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10/03/2022 | FRANCE | N°19BX04786

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 10 mars 2022, 19BX04786


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 10 avril 2017 par laquelle le président de l'université de La Réunion lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle et de condamner l'université de La Réunion à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi.

Par un jugement n°1700699 du 31 octobre 2019, le tribunal administratif de La Réunion a annulé la décision du 10 avril 2017 et a conda

mné l'université de La Réunion à lui verser la somme de 3 000 euros.

Procédure devant ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 10 avril 2017 par laquelle le président de l'université de La Réunion lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle et de condamner l'université de La Réunion à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi.

Par un jugement n°1700699 du 31 octobre 2019, le tribunal administratif de La Réunion a annulé la décision du 10 avril 2017 et a condamné l'université de La Réunion à lui verser la somme de 3 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 septembre 2019, l'université de La Réunion, représentée par Me Carrere, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. B... ;

3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 5 750 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'erreur d'appréciation car les éléments pris en compte pour retenir l'existence d'une présomption de harcèlement moral sont expliqués par l'intérêt du service ;

- la notification tardive des services d'enseignement en 2015 et 2016 résulte de la propre attitude de M. B... ;

- le refus initial de la protection fonctionnelle après les insultes dont il a fait l'objet de la part d'un de ses collègues s'explique par le comportement de M. B... dans le cadre du conflit qu'il entretenait avec ce collègue depuis plusieurs années ;

- le refus de communication de documents administratifs est très limité et justifié soit par la situation conflictuelle entretenue par M. B... soit par des motifs objectifs ;

- les arrêts de travail ont été intégralement pris en compte et n'ont fait l'objet d'aucune retenue sur traitement, les échanges sur ce sujet ne révèlent aucune situation de harcèlement ;

- l'attestation de services demandée n'était pas obligatoire et a été délivrée à l'intéressé ; en outre les conséquences de ce retard sur sa candidature ne sont pas établies ;

- l'existence de propos diffamatoires et de méthodes vexatoires de la part du doyen de la faculté de droit ne sont pas établis ; il en est de même de l'existence d'appréciations déplacées de la part du responsable du service juridique ; M. B... a déjà été indemnisé pour les propos diffamatoires tenus par un de ses collègues ;

- la privation prolongée des moyens matériels d'exercer les fonctions n'est pas établie alors que les services ont toujours répondu à ses demandes d'intervention ;

- les accusations concernant les changements d'emploi du temps sont fantaisistes ;

- M. B... ne démontre pas en quoi l'absence d'étudiants à l'un de ses cours résulterait d'une intervention malveillante d'un collègue ou de l'administration ;

- la réalité de son préjudice n'est pas établie d'autant que l'altération de son état de santé résulte de son propre comportement.

Par des mémoires en défense enregistrés le 30 juin 2021 et le 2 juillet 2021, M. B..., représenté par Me Benoiton, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'enjoindre à l'université de La Réunion et à la rectrice de l'académie de La Réunion de faire cesser le harcèlement à son égard, de prendre en charge ses frais d'avocat afin d'entamer une action pénale contre l'université de La Réunion et son président, et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt, et de déférer le président de l'université de La Réunion devant une section disciplinaire autre que celle de l'université de La Réunion afin de répondre de ses agissements en ce domaine ;

3°) de supprimer le passage des conclusions de l'université de La Réunion indiquant "Il est ainsi le seul responsable de sa quérulence " et de la condamner à une amende de 100 euros pour ces propos outrageants et injurieux ;

4°) de mettre à la charge de l'université de La Réunion une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- l'université se base sur une présentation déformée de la réalité s'agissant des échanges de mails et de son attitude ; elle se base en outre sur des faits anciens qui ne peuvent justifier l'attitude de l'administration à la date de sa demande de protection fonctionnelle ; en outre ces messages sont sortis de leur contexte et s'inscrivent dans le cadre de débats et de contestations internes nourris dans lesquels il n'est pas systématiquement impliqué ;

- les écritures et les pièces produites en première instance permettent d'étayer la réalité du harcèlement moral dont il a été victime ; la malveillance ne constitue pas une condition pour retenir l'existence d'un tel harcèlement ;

- ces comportements ont entraîné la dégradation de ses conditions de travail, une atteinte à ses droits et à sa dignité ainsi qu'à son état de santé ; il justifie ainsi de la réalité de son préjudice ;

- à titre subsidiaire, si le harcèlement n'était pas retenu, les agissements incriminés sont fautifs et justifient le versement de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- dès lors que le harcèlement moral à son encontre et les préjudices qui en découlent perdurent, il est fondé à obtenir les mesures d'injonction sollicitées qui ont pour objet de mettre fin à ce comportement et d'en pallier les effets.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me Simon pour l'université de La Réunion.

Une note en délibéré présentée pour M. B..., représenté par Me Benoiton, a été enregistrée le 12 février 2022.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., maître de conférences à l'université de La Réunion, a sollicité le 10 février 2017 la protection fonctionnelle de son employeur au titre des faits de harcèlement moral dont il s'estimait victime et la réparation du préjudice subi à hauteur de la somme de 3 000 euros. M. B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 10 avril 2017 par laquelle le président de l'université de La Réunion lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle et de condamner cette administration à lui verser la somme de 3 000 euros. L'université de La Réunion relève appel du jugement du 31 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif a donné satisfaction à M. B.... M. B... pour sa part demande à la cour qu'il soit enjoint à l'administration de faire cesser le harcèlement à son égard, de prendre en charge ses frais d'avocat afin d'entamer une action pénale contre l'université de La Réunion et de déférer le président de l'université de La Réunion devant une section disciplinaire ainsi que la suppression de passages qu'il estime injurieux dans les écritures de l'université.

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ". Aux termes de l'article 11 de la même loi, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

3. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Enfin, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.

5. Pour soutenir qu'il a été victime de harcèlement moral, M. B... se prévaut notamment de la notification tardive de son emploi du temps au mois de décembre pour l'année 2015-2016 puis en 2016-2017 qui l'a laissé dans une situation d'incertitude et ne lui a pas permis de préparer ses enseignements dans de bonnes conditions, du retrait d'enseignements sans justification, ce qui a généré une charge de travail supplémentaire, du délai de plus de huit mois avant de lui accorder la protection fonctionnelle à la suite des propos insultants d'un de ses collègues, de propos et de méthodes vexatoires de la part de membres de l'équipe de direction de l'université dans le cadre de l'établissement de documents nécessaires pour la constitution de dossiers de candidatures ainsi que des difficultés qu'il a rencontrées dans la gestion de son emploi du temps et pour la prise en compte de ses arrêts de travail qui l'ont obligé à produire de nombreux justificatifs et l'ont laissé dans l'incertitude s'agissant de l'organisation de son activité. A l'appui de ses dires il produit de nombreux échanges de courriers et de messages électroniques qui témoignent de relations tendues avec la direction et l'administration de l'université et des nombreuses procédures qu'il a mises en œuvre. Il produit également des arrêts de travail de plusieurs semaines en 2016 et 2017 ainsi que des certificats médicaux faisant état d'une dégradation de son état de santé en raison de ses conditions de travail et du harcèlement moral dont il s'estime victime. Il se prévaut également de son suivi par le médecin du travail et de la décision de celui-ci de limiter son service hebdomadaire à dix heures en avril 2016 en raison de son état de santé dégradé. L'ensemble des agissements mentionnés ci-dessus, compte tenu de leur caractère répété et cumulatif et de leurs conséquences de nature à altérer les conditions de travail de M. B..., sont susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à son encontre.

6. L'université de La Réunion soutient en réponse que les agissements en litige sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement et que les difficultés rencontrées par M. B... résultent de son propre comportement d'opposition et de dénigrement systématiques tant vis à vis de l'institution que vis à vis de ses collègues, qui ont généré un climat conflictuel. Ainsi, elle fait valoir que les retards de notification des emplois du temps sont dus au propre comportement de M. B... en raison des recours qu'il a déposés et de son inaction. Elle justifie le délai pour lui accorder la protection fonctionnelle à la suite des propos de son collègue en mai 2016 par la nécessité d'une analyse détaillée de la situation en raison de la forte animosité existante entre les deux protagonistes et des attaques antérieures de M. B... à l'encontre de ce même collègue. Elle indique qu'elle n'avait aucune obligation d'établir le document demandé dans le cadre de la candidature de l'intéressé aux fonctions de professeur d'université. Elle fait également valoir que les difficultés dans la gestion de l'emploi du temps de M. B... résultent de son attitude irrationnelle et conflictuelle. Enfin, s'agissant de la prise en compte de ses arrêts de travail, elle soutient que l'intéressé n'a fait l'objet d'aucune retenue sur traitement, alors même qu'il ne saurait se réfugier derrière l'incertitude résultant de la notification tardive de ses services le 15 décembre 2016 pour justifier de la non réalisation d'un cours de culture générale prévu dans le projet de répartition des services établi en juillet 2016, et que tous ses arrêts de travail ont été pris en compte, les échanges de courriels produits témoignant de l'absence d'animosité à l'égard de M. B....

7. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les échanges de mails que l'université produit pour justifier de l'attitude de M. B... et de sa responsabilité dans les difficultés dont il se plaint, sont pour la plupart très antérieurs aux faits en cause et restent ponctuels. En outre, s'ils démontrent que M. B... avait effectivement une attitude critique vis à vis de l'institution et du positionnement de certains de ses collègues, ils ne comportent pas de propos insultants et ne permettent pas d'étayer les affirmations de l'université selon lesquelles M. B... se serait isolé de la communauté universitaire et se serait trouvé en butte à une hostilité généralisée de la part ses collègues. Il ressort également des pièces du dossier que ces échanges avaient lieu sur un espace d'expression libre sur lequel de nombreux universitaires exprimaient des opinions et critiques très tranchées dans des termes tout aussi acerbes que M. B... et à propos duquel le conseil d'administration avait rejeté le 10 décembre 2015 une motion visant à mettre en place une modération. Au demeurant, si cette situation pourrait éventuellement justifier le retard mis pour accorder la protection fonctionnelle à M. B... à la suite des propos tenus par son collègue, l'université ne démontre pas en quoi ce comportement permettrait d'expliquer les difficultés rencontrées par M. B... dans l'organisation de son service ou pour obtenir des attestations d'ordre professionnel de la part de ses supérieurs.

8. Il ressort également des pièces du dossier que les retards dans la notification des services de M. B... pour les années 2015-2016 et 2016-2017 ne peuvent s'expliquer par les seuls recours de l'intéressé. En effet, pour l'année 2015-2016, le conseil restreint a émis un avis dès le 1er octobre 2015 et le président de l'université a pris sa décision le 27 octobre 2015, mais elle n'a été notifiée à M. B... que le 18 décembre 2015 sans que l'université n'apporte aucun élément pour justifier ce retard. Pour l'année 2016-2017, l'administrateur provisoire avait invité le 15 juillet 2016 le doyen de la faculté de droit à rechercher un compromis en conservant à M. B... un cours nouvellement attribué l'année précédente et en lui attribuant des enseignements confiés à des vacataires. Le président de l'université, nommé en septembre 2016, n'a pas souhaité prendre de décision et a renvoyé M. B... à l'avis du doyen. Enfin, alors que le refus de ce dernier de modifier sa position était connu depuis le 27 octobre 2016, la décision d'attribution de service n'a été notifiée à M. B... que le 15 décembre 2016, malgré les relances de l'intéressé et sans aucune justification de ce retard qui plaçait M. B... dans une position d'incertitude et ne lui permettait pas de planifier ses interventions et de préparer ses cours dans de bonnes conditions.

9. Par ailleurs, au regard de la teneur et de la violence du message posté par un des collègues de M. B... sur l'espace d'expression libre, l'existence d'une animosité préexistante entre les intéressés n'est pas de nature à justifier le délai de plus de huit mois pour instruire la demande de protection fonctionnelle introduite en mai 2016.

10. Les éléments produits par M. B... permettent également d'établir les difficultés qu'il a rencontrées dans la gestion matérielle de son emploi du temps s'agissant de la programmation de ses interventions, en raison de décisions et de demandes tardives de l'université, qui résultent de changements soudains d'organisation ou de méthodes pédagogiques et non, comme le soutient l'université, de l'attitude irrationnelle ou conflictuelle de M. B.... De plus, elle n'établit pas le caractère urgent et indispensable de ces changements tardifs alors que M. B... soutient sans être contredit qu'il n'avait pas rencontré de problèmes de cet ordre durant les seize années précédentes. Enfin, s'agissant de l'établissement du récapitulatif annuel de service fait et de la prise en compte des arrêts de travail, la circonstance qu'il a finalement été donné raison à M. B... n'est pas de nature à remettre en cause les difficultés rencontrées, qui résultent notamment du retard de l'université à notifier le contenu de son service et son emploi du temps à M. B... et de la non prise en compte de l'aménagement accordé par le médecin du travail, ce qui l'a contraint à de nombreuses démarches et justifications. A cet égard l'université ne saurait sérieusement soutenir que l'intéressé avait connaissance dès juillet 2016 de ce qu'il devait assurer les cours de culture générale dès lors que les documents sur lesquels elle se fonde sont des documents préparatoires et que la notification du service définitif de M. B... n'est intervenue qu'en décembre 2016.

11. Enfin, alors que M. B... avait demandé plusieurs semaines auparavant et en précisant l'échéance une attestation de services dans le cadre de la constitution de son dossier de candidature aux fonctions de professeur des université, les circonstances avancées par l'université que cette pièce n'était pas obligatoire et que l'absence de ce document n'aurait pas nui à sa candidature, ne sont pas de nature à justifier la remise tardive de ce document au-delà de la date limite de dépôt des dossiers, dans un contexte où l'intéressé était fragilisé.

12. Il résulte de ce qui précède, que l'ensemble des agissements relevés ont présenté, du fait de leur accumulation, un caractère répétitif ayant eu pour effet la dégradation des conditions de travail de M. B... et ont provoqué une altération de son état psychologique. Or, les éléments apportés par l'université ne sont pas de nature à tenir pour établi que ces agissements étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, aucun d'eux n'étant justifié par l'intérêt du service ou les contraintes organisationnelles. Dans ces conditions, les agissements dénoncés par M. B... doivent être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral. En refusant de faire droit à la demande de l'intéressé d'une mise en œuvre de la protection fonctionnelle, le président de l'université de La Réunion a dès lors manqué à son obligation de protection. Par suite, il résulte des éléments pris en compte aux point 5 à 11 que c'est à bon droit que le tribunal a considéré que le refus d'accorder à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle était illégal.

13. Il ressort de ce qui a été dit précédemment que les répercussions des difficultés dénoncées sur l'organisation professionnelle et la vie personnelle de M. B... sont établies et les certificats médicaux produits permettent de justifier qu'il souffre d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel depuis l'année 2016. Ainsi, c'est à bon droit que le tribunal administratif a fixé le préjudice subi à la somme de 3 000 euros.

14. Il résulte de tout ce qui précède que l'université de La Réunion n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a annulé le refus d'accorder à M. B... le bénéfice la protection fonctionnelle et l'a condamné à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi en raison du harcèlement moral dont il a été victime.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. L'annulation de la décision refusant à l'intéressé le bénéfice de la protection fonctionnelle implique nécessairement que l'université prenne en charge les frais d'avocats afférents aux faits de harcèlement moral qui la justifient.

16. En revanche, alors que les pièces du dossier ne permettent pas d'établir que les agissements constitutifs de harcèlement moral perdureraient à l'encontre de M. B..., le présent jugement n'implique pas qu'il soit enjoint à l'administration de faire cesser le harcèlement à son encontre. En outre, si la mise en œuvre de la protection fonctionnelle peut conduire l'administration à engager une procédure disciplinaire, il n'existe pas d'obligation en ce sens. Par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration d'organiser une procédure disciplinaire à l'encontre du président de l'université ne peuvent être accueillies.

17. Dans ces conditions, il y a lieu uniquement d'enjoindre à l'université de prendre en charge les frais d'avocat afférents aux faits de harcèlement moral qui ont justifié l'octroi de la protection fonctionnelle. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur la demande de M. B... tendant à la suppression de passages diffamatoires :

18. En vertu de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, rappelant les dispositions des alinéas 3 à 5 de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, les juges peuvent " prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires " d'écrits produits devant eux.

19. Le terme de quérulence figurant dans les écritures de l'université, dont la suppression est demandée par M. B..., pour désagréable qu'il soit, n'excède pas les limites de la controverse entre parties dans le cadre d'une procédure contentieuse. Dès lors, il n'y a pas lieu d'en prononcer la suppression par application des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, ni de condamner l'université à verser une amende de 100 euros de ce fait.

Sur les frais liés à l'instance :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande l'université de La Réunion au titre des frais exposés non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de l'université sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'université de La Réunion est rejetée.

Article 2 : L'université de la Réunion versera une somme de 1 500 euros à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Il est enjoint à l'université de La Réunion de prendre en charge les frais d'avocat afférents aux faits de harcèlement moral qui ont justifié l'octroi de la protection fonctionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'université de La Réunion et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mars 2022.

La rapporteure,

Christelle Brouard-LucasLa présidente,

Marianne HardyLa greffière,

Stéphanie Larrue

La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX04786 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04786
Date de la décision : 10/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers. - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Christelle BROUARD-LUCAS
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SCP SEBAN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-10;19bx04786 ?
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