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04/10/2022 | FRANCE | N°21BX04518

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 04 octobre 2022, 21BX04518


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 2 avril 2021 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et la décision du 18 mai 2021 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n°2101013 du 16 septembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire

complémentaire, enregistrés les 13 décembre 2021 et 24 janvier 2022, Mme A..., représentée par Me ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 2 avril 2021 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et la décision du 18 mai 2021 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n°2101013 du 16 septembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 décembre 2021 et 24 janvier 2022, Mme A..., représentée par Me Malabre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n°2101013 du tribunal administratif de Limoges du 16 septembre 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 2 avril 2021 et la décision du 18 mai 2021 rejetant son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour et de travail, subsidiairement, de prendre une décision dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 920 euros au titre des frais de première instance et de 2 400 euros au titre des frais d'appel sur le fondement des dispositions des

articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier, faute d'avoir visé, analysé et examiné le mémoire qu'elle a produit le 4 août 2021, avant la clôture d'instruction, et qui a été communiqué à l'administration ;

S'agissant du refus de titre de séjour :

- la commission du titre de séjour aurait dû être saisie sur le fondement de

l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur dès lors qu'elle relevait des 2° et 7° de son article L. 313-11 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sur celui de L. 311-14 du même code dès lors qu'elle réside habituellement en France depuis plus de dix ans, l'interruption de cette résidence pour suivre des études aux Etats-Unis ne pouvant lui faire perdre le bénéfice de la résidence habituelle en France ;

- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que le préfet lui a, à tort, indiqué qu'elle aurait dû solliciter le renouvellement de son titre de séjour alors qu'elle se trouvait aux

Etats-Unis et le tribunal ne pouvait écarter ce moyen au motif que cet argument avait été invoqué par l'administration dans le rejet de son recours gracieux ; les circonstances qui lui ont permis de bénéficier jusqu'en 2017 d'un titre de séjour " vie privée et familiale " n'ont pas évolué ;

- il est entaché d'une erreur de fait et d'appréciation sur le motif de son séjour aux

Etats-Unis, lié à la poursuite de ses études et le tribunal ne pouvait pas écarter ce moyen pour les mêmes raisons qu'exposées précédemment ;

- il méconnaît le 2° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation au regard du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il méconnaît ; il méconnaît également le droit au respect de la vie et familiale protégé par le préambule de la Constitution de 1946, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est née en 1991 aux Etats-Unis dont elle a la nationalité au regard du droit du sol ; elle s'est installée en France à l'âge de 6 ou 7 ans avec sa mère guinéenne qui, avant de partir aux Etats-Unis, était titulaire en France de titres de séjour valables dix ans ; après le décès de sa mère en 2002, elle a vécu avec sa tante et tutrice, de nationalités guinéenne et ivoirienne et résidant régulièrement en France et avec sa sœur, française, jusqu'en 2017, année de son départ pour les Etats-Unis pour terminer ses études ; elle a également une tante française et ses neveux et nièces sont français ; elle n'a pas de preuve des liens qu'elle a continué à entretenir avec sa famille durant ce séjour si ce n'est les preuves de son retour en France pour les fêtes de fin d'année en 2018 ;

S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision fixant le pays de renvoi et de celle fixant le délai de départ volontaire :

- elles sont illégales du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elles méconnaissent le 2° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur dès lors qu'elle ne peut être regardée comme ayant perdu sa résidence habituelle en France où elle est arrivée à l'âge de 6 ou 7 ans en raison de son séjour aux Etats-Unis où elle s'est rendue en 2017 pour y poursuivre ses études.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2022, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que le jugement attaqué n'est entachée d'aucune irrégularité et que les moyens invoqués par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 25 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... A..., ressortissante américaine, est née le 14 décembre 1991 à Washington. Elle a vécu, avec sa mère, de nationalité guinéenne, et sa sœur née en France en 1988, de nationalité française, aux Etats-Unis, puis, à compter de 1994, en Guinée, pour arriver en France en 1998. Suite au décès brutal de leur mère en 2002, Mme A... et sa sœur ont été prises en charge par leur tante, de nationalités guinéenne et ivoirienne, séjournant régulièrement en France, en sa qualité de tutrice désignée par le juge aux affaires familiales de Limoges le 22 novembre 2002. Après sa majorité, elle a obtenu un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " renouvelé jusqu'en 2017. Au mois d'août 2017, Mme A... s'est rendue aux Etats-Unis pour y poursuivre ses études. A son retour en France, le 16 février 2021, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Par arrêté du 2 avril 2021, le préfet de la Haute-Vienne a opposé un refus à sa demande, a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme A... relève appel du jugement du 16 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et du rejet du 18 mai 2021 de son recours gracieux.

2. Aux termes aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales susvisée : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Selon le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier, ainsi que des éléments rappelés au point 1, que Mme A... a passé l'essentiel de sa vie en France où elle est arrivée enfant avec son unique sœur de nationalité française et, sa mère, qui y a été titulaire de titres de séjour, puis, après le décès de celle-ci, avec sa tante à qui a été confiée sa tutelle et celle de sa soeur. Mme A... a séjourné de façon régulière en France, s'étant vue délivrer après sa majorité, des titres de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", régulièrement renouvelés jusqu'au 8 mars 2017. Au mois d'août 2017, Mme A..., après l'obtention d'une maîtrise de droit international en décembre 2015, s'est rendue aux Etats-Unis afin d'y poursuivre ses études à l'issue desquelles elle a obtenu en 2019 un diplôme de Master of laws en droit des affaires internationales et a prolongé son séjour, dans un premier temps, du mois d'octobre 2019 au mois d'avril 2020 pour y effectuer un stage en cabinet d'avocat en complément de sa formation, puis en raison de la crise sanitaire, pour ne revenir en France que le 1er février 2021. Il ressort également des pièces du dossier que Mme A... a conservé, durant son séjour aux Etats-Unis, des liens avec les membres de sa proche famille résidant régulièrement en France et il n'est par ailleurs pas sérieusement contesté qu'elle est dépourvue de toute attache personnelle aux Etats-Unis, où il est constant qu'elle a vécu moins de quatre années en dehors des deux premières années de sa vie. Dans ces conditions, Mme A..., âgée de vingt-neuf ans à la date de la décision attaquée et qui a vécu de façon continue et régulière durant dix-huit ans en France où se trouve l'ensemble de ses attaches familiales, est fondée à soutenir, qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de la Haute-Vienne a porté une atteinte excessive à sa vie privée et familiale en méconnaissance tant des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, justifiant l'annulation de la décision de refus de titre de séjour qui lui a été opposée.

4. L'annulation du refus de titre de séjour emporte celle des décisions prises sur son fondement. Dès lors, l'obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et la décision fixant le pays de renvoi doivent être annulées.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 avril 2021 et de la décision du 18 mai 2021 portant rejet de son recours gracieux.

6. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre à la préfète de la Haute-Vienne, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme A... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 400 euros à Me Malabre, avocat de Mme A..., au titre des frais d'instance exposés devant la cour et devant le tribunal administratif de Limoges et non compris dans les dépens, ce versement entraînant renonciation de l'avocat à la part contributive de l'Etat, conformément au deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 16 septembre 2021 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Haute-Vienne du 2 avril 2021 et la décision du 18 mai 2021 portant rejet du recours gracieux de Mme A... sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Haute-Vienne de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Malabre la somme de 2 400 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., à Me Malabre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la préfète de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 13 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Claire Chauvet, présidente-assesseure,

Mme Nathalie Gay, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2022.

La rapporteure,

Claire B...

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX04518 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04518
Date de la décision : 04/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Claire CHAUVET
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : MALABRE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-04;21bx04518 ?
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