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02/11/2021 | FRANCE | N°19BX00260

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 02 novembre 2021, 19BX00260


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sorespi Aquitaine a demandé au tribunal administratif de Pau, en application de l'article R. 541-4 du code de justice administrative, de fixer le montant définitif de sa dette à l'égard de la commune de Pau en limitant à la somme de 146 591,76 euros toutes taxes comprises le montant des réparations des désordres affectant le revêtement des sols du complexe de pelote basque de la commune et à celle de 19 093 euros le montant des frais d'expertise exposés.

Par un jugement n° 1700848 du

22 novembre 2018, le tribunal administratif de Pau a fixé le montant définitif de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sorespi Aquitaine a demandé au tribunal administratif de Pau, en application de l'article R. 541-4 du code de justice administrative, de fixer le montant définitif de sa dette à l'égard de la commune de Pau en limitant à la somme de 146 591,76 euros toutes taxes comprises le montant des réparations des désordres affectant le revêtement des sols du complexe de pelote basque de la commune et à celle de 19 093 euros le montant des frais d'expertise exposés.

Par un jugement n° 1700848 du 22 novembre 2018, le tribunal administratif de Pau a fixé le montant définitif de la dette de la société Sorespi Aquitaine à l'égard de la commune de Pau à la somme de 254 664 euros en réparation des désordres affectant le revêtement des sols du complexe de pelote basque et à la somme de 27 454 euros au titre des frais d'expertise.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2019, la société Sorespi Aquitaine, représentée par Me Gouarrigues, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 22 novembre 2018 ;

2°) à titre principal, de rejeter les conclusions présentées par la commune de Pau et de déclarer nul ou à tout le moins inopposable le rapport d'expertise ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter le montant définitif de sa dette envers la commune de Pau, en réparation des désordres affectant le revêtement des sols du complexe de pelote basque en retenant une solution de reprise de l'existant, chiffrée par l'expert à la somme de 146 591,76 euros toutes taxes comprises, et en appliquant un coefficient de vétusté qui ne saurait être inférieur à 50% ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de rejeter la demande de la commune de Pau tendant à ce que l'intégralité des frais d'expertise soit mise à sa charge, ou, à tout le moins, que ces frais d'expertise soient limités à la somme de 27 454 euros ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Pau la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le rapport d'expertise est entaché de nullité ou, à tout le moins, est inopposable, dès lors que le contradictoire n'a pas été respecté lors des opérations d'expertise, l'expert n'ayant ni répondu aux remarques formulées dans son dire du 6 août 2015 selon lequel elle était dans l'impossibilité de communiquer l'intégralité de ses factures d'achat de la société Bostik, fournisseur de résine, ni joint ce dire à son rapport définitif, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 621-7 aliéna deux du code de justice administrative ; l'expert s'est abstenu de faire établir des devis contradictoires ; l'expert n'a pas rédigé de pré-rapport sur l'imputabilité des désordres ;

- l'expert n'a pas sollicité de la société Bostik la communication des factures qu'elle lui a adressées au titre des années 2004 et 2005, mais a seulement demandé son avis au fournisseur du produit mis en œuvre, contrairement à ce que retiennent les premiers juges ; les surfaces retenues par l'expert sont erronées et doivent être réduites de 1 013,80 m² à 970,30 m² , compte tenu de la passation d'un avenant portant moins-value de 106 m2, de sorte que les conclusions de l'expert sur l'insuffisante mise en œuvre des produits nécessaires à la réalisation des revêtements de sol sont infondées ;

- l'expert n'a pas fait procéder à un prélèvement de résine pour analyse, destiné à mesurer les quantités de produit utilisées, quantités qu'il a déterminées de manière erronée ;

- l'expert n'a pas répondu à la question de l'impact de l'utilisation d'un produit nettoyant inadapté, n'a pas interrogé le fabricant du revêtement à ce sujet et n'a pas fait procéder à des prélèvements, seules investigations de nature à mesurer cet impact ;

- les désordres ne rentrent pas dans le champ de la responsabilité contractuelle, la mauvaise exécution des prestations n'étant pas assimilable à un dol ;

- les désordres n'ont pas un caractère décennal, la commune de Pau ne rapportant pas la preuve d'une impropriété de l'ouvrage à sa destination ; les désordres ne sont pas généralisés, dès lors que la partie pelote n'est pas affectée, et que les désordres sont marqués sur les zones de circulation ; les désordres n'ont pas fait obstacle à l'utilisation du bâtiment et le restaurant n'a pas été fermé ;

- les désordres relèvent de la garantie de bon fonctionnement des éléments d'équipement dissociables qui est prescrite ; le revêtement en résine du sol est un élément d'équipement dissociable dès lors que sa dépose peut s'effectuer sans détérioration du gros-œuvre ;

- les investigations de l'expert ne permettent pas de conclure que les désordres caractérisés par une dégradation anormale des revêtements de sols en résine est consécutive à la mise en œuvre d'une quantité de produits insuffisantes et lui serait imputable ;

- le non-respect du cahier des clauses techniques applicable aux marchés en cause, s'agissant de la classe C de résistance chimique, liés à la fourniture d'un revêtement de sol différent est étranger aux désordres, causés par l'usure et non pas lié à la résistance chimique, de sorte que sa responsabilité doit être écartée ;

- la responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée dès lors que l'origine des désordres est liée à l'utilisation de produits d'entretien inadapté, car présentant un pH trop élevé, alors que la société Bostik, fournisseur desdits revêtements, préconisait l'utilisation d'agents de nettoyage neutre ;

- si sa responsabilité devait être engagée, et s'agissant du montant des réparations, alors que la commune de Pau n'a dénoncé les désordres que cinq ans après la pose du revêtement et qu'elle en profite depuis 12 ans, le choix de la solution consistant en la pose d'un nouveau revêtement à l'identique procure à cette dernière un enrichissement sans cause, de sorte qu'il convient de porter le coefficient de vétusté à 50 % ;

- le montant de l'indemnité mise à sa charge en réparation des désordres susmentionnés doit être fixé à la somme de 146 591,76 euros toutes taxes comprises, correspondant au coût de reprise par ponçage de l'existant, dont la faisabilité technique est établie ; c'est à tort que l'expert a écarté cette solution au seul motif que la solution de dépose totale puis de pose à l'identique du revêtement respectait la commande du maître de l'ouvrage ;

- c'est à tort que les frais d'expertise ont été mis à sa charge, dès lors que la commune de Pau n'a pas contesté les frais et honoraires de l'expert par le recours prévu à l'article R. 761-3 du code de justice administrative ; dans son ordonnance du 6 juillet 2017, le juge d'appel des référés a annulé l'article 2 de l'ordonnance de référé ayant mis à sa charge une somme de 40 420 euros à ce titre ; à tout le moins, le montant mis à sa charge au titre des frais d'expertise ne saurait excéder la somme de 27 454 euros, dès lors que les frais afférents aux désordres affectant les sols ne représentent que 40 % du coût total des opérations d'expertise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mars 2021, la commune de Pau, représentée par Me Gallardo, conclut au rejet de la requête de la société Sorespi Aquitaine et, par la voie de l'appel incident, à ce que le montant définitif de la dette de cette dernière à son égard soit fixé à la somme de 282 960 euros toutes taxes comprises, ainsi que la somme de 47 732,48 euros toutes taxes comprises au titre des frais d'expertise, assorties des intérêts au taux légal ainsi que la capitalisation des intérêts, et à ce qu'il soit mis à la charge de cette dernière la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le rapport d'expertise n'est entaché d'aucune irrégularité, dès lors que le principe du contradictoire a été respecté ; la question de la vérification des quantités de produit utilisé a fait l'objet d'un débat entre les parties devant l'expert, sur la base des pièces fournies par la société requérante et des factures de la société Bostik, fournisseur ; le dire du 6 août 2015 de la société requérante n'apportait aucun élément nouveau utile à la discussion ;

- sa responsabilité en sa qualité de maître de l'ouvrage ne saurait être engagée, dès lors que les désordres sont étrangers à l'utilisation d'un produit d'entretien inadapté ;

- les désordres constatés ont un caractère décennal, dès lors que ces désordres, caractérisés par des poinçonnements et l'apparition des granulats mal enrobés par la résine du revêtement de sol, sont imputables à une mauvaise exécution des travaux, liée à l'insuffisance de produits nécessaire à une réalisation du sol conforme au cahier des clauses techniques particulières et qu'ils sont généralisés car apparus sur tous les revêtements en résine du complexe de pelote selon l'expert ; ces désordres portent atteinte à la salubrité des lieux de restauration soumis à des normes sanitaires strictes ;

- la garantie biennale de bon fonctionnement n'est pas applicable dès lors que le sol en résine n'est pas un élément dissociable ;

- la responsabilité contractuelle de la société Sorespi Aquitaine est engagée dès lors qu'elle a délibérément trompé les maîtres d'œuvre et d'ouvrage sur les quantités de produit ;

- par la voie de l'appel incident, elle demande que la réparation des désordres soit chiffrée à la somme de 282 960 euros toutes taxes comprises comme évaluée par l'expert, et à ce qu'un coefficient de vétusté ne soit pas appliqué ;

- la condamnation au titre des frais d'expertise, d'un montant de 47 732,48 euros toutes taxes comprises, doit être intégralement mise à la charge de la société Sorespi Aquitaine.

Vu :

- l'ordonnance du 2 février 2016 par laquelle le président du tribunal administratif de Pau a liquidé et taxé les frais d'expertise à la somme de 47 732,48 euros ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Agnès Bourjol,

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Taste-Denise, représentant la société Sorespi Aquitaine, et de Me Gallardo, représentant la commune de Pau.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 10 janvier 2003, complété par un avenant du 6 juillet 2004, la commune de Pau a confié à la société Sorespi Aquitaine la réalisation des revêtements de sol d'un complexe de pelote basque comprenant un trinquet, un mur à gauche, un Jaï-Alaï et un bar restaurant. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 25 avril 2005 pour le lot 10 B afférent au revêtement de sol en résine du complexe sportif et le 20 février 2006 pour le lot 10 R du restaurant-cuisine-brasserie. Des désordres sont apparus à partir de février 2010. A la demande de la commune, le juge des référés du tribunal administratif de Pau, par ordonnance du 10 juin 2011, a diligenté une expertise qui a donné lieu au dépôt d'un rapport le 21 décembre 2015. La commune de Pau a alors saisi le juge des référés du même tribunal d'une demande tendant à la condamnation de la société Sorespi Aquitaine au versement d'une provision au titre des travaux de réfection des revêtements des sols en résine du complexe de pelote basque. Par une ordonnance du 28 février 2017, le juge des référés a condamné la société Sorespi Aquitaine à verser à la commune de Pau une provision de 282 260 euros au titre des désordres ainsi qu'une somme de 40 420 euros au titre des frais d'expertise. Par une ordonnance du 6 juillet 2017, le juge des référés de la cour a réformé cette ordonnance en tant seulement qu'elle avait condamné la société Sorespi Aquitaine à verser à la commune la somme de 40 420 euros au titre des frais d'expertise. Sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-4 du code de justice administrative, la société Sorespi Aquitaine a demandé au tribunal administratif de Pau de fixer le montant définitif de sa dette à l'égard de la commune de Pau et d'arrêter le montant des frais d'expertise exposés. La société Sorespi Aquitaine relève appel du jugement du 22 novembre 2018 par lequel ce tribunal, sur le fondement de l'article R. 541-4 du code de justice administrative, a fixé le montant définitif de sa dette à l'égard de la commune de Pau à la somme de 254 664 euros, en réparation des désordres affectant le revêtement des sols du complexe de pelote basque, et à la somme de 27 454 euros au titre des frais d'expertise. Par la voie de l'appel incident, la commune de Pau demande que la somme mise à la charge de la société Sorespi Aquitaine en réparation de ces désordres soit portée à la somme de 282 960 euros toutes taxes comprises et que les frais d'expertise, d'un montant de 47 732,48 euros toutes taxes comprises, soient mis à la charge de cette dernière.

Sur la régularité de l'expertise :

2. S'il n'appartient pas aux juridictions administratives de prononcer la nullité d'une expertise judiciaire, les conclusions et moyens dirigés par la société Sorespi Aquitaine à l'encontre de l'expertise doivent être regardées comme tendant à ce que le juge du contrat constate la nullité des opérations d'expertise.

3. Pour s'exonérer de sa responsabilité, la société requérante fait valoir en appel comme en première instance que le rapport d'expertise est inopposable comme étant dépourvu de fiabilité, l'expertise ayant été conduite en méconnaissance du principe du contradictoire, et qu'elle n'a pas été mise à même de justifier contradictoirement des quantités de produit Bostik mis en œuvre dans les revêtements de sol et qu'ainsi ni la cause du désordre ni le montant des réparations ne peuvent être établis sur la base de ce rapport.

4. En premier lieu, la société Sorespi Aquitaine soutient que le caractère contradictoire de l'expertise a été méconnu dès lors que l'expert n'avait pas répondu à son dire du 6 août 2015 où, faisant état de la perte de ses factures d'achat de produit Bostik, elle demandait à l'expert de se retourner vers la société Bostik pour obtenir ces renseignements. Toutefois, l'expert avait déjà répondu à cette objection en constatant que, comme il le mentionne en page 90 du rapport, il avait pris l'initiative de cette démarche à la suite de laquelle la société Bostik a indiqué dans un courrier du 17 juin 2015 un manque de cohérence grave entre les pièces de la société Sorespi Aquitaine et ses propres pièces. Ce courrier adressé à l'expert par le conseil de la société Bostik a été communiqué à toutes les parties présentes à l'expertise. Il se référait à des factures jointes en copie sur la base desquelles la société Bostik affirmait que " si la quantité de granulats qui semble avoir été achetée auprès de la société Socamont semble correspondre à la superficie à traiter (...) cela n'est absolument pas le cas s'agissant des produits Bostik. Les quantités nécessaires de produits Bostik ne sont pas justifiées par la société Sorespi ". Ainsi, eu égard à son objet, le dire du 6 août 2015 de la société requérante n'appelait pas de la part de l'expert d'éléments de réponse autres que ceux qui avaient déjà été donnés et soumis au débat contradictoire. Dans ces conditions, les circonstances que l'expert n'ait pas répondu à son dire du 6 août 2015 et ne l'ait pas consigné dans son rapport ne rendent pas l'expertise irrégulière.

5. En deuxième lieu, aucune disposition du code de justice administrative ne faisait obligation à l'expert d'établir un pré-rapport préalablement au dépôt de son rapport qui, selon la société Sorespi Aquitaine, aurait été remis dans la précipitation. Dès lors, la société Sorespi Aquitaine n'est fondée à soutenir ni que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté ni que le rapport d'expertise est entaché d'irrégularité en l'absence de transmission d'un pré-rapport.

6. En troisième lieu, pour contester la cause des désordres liée à l'insuffisante mise en œuvre de produits nécessaires à la réalisation des revêtements de sol, la société requérante critique l'expertise en faisant valoir que le métrage des surfaces affectées de désordres, retenu par l'expert, est erroné, lesquelles doivent être réduites de 1 013,80 m2 à 970,30 m2 pour la partie des zones de circulation et de 390 m2 à 358,39 m2, pour la partie restaurant. Il ressort toutefois de son rapport que l'expert a fondé ses calculs tant sur les données communiquées par la société requérante elle-même durant les opérations d'expertise que sur les pièces du marché en cause, en particulier le retranchement de la superficie de la terrasse de 106 m2 validée par avenant au lot 10 B du 6 juillet 2004 et l'ajout de 62,50 m2 de marches supplémentaires.

7. Enfin, la société Sorespi Aquitaine fait valoir que l'expertise doit être écartée comme étant entachée de graves irrégularités, le rapport n'ayant pas étudié l'impact de l'utilisation d'un produit d'entretien du revêtement de sol inadapté, du refus opposé par l'expert de faire réaliser des investigations supplémentaires et de faire établir des devis contradictoires proposant des solutions de reprise alternatives. D'une part, aucune disposition légale ou réglementaire n'impose à l'expert de déférer aux invitations des parties d'étudier certains aspects techniques, notamment l'impact d'un produit d'entretien sur l'état du revêtement de sol, hypothèse au demeurant expressément écartée par l'expert en page 91 de son rapport. D'autre part, la circonstance que les parties considèrent la réponse apportée quant aux questions techniques comme insuffisantes n'est pas un motif suffisant pour écarter le rapport d'expertise.

8. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité des opérations d'expertise doit être écarté.

Sur le principe de la responsabilité :

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :

9. La réception sans réserve de l'ouvrage met fin aux relations contractuelles entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage et la responsabilité du titulaire du marché ne peut alors plus être recherchée sur le terrain de la responsabilité contractuelle pour les désordres qui affecteraient l'ouvrage. Cependant, et même sans intention de nuire, une telle responsabilité peut être engagée après la réception de l'ouvrage en cas de faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave par sa nature ou ses conséquences, des obligations contractuelles d'un constructeur, commise volontairement et sans qu'il puisse en ignorer les conséquences.

10. Il résulte de l'instruction que la réception sans réserve des travaux à l'origine des désordres est intervenue le 25 avril 2005 pour le complexe sportif et le 20 février 2006 pour le restaurant. A la plus tardive de ces dates, les relations contractuelles entre la commune de Pau, maître de l'ouvrage, et la société Sorespi Aquitaine, titulaire des lots 10 R " revêtements sols résine du restaurant-cuisine-brasserie " et 10 B " revêtements de sols en résine des installations sportives ", avaient pris fin. Les manquements reprochés à la société Sorespi Aquitaine, dont il n'est pas établi qu'elle ait sciemment cherché à porter préjudice au maître d'ouvrage, ne peuvent être regardés comme présentant le caractère d'une faute assimilable par sa nature ou sa gravité à une fraude ou un dol. Dès lors, la commune de Pau ne peut plus mettre en cause la responsabilité contractuelle de cette société.

En ce qui concerne la responsabilité décennale :

S'agissant du caractère décennal des désordres :

11. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans à compter de la réception de l'ouvrage, de nature à compromettre la solidité de celui-ci ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même si ces désordres ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, sauf pour les constructeurs à s'exonérer de leur responsabilité ou à en atténuer la portée en établissant que les désordres résultent d'une faute du maître d'ouvrage ou d'un cas de force majeure.

12. Il résulte de l'instruction, et notamment des constations de l'expert, que les désordres affectant les revêtements de sols en résine du bar restaurant et des zones de circulation du complexe de pelote basque consistent en des poinçonnements et des cisaillements, ainsi qu'en l'apparition des granulats mal enrobés par la résine. Ces désordres, par leur caractère généralisé, ne sont pas compatibles avec les conditions d'utilisation normales des locaux en restauration collective, eu égard au respect des règles sanitaires, ainsi qu'avec la sécurité des usagers du complexe. Ces désordres, qui ne portent pas sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage, doivent donc être regardés comme étant de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination et engagent la responsabilité des constructeurs. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la circonstance que le restaurant soit resté accessible au public en dépit de l'état dégradé du sol ne fait pas obstacle à la reconnaissance du caractère décennal des désordres. Par suite, la société Sorespi Aquitaine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que ces désordres étaient de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs et ne peut utilement se prévaloir de l'expiration de la garantie biennale.

S'agissant de l'imputabilité des désordres :

13. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise, que la cause des désordres décrits au point 5 du présent arrêt résulte, d'une part, de l'importante insuffisance de mise en œuvre, en quantité, du produit dit " Bostik ", nécessaire à une réalisation du revêtement de sol conformément aux règles de l'art, d'autre part, du non-respect des normes imposées par l'article 1.1 du cahier des clauses techniques particulières des lots 10 B et 10 R dont la société Sorespi Aquitaine était titulaire, relatives aux exigences de résistance chimique U4 P3 E2/3 C2. La société Sorespi Aquitaine soutient que la méconnaissance du cahier des clauses techniques, à la supposer avérée, est étrangère aux désordres en cause et se prévaut, à cet effet, de la vétusté du revêtement de sol, compte tenu de la date de sa réalisation. Toutefois, elle n'établit pas que, par leur nature, les désordres constatés correspondraient à l'usure normale du revêtement de sol, et non pas à l'insuffisante mise en œuvre du produit dit " Bostik " et au non-respect des normes de résistance chimique U4 P3 E2/3 C2, certifiées par avis technique et prescrit par le cahier des clauses techniques, alors qu'elle ne conteste pas avoir utilisé un produit classé U4 P3 E2 C1, offrant une moindre performance de résistance chimique. D'ailleurs, la société Sorespi Aquitaine, par les factures qu'elle a produites durant les opérations d'expertise, n'a pas été en mesure de démontrer qu'elle avait acquis les quantités nécessaires de produit dit " Bostik ", afin de réaliser correctement les travaux. Enfin, si elle fait valoir que le maître de l'ouvrage a commis une faute ayant contribué à une usure prématurée du revêtement, pour avoir utilisé un produit de nettoyage inadapté, en se prévalant de la notice d'utilisation du fournisseur préconisant un entretien par des produits faiblement alcalin, l'expert a néanmoins exclu que les désordres puissent trouver leur cause dans l'utilisation d'un produit d'entretien inadapté. Ainsi, la cause des désordres résulte d'une malfaçon d'exécution du revêtement des sols, imputable exclusivement à la société Sorespi Aquitaine.

Sur la fixation du montant définitif de la dette de la société Sorespi Aquitaine :

14. Le montant du préjudice dont le maître de l'ouvrage est fondé à demander réparation aux constructeurs en raison des désordres affectant l'ouvrage qu'ils ont réalisé correspond aux frais générés par les travaux de réfection indispensables, sans que ces travaux puissent apporter une plus-value à l'ouvrage.

15. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise, que le coût des travaux nécessaires pour remédier aux désordres, consiste en la dépose complète du revêtement en résine en place, la reprise à l'identique du support par ponçage et la pose d'un nouveau revêtement en résine polyuréthane par enrobage de granulats, dans le respect scrupuleux des avis techniques des produits. Ces travaux s'élèvent à la somme de 199 200 euros toutes taxes comprises pour la reprise des zones de circulation du complexe de pelote basque et à 83 760 euros toutes taxes comprises pour la partie restaurant. La circonstance alléguée que le devis établi par la société Process sol, le 7 juillet 2015, sur la base duquel l'expert s'est fondé pour chiffrer le coût des travaux de reprise, émane d'une société qui n'était pas agréée pour la mise en œuvre des produits Bostik, ne saurait faire obstacle à ce qu'il soit utilisé comme base de calcul dès lors que le chiffrage est cohérent avec le type d'ouvrage et les surfaces en cause. Eu égard à l'ampleur de la désagrégation du revêtement de sol par défaut de fixation des granulats dans la résine, la société Sorespi Aquitaine, qui se borne à soutenir que la solution de réfection totale du revêtement de sol a procuré au maître de l'ouvrage un enrichissement sans cause dès lors qu'il a exploité l'équipement pendant douze ans, ne démontre pas qu'une solution moins onéreuse, au demeurant écartée par l'expert, et consistant en une remise en état des revêtements par ponçage, masticage et application d'une couche de finition, serait de nature à rendre l'ouvrage conforme à sa destination ainsi qu'à ses caractéristiques contractuelles. Par suite, la société Sorespi Aquitaine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont fixé le montant de cette repriseà la somme de 282 960 euros toutes taxes comprises.

16. La vétusté d'un ouvrage ou d'une partie d'ouvrage susceptible d'être prise en compte pour la fixation du coût des réparations doit être appréciée à la date d'apparition des désordres. Dans les circonstances de l'espèce, les désordres se sont manifestés environ quatre ans après la réception des travaux. Il ne résulte pas de l'instruction que la longévité normale du revêtement de sol à base de résine de synthèse et de granulats de caoutchouc employé excède une dizaine d'années, dans des locaux devant répondre aux exigences de classement UPEC. Eu égard au temps écoulé et à la durée normale d'utilisation d'un revêtement de sol en résine, il y a lieu d'estimer qu'à la date d'apparition des désordres en 2010, ce revêtement était atteint d'une vétusté de 40 %. En conséquence, la société Sorespi Aquitaine est fondée à soutenir que les premiers juges ont fait une évaluation excessive du préjudice de la commune de Pau en fixant le montant définitif de sa dette à 254 664 euros par application d'un coefficient de vétusté de 10%. Par suite, il y a lieu de ramener le montant définitif de la dette de la société Sorespi Aquitaine, par application d'un abattement de 40 %, à la somme de 169 776 euros (282 969 euros - 113 184 euros). Pour les mêmes motifs, les conclusions d'appel incident de la commune de Pau tendant à ce que le montant définitif de la dette de la société Sorespi Aquitaine à son égard soit exempt de tout abattement de vétusté ne peuvent qu'être rejetées.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sorespi Aquitaine est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a fixé le montant définitif de sa dette envers la commune de Pau à la somme de 254 664 euros par application d'un coefficient de vétusté de 10 %, et la commune de Pau n'est pas fondée à demander, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en tant que le tribunal administratif, pour fixer le montant définitif de la dette de la société Sorespi Aquitaine à son égard, a fait application d'un coefficient de vétusté.

Sur les conclusions présentées par la commune de Pau :

18. En vertu des dispositions de l'article L. 1153-1 du code civil reprises à l'article 1231-7 du même code, la condamnation à verser une indemnité emporte intérêts au taux légal dès le prononcé du jugement ou de l'ordonnance accordant une provision jusqu'à son exécution, même en l'absence de demande en ce sens. Ainsi, la demande de la commune de Pau tendant à ce que lui soient alloués des intérêts au taux légal à compter de sa requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Pau le 23 mars 2011, par laquelle elle a demandé au juge des référés d'ordonner une expertise, diligentée par ordonnance n°1100741 prise le 10 juin 2011, ne peut qu'être rejetée.

19. Toutefois, la commune de Pau a droit aux intérêts au taux légal de la somme de 169 776 euros, dès le prononcé de l'ordonnance du 28 février 2017 lui allouant une indemnité provisionnelle en réparation des désordres décrits au point 5 du présent arrêt, dès lors qu'elle fait valoir sans aucun contredit que cette ordonnance n'a pas été exécutée. Elle est en droit de demander pour la première fois en appel la capitalisation des intérêts échus. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 28 février 2018, date à laquelle il était dû pour la première fois une année d'intérêts et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les dépens :

20. Aux termes de l'article R. 621-3 du code de justice administrative : " Lorsque l'expertise a été ordonnée sur le fondement du titre III du livre V, le président du tribunal (...) en fixe les frais et honoraires par une ordonnance (...). Cette ordonnance désigne la ou les parties qui assumeront la charge de ces frais et honoraires (...) / Dans le cas où les frais d'expertise mentionnés à l'alinéa précédent sont compris dans les dépens d'une instance principale, la formation de jugement statuant sur cette instance peut décider que la charge définitive de ces frais incombe à une partie autre que celle qui a été désignée par l'ordonnance mentionnée à l'alinéa précédent (...) ". Aux termes de l'article R. 761-1 du même code : " Les dépens comprennent (...) les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ".

21. La demande de première instance s'appuyait sur le rapport d'expertise déposé le 21 décembre 2015 dans l'instance en référé introduite par le maître de l'ouvrage. Le tribunal administratif de Pau, comme il en avait la possibilité en vertu des dispositions précitées, s'est prononcé d'office sur la charge définitive de ces frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 47 732,48 euros, par ordonnance du 2 février 2016. L'expert ayant consacré 40 % de son temps à l'examen des désordres litigieux, les frais d'expertise en cause ne concernent qu'à hauteur de 40 % le présent litige. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre la totalité de cette part à la charge de la société Sorespi Aquitaine, soit la somme de 19 093 euros. Dès lors, il y a lieu de réformer le jugement attaqué sur ce point.

Sur les frais d'instance :

22. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le montant définitif de la dette de la société Sorespi Aquitaine envers la commune de Pau est ramenée de 254 664 euros à 169 776 euros, en application d'un coefficient de vétusté de 40 %.

Article 2 : Le montant définitif de la dette de la société Sorespi Aquitaine portera intérêt au taux légal à compter du 28 février 2017, ainsi que la capitalisation des intérêts échus à compter du 28 février 2018, ainsi qu'à chaque échéance annuelle.

Article 3 : Les frais d'expertise d'un montant de 19 093 euros sont mis à la charge définitive de la société Sorespi Aquitaine.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le jugement n° 1700848 du 22 novembre 2018 du tribunal administratif de Pau est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sorespi Aquitaine et à la commune de Pau.

Copie en sera adressée à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 27 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 novembre 2021.

La rapporteure,

Agnès BOURJOLLe président,

Didier ARTUS

La greffière,

Sylvie HAYET

La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX00260


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