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14/12/2021 | FRANCE | N°21BX00869

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 14 décembre 2021, 21BX00869


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler les arrêtés du 13 octobre 2020 par lesquels le préfet de la Haute-Vienne, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2001448 du 21 octobre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a renvoyé

devant une formation collégiale les conclusions tendant à l'annulation du refus de titr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler les arrêtés du 13 octobre 2020 par lesquels le préfet de la Haute-Vienne, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2001448 du 21 octobre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a renvoyé devant une formation collégiale les conclusions tendant à l'annulation du refus de titre de séjour et a rejeté le surplus de sa demande à fin d'annulation et d'injonction.

Par un second jugement n° 2000471, 2001448 du 21 janvier 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les conclusions tendant à l'annulation du refus de titre de séjour ainsi que celles à fin d'injonction. Ce jugement a également rejeté les conclusions aux fins d'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande de titre de séjour formulée le 19 juillet 2019, contestée par une demande distincte.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 1er mars 2021 sous le n° 21BX00869 et des mémoires enregistrés les 4 mars 2021 et 15 juillet 2021, M. A..., représenté par Me Malabre, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 21 octobre 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 13 octobre 2020 du préfet de la Haute-Vienne en tant qu'ils portent obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et assignation à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour et de travail, subsidiairement de réexaminer sa demande dans le délai de deux mois, et dans cette attente, de lui délivrer, dans le délai de quinze jours, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les décisions par lesquelles le préfet de la Haute-Vienne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours sont entachées d'incompétence de leur auteur ; c'est à tort que le premier juge a retenu d'office que l'arrêté portant délégation de signature du 6 août 2020 était revêtu d'une signature électronique, laquelle n'était pas même alléguée par l'administration ; cet arrêté ne figure pas au nombre des exceptions limitativement énumérées à l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration permettant une dispense de signature de leur auteur ;

- ces décisions sont dépourvues de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour sur laquelle elles se fondent ;

- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'un vice de procédure dès lors que le préfet n'a pas saisi pour avis la commission du titre de séjour ;

- le refus de séjour méconnaît l'article 6 de la décision n° 1/80 du Conseil d'association du 19 septembre 1980 relative au développement entre la Communauté économique européenne et la Turquie dès lors que les travailleurs turcs occupant déjà une activité salariée sur le territoire d'un Etat membre ont droit au renouvellement automatique de leur permis de travail ; le premier juge a entaché son jugement d'erreur de fait quant à l'absence d'une autorisation de travail ;

- la décision de refus de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il justifie d'une qualification dans son domaine d'activité obtenue dans son pays d'origine et que son employeur ne parvenait pas à pourvoir le poste occupé ; sa qualité de conjoint de français, la présence des membres de sa famille en France et ses origines kurdes l'exposant à un risque d'emprisonnement ou d'incorporation d'office dans une unité combattante au titre de son service militaire, constituent des circonstances humanitaires ou exceptionnelles justifiant son admission au séjour ;

- le préfet n'a pas exercé l'étendue de sa compétence sur sa demande de titre de séjour " salarié " sur le fondement de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; ayant été autorisé à travailler par le récépissé qui lui a été délivré, il ne pouvait se voir opposer l'absence de demande et d'autorisation de travail ;

- eu égard à sa durée de présence en France, à sa qualité de conjoint de français et à sa parfaite intégration socio-professionnelle, le refus de titre de séjour est entaché d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle et familiale et porte atteinte à son droit au respect de sa privée et familiale tel que prévu par le préambule de la Constitution de 1946, l'article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 313-11 7° du code d'entrée du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le refus de titre de séjour en litige méconnaît le droit au séjour du membre de famille du ressortissant de l'Union européenne résultant des articles 8 et 8 A du traité de Rome, modifié par le Traité de Maastricht, et de l'article 7 de la directive 2004/38/C.E du 29 avril 2004 ; les dispositions de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile instaurent une situation de " discrimination à rebours " ayant pour effet que les conjoints de ressortissants communautaires résidant en France sont traités plus favorablement que les conjoints de ressortissants français ; une telle discrimination est contraire au principe d'égalité consacré par la Constitution, par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle et familiale et porte atteinte à son droit au respect de sa privée et familiale tel que prévu par le préambule de la Constitution de 1946, l'article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2021, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 février 2021.

II. Par une requête, enregistrée le 31 mars 2021 sous le n° 21BX02250 et un mémoire complémentaire enregistré le 15 juillet 2021, M. A..., représenté par Me Malabre, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 21 janvier 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 13 octobre 2020 du préfet de la Haute-Vienne portant refus de titre de séjour ainsi que la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande de titre de séjour formulée le 19 juillet 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de réexaminer sa demande dans le délai de quatre mois à compter de la notification de la décision à intervenir, et dans cette attente de lui délivrer, dans le délai de dix jours, un titre de séjour provisoire l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 320 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient les mêmes moyens que dans la requête n° 21BX0869, en tant qu'ils sont dirigés contre le refus de titre de séjour par la voie de l'exception d'illégalité et ajoute que :

- le refus de titre de séjour méconnaît son droit au mariage et à fonder une famille, garanti par l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2021, le préfet de la Haute-Vienne conclu au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 avril 2021.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- le pacte international sur les droits civils et politiques ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

- la décision n° 1/80 du Conseil d'association du 19 septembre 1980 relative au développement entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;

- la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Birsen Sarac-Deleigne a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant turc, né le 21 septembre 1995, est entré en France le 10 novembre 2015. A la suite du rejet de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 31 décembre 2016 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 30 mars 2017, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de conjoint de Français. Par un arrêté du 31 octobre 2018, le préfet de la Haute-Vienne a refusé de faire droit à cette demande de titre de séjour et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français. Par courrier du 19 juillet 2019 reçu le 23 juillet suivant, M. A... a sollicité un titre de séjour sur le fondement des articles L. 313-11 4° et 7°, L. 313-10 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette demande a été rejetée par une décision implicite qui a été contestée par M. A... le 21 mars 2020 devant le tribunal administratif de Limoges. Par une décision explicite du 13 octobre 2020, le préfet de la Haute-Vienne a confirmé le refus de titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi. Par un arrêté du même jour, le préfet a assigné M. A... à résidence dans le département de la Haute-Vienne pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement n° 2001448 du 21 octobre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a renvoyé devant une formation collégiale les conclusions tendant à l'annulation du refus de titre de séjour et a rejeté le surplus des conclusions aux fins d'annulation. Par un second jugement n° 2000471, 2001448, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les conclusions tendant à l'annulation des refus de titre de séjour. M. A... relève appel de ces deux jugements.

Sur la jonction :

2. Les requêtes susvisées n° 21BX00869 et 21BX02250 présentées pour M. A... concernent toutes les deux sa situation au regard de son séjour en France. ll y a lieu, par suite, de les joindre afin qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la décision implicite de refus de séjour :

3. Il ressort du jugement attaqué que le tribunal, saisi des conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour, a jugé que celles-ci devaient être regardées comme dirigées contre la décision explicite du 13 octobre 2020 par laquelle le préfet a confirmé ce refus et qui s'est substituée à la décision implicite initialement intervenue. Dès lors, M. A... qui ne conteste pas la substitution ainsi opérée, n'est pas fondé à demander en appel l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande de titre de séjour formulée le 19 juillet 2019.

En ce qui concerne le moyen commun aux autres décisions :

4. L'arrêté du 6 août 2020 donnant délégation au secrétaire général, signataire des arrêtés du 13 octobre 2020, revêt un caractère règlementaire dont la légalité peut être contestée, par voie d'exception, après l'expiration du délai de recours contentieux, sous la réserve que cette contestation ne porte pas sur les conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché, ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Il s'ensuit que M. A... ne peut utilement invoquer le moyen tiré de l'exception d'illégalité pour vice de forme de l'arrêté du 6 août 2020 qui était devenu définitif, à la suite de sa publication au recueil des actes administratifs spécial du même jour, lorsqu'il a soulevé ce moyen devant le tribunal, le 15 octobre 2020. Au surplus, il ressort des pièces du dossier produites en appel que l'arrêté du 6 août 2020 comportait la signature manuscrite du préfet de la Haute-Vienne accompagnée de la mention de la qualité, du nom et du prénom de ce dernier. Par suite le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions contestées doit être écarté.

En ce qui concerne le refus de titre de séjour du 13 octobre 2020 :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) ". Aux termes de l'article L. 313-2 du même code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, la première délivrance de la carte de séjour temporaire (...) sont subordonnées à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 311-1 (...) ". En vertu de l'article L. 211-2-1 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) Lorsque la demande de visa long séjour émane d'un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne en France depuis plus de six mois avec son conjoint, la demande de visa de long séjour est présentée à l'autorité administrative compétente pour la délivrance d'un titre de séjour ".

6. Il ressort des termes de l'arrêté du 13 octobre 2020 que le préfet de la Haute Vienne a refusé de délivrer une carte de séjour temporaire en qualité de conjoint de Français au motif d'une part, que M. A... n'était pas entré sur le territoire national muni d'un visa de long séjour, et que d'autre part, la communauté de vie entre les époux avait cessé, le requérant ayant déclaré lors de son audition par les services de police qu'il était séparé de son épouse depuis près d'un an et qu'une instance de divorce était en cours.

7. M. A... soutient que les dispositions de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précitées aboutissent à traiter les conjoints de ressortissants français de façon plus restrictive que les conjoints de citoyens de l'Union européenne, lesquels ne sont pas soumis à l'obligation de disposer d'un visa de long séjour et que le refus de titre de séjour méconnaît ainsi le droit au séjour du membre de famille du ressortissant de l'Union Européenne résultant des articles 8 et 8A du traité de Rome, modifié par le traité de Maastricht, et de l'article 7 de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004. Toutefois, les ressortissants de pays non membres de l'Union européenne, conjoints de Français, souhaitant qu'un titre de séjour leur soit délivré en France lorsqu'ils viennent rejoindre leur conjoint sont, au regard du droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans une situation distincte des ressortissants de pays non membres de l'Union européenne, conjoints de ressortissants d'un Etat membre de l'Union autre que la France et souhaitant séjourner dans ce pays, qui ont vu reconnu leur droit au séjour dans le pays dont leur conjoint a la nationalité, avant qu'ils ne présentent une demande de titre de séjour en France, et auxquels est ainsi reconnu le droit d'accompagner leur conjoint dans un autre pays de l'Union européenne. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le refus de lui accorder le droit au séjour aurait un caractère discriminatoire prohibé par les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques alors au surplus que la communauté de vie avec son épouse avait cessé depuis un an à la date de la décision attaquée.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu le 12 septembre 1963, entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie : " 1. Sous réserve des dispositions de l'article 7 relatif au libre accès à l'emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un Etat membre : / - a droit, dans cet Etat membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi (...) ". Il résulte de l'arrêt n° C-237/91 de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 16 décembre 1992 que l'article 6 premier paragraphe, premier tiret, de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association, qui a un effet direct en droit interne, doit être interprété en ce sens que, d'une part, un ressortissant turc qui a obtenu un permis de séjour sur le territoire d'un Etat membre pour y épouser une ressortissante de cet Etat membre et y a travaillé depuis plus d'un an auprès du même employeur sous le couvert d'un permis de travail valide a droit au renouvellement de son permis de travail en vertu de cette disposition, même si, au moment où il est statué sur la demande de renouvellement, son mariage a été dissous et que, d'autre part, un travailleur turc qui remplit les conditions de l'article 6, premier paragraphe, premier tiret, de la décision susmentionnée peut obtenir, outre la prorogation du permis de travail, celle du permis de séjour, le droit de séjour étant indispensable à l'accès et à l'exercice d'une activité salariée.

9. Lorsqu'il est saisi d'une demande de renouvellement d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur un autre fondement, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux.

10. Il ressort des pièces du dossier et notamment de la demande de titre de séjour du 19 juillet 2019, que M. A... n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association. Dès lors, il ne saurait utilement se prévaloir de ces dispositions. De plus, s'il fournit des fiches de paie correspondant à une période ininterrompue de travail de janvier 2019 à août 2020, chez un même employeur, le récépissé qu'il s'est vu délivrer le 20 septembre 2018 à l'occasion de sa première demande de titre de séjour de conjoint de Français ne l'a autorisé à travailler sur le territoire français que jusqu'au 31 octobre 2018, le refus de titre de séjour prononcé à cette date ayant nécessairement abrogé ce récépissé. Ainsi, à la date de la décision, il ne justifiait pas avoir travaillé pendant plus d'un an sous le couvert d'un permis de travail valide et avoir satisfait à la condition d'emploi régulier introduite par l'article 6 précité de la décision du 19 septembre 1980.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Une carte de séjour temporaire, d''une durée maximale d''un an, autorisant l''exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l''étranger : 1° Pour l'exercice d''une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l''article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention " salarié ". Aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail ", et aux termes de l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur: " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, la première délivrance de la carte de séjour temporaire et celle de la carte de séjour pluriannuelle mentionnée aux articles L. 313-20, L. 313-21, L. 313-23, L. 313-24, L. 313-27 et L. 313-29 sont subordonnées à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 311-1 (...) ".

12. M. A... n'était pas titulaire d'un visa de long séjour lors de son entrée sur le territoire français. Dès lors, le préfet a pu légalement lui refuser la délivrance, pour ce motif, du titre de séjour qu'il sollicitait sur le fondement de l'article L. 313-10 précité. Par suite, et alors même que M. A... a adressé à l'autorité préfectorale un contrat de travail à durée indéterminée, c'est sans commettre de vice de procédure ni d'erreur de droit que le préfet a pu rejeter sa demande sans saisir au préalable les services de la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Et dans ces conditions, la circonstance que le préfet s'est borné à indiquer ce motif de refus dans sa décision s'agissant de la demande fondée sur l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne permet pas de le regarder comme s'étant cru à tort en situation de compétence liée, alors qu'il a examiné si l'intéressé pouvait prétendre à un titre de séjour sur d'autres fondements, au regard de sa situation personnelle et familiale.

13. En quatrième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

14. S'il est constant que M. A... s'est marié en mai 2018 avec une ressortissante française, il ressort des pièces du dossier et notamment des déclarations du requérant lors de son audition par les services de police le 13 octobre 2020, que la communauté de vie avec son épouse avait cessé depuis un an à la date de la décision attaquée et que les époux disposaient de domiciles distincts. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'intéressé a fait l'objet, après le rejet définitif de sa demande d'asile le 30 mars 2017, de deux mesures d'éloignement en date du 24 août 2017 et du 31 octobre 2018 qu'il n'a pas exécutées. Si M. A... se prévaut de la présence en France de ses oncles et tantes, il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Les risques qu'il invoque d'emprisonnement ou d'enrôlement de force dans les unités combattantes de l'armée turque dans le cadre du service militaire obligatoire ne sont étayés par aucun document ou récit pour permettre d'en apprécier la réalité alors que la demande d'asile de l'intéressé a d'ailleurs été rejetée. Dans ces conditions, alors même que l'intéressé justifie d'une insertion professionnelle dès lors qu'il a exercé une activité salariée d'employé de boulangerie à compter du mois de septembre 2018 et justifie d'une qualification obtenue dans son pays d'origine, les moyens tirés de ce que la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. A... doit être écarté.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ".

16. En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 313-14, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Un étranger qui justifie d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail ne peut être regardé, par principe, comme attestant, par là-même, des " motifs exceptionnels " exigés par la loi. Il appartient, en effet, à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.

17. Si M. A... qui est entré en France en novembre 2015 selon ses déclarations, justifie d'un contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein, en date du 9 janvier 2019, pour un emploi d'ouvrier polyvalent en boulangerie qu'il occupe de manière ininterrompue depuis lors, qu'il établit être titulaire d'un diplôme en technologie alimentaire obtenue dans son pays d'origine, qu'il produit une attestation de son employeur estimant sa présence indispensable et justifie d'efforts d'intégration, ni ces circonstances, ni aucun des faits invoqués par l'intéressé ne relèvent de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels tels qu'ils puissent révéler que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne lui délivrant pas un titre de séjour en application des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

18. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article L. 431-3. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet n'est tenu de saisir la commission du titre de séjour que du seul cas des étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues par les dispositions visées par ce texte.

19. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, M. A... n'étant pas au nombre des étrangers pouvant obtenir de plein droit un titre de séjour, le préfet n'était pas tenu, en application des dispositions susvisées, de soumettre son cas à la commission du titre de séjour avant de rejeter sa demande. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté.

20. En dernier lieu, aux termes de l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde et des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ".

21. La décision contestée qui n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle au mariage de M. A..., déjà célébré, et alors que les époux se sont séparés et sont en instance de divorce, ne peut être regardée comme portant atteinte à son droit au mariage et à son droit de fonder une famille et, par suite, comme intervenue en violation des stipulations de l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français sans délai et la décision fixant le pays de renvoi :

22. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de base légale de la mesure d'éloignement et de la décision fixant le pays de renvoi en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour doit être écarté.

23. En deuxième lieu, si M. A... entend reprendre à l'encontre de ces décisions, l'ensemble des moyens soulevés à l'encontre de la décision portant refus de séjour, de tels moyens doivent, en tout état de cause, être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 5 à 21 du présent arrêt.

En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

24. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de base légale de la mesure d'assignation à résidence à raison de l'illégalité du refus de titre de séjour doit être écarté.

25. En deuxième lieu, si M. A... entend reprendre à l'encontre de la décision l'assignant à résidence l'ensemble des moyens soulevés à l'encontre de la décision portant refus de séjour, de tels moyens doivent, en tout état de cause, être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 5 à 21 du présent arrêt.

26. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes n° 21BX00869 et 21BX02250 présentées par M. A... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2016 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Laury Michel, première conseillère,

Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2021.

La rapporteure,

Birsen Sarac-DeleigneLa présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 21BBX0869, 21BX02250


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00869
Date de la décision : 14/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Birsen SARAC-DELEIGNE
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : MALABRE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-14;21bx00869 ?
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