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18/01/2022 | FRANCE | N°21BX01395

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 18 janvier 2022, 21BX01395


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite née le 27 septembre 2019 par laquelle le préfet des Yvelines a refusé d'abroger l'arrêté préfectoral d'expulsion du 11 juin 2013 dont il fait l'objet.

Par un jugement n° 1905604 du 2 février 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête et des pièces, enregistrées les 1er avril et 12 octobre 2021, M. C...

, représenté par Me Laspalles, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1905604 du tri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite née le 27 septembre 2019 par laquelle le préfet des Yvelines a refusé d'abroger l'arrêté préfectoral d'expulsion du 11 juin 2013 dont il fait l'objet.

Par un jugement n° 1905604 du 2 février 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête et des pièces, enregistrées les 1er avril et 12 octobre 2021, M. C..., représenté par Me Laspalles, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1905604 du tribunal administratif de Toulouse du 2 février 2021 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet des Yvelines sur sa demande du 22 mai 2019 tendant à l'abrogation de l'arrêté d'expulsion du 11 juin 2013 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Yvelines de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

Il soutient que la décision :

- est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que sa présence en France ne constitue plus une menace à l'ordre public ; il a été placé en régime de semi-liberté pendant un an puis en liberté conditionnelle au regard de ses efforts réalisés en détention et du faible risque de récidive ; l'évaluation effectuée par le centre national de Sedequin, qui lui est moins favorable, est à replacer dans un contexte dans lequel il présentait un projet professionnel différent et moins cadré ; il travaille désormais dans une carrosserie et a tout mis en œuvre durant sa détention et à sa sortie pour s'amender ; l'expertise du docteur A... sur la base duquel le tribunal de l'application des peines a prononcé sa libération conditionnelle aux termes du jugement du 25 juin 2019 lui est favorable ; il a bénéficié d'un relèvement total de la période de sureté initialement fixée ; il poursuit les soins débutés en détention et indemnise toujours les parties civiles ;

- est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- eu égard à sa situation personnelle et familiale ainsi qu'à ses efforts d'intégration en France, et dès lors que son comportement ne représente plus une menace à l'ordre public, elle porte une atteinte manifestement excessive au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

La requête a été communiquée au préfet des Yvelines, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par ordonnance du 6 octobre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 6 décembre 2021 à 12h00.

Les parties ont été informées, par courrier du 19 octobre 2021, de ce que, sur le fondement de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, la cour était susceptible, en cas d'annulation de la décision implicite contestée, d'enjoindre d'office à l'autorité compétente d'abroger l'arrêté d'expulsion du 11 juin 2013.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michaël Kauffmann,

- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant brésilien né le 20 septembre 1968, a été mis en possession, le 9 janvier 1994, d'un titre de séjour en qualité de salarié, régulièrement renouvelé jusqu'en 1997, date à compter de laquelle il a bénéficié d'une carte de résident valable jusqu'au 6 janvier 2007. Le 16 juin 2006, l'intéressé a été condamné par la cour d'assises de la Guyane à une peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle pour des faits de meurtre, de vols en bande organisée avec arme et de tentative de vol commis le 29 août 2003. Par un arrêté du 11 juin 2013, le préfet des Yvelines a pris à son encontre un arrêté d'expulsion du territoire en raison de de la menace grave pour l'ordre public que constituait sa présence en France. M. C... relève appel du jugement du 2 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet des Yvelines sur sa demande du 22 mai 2019 tendant à l'abrogation de l'arrêté du 11 juin 2013.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 524-1 du même code, dans sa rédaction applicable : " L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé. (...) ". Aux termes de l'article L. 524-2 du même code, alors en vigueur : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 524-1, les motifs de l'arrêté d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date d'adoption de l'arrêté. L'autorité compétente tient compte de l'évolution de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de l'intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente, en vue de prononcer éventuellement l'abrogation de l'arrêté. L'étranger peut présenter des observations écrites. ". Enfin, aux termes de l'article R. 524-2 du même code, dans sa rédaction applicable : " Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion vaut décision de rejet. ".

3. Il résulte des dispositions précitées qu'indépendamment du réexamen auquel elle procède tous les cinq ans, il appartient à l'autorité administrative compétente, saisie d'une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion, d'apprécier, en vertu des dispositions des articles L. 524-1 et L. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction alors en vigueur, si la présence de l'intéressé sur le territoire français constitue toujours, à la date à laquelle elle se prononce, une menace grave pour l'ordre public de nature à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée, en tenant compte des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion qu'il présente.

4. Il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 24 novembre 2015, le tribunal de l'application des peines près la cour d'appel de Versailles a relevé M. C... de sa période de sureté en se fondant sur le rapport d'une experte psychiatre du 15 juillet 2015 concluant à un faible risque de récidive et après avis favorables du service pénitentiaire d'insertion et de probation et de l'administration pénitentiaire qui ont souligné sa mobilisation positive en détention et ses efforts accomplis en matière de comportement, de formation, de travail, de soins et d'indemnisation des parties civiles. Par un jugement du 25 juin 2019, ce même tribunal a ensuite prononcé la libération conditionnelle de l'appelant à compter du 1er juillet 2020 en le soumettant à une épreuve de semi-liberté d'un an. Tout en relevant un fort antagonisme entre les conclusions d'un expert psychiatre, désigné en fin d'année 2017, qui a estimé que M. C... ne présentait pas de dangerosité en milieu libre et celles des évaluateurs du centre national d'évaluation de Sequedin, au sein duquel l'intéressé a effectué un cycle d'évaluation de la dangerosité de janvier à février 2018, qui ont relevé l'intérêt prévalant du condamné pour l'aspect matériel et ont conclu à un risque élevé de récidive, le tribunal a estimé que M. C... avait su tenir compte des réserves ainsi formulées durant son évaluation pour préparer un projet professionnel plus réaliste, en lien avec ses compétences, et justifiait de gages sérieux de réadaptation sociale par son implication dans l'apprentissage de la langue française, dans le travail en détention et dans les soins. Il ressort par ailleurs des nombreuses attestations circonstanciées versées à l'instance que les agents de l'administration pénitentiaire qui l'ont côtoyé le décrivent comme sérieux et impliqué dans ses activités professionnelles, qu'il a exercées de manière constante en détention, et respectueux et correct avec le personnel et ses codétenus. M. C..., qui a développé une compétence spécialisée dans le domaine de la peinture de carrosserie, présente en outre des garanties sérieuses de réinsertion professionnelle, ainsi qu'en attestent les propositions d'emploi qui lui ont été adressées par plusieurs entreprises de carrosserie après des stages effectués dans ce domaine ainsi que le contrat qui le lie actuellement à l'entreprise First Carrosserie. Enfin, il est constant qu'à la date de la décision attaquée, son fils, sa fille et sa belle-fille résident sur le territoire français sous couvert de titres de séjour et entretiennent des liens réguliers avec l'intéressé. Dans ces conditions, eu égard aux garanties de réinsertion qu'il présente ainsi qu'à sa situation personnelle et familiale, et malgré la gravité des faits commis, M. C... est fondé à soutenir que le préfet des Yvelines, qui n'a produit d'observations en défense ni en première instance ni en appel, a entaché sa décision d'erreur d'appréciation quant à la menace qu'il représente pour l'ordre public.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a refusé de faire droit à sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet des Yvelines sur sa demande du 22 mai 2019 tendant à l'abrogation de l'arrêté d'expulsion du 11 juin 2013 dont il a fait l'objet et à demander l'annulation de cette décision. Cette annulation implique nécessairement que le préfet des Yvelines abroge l'arrêté d'expulsion du 11 juin 2013. Il y a lieu pour la cour d'ordonner cette mesure dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1905604 du 2 février 2021 et la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet des Yvelines sur la demande du 22 mai 2019 de M. C... tendant à l'abrogation de l'arrêté d'expulsion dont il a fait l'objet le 11 juin 2013 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Yvelines d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. C... le 11 juin 2013 dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Yvelines.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2022.

Le rapporteur,

Michaël Kauffmann La présidente,

Evelyne Balzamo

Le greffier,

André Gauchon

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX013954


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01395
Date de la décision : 18/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02-06 Étrangers. - Expulsion. - Abrogation.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : LASPALLES

Origine de la décision
Date de l'import : 25/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-01-18;21bx01395 ?
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