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16/02/2022 | FRANCE | N°21BX03240

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 16 février 2022, 21BX03240


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 30 juin 2020 par lequel la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2004065 du 9 avril 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 août et 22 no

vembre 2021, Mme C..., représentée par Me Dujardin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 30 juin 2020 par lequel la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2004065 du 9 avril 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 août et 22 novembre 2021, Mme C..., représentée par Me Dujardin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 30 juin 2020 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Tarn de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande avec délivrance d'une autorisation provisoire de séjour dans l'attente ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

- elle est entachée d'un vice de procédure au sens des dispositions de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il n'est pas démontré que le médecin instructeur qui a établi son rapport ne siégeait pas au sein du collège ;

- elle est entachée d'un vice de procédure, dès lors que le collège de médecins de l'Ofii ne s'est pas prononcé sur la disponibilité du traitement dans le pays d'origine ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation, notamment concernant l'absence de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires et la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant ; le tribunal ne peut considérer que le seul fait de viser deux articles suffit à écarter ce moyen ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation en ce que de nombreux éléments substantiels de son parcours personnel n'apparaissent pas et que n'a pas été prise en compte l'atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant en l'absence de structure pluridisciplinaire en capacité de pouvoir suivre l'état de santé de l'enfant ;

- la préfète s'est estimée en situation de compétence liée par l'avis du collège des médecins de l'Ofii ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 311-12 et L. 313-11, 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que les différents comptes rendus de prise en charge par la psychomotricienne, l'infirmière ou le psychiatre de Seydina A... évoquent une prise en charge pluridisciplinaire globale, régulière, dont le défaut pourrait entrainer des conséquences d'une extrême gravité, tandis que les structures dans lesquelles il est soigné en France, SESSAD et hôpital de jour enfant, n'existent pas au Sénégal, ce qu'indique entre autre la note médicale du médecin chef ayant suivi l'enfant au Sénégal avant son départ ; le tribunal a estimé à tort que les deux certificats médicaux produits ne sont pas de nature à remettre en cause l'avis du collège de médecins de l'Ofii, alors que, d'une part, si ces pièces sont postérieures à la décision contestée, elles portent sur un état de santé existant à la date de l'arrêté, et d'autre part, ces certificats médicaux s'ajoutent à d'autres pièces - non prises en compte par les premiers juges - qui concourent à contredire l'avis ; Seydina A... ne conserve une autonomie que pour les actes élémentaires de la vie quotidienne, son taux d'incapacité est important, puisqu'il est situé entre 50 % et 79 % ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, car elle justifie de circonstances exceptionnelles et de motifs humanitaires, caractérisés par le fait qu'elle a dû fuir son pays en raison de violences conjugales, qu'elle a été accueillie à la maison maternelle de D... avec ses deux enfants en bas âges dont l'un nécessite des soins réguliers et une stabilité affective et quotidienne, qu'elle est elle-même suivie pour dépression depuis novembre 2019, qu'elle a entrepris de nombreuses démarches pour trouver du travail et reprendre ses études, qu'elle a tissé des liens en France grâce à ses engagements bénévoles et du travail auprès de particuliers, que ses parents sont décédés, et qu'une de ses sœurs, de nationalité française, les a hébergés à son arrivée en France ;

- la préfète a méconnu l'étendue de sa compétence en n'examinant pas si sa situation ne permettait pas de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " sur un autre fondement que celui demandé, notamment sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11, 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour les raisons précédemment exposées ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, dès lors que Seydina A... a besoin de soins et d'un suivi qui ne peut être dispensé au Sénégal, et qu'en raison d'un parcours migratoire et d'une enfance qui ont créé des chocs traumatiques et un retard neurologique important chez lui, un retour au Sénégal, lieu d'origine de ses troubles, auraient des conséquences dramatiques sur son état de santé ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle pour les raisons précédemment exposées ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de séjour ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation en fait, ce qui démontre un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4, 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour les mêmes raisons que celles exposées concernant le refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour les mêmes raisons que celles exposées concernant le refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant pour les mêmes raisons que celles exposées concernant le refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'en cas de retour au Sénégal, elle serait isolée de sa famille et de sa belle-famille en désaccord avec ses choix et elle serait de nouveau exposée à des violences conjugales.

Par un mémoire enregistré le 26 octobre 2021, la préfète du Tarn conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2021/013410 du 22 juillet 2021 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Evelyne Balzamo, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante sénégalaise, est entrée en France le 5 avril 2018 accompagnée de son fils E... A.... Le 24 avril 2020, elle a déposé une demande de titre de séjour en qualité de parent accompagnant un enfant malade. Par un arrêté du 30 juin 2020, la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme C... relève appel du jugement du 9 avril 2021, par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

3. Il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux produits, et n'est pas contesté, que Seydina A..., né le 18 décembre 2015, présente une dysharmonie évolutive avec des traits autistiques et un retard de parole et de langage. Ces documents médicaux indiquent qu'il " présente un état d'agitation majeure, qu'il est dans l'incapacité à être dans le lien à l'autre, qu'il souffre d'angoisse dépressive de perte et de séparation ", et que ces troubles majeurs du comportement seraient très probablement liés aux ruptures, séparations et changements brutaux vécus dans sa petite enfance. Seydina A... est traité pour ces troubles par le centre médico-psychologique pour enfants F... D... depuis avril 2019, lequel a mis en place une prise en charge pluridisciplinaire, comprenant des soins psychiatriques, psychomoteurs, orthophoniques et infirmiers intenses. Par décision du 30 mars 2020, la commission des droits de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a reconnu à l'enfant, alors âgé de quatre ans, un taux d'incapacité compris entre 50 % et 79 %, correspondant à la reconnaissance de troubles importants entravant sa vie sociale. Il résulte de la décision de la CDAPH du 8 juillet 2021, postérieure à l'arrêté contesté, mais dont l'orientation était prévisible à court terme au regard du taux d'incapacité reconnu à l'enfant, que sa scolarité se poursuivra au sein d'un institut thérapeutique éducatif et pédagogique à partir de la rentrée scolaire 2021, avec une aide humaine individuelle en tant qu'élève handicapé. La préfète n'établit pas, par les pièces qu'elle produit, et en l'absence d'avis du collège de médecins de l'Ofii sur ce point, que Seydina A... pourrait effectivement bénéficier d'un suivi en milieu hospitalier et d'une scolarisation spécialisée s'il retournait au Sénégal, tandis qu'il ressort des notes médicales, tant du médecin psychiatre qui le suit actuellement que du médecin chef sénégalais l'ayant suivi jusqu'à l'âge de deux ans et demi, qu'il n'existe pas au Sénégal de structure sanitaire spécialisée adaptée à son âge précoce. Enfin, l'ensemble des soignants accompagnant l'enfant estiment qu'au regard de ses troubles et des traumatismes vécus durant les premiers mois de sa vie, une rupture de la prise en charge régulière et soutenue dont il fait l'objet et du cadre sécurisant instauré depuis qu'il est en France lui serait gravement préjudiciable. Dès lors, en refusant l'autorisation de séjour demandée, la préfète du Tarn a méconnu l'intérêt supérieur de l'enfant tel qu'il résulte des stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète du Tarn du 30 juin 2020 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Eu égard au motif d'annulation ci-dessus retenu, et sous réserve d'un changement substantiel dans la situation de droit ou de fait de l'intéressée, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance d'un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la préfète du Tarn de délivrer ce titre à Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais du litige :

6. Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au profit de Me Dujardin, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2004065 du 9 avril 2021 du tribunal administratif de Toulouse est annulé, ainsi que l'arrêté du 30 juin 2020 de la préfète du Tarn.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Tarn de délivrer un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale " à Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Dujardin la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée à la préfète du Tarn.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Nicolas Normand, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition le 16 février 2022.

Le président-assesseur,

Dominique FerrariLa présidente,

Evelyne Balzamo Le greffier,

André Gauchon

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX03240


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03240
Date de la décision : 16/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Evelyne BALZAMO
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : DUJARDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-02-16;21bx03240 ?
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