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17/02/2022 | FRANCE | N°21BX03971

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 17 février 2022, 21BX03971


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2020 par lequel la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2100191 du 1er octobre 2021, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, a enjoint à la préfète du Tarn de délivrer à M. B... un titre de séjour mention " vie privée e

t familiale " et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au bénéfice de Me Duj...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2020 par lequel la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2100191 du 1er octobre 2021, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, a enjoint à la préfète du Tarn de délivrer à M. B... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au bénéfice de Me Dujardin en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 octobre 2021, la préfète du Tarn demande à la cour d'annuler ce jugement.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les irrégularités affectant le jugement supplétif et l'extrait d'acte de naissance produits par l'intéressé permettent de renverser la présomption de validité de ces documents qui n'ont pas été légalisés par les autorités française ou guinéennes ;

- la saisine des autorités guinéennes n'était pas nécessaire ; en outre la saisine de ces autorités est restée sans réponse ;

- la carte consulaire produite par l'intéressé n'a aucune force probante ;

- aucun des moyens soulevés par M. B... n'est fondé.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 décembre 2021, M. B..., représenté par Me Dujardin, conclut au rejet de la requête, à l'annulation des décisions de la préfète, à ce qu'il lui soit enjoint de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- l'appel demeure sans objet dès lors que la procédure de délivrance d'un titre de séjour a été mise en route ;

- les moyens invoqués par le préfet ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Marianne Hardy a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant guinéen ayant déclaré être né en 2002, serait entré en France irrégulièrement en février 2018. Il a fait l'objet d'un placement auprès des services de l'aide sociale à l'enfance à la suite d'un jugement en assistance éducative du tribunal des enfants près le tribunal de grande instance d'Albi du 19 mars 2019. Le 12 octobre 2020, il a sollicité un titre de séjour sur le fondement du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par un arrêté du 20 novembre 2020, la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. La préfète du Tarn relève appel du jugement du 1er octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au bénéfice de Me Dujardin.

Sur la fin de non-recevoir opposée :

2. Contrairement à ce que soutient M. B..., la circonstance qu'il s'est vu remettre un récépissé l'autorisant à travailler dans l'attente de la fabrication de sa carte de séjour ne rend pas sans objet l'appel de la préfète, alors même que l'administration n'a pas sollicité le sursis à exécution du jugement attaqué ni pris une nouvelle décision, dès lors que la délivrance de ce récépissé a été effectuée en exécution du jugement attaqué du tribunal administratif de Toulouse. Par suite, l'exception de non-lieu opposée par M. B... doit être écartée.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

3. Pour annuler l'arrêté litigieux, le tribunal administratif de Toulouse a considéré que la préfète du Tarn ne pouvait être regardée comme renversant la présomption de validité de l'acte de naissance produit par M. B... tel qu'il résulte du jugement supplétif du 20 février 2018 et qu'ainsi l'intéressé devait être regardé comme étant né le 2 octobre 2002 et par conséquent comme ayant été confié à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans.

4. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...). ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

6. Pour établir sa naissance au 2 octobre 2002 et, partant, son état de minorité lors de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, M. B..., qui est entré en France dépourvu de document d'identité, a transmis à l'administration, dans le cadre de l'instruction de sa demande, un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance du tribunal de première instance de Conakry II du 20 février 2018 et un extrait d'acte de naissance du 21 février 2018, issu de la transcription de ce jugement au registre d'état civil de la ville de Conakry. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ce jugement supplétif a été rendu le 20 février 2018, soit le jour même du dépôt de la demande présentée par la mère de M. B..., qui se trouvait lui-même en France à cette époque, ce qui excluait toute possibilité de vérifier les déclarations des témoins, et alors que l'intéressé avait déclaré préalablement à son placement à l'aide sociale à l'enfance que sa mère était décédée en 2016. Ce jugement supplétif ne comporte ni l'heure de naissance de M. B..., ni les dates et les lieux de naissance de ses parents et a été retranscrit dans le registre de l'état civil de la commune dès le lendemain de son établissement. En outre aucune photo ni empreinte ne permet de rattacher ce document au requérant. Il ressort également des pièces du dossier que le consul de Guinée, saisi par les services de la préfecture, n'a pas répondu à la demande de vérification. Enfin, les documents produits par l'intéressé ne comportent pas de légalisation des autorités françaises. L'ensemble de ces éléments permet de remettre en cause la force probante des documents produits par M. B... pour établir sa date de naissance, alors même que son état civil n'a pas été remis en question au cours de la procédure de placement auprès des services de l'aide sociale à l'enfance. Par suite, eu égard à l'absence de force probante du jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance sur la base duquel ont été établies la carte consulaire délivrée le 25 juillet 2019 par l'ambassade de Guinée et l'attestation du 9 août 2019 de non délivrance de passeport, la production par M. B... de ces documents ne permet pas de considérer que la date de naissance qui y est indiquée correspondrait à la réalité.

7. Il résulte de ce qui précède que la préfète est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que M. B... devait être regardé comme étant né le 2 octobre 2002 et par conséquent comme ayant été confié à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans.

8. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... à l'encontre de l'arrêté de la préfète du Tarn du 20 novembre 2020.

Sur les autres moyens :

9. L'arrêté attaqué vise les textes dont il est fait application, mentionne les faits relatifs à la situation personnelle et administrative de M. B..., notamment son placement auprès des services de l'aide sociale à l'enfance, l'obtention du CAP " monteur des installations thermiques " et la poursuite de sa formation en 1ère année de baccalauréat professionnel technicien de maintenance des systèmes énergétiques et climatiques, et indique avec précision les raisons pour lesquelles la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Ces indications, qui ont permis à M. B... de comprendre et de contester les mesures prises à son encontre, étaient suffisantes. Par suite, le moyen tiré de la motivation insuffisante de l'arrêté contesté doit être écarté.

10. Ni la motivation de cet arrêté ni aucune autre pièce du dossier ne permet de considérer que la préfète n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation de M. B.... Par suite, ce moyen doit être écarté.

11. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. B... ne remplissant pas l'une des conditions posées par les dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne pouvait obtenir un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions alors même qu'il justifie du caractère réel et sérieux de sa formation et de l'avis favorable de la structure d'accueil. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

12. En indiquant dans l'arrêté contesté que M. B... n'avait pas fait valoir de considérations humanitaires ni de motifs exceptionnels la préfète ne peut être regardée comme ayant ajouté des critères aux dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 mais s'est bornée à examiner si l'intéressé pouvait prétendre à un titre de séjour sur un autre fondement. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit que la préfète aurait commise sur ce point doit être écarté.

13. Par ailleurs, M. B... est entré très récemment en France et n'est pas dépourvu d'attaches dans son pays d'origine où résident sa mère, qui a présenté en 2018 la requête pour obtenir un jugement supplétif d'acte de naissance pour l'intéressé, et sa sœur. La circonstance qu'il a suivi la formation au CAP de " monteur des installations thermiques " avec sérieux et assiduité n'est pas suffisante, à elle seule, dans les circonstances de l'espèce, pour caractériser l'existence de liens anciens et durables en France. Enfin, en se bornant à produire un certificat de scolarité en classe de première du baccalauréat professionnel TMSEC pour l'année 2020-2021, M. B... n'établit pas qu'il poursuivait effectivement une formation pour obtenir un tel diplôme. Dans ces conditions, l'arrêté contesté ne peut être regardé comme portant au droit de M. B... au respect sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée eu égard aux motifs du refus de titre de séjour et aux buts poursuivis par la mesure d'éloignement, alors même qu'il maîtrise la langue française et qu'il se conforme aux valeurs de la République. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celui tiré de l'erreur manifeste qu'aurait commise la préfète dans l'appréciation des conséquences de ses décisions doivent être écartés.

14. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, les moyens tirés, par la voie de l'exception, de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi du fait de la prétendue illégalité de la décision portant refus de séjour doivent être écartés.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Tarn est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé son arrêté du 20 novembre 2020, lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au bénéfice de Me Dujardin.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au bénéfice de Me Dujardin, avocat de M. B....

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 1er octobre 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulouse et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., au ministre de l'intérieur et à Me Claire Dujardin.

Copie en sera transmise à la préfète du Tarn.

Délibéré après l'audience du 20 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 février 2022.

La présidente-rapporteure,

Marianne HardyLa présidente-assesseure,

Fabienne Zuccarello

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX03971 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03971
Date de la décision : 17/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Marianne HARDY
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : DUJARDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-02-17;21bx03971 ?
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