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14/06/2021 | FRANCE | N°18BX03315

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3eme chambre (formation a 3), 14 juin 2021, 18BX03315


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une somme de 96 536 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis résultant de l'illégalité fautive entachant l'arrêté du 27 août 2010 par lequel la préfète déléguée pour la défense et la sécurité de la zone de défense de la région Sud-Ouest l'a placée d'office en retraite pour invalidité non imputable au service à compter du 1er décembre 2010, assortie des intérêts au taux légal, eux-

mêmes capitalisés.

Par un jugement n° 1600580 du 25 juin 2018, le tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une somme de 96 536 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis résultant de l'illégalité fautive entachant l'arrêté du 27 août 2010 par lequel la préfète déléguée pour la défense et la sécurité de la zone de défense de la région Sud-Ouest l'a placée d'office en retraite pour invalidité non imputable au service à compter du 1er décembre 2010, assortie des intérêts au taux légal, eux-mêmes capitalisés.

Par un jugement n° 1600580 du 25 juin 2018, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi.

Procédure devant la cour :

Par une requête, sa régularisation et un mémoire complémentaire, enregistrés le 30 août 2018, le 14 septembre 2018 et le 22 septembre 2020, Mme E... C..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a limité la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros en réparation des préjudices subis ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 20 000 euros au titre de ses préjudices économique et professionnel, ainsi qu'une indemnité de 55 000 euros au titre de son préjudice moral, assorties des intérêts au taux légal à compter du 1er septembre 2015 ainsi que la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses supérieurs hiérarchiques ont eu un comportement fautif en tentant de l'évincer du service ; en effet, la demande initiale d'hospitalisation d'office, datée du 19 octobre 2005, ne reposant sur aucun certificat médical, l'autorité hiérarchique a été dans l'obligation de réitérer cette demande à l'appui d'un certificat médical émanant d'un médecin agréé par l'administration, en date du 15 novembre 2005, faisant référence à un péril imminent datant de plus d'un mois ; outre la qualification de faux en écriture, ladite demande d'hospitalisation d'office était préméditée et constituait une manoeuvre visant à la discréditer ; le recours au médecin agréé par l'administration plaçait ce dernier en situation de conflit d'intérêts ; le motif tiré de son intention de se venger de ses anciens collègues de travail ou de se suicider n'est pas démontré dès lors qu'elle établit que son déplacement à Paris le 13 octobre 2005 était motivé par une convocation en vue d'obtenir un brevet de technicien supérieur par la voie de la validation d'acquis, motif connu de sa hiérarchie qui ne s'y est pas opposée et du médecin-inspecteur du secrétariat général pour l'administration de la police de Toulouse ; les certificats médicaux qu'elle produit établissent que son hospitalisation d'office n'était pas justifiée, lesquels certificats contredisent les conclusions erronées du docteur Ginolhac, médecin expert ;

- ce comportement fautif justifie la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 55 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté la compétence du juge administratif dès lors que sa demande ne tendait pas à obtenir réparation des conséquences dommageables de l'hospitalisation d'office dont elle a fait l'objet mais des préjudices qu'elle a subis à raison des fautes commises par l'administration ayant entraîné son éviction du service pendant près de quatre ans ;

- elle a subi un préjudice de carrière, dès lors qu'elle a perdu une chance d'être promue au grade de brigadier-chef dans le cadre d'un déroulement normal de carrière ; son administration l'a maintenue à tort en congés de longue maladie, le tribunal administratif de Toulouse ayant annulé l'arrêté la plaçant dans cette position du 1er juin au 30 novembre 2008 ; son placement d'office à la retraite pour invalidité procède de la même volonté de l'évincer du service ; dans un courrier du 25 janvier 2010, elle demandait à être affectée sur un poste correspondant à son grade plutôt que sur un poste administratif ; l'interdiction de port d'arme décidée le 29 août 2005 n'a toujours pas été levée, lui interdisant de facto le service sur la voie publique, et d'accéder à la formation d'officier de police judiciaire ; si elle a pu réintégrer un service actif depuis le 8 décembre 2014, le retrait irrégulier de son arme de service l'a pénalisée dans le déroulement de sa carrière ; il n'a pas été donné suite à ses demandes du 30 août 2016 tendant à accéder à un grade supérieur ;

- elle est fondée à solliciter la réparation intégrale de son préjudice de carrière, qu'elle chiffre à la somme de 20 000 euros, que l'administration ne conteste pas dans son principe.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête de Mme C....

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;

- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 modifié ;

- le décret n° 2004-1439 du 23 décembre 2004 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... B...,

et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., entrée dans la police nationale en qualité d'élève gardien de la paix en 1994, a été affectée au sein de divers services dépendant de la préfecture de police de Paris jusqu'au 1er janvier 2005, date à laquelle elle a été mutée, sur sa demande, dans l'Aveyron, à la suite de deux agressions et de conflits avec sa hiérarchie. Le 31 août 2005, elle a été placée en congé de longue maladie puis de longue durée durant trois ans. Elle a alors été affectée à compter du 1er décembre 2008 sur un poste administratif à la direction départementale de la sécurité publique de l'Aveyron. Se fondant sur les conclusions du rapport d'expertise juridictionnelle du 20 juin 2009, le bureau de la protection sociale de la délégation régionale de Toulouse a, le 7 octobre 2009, invité Mme C... à faire une demande de reclassement dans un emploi administratif. Par un arrêté du 27 août 2010, le préfet délégué à la défense et à la sécurité de la zone de défense Sud-Ouest a admis d'office la requérante à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité non imputable au service à compter du 1er novembre 2010, au motif que cette dernière persistait à refuser un reclassement. Par un arrêt n° 13BX01173 du 9 septembre 2014, la cour a annulé cette décision au motif que l'administration avait méconnu son obligation de reclassement dans la mesure où il apparaissait que l'état de santé de Mme C... ne la rendait pas inapte à l'exercice de toute fonction administrative. L'administration ayant réintégré Mme C..., cette dernière a demandé le 1er septembre 2015 la réparation des conséquences dommageables de cette éviction fautive du service. Mme C... a alors saisi ce même tribunal d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les conséquences dommageables résultant pour elle de la méconnaissance fautive de l'obligation de reclassement incombant à l'administration pour l'avoir placée d'office en retraite pour invalidité non imputable au service. Mme C... relève appel du jugement du 25 juin 2018 en tant que le tribunal administratif de Toulouse a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 5 000 euros.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Par un arrêt n° 13BX01173 du 9 septembre 2014, passé en force de chose jugée, la cour a annulé l'arrêté du 27 août 2010 par lequel le préfet délégué à la défense et à la sécurité de la zone de défense Sud-Ouest a admis d'office la requérante à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité non imputable au service à compter du 1er novembre 2010, ensemble la décision du 4 novembre 2010 rejetant son recours gracieux, au motif que l'administration avait méconnu son obligation de reclassement dès lors qu'il apparaissait que l'état de santé de Mme C... ne la rendait pas inapte à l'exercice de toute fonction administrative. L'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne le préjudice de carrière :

3. Aux termes des dispositions de l'article 17 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs de la police nationale : " Pour l'établissement du tableau d'avancement de grade qui est soumis à l'avis des commissions administratives paritaires, il est procédé à un examen approfondi de la valeur professionnelle des agents susceptibles d'être promus compte tenu des notes obtenues par les intéressés, des propositions motivées formulées par les chefs de service et de l'appréciation portée sur leur manière de servir. Cette appréciation prend en compte les difficultés des emplois occupés et les responsabilités particulières qui s'y attachent ainsi que, le cas échéant, les actions de formation continue suivies ou dispensées par le fonctionnaire et l'ancienneté. ". En vertu de l'article 2 du décret du 23 décembre 2004 portant statut particulier du corps d'encadrement et d'application de la police nationale, dans sa rédaction applicable au présent litige : " les brigadiers de police peuvent assurer l'encadrement des brigadiers, gardiens de la paix et des adjoints de sécurité ".

4. Mme C... soutient que son avancement a été bloqué, qu'elle aurait pu être nommée au grade de brigadier-chef dès 2006 et ambitionner à terme une promotion au grade de major, alors que son état de santé ne justifie pas un tel traitement discriminatoire. Toutefois, son appréciation professionnelle au titre de l'année 2005 classe ses aptitudes à remplir ses fonctions de brigadier entre bon et moyen, fait état de difficultés d'intégration au sein de la circonscription de sécurité publique de Rodez, de ce qu'elle n'a pas assuré de manière satisfaisante les tâches à elle confiées et enfin qu'elle doit démontrer des qualités supérieures, alors même qu'elle figurait sur la liste des agents promouvables au titre de l'année 2005. La fiche d'évaluation au titre de l'année 2009 indique, quant à elle, que Mme C... " a du mal à prendre ses marques dans ses nouvelles fonctions et devra faire un effort sensible pour améliorer 1a qualité de son travail " et n'est pas apte à occuper des fonctions plus importantes. Si, à compter de l'année 2015, alors qu'elle était affectée sur un nouveau poste à la brigade de sécurité urbaine au sein du groupe de recherche judiciaire de la circonscription de Rodez, ses appréciations font état de ce qu'elle s'est bien intégrée dans le service et, qu'en dépit de la nouveauté de la matière judiciaire, elle s'est immédiatement intéressée et cherche quotidiennement à progresser, elles ne font toutefois pas mention d'une aptitude à exercer des fonctions plus importantes. Si l'intéressée a adressé à sa hiérarchie deux rapports datés du 30 août 2016 où elle demande une promotion de grade, et qu'il n'est pas contesté qu'elle est titulaire de l'examen professionnel pour l'accès au grade de brigadier-chef, il résulte toutefois de l'instruction qu'elle a fait l'objet d'une appréciation défavorable à sa promotion à un poste d'encadrement, laquelle lui a été notifiée le 22 février 2017, évoquant son manque de motivation, son attitude obsessionnelle en rapport avec les agressions dont elle a été victime lorsqu'elle était en poste en région parisienne et son incapacité à assumer des fonctions supérieures.

5. Mme C..., promue le 1er juillet 2005 au grade de brigadier de la police nationale, qui a bénéficié d'une progression de carrière avec une promotion rétroactive, par arrêté du 13 janvier 2015, au 7ème échelon de son grade à compter du 1er décembre 2012, persiste à soutenir devant la cour que son avancement a été bloqué compte tenu de l'interdiction de port d'arme non levée faisant obstacle à tout service actif sur la voie publique. Toutefois, et compte tenu de ce qui précède, Mme C... n'établit pas, par la production de ses fiches d'évaluation entre 1995 et 2018, qu'elle détenait une chance sérieuse d'être promue au grade de brigadier-chef dès 2006 ou au grade de major. En l'absence de perte de chance de promotion dans le grade de brigadier-chef de la police nationale, Mme C... n'est pas fondée à se prévaloir d'un préjudice de carrière à ce titre, alors même que, par ailleurs, elle a été placée illégalement à la retraite d'office. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice financier.

En ce qui concerne le préjudice moral :

6. Mme C... soutient que le comportement général de sa hiérarchie à son égard, et en particulier son acharnement à l'écarter du service en exagérant ses troubles en lien avec une prétendue pathologie mentale, est à l'origine d'un préjudice moral. D'une part, elle ne conteste pas que son hospitalisation d'office a été motivée par sa dangerosité vis-à-vis d'elle-même et d'autrui. D'autre part, la légalité de la mesure d'interdiction de port d'armes du 29 août 2005, faisant obstacle à sa réintégration en service actif, a été confirmée par la cour dans un arrêt n°13BX01173 du 9 septembre 2014. Par suite, n'apportant aucun élément de nature à justifier une majoration de l'indemnité allouée par les premiers juges, sa demande ne saurait être accueillie.

7. Enfin, il résulte de l'instruction que la mise à la retraite d'office illégalement prise à l'encontre de Mme C... n'a entraîné aucun préjudice de carrière. Elle a été toutefois à l'origine d'un préjudice moral et qu'ainsi, en lui allouant à ce titre une indemnité de 5 000 euros, les premiers juges ne sont pas livrés à une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a fixé à 5 000 euros le montant de l'indemnité qu'il lui a été allouée au titre de son préjudice moral.

Sur les frais d'instance :

9. L'Etat n'ayant pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, les conclusions présentées par Mme C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme A... B..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 juin 2021.

La rapporteure,

Agnès B...

Le président,

Didier ARTUS

Le greffier,

André GAUCHON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 18BX03315


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3eme chambre (formation a 3)
Numéro d'arrêt : 18BX03315
Date de la décision : 14/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Cessation de fonctions - Mise à la retraite d'office.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Agnes BOURJOL
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : LEBLOND

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-06-14;18bx03315 ?
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