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30/05/2022 | FRANCE | N°19BX04476

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 30 mai 2022, 19BX04476


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 19 mai 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 15 000 euros au titre des contributions spéciale et forfaitaire, ensemble la décision du 22 août 2017 rejetant le recours gracieux du 28 juillet 2017.

Par un jugement n° 1701486 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Limoges a fait droit à sa demande.

Procédure

devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 novembre 2019 et le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 19 mai 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 15 000 euros au titre des contributions spéciale et forfaitaire, ensemble la décision du 22 août 2017 rejetant le recours gracieux du 28 juillet 2017.

Par un jugement n° 1701486 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Limoges a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 novembre 2019 et le 3 février 2020, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par son directeur en exercice et par Me Schegin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 17 octobre 2019 ;

2°) de rejeter la requête de Mme B... C... ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en annulant la décision contestée, le tribunal a commis une erreur de droit compte tenu du fait que la notion d'entraide familiale ne peut être appliquée au cas d'espèce et que la durée de l'emploi est sans incidence sur la qualification retenue de travail illégal ;

- le tribunal a commis une erreur de fait dès lors qu'une véritable relation de travail entre Mme C... et M. A... existait, ainsi que le révèlent les procès-verbaux d'audition des intéressés ;

- le tribunal a entaché sa décision d'une contradiction de motifs en relevant que M. A... a été trouvé " en situation de travail " tout en considérant que cet élément n'était pas suffisant pour établir la réalité de l'emploi travaillé ;

- les conclusions subsidiaires présentées par Mme C... tendant à la minoration de la contribution spéciale ne peuvent prospérer compte tenu du cumul d'infraction constaté qui fait obstacle en application des dispositions du code du travail à toute possibilité de minoration.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 janvier 2020, Mme B... C..., représentée par Me Moreau, conclut à titre principal au rejet de la requête d'appel, à titre subsidiaire, à la minoration de la contribution spéciale à hauteur de 7 040 euros et, dans tous les cas, à la mise à la charge de l'OFII de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;

- à titre subsidiaire, il y a lieu pour la cour de réduire la contribution spéciale à hauteur de 2000 fois le taux horaire compte tenu de ce que les infractions constatées constituent également des infractions pénales et qu'il est ainsi porté atteinte au principe constitutionnel de nécessité et de proportionnalité des peines ainsi qu'au principe " non bis in idem ".

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... E...,

- et les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un contrôle de police effectué le 9 mars 2016 dans le restaurant dont elle assure la gestion, Mme C..., qui exerce cette activité en qualité d'auto-entrepreneure, a été rendue destinataire d'une décision du 19 mai 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 17 600 euros, ainsi que la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 2 253 euros, soit une amende d'un montant total de 19 853 euros, ramenée spontanément par l'administration à 15 000 euros. Mme C... a demandé au tribunal administratif de Limoges l'annulation de cette décision ainsi que celle de la décision du 22 août 2017 rejetant son recours gracieux formé le 28 juillet 2017. L'OFII relève appel du jugement par lequel le tribunal a fait droit à cette demande.

Sur le bien-fondé du motif retenu par les premiers juges :

2. D'une part, l'article L. 8251-1 du code du travail dispose que : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code, dans sa version applicable à la date à laquelle a été constatée l'infraction : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) ".

3. L'infraction aux dispositions précitées de l'article L.8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l'emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions précitées de l'article L.8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l'article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient, également, de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur. Par ailleurs, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l'autorité de son cocontractant, lequel dispose de la faculté de donner des ordres et des directives, de contrôler l'exécution dudit contrat et de sanctionner les manquements de son subordonné..

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable à la date à laquelle a été constatée l'infraction : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L.8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la contribution forfaitaire est due par l'employeur qui a embauché, conservé à son service ou employé pour quelque durée que ce soit un travailleur étranger dépourvu de titre de séjour et de titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France.

5. Pour annuler les décisions du 19 mai 2017 et du 22 août 2017 prises par le directeur général de l'OFII, les premiers juges se sont fondés sur le moyen tiré de ce qu'en l'absence d'éléments suffisants de nature à caractériser un lien de subordination, l'existence d'une relation de travail n'était pas établie.

6. Il résulte de l'instruction, notamment des énonciations des procès-verbaux établis par les services de police les 9 et 11 mars 2016, dont les mentions font foi jusqu'à preuve contraire, qu'à la suite de leur déplacement sur le lieu d'exploitation de l'activité de restauration exercée par Mme C..., il a été constaté que cette dernière était absente et que M. A... était en train de faire le ménage dans l'arrière salle du restaurant. Ce dernier étant par ailleurs en possession des clefs de l'établissement alors ouvert au public. Il ressort toutefois des auditions des deux intéressés auxquelles ont procédé les services de police que cette personne, de nationalité camerounaise, est le cousin de la gérante et qu'une soirée organisée la veille, pour célébrer la journée des droits des femmes s'étant terminée tard, Mme C..., en raison de son état de fatigue, lui avait confié les clés du restaurant le matin même afin qu'il " donne un coup de main " pour le nettoyer. Il en ressort également que M. A... a précisé, tout comme Mme C..., que cette aide ponctuelle était bénévole. Il ne résulte pas de l'instruction que M. A... aurait reçu des ordres et des directives de la part de Mme C... quant aux lieu, horaire et méthode de travail pour effectuer sa tâche. Dès lors, la seule circonstance que M. A... était seul, dans l'arrière salle du restaurant, occupé à faire le ménage, et qu'il en détenait les clés, est insuffisante pour établir qu'il aurait effectué un travail en échange d'une rémunération, sous quelque forme que ce soit, ou qu'il aurait été engagé au service de Mme C... dans un lien de subordination avec celle-ci. Si l'OFII fait valoir que Mme C... n'a déclaré aucun salarié, celle-ci soutient, sans être contredite, qu'elle gérait seule le restaurant. Si Mme C... a déclaré lors de son audition par les policiers que son cousin n'avait pas d'autorisation de travail, cette circonstance ne permet pas davantage d'établir l'existence d'une relation de travail entre M. A... et Mme C... qui excèderait le cadre de la simple entraide familiale. Ainsi, les faits décrits dans les procès-verbaux des 9 et 11 mars 2016 sont insuffisants pour établir que Mme C... aurait employé un étranger non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, au sens des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail. Par suite, le directeur de l'OFII ne pouvait regarder Mme C... comme ayant employé un étranger en méconnaissance de ces dispositions et mettre à sa charge la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du même code. Dès lors que Mme C... ne pouvait être regardée comme ayant occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier, le directeur de l'OFII ne pouvait pas plus mettre à sa charge la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. C'est par conséquent sans commettre d'erreur de fait ni d'erreur de droit, que le tribunal a annulé les décisions en litige.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'OFII n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est pas entaché d'une contradiction de motifs, le tribunal administratif de Limoges a annulé les décisions litigieuses.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'OFII demande au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice de Mme C... et de mettre à la charge de l'OFII, partie perdante, une somme de 1 500 euros à lui verser au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est rejetée.

Article 2 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera à Mme C... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Olivier Cotte, premier conseiller,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mai 2022.

La rapporteure,

Caroline E...

La présidente,

Karine ButériLa greffière,

Catherine Jussy La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX04476


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04476
Date de la décision : 30/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : SCHEGIN

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-05-30;19bx04476 ?
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