travail prise le 14 février 2014, retirant sa décision implicite du 16 décembre 2013, annulant la décision de l'inspecteur du travail du 31 juillet 2013 et autorisant son licenciement.

Par un jugement n°1401097 du 13 octobre 2015, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du ministre du travail du 14 février 2014.

Procédure initiale devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 décembre 2015, la SARL Triangle Propreté, représentée par Me H..., demandait à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 13 octobre 2015 ;

2°) de rejeter la demande de première instance formée par Mme C... ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le principe du contradictoire n'a pas été méconnu au détriment de Mme C..., la procédure d'enquête contradictoire n'ayant dès lors pas été irrégulière ;

- le signataire de la décision attaquée n'était pas incompétent ; il bénéficiait d'une délégation de signature régulière ;

- le retrait de sa décision implicite de rejet par le ministre n'était pas illégal ;

- les faits reprochés à Mme C... étaient d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement ;

- le licenciement de Mme C... était dépourvu de tout lien avec son mandat ; celle-ci n'a été victime d'aucune discrimination.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2016, Mme C..., représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SARL Triangle Propreté la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.lle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la SARL Triangle Propreté n'est fondé et réitère ses moyens de première instance, tirés de ce que l'auteur de l'acte était incompétent, le principe du contradictoire avait été méconnu, le retrait de la décision implicite de rejet était illégal, les faits reprochés n'étaient pas suffisamment graves pour justifier le licenciement, ce licenciement étant en rapport avec ses mandats.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2017, le ministre du travail conclut, au soutien de la requête de la société Triangle Propreté, à l'annulation du jugement et au rejet de la demande de Mme C.... Il soutient notamment que le contradictoire avait été respecté dès lors qu'il avait adressé à Mme C... une copie du recours hiérarchique ainsi que de la liste des pièces qui lui étaient jointes.

Par un arrêt n° 15BX03959 du 16 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté la requête de la SARL Triangle Propreté et mis à sa charge la somme de 2 000 au titre des frais engagés par Mme C... non compris dans les dépens.

Par une décision n° 416568 du 14 octobre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la SARL Triangle Propreté, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :

Par un mémoire enregistré le 24 mars 2020, la SARL Triangle Propreté, représentée par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1401097 du tribunal administratif de Pau du 13 octobre 2015 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme C... ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le principe du contradictoire n'a pas été méconnu au détriment de Mme C... et la procédure d'enquête contradictoire n'a pas été irrégulière ;

- le signataire de la décision attaquée n'était pas incompétent, il bénéficiait d'une délégation de signature régulière ;

- le retrait de sa décision implicite de rejet par le ministre n'était pas illégal ;

- les faits reprochés à Mme C... étaient d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement ; le licenciement de Mme C... était dépourvu de tout lien avec son mandat ; celle-ci n'a été victime d'aucune discrimination ;Par une ordonnance du 17 janvier 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 avril 2020 à midi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... F...,

- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,

- et les observations de Me H... représentant la Sarl Triangle Propreté.

Considérant ce qui suit :

1. Mme G... C... a été engagée par la société Samsic en qualité d'agent de propreté dans le cadre d'un contrat de travail à temps partiel. Le 1er janvier 2006, la société Triangle Service a repris le marché de nettoyage sur lequel elle était affectée. Le 29 janvier 2013, la SARL Triangle Propreté a repris l'activité de la société Triangle Service, placée en redressement judiciaire au cours du mois d'août 2012, par jugement du tribunal de commerce de Pau. Par courrier du 9 juillet 2013, la SARL Triangle Propreté a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier Mme C..., déléguée syndicale, déléguée du personnel titulaire et membre du comité d'entreprise. Par une décision du 31 juillet 2013, l'inspecteur du travail de la 8ème section des Pyrénées-Atlantiques a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée, aux motifs que les faits reprochés à Mme C... ne présentaient pas une gravité suffisante et qu'il existait un lien entre ce licenciement et les mandats détenus par l'intéressée. Saisi d'un recours hiérarchique par l'employeur, le ministre du travail a, par une décision du 14 février 2014, retiré sa décision implicite née du silence gardé sur le recours formé par la société, annulé la décision de l'inspecteur du travail et accordé l'autorisation de licencier Mme C.... Par un jugement du 13 octobre 2015, le tribunal administratif de Pau a annulé cette décision du ministre du travail. Par un arrêt du 16 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté la requête de la SARL Triangle Propreté tendant à l'annulation de ce jugement. Cette dernière s'est pourvue en cassation contre cet arrêt. Par une décision du 14 octobre 2019, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt et renvoyé l'affaire à la cour.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, aujourd'hui codifiées aux articles L. 121-1, L. 122-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative compétente pour adopter une décision individuelle entrant dans leur champ de mettre elle-même la personne intéressée en mesure de présenter des observations. Il en va de même, à l'égard du bénéficiaire d'une décision, lorsque l'administration est saisie par un tiers d'un recours gracieux ou hiérarchique contre cette décision. Ainsi le ministre chargé du travail, saisi, sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, d'un recours contre une décision autorisant ou refusant d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé, doit mettre le tiers au profit duquel la décision contestée a créé des droits - à savoir, respectivement, l'employeur ou le salarié protégé - à même de présenter ses observations, notamment par la communication de l'ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision.

3. Il ressort des pièces du dossier que par un premier courrier du 29 août 2013, la directrice adjointe du travail auprès de la DIRECCTE Aquitaine a informé Mme C... de ce que la SARL Triangle Propreté avait formé un recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail en date du 31 juillet 2013 ayant rejeté la demande d'autorisation de licenciement la concernant. Ce courrier, auquel était joint une copie du recours hiérarchique, convoquait par ailleurs l'intéressée à un entretien le jeudi 10 octobre 2013, afin de l'entendre sur la mesure de licenciement envisagée à son encontre. Puis, par un courrier du 7 janvier 2014, le ministre du travail a informé Mme C... de ce qu'il envisageait de procéder au retrait de sa décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique, née le 16 décembre 2013. Il a par ailleurs joint à ce courrier, outre une nouvelle copie du recours hiérarchique introduit par la SARL Triangle Propreté, une copie de la liste des pièces qui lui étaient jointes, en indiquant à l'intéressée qu'elle pouvait prendre connaissance de tout ou partie de ces pièces. Si Mme C... a soutenu qu'elle n'a pas été mise à même de prendre connaissance des lettres de licenciement d'autres salariés de l'entreprise ayant refusé d'accepter une affectation sur un nouveau poste, il n'est toutefois pas établi, ni même allégué, que le ministre du travail aurait été en possession de ces documents, les termes de sa décision ne permettant pas davantage de conclure qu'il se serait fondé sur des éléments tirés de leur contenu pour retenir que le licenciement de l'intéressé était sans rapport avec ses mandats. Dans ces conditions, Mme C... a eu communication de l'ensemble des éléments sur lesquels s'est fondé le ministre dans un délai suffisant pour lui permettre de présenter utilement ses observations. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Pau a jugé que la procédure mise en oeuvre par le ministre du travail était entachée d'une irrégularité substantielle et a, pour ce motif, annulé sa décision du 14 février 2014 par laquelle il a, d'une part, retiré sa décision implicite rejetant le recours contre la décision du 31 juillet 2013 de l'inspecteur du travail et, d'autre part, annulé cette décision du 31 juillet 2013 et autorisé le licenciement de Mme C....

4. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens invoqués par Mme C... à l'appui de sa demande d'annulation de la décision du ministre du travail du 14 février 2014.

Sur la légalité de la décision du 14 février 2014 :

En ce qui concerne la légalité externe :

5. La décision contestée a été signée par M. D... A..., directeur adjoint du travail, chef du bureau des recours, du soutien et de l'expertise juridiques à la direction générale du travail. En application de l'article 1er de la décision du 18 janvier 2012, régulièrement publiée au Journal officiel de la République française du 5 février suivant et modifiant l'article 15 de la décision du 31 août 2006 portant délégation de signature, et toujours en vigueur à la date de la décision attaquée, M. D... A... a reçu délégation à l'effet de signer, au nom du ministre chargé du travail, tous actes et décisions dans la limite des attributions du bureau des recours, du soutien et de l'expertise juridique, à l'exception des décrets. Il ressort par ailleurs de l'arrêté du 22 août 2006 relatif à l'organisation de la direction générale du travail que le département du soutien et de l'appui au contrôle est composé du bureau des réseaux et des outils méthodologiques et du bureau des recours, du soutien et de l'expertise juridique et est notamment chargé de l'instruction des recours hiérarchiques et contentieux relatifs aux licenciements des salariés protégés. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

7. Par sa décision du 31 juillet 2013, l'inspecteur du travail a rejeté la demande d'autorisation de licenciement concernant Mme C... aux motifs, d'une part que les faits reprochés à l'intéressée ne présentaient pas une gravité suffisante et, d'autre part, que cette demande présentait un lien avec les mandats détenus par l'intéressée.

8. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 8261-1 du code du travail que : " Aucun salarié ne peut accomplir des travaux rémunérés au-delà de la durée maximale du travail, telle qu'elle ressort des dispositions légales de sa profession. ". L'article L. 8261-2 du même code dispose par ailleurs que : " Nul ne peut recourir aux services d'une personne qui méconnaît les dispositions de la présente section. ".

9. Par ailleurs, l'exécution d'une prestation de travail réelle et effective, sous la subordination de l'employeur, constitue l'obligation essentielle du salarié.

10. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, par un contrat de travail à durée indéterminée du 2 janvier 2006, Mme C... a été recrutée par la société Triangle Service pour travailler auprès de l'établissement Daher Lhotellier 69,33 heures par mois, soit de 10h à 10h30 les mardis et jeudis, et de 10h30 à 13h30 les cinq autres jours de la semaine, sur le site de Mérignac. La société Triangle Service ayant cessé de travailler avec ce client à compter du 1er mars 2006, elle a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de transférer Mme C... à l'entreprise ayant repris le contrat, ce qui lui a été refusé. Tout en maintenant le salaire de Mme C..., elle lui a proposé, à la fin de l'année 2006, puis au cours des années 2008 et 2011, différentes affectations auprès de sociétés clientes, pour un horaire mensuel de 69,33 heures, les horaires de travail étant toutefois différents de ceux prévus dans le contrat de travail du 2 janvier 2006. Mme C... a refusé chacune de ses propositions. A la suite du placement en redressement judiciaire de la société Triangle Service, au cours de l'année 2012, le tribunal de commerce a, par un jugement du 29 janvier 2013, ordonné sa cession totale à la société PROGIM, à laquelle s'est substituée la SARL Triangle Propreté, dont elle était associée, pour l'exécution du plan de cession. Le contrat de travail de Mme C... a donc été repris par cette dernière à compter du 1er mars 2013. Par courrier du 30 mars 2013, la SARL Triangle Propreté a proposé à Mme C... d'être affectée auprès du CDEO de Mérignac, cinq jours par semaine de 10h00 à 13h00, soit une durée mensuelle de travail de 65h00, sa rémunération étant maintenue à hauteur de 69,33 heures mensuelles, en application du contrat de travail. L'intéressée a refusé cette proposition par deux courriers successifs des 4 et 9 avril 2013, au motif notamment qu'elle travaillait auprès d'autres employeurs et n'était pas disponible aux horaires proposés. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 avril suivant, la société l'a mise en demeure de lui communiquer tout document permettant d'établir le temps de travail mensuel effectué auprès d'autres employeurs. Mme C... n'a pas répondu à cette demande.

11. La proposition de travail refusée par Mme C... était conforme aux stipulations de son contrat de travail en date du 2 janvier 2006, s'agissant tant de la durée et du lieu de travail, que de la rémunération versée à ce titre, et ne constituait dès lors pas une modification dudit contrat mais seulement un changement des conditions de travail de l'intéressée. Par suite, le refus de Mme C... d'accepter un tel changement dans ses conditions de travail, décidé par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction, présente un caractère fautif. Il en va de même du refus de communiquer à la SARL Triangle Propreté la durée hebdomadaire de travail effectuée auprès d'autres employeurs, au regard des dispositions précitées des articles L. 8261-1 et L. 8261-2 du code du travail. Les fautes ainsi commises par Mme C... doivent être regardées comme l'expression réitérée de l'intéressée de se soustraire aux obligations fondamentales d'un salarié, tant légales que contractuelles. Elles revêtent par suite un caractère de gravité suffisant pour justifier son licenciement.

12. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5, le licenciement d'un salarié protégé ne peut être autorisé s'il est en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. A ce titre, l'article R. 2421-7 du code du travail prévoit que, saisis d'une demande d'autorisation de licencier un salarié protégé, " l'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé ". Il appartient ainsi à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du travail, d'opérer un tel contrôle au regard des circonstances de fait et de droit prévalant à la date de leur décision, y compris lorsqu'ils se prononcent à nouveau sur une demande d'autorisation après l'annulation d'une première décision refusant d'y faire droit. Il en va ainsi même lorsque le refus d'autorisation qui a été annulé reposait sur l'existence d'un lien entre la demande de licenciement et les mandats du salarié et que l'annulation contentieuse se fonde sur l'absence d'un tel lien.

13. Dans sa décision du 31 juillet 2013, l'inspecteur du travail fait état des difficultés rencontrées par Mme C..., au cours de l'année 2011, d'une part à l'occasion des réunions des délégués du personnel, ainsi que dans le cadre du fonctionnement du comité d'entreprise et de la création du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, et, d'autre part, pour le paiement de ses heures de délégation et pour obtenir communication de la liste des chantiers sur lesquels travaillaient des salariés de l'entreprise. Toutefois, et outre que de telles difficultés, à les supposer toutes établies, ne suffisent pas à caractériser l'existence d'un comportement discriminatoire de l'employeur à l'égard de l'intéressée, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces difficultés auraient perduré après 2011, jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. L'inspecteur du travail fait également état, d'une part des liens tendus existant entre l'employeur de Mme C... et le syndicat auquel elle appartient et, d'autre part, de ce que la gérante de la société Triangle Service a ensuite exercé les fonctions de responsable des ressources humaines au sein de la SARL Triangle Propreté, a représenté l'employeur lors de l'entretien préalable du 21 mai 2013 et a présidé les réunions du comité d'entreprise des 21 mai 2013 et 31 juillet 2013 au cours desquelles a été examiné le licenciement envisagé à l'égard de Mme C.... Toutefois, ces circonstances ne permettent pas davantage d'établir l'existence d'un rapport entre ledit licenciement et les fonctions de représentation exercées par l'intéressée.

14. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que Mme C... a déclaré 48 heures de délégation pour le mois de mars 2013, dont 15 heures au titre de son activité de déléguée syndicale, 15 heures au titre de son activité de déléguée du personnel et 18 heures au titre de son activité de membre du comité d'entreprise. Par courrier recommandé avec accusé réception du 18 avril suivant, la SARL Triangle Propreté a indiqué à Mme C... qu'elle bénéficiait, au titre de ses activités de déléguée syndicale, d'un crédit de 10 heures par mois, et non de 15, l'effectif de la société étant inférieur à 150 salariés, et lui a par ailleurs demandé de lui " apporter des précisions sur la nature des activités exercées " pendant ces heures de délégation. Mme C... n'a pas répondu à cette demande et, pour le mois d'avril, a déclaré 45 heures de délégation, dont 10 heures au titre de son activité de déléguée syndicale, 20 heures au titre de son activité de déléguée du personnel et 15 heures au titre de son activité de membre du comité d'entreprise, sans apporter la moindre précision quant aux activités réalisées dans ce cadre. Par courrier du 2 mai suivant, la société a réitéré sa demande de précisions quant à la nature de ces activités. Ayant constaté le 9 mai que la SARL Triangle Propreté ne lui avait versé, pour le mois d'avril, que son seul salaire, à l'exception de la rémunération correspondant aux heures de délégation déclarées, Mme C... a, par un courrier du même jour, demandé à la société de procéder à ce versement. Dans ce même courrier, elle décrivait sommairement les activités exercées à ce titre dans des termes très généraux. La SARL Triangle Propreté lui a alors adressé un nouveau courrier, le 29 mai 2013, dans lequel elle indiquait avoir payé la rémunération correspondant aux heures de délégation déclarées pour le mois d'avril et lui demandait d'apporter plus de précisions sur les activités réalisées à ce titre.

15. Contrairement à ce qu'a considéré l'inspecteur du travail, les démarches ainsi mises en oeuvre par l'employeur de Mme C... s'inscrivent dans le cadre de son droit légitime de s'assurer que les dépenses engagées pour permettre à l'intéressée d'exercer ses fonctions représentatives l'ont bien été à cette fin et ne permettent pas d'établir l'existence de pratiques discriminatoire à l'égard de celle-ci.

16. Enfin, les circonstances, relevées par l'inspecteur du travail, que la réunion mensuelle des délégués du personnel de l'entreprise aurait été fixée à 8h30 du matin, au lieu de 13h30 au préalable, et que la SARL Triangle Propreté aurait refusé à plusieurs reprises de communiquer à Mme C..., la liste de l'ensemble des chantiers sur lesquels elle fait intervenir ses salariés, ne permettent pas davantage d'établir l'existence de telles pratiques. A cet égard, la réunion susmentionnée, qui ne se produit qu'une fois par mois ne concerne pas seulement Mme C... mais l'ensemble des délégués du personnel. Quant à la liste des chantiers de l'entreprise, il n'apparaît pas que, contrairement à ce que soutient Mme C..., elle lui soit nécessaire pour lui permettre de rencontrer les salariés de l'entreprise.

17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la mesure de licenciement envisagée à son égard présentait un lien avec ses fonctions représentatives.

18. En troisième lieu, en vertu des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente. Un silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre sur un tel recours vaut décision de rejet. Toutefois, s'agissant des refus implicites nés avant l'entrée en vigueur, le 1er juin 2016, de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, le ministre peut, par une décision expresse prise dans le délai de recours contentieux contre cette décision de rejet, retirer sa décision implicite de rejet si celle-ci est illégale et faire droit au recours hiérarchique par une décision expresse.

19. Comme il a été dit, la demande de la SARL Triangle Propreté tendant à être autorisée à licencier Mme C... a été rejetée par une décision de l'inspecteur du travail du 31 juillet 2013. Le recours hiérarchique formé par la société contre cette décision a fait l'objet d'un rejet implicite né le 16 décembre 2013, après expiration du délai de quatre mois fixé à l'article R. 2422-1 du code du travail. Sa décision de rejet implicite du recours hiérarchique étant illégale pour ne pas avoir annulé la décision de rejet de l'inspecteur du travail dont aucun des deux motifs n'était fondé, le ministre a pu légalement, par la décision attaquée en date du 14 février 2014, intervenue dans le délai de recours contentieux, retirer cette décision implicite de rejet. Constatant que les conditions pour délivrer une autorisation de licenciement pour motif disciplinaire étaient remplies, il a pu à bon droit, par la même décision, accorder cette autorisation.

20. Il résulte de ce qui précède que la SARL Triangle Propreté est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du 14 février 2014 par laquelle le ministre du travail a, d'une part, procédé au retrait de sa décision implicite ayant rejeté son recours hiérarchique et, d'autre part, annulé la décision du 31 juillet 2013 de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de Mme C....

Sur les frais liés à l'instance :

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, à mettre à la charge de Mme C... une somme de 1 500 euros au titre des frais engagés par la SARL Triangle Propreté et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1401097 du 13 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du ministre du travail du 14 février 2014 est annulé.

Article 2 : La demande de Mme C... devant le tribunal administratif de Pau est rejetée.

Article 3 : Mme C... versera à la SARL Triangle Propreté une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Triangle Propreté, à Mme G... C... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 15 mars 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Brigitte Phémolant, présidente,

Mme Karine Buttéri, présidente-assesseure,

Mme E... F..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 avril 2021.

La présidente,

Brigitte Phémolant

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 19BX03861


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03861
Date de la décision : 12/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PHEMOLANT
Rapporteur ?: Mme Sylvie CHERRIER
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : AVOCADOUR JACQUOT-MARCHESSEAU LUCAS-SABIN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-04-12;19bx03861 ?
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