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18/11/2021 | FRANCE | N°19BX02686

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 18 novembre 2021, 19BX02686


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier d'Orthez à lui verser une somme de 426 033 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à la suite de sa prise en charge au sein de cet établissement de santé le 10 novembre 2012.

Par un jugement n° 1701169 du 16 mai 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande et mis à sa charge une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice adm

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Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enreg...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier d'Orthez à lui verser une somme de 426 033 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à la suite de sa prise en charge au sein de cet établissement de santé le 10 novembre 2012.

Par un jugement n° 1701169 du 16 mai 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande et mis à sa charge une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 juin 2019 et le 14 octobre 2020, M. B..., représenté par Me Sirgue, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Orthez à lui verser la somme totale de 359 218 euros en réparation des préjudices consécutifs à sa prise en charge ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Orthez la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- il a subi un retard de prise en charge de sa lésion ; alors que la lésion bi-vasculaire qu'il présentait constitue une urgence vasculaire imposant un délai d'intervention de 6 heures, l'avis d'un chirurgien orthopédiste n'a pas été immédiatement pris ; son état imposait dès 11h30, à son admission aux urgences, son transfert vers un établissement spécialisé ; le délai de 4 heures qui s'est écoulé entre son admission aux urgences et l'intervention est constitutif d'un retard fautif de prise en charge ;

- compte tenu de la complexité des lésions qu'il présentait, il aurait dû être orienté vers un service spécialisé dans la chirurgie de la main, et non pas vers la clinique Labat contractuellement liée au centre hospitalier d'Orthez ; le temps de trajet entre Orthez et le service spécialisé dans la chirurgie de la main située à Bayonne est de seulement 45 minutes ; ce temps de trajet n'aurait pas compromis une prise en charge rapide ; il n'a ainsi pas bénéficié d'une prise en charge optimale ;

- les fautes commises par le centre hospitalier d'Orthez lui ont fait perdre une chance d'éviter le dommage qui doit être évaluée à 85 % ;

- au titre des préjudices patrimoniaux temporaires, les dépenses de santé restées à sa charge doivent être évaluées forfaitairement à 1 500 euros et ses frais de médecin conseil sont justifiés à 750 euros ; le préjudice lié au besoin d'assistance par tierce personne doit être évalué à 15 330 euros sur la base d'une heure par jour et en appliquant un taux horaire de 14 euros ; il a aussi subi une perte de gains professionnels de 58 636,40 euros ;

- au titre des préjudices patrimoniaux permanents, il a subi au cours des années 2016 à 2020 une perte de gains professionnels de 64 654,39 euros ; sa perte de revenus futurs doit être évaluée à 199 131,30 euros ; son préjudice d'incidence professionnelle doit être évalué à 40 000 euros après application du taux de perte de chance ;

- au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires, il a subi un déficit fonctionnel temporaire qui doit être évalué à 6 752,20 euros ; il a enduré des souffrances qui ont été sous-estimées par l'expert et doivent être évaluées à 7 000 euros ;

- au titre des préjudices extrapatrimoniaux permanents, son déficit fonctionnel permanent, de 6 % selon l'expert, doit être évalué à 9 000 euros compte tenu de son âge de 53 ans à la date de consolidation; son préjudice esthétique, sous-estimé par l'expert, doit être évalué à 4 000 euros ; il a enfin subi un préjudice d'agrément qui doit être évalué à 8 000 euros ;

- il sollicite la réparation de l'ensemble de ses préjudices à hauteur de 85 % ou, à titre subsidiaire, l'organisation d'une expertise aux fins d'évaluer ses préjudices et en particulier ses besoins d'assistance par tierce personne.

Par un mémoire, enregistré le 21 octobre 2019, l'ONIAM, représenté par Me Birot, conclut à sa mise hors de cause.

Il soutient que, le dommage allégué étant imputable à un échec thérapeutique, les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 septembre 2020, le centre hospitalier d'Orthez conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. B... d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- aucun retard de prise en charge ne peut lui être reproché ; le transfert de M. B... ne pouvait être décidé avant la réalisation des examens destinés à établir le diagnostic ; il a été transféré à la clinique Labat à peine plus d'une heure après son admission au service des urgences, puis immédiatement pris en charge par un chirurgien orthopédiste et préparé en vue de l'intervention, qui s'est tenue à 15h30, soit dans le délai de 6 heures conforme aux recommandations pour tenter d'obtenir une revascularisation de la main ; le transfert vers un établissement spécialisé, qui aurait allongé le délai d'intervention, n'était pas envisageable ;

- la décision de transférer M. B... vers un service de chirurgie orthopédique était adaptée à son état ; il s'est assuré de ce que l'intéressé serait pris en charge par un chirurgien orthopédiste, compétent pour pratiquer une chirurgie de la main ;

- le dommage est imputable à l'état initial du patient et à l'échec de l'intervention ;

- le taux de perte de chance revendiqué par le requérant ne repose sur aucun élément ;

- les demandes indemnitaires ne sont pas justifiées ou encore sont excessives.

Par ordonnance du 19 octobre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 4 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle de 25 % par une décision du 28 octobre 2021.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Richard, représentant M. B..., et de Me Lamballais, représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., qui exerçait la profession de mécanicien de motoculture de plaisance, s'est blessé à la main droite le 10 novembre 2012 à 10h30 en manipulant une chaîne de tronçonneuse. Il a été admis au service des urgences du centre hospitalier d'Orthez le jour même, à 11 h39. L'examen clinique mené par un médecin urgentiste et la réalisation d'une radiographie ont révélé qu'il présentait une fracture ouverte du 5ème doigt, une plaie profonde avec atteinte tendineuse et vasculo-nerveuse au niveau du 4ème doigt ainsi que des plaies au niveau des 3ème et 5ème doigts. Il a été transféré à 12 h50 au sein du service de chirurgie orthopédique de la clinique Labat, où a été réalisée à 15h30 une intervention de suture de la plaie profonde de sa main droite ainsi que du nerf collatéral et de l'artère collatérale radiale. L'intéressé, qui conserve un déficit fonctionnel du 4ème doigt de la main droite ainsi qu'un syndrome douloureux, et a été licencié en 2015 de son emploi de chef mécanicien et chef d'atelier après un arrêt de travail de près de trois ans, a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Aquitaine qui a diligenté une expertise médicale, confiée à un chirurgien orthopédiste, dont le rapport a été remis le 5 février 2016. Sur la base de ce rapport, la CCI a estimé, par un avis du 27 avril 2016, que les séquelles présentées par M. B... étaient exclusivement la conséquence de l'évolution prévisible de sa plaie initiale et que sa demande indemnitaire ne pouvait dès lors être accueillie. Par un courrier du 17 mars 2017, M. B... a demandé, en vain, au centre hospitalier d'Orthez l'indemnisation des préjudices consécutifs, selon lui, aux fautes commises par cet établissement. Il relève appel du jugement du 16 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Orthez à lui verser une somme totale de 426 033 euros en réparation de ses préjudices, et, dans le dernier état de ses écritures, demande à la cour de condamner cet établissement à lui verser la somme totale de 359 218 euros.

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

3. M. B... reproche au centre hospitalier d'Orthez un retard de prise en charge de la plaie profonde qu'il présentait lors de son admission au sein de l'établissement le 10 novembre 2012. Il résulte cependant de l'instruction, notamment de l'expertise diligentée par la CCI, dont les conclusions ne sont infirmées par aucun autre élément médical, que M. B... a été immédiatement pris en charge lors de son admission, à 11h39, au service des urgences, où les examens permettant de poser le diagnostic ont été réalisés. Dès que le diagnostic de plaie profonde avec atteinte vasculo-nerveuse a été posé, l'intéressé a été transféré, à 12h50, soit seulement une heure après son arrivée dans l'établissement, au sein du service de chirurgie orthopédique de la clinique Labat, dans la même ville, où il a été admis à 13 heures, puis opéré à 15h30, dans un délai inférieur au délai de 6 heures à respecter pour permettre une restauration de la vascularisation. Dans ces conditions, et alors en outre que le délai qui s'est écoulé entre l'admission de M. B... à la clinique et la réalisation de l'intervention n'est pas imputable au centre hospitalier d'Orthez, la faute alléguée n'est pas établie.

4. M. B... reproche également au centre hospitalier d'Orthez de ne pas l'avoir orienté vers un établissement spécialisé dans la chirurgie de la main, en particulier celui implanté à Bayonne. Toutefois, le centre hospitalier d'Orthez s'est assuré de ce que l'intéressé serait pris en charge, au sein de la clinique Labat, par un chirurgien orthopédiste, compétent pour pratiquer l'intervention que nécessitait son état. Le requérant ne démontre nullement qu'il aurait bénéficié d'une meilleure prise en charge dans un service spécialisé dans la chirurgie de la main, et il résulte en outre de l'instruction qu'un transfert vers Bayonne aurait allongé le délai de traitement chirurgical et risqué de compromettre toute chance de restauration de la vascularisation.

5. Par ailleurs, aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire (...) ".

6. Il ne résulte pas de l'instruction que les préjudices dont M. B... demande la réparation puissent être regardés comme directement imputables à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins. Par suite, l'indemnisation de son dommage ne saurait être mise à la charge de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.

7. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, être accueillies. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme que demande le centre hospitalier d'Orthez au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier d'Orthez au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au centre hospitalier d'Orthez, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 26 octobre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 novembre 2021.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX02686


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX02686
Date de la décision : 18/11/2021
Type d'affaire : Administrative

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS BERREBI ET SIRGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-11-18;19bx02686 ?
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