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04/04/2022 | FRANCE | N°19BX03790

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 04 avril 2022, 19BX03790


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 13 octobre 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a prolongé sa suspension administrative et d'annuler la décision du 16 janvier 2018 du ministre prononçant à son encontre la sanction de révocation.

Par un jugement n° 1701279, 1800329 du 27 juin 2019, le tribunal a annulé la décision du 13 octobre 2017 et rejeté le surplus de la demande de Mme A....

Procédure devant la cour :

Par une requ

te et un mémoire enregistrés le 1er octobre 2019 et le 29 septembre 2021, Mme B... A..., repr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 13 octobre 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a prolongé sa suspension administrative et d'annuler la décision du 16 janvier 2018 du ministre prononçant à son encontre la sanction de révocation.

Par un jugement n° 1701279, 1800329 du 27 juin 2019, le tribunal a annulé la décision du 13 octobre 2017 et rejeté le surplus de la demande de Mme A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 1er octobre 2019 et le 29 septembre 2021, Mme B... A..., représentée par Me Page, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1701279, 1800329 du tribunal en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.

2°) d'annuler la sanction de révocation du 16 janvier 2018 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de la réintégrer dans la fonction publique et de reconstituer sa carrière à compter du 16 janvier 2016, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le rapport disciplinaire soumis au conseil de discipline a été établi tardivement, soit après que les convocations à se présenter à ce conseil ont été envoyées ;

- elle a disposé d'un délai insuffisant avant la réunion du conseil de discipline pour prendre connaissance des éléments de son dossier ; les conditions de saisine du conseil de discipline sont irrégulières et le principe des droits de la défense a été méconnu ;

- ces considérations l'ont conduite à solliciter un report de la réunion du conseil de discipline ; celui-ci s'est contenté de prendre acte de cette demande sans tenir compte de son caractère légitime ;

- le rapport disciplinaire a été communiqué aux membres du conseil de discipline cinq jours seulement avant la réunion, en méconnaissance du délai de huit jours prévu par l'article 39 du décret du 29 mai 1982 ; le droit à l'information de ses membres a été méconnu ;

- le conseil de discipline s'est réuni en visioconférence, ce qui est irrégulier dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne le permet ; ainsi, le conseil a tenu séance en l'absence de Mme A...

- le conseil de discipline s'est réuni dans des conditions irrégulières dès lors que son secrétariat a été assuré simultanément par deux personnes ; les dispositions de l'article 29 du décret du 28 mai 1982 ont été méconnues ;

- deux témoins ont été entendus simultanément au cours de la séance du conseil, en méconnaissance de l'article 5 du décret n° 84-961 qui prévoit leur audition séparée ;

- les conditions dans lesquelles le conseil de discipline a émis son vote sont irrégulières car le procès-verbal de la réunion ne permet pas de connaître le nombre de personnes présentes et de savoir si le principe de parité a été respecté ; de plus, la décision indique que 22 personnes ont pris part au vote ce qui n'est pas cohérent avec le nombre de membres composant cette instance, qui est de 28 ;

- le conseil de discipline n'a pas rendu d'avis motivé préalablement à la sanction contestée ;

- la sanction en litige repose sur des faits matériellement inexacts ; l'administration avait une parfaite connaissance de ses liens avec la société Relais Express Guyane ; les interventions qu'elle a réalisées pour le compte de cette société, grâce à son droit d'accès au système d'immatriculation des véhicules, ont eu lieu dans un cadre strictement professionnel ; le contrôle effectué par l'administration sur ses opérations n'a montré aucune anomalie, à deux exceptions près qui ne sont cependant pas fautives ; elle n'a tiré aucun profit financier de ces opérations ;

- la sanction de révocation est disproportionnée au regard des faits sur lesquels elle repose.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 août 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... est adjointe administrative principale à la préfecture de Cayenne, employée au bureau de la circulation et de la citoyenneté. Elle a fait l'objet d'une suspension administrative par un arrêté du ministre de l'intérieur du 21 juin 2017 pris dans le cadre d'une enquête judiciaire portant sur un possible trafic de titres de séjour au sein de la préfecture. Bien que Mme A... ait été mise hors de cause à l'issue de cette enquête, sa suspension a été prolongée par un arrêté du 13 octobre 2017 dans l'attente des résultats d'une nouvelle enquête portant sur des irrégularités commises dans le traitement de dossiers d'immatriculation de véhicules. Mme A... a fait l'objet, à ce titre, d'une procédure disciplinaire à l'issue de laquelle le ministre de l'intérieur l'a sanctionnée d'une révocation par décision du 16 janvier 2018. Mme A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler les décisions du 13 octobre 2017 et du 16 janvier 2018. Par un jugement rendu le 27 juin 2019, le tribunal a annulé la prolongation de la suspension de Mme A... décidée le 13 octobre 2017 mais rejeté les conclusions de cette dernière dirigées contre la sanction du 16 janvier 2018. Mme A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.

Sur la légalité de la sanction du 16 janvier 2018 :

2. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours. Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon à l'échelon immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; - le déplacement d'office. Troisième groupe : - la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par l'agent ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation. ".

3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

4. Aux termes de l'article 25 bis de la loi du 19 juillet 1983 : " I. - Le fonctionnaire veille à faire cesser immédiatement ou à prévenir les situations de conflit d'intérêts dans lesquelles il se trouve ou pourrait se trouver. / Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions. ".

5. Pour prononcer la sanction de révocation à l'encontre de Mme A..., le ministre de l'intérieur a retenu, dans sa décision du 16 janvier 2018, qu'elle a exercé sans autorisation une activité privée au sein d'une société dirigée par un membre de sa famille et qui agissait comme tiers de confiance de l'administration dans les procédures d'immatriculation des véhicules, qu'elle a usé de son droit d'accès au système d'immatriculation des véhicules détenu en tant qu'agent de préfecture pour accomplir plusieurs centaines d'opérations pour le compte de cette société, qu'elle a commis des " négligences inexcusables " dans le traitement d'au moins deux dossiers concernant la société en cause, et que ces faits, constitutifs d'un conflit d'intérêts, révèlent que Mme A... a rompu son lien de confiance avec l'administration et manqué à ses obligations de servir, de loyauté et de probité.

6. Il ressort des pièces du dossier que la société Relais Express Guyane, spécialisée dans le commerce des véhicules automobiles, est détenue par Mme A... à hauteur de 30 % de ses parts, les parts restantes étant la propriété de sa demi-sœur, dirigeante de la société. La société Relais Express Guyane avait la qualité de tiers de confiance lui permettant d'accéder, au moyen d'une habilitation préfectorale, au système d'immatriculation des véhicules afin de réaliser des démarches d'immatriculation, d'obtenir les cartes grises pour le compte de particuliers et, sur la base d'un agrément délivré par le Trésor public, de percevoir les taxes et redevances liées aux immatriculations avant de les reverser à l'administration.

7. Mme A..., en sa qualité d'agent de préfecture affecté au bureau de la circulation et de la citoyenneté, disposait d'un droit d'accès élargi au système d'immatriculation des véhicules et, depuis le 16 décembre 2016, d'un second droit d'accès à ce système au titre de la société Relais Express Guyane. Une enquête des services de la préfecture a montré qu'entre le 3 janvier et le 15 mai 2017, Mme A... avait traité 577 opérations avec son droit d'accès détenu au titre de la société, et qu'elle a en outre utilisé son propre droit d'accès élargi détenu comme agent de l'Etat pour accomplir, au profit de cette société, des opérations que celle-ci ne pouvait exécuter à raison de sa seule habilitation et alors que son agrément avait été suspendu, pour cause d'impayés, par le Trésor public en avril 2017.

8. Ces éléments, mis en lumière par l'enquête administrative, sont matériellement établis contrairement à ce que soutient Mme A... qui a ainsi traité en préfecture de nombreux dossiers d'immatriculation de véhicules présentés par la société Relais Express Guyane et signé les chèques de paiement à la régie de la préfecture. Ils révèlent que Mme A... a détourné les moyens du service pour accomplir de nombreuses opérations au bénéfice d'une entreprise privée dirigée par un proche et dont elle détenait une partie du capital, sans que l'administration ait été informée de tels liens. Ces faits caractérisent une situation de conflit d'intérêts prohibé par l'article 25 bis de la loi du 13 juillet 1983 et sont constitutifs d'une faute passible d'une sanction disciplinaire.

9. Toutefois, et ainsi qu'il a été rappelé au point 3, il appartient au juge administratif de rechercher si la sanction retenue est proportionnée à la gravité des fautes reprochées à l'agent.

10. Il ressort des pièces du dossier que, sur les 577 opérations recensées par l'administration comme ayant été effectuées par Mme A... pour la société Relais Express Guyane, deux seulement ont été retenues comme irrégulières. Pour le premier dossier, il est reproché à Mme A... d'avoir supprimé dans le dossier d'immatriculation d'un véhicule la mention d'une vente intermédiaire, tandis que pour le second il lui est fait grief de ne pas avoir exigé un certificat de conformité d'un véhicule auparavant dédié à l'enseignement de la conduite automobile. Toutefois, l'administration ne produit aucun élément permettant d'estimer dans quelle mesure ces erreurs, que Mme A... conteste, constitueraient des " négligences inexcusables " comme il est indiqué dans les motifs de la sanction contestée. Par ailleurs, ces erreurs représentent 0,003 % du total des opérations accomplies par Mme A... pendant la période contrôlée et peuvent, dans ces conditions, être rattachées à la marge d'erreur inhérente à toute activité nécessitant l'accomplissement d'opérations multiples. Et il n'est pas contesté par le ministre de l'intérieur que toutes les autres opérations effectuées, certes indûment, par Mme A... pour le compte de la société Relais Express Guyane, auraient reçu le même traitement administratif si elles avaient été accomplies par un autre agent public.

11. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... aurait bénéficié d'un enrichissement direct personnel des activités qu'elle a accomplies pour la société Relais Express Guyane. Par ailleurs, avant les faits litigieux, la manière de servir de Mme A..., qui n'avait encore jamais été sanctionnée, était favorablement appréciée par sa hiérarchie.

12. Au demeurant, les faits litigieux ont valu à Mme A... un simple rappel à la loi par une décision du procureur de la République du 4 mai 2018.

13. Au surplus, dans son rapport de saisine adressé au conseil de discipline, l'administration avait sollicité non pas la révocation de Mme A... mais une exclusion de ses fonctions pour une durée de six mois.

14. Eu égard à l'ensemble des données de l'espèce, l'autorité disciplinaire, qui disposait d'un éventail de sanctions de natures et de portées différentes a, en faisant le choix de la plus sévère parmi toutes celles mentionnées à l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984, à savoir la révocation, prononcé à l'encontre de Mme A... une sanction disproportionnée.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en litige. Par suite, l'article 2 du jugement du tribunal administratif de la Guyane doit être annulé ainsi que la sanction de révocation du 16 janvier 2018.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

16. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".

17. L'annulation d'une décision prononçant la révocation d'un agent implique nécessairement la réintégration de l'intéressé à la date de son éviction. Par suite, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur, en exécution du présent arrêt, de réintégrer Mme A... dans ses effectifs et de reconstituer sa carrière à compter de la notification de la sanction du 16 janvier 2018. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de l'Etat la somme demandée par Mme A... au titre des frais non compris dans les dépens.

DECIDE

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1701279,1800329 du tribunal administratif de la Guyane du 27 juin 2019 est annulé.

Article 2 : La décision du ministre de l'intérieur du 16 janvier 2018 infligeant la sanction de révocation à Mme A... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réintégrer Mme A... dans ses effectifs et de reconstituer sa carrière à compter de la notification de la décision du 16 janvier 2018.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Guyane.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2022 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2022. Le rapporteur,

Frédéric Faïck

Le président,

Didier Artus

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX03790 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03790
Date de la décision : 04/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Sanctions.

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Sanctions - Erreur manifeste d'appréciation.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : PAGE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-04-04;19bx03790 ?
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