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30/11/2022 | FRANCE | N°20BX02612

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre bis (formation à 3), 30 novembre 2022, 20BX02612


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la commune de Schœlcher à lui verser une indemnité de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de fautes commises à son encontre.

Par un jugement n° 1900249 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2020, Mme C..., représentée par Me Celenice, demande à la

cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 juin 2020 du tribunal administratif de la Martinique ;

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la commune de Schœlcher à lui verser une indemnité de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de fautes commises à son encontre.

Par un jugement n° 1900249 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2020, Mme C..., représentée par Me Celenice, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 juin 2020 du tribunal administratif de la Martinique ;

2°) de condamner la commune de Schœlcher à lui payer une somme de 80 000 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Schœlcher une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été victime de faits constitutifs d'un harcèlement moral contraires à l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 dès lors qu'entre 2008 et 2018, elle a fait l'objet de reproches verbaux du directeur général des services ainsi que d'une mise à l'écart de la communauté de travail à compter de l'année 2015 ;

- la commune de Schœlcher a manqué à son obligation de protection de sa santé physique et psychique dès lors qu'elle n'a pris aucune mesure pour prévenir les accidents du travail dont elle a été victime les 9 mars 2008, 16 septembre 2010, 29 mars 2011 et 29 mai 2015, et qu'elle n'a pris aucune mesure adaptée pour la protéger du harcèlement moral dont elle a été victime dans le cadre de ses fonctions alors qu'elle en avait informé l'administration dès le mois de décembre 2009 ;

- la dégradation de ses conditions de travail a entrainé la détérioration de son état de santé ; les expertises et les certificats médicaux produits démontrent qu'elle a développé un état anxieux dépressif réactionnel à ses difficultés professionnelles qui a altéré fortement sa vie quotidienne ;

- la dégradation de son état de santé lui a causé un préjudice qu'elle évalue à 80 000 euros ;

- les premiers juges ont inversé la charge de la preuve dans le domaine de la protection de la santé des fonctionnaires et agents publics ; c'est à l'administration d'apporter la preuve qu'elle a mis en œuvre les moyens adéquats pour faire cesser les agissements de harcèlement ;

- ses demandes indemnitaires devant le tribunal ne concernaient pas seulement l'accident de travail du 29 mars 2011, mais l'ensemble des accidents de travail dont elle a été victime ainsi que le harcèlement moral qu'elle a subi ;

- la circonstance qu'un litige soit pendant devant les juridictions de l'ordre judiciaire pour la reconnaissance d'une faute inexcusable concernant l'un des accidents de travail dont elle a été victime n'est pas de nature à exclure la recherche de la responsabilité de l'administration pour l'ensemble de ses manquements à son obligation de protection de sa santé ;

- si les premiers juges ont estimé qu'elle n'apportait aucun élément démontrant que la commune de Schœlcher aurait commis une faute intentionnelle, l'élément intentionnel n'est pas exigé pour que le harcèlement moral soit reconnu.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2021, la commune de Schœlcher, représentée par Me Gil-Fourrier, conclut au rejet de la requête de Mme C... et à ce qu'il soit mis à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... D...,

- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,

- et les observations de Me Brunet pour la commune de Schœlcher.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... a été recrutée par la commune de Schœlcher à compter du 1er décembre 1995 en qualité d'agent contractuel. Jusqu'à la fin de l'année 2005, elle a exercé les fonctions de chargée de mission, responsable du service hygiène et sécurité, puis de 2003 à fin 2005 elle est également devenue responsable de l'administration générale des services techniques. A compter du 1er janvier 2006, Mme C... a bénéficié d'un contrat à durée indéterminée à temps complet avant d'être nommée cheffe de service chargée de la coordination générale des activités de la Maison de la Cohésion Sociale de la municipalité.

2. Par un arrêté du 13 septembre 2018, le maire de Schœlcher a licencié Mme C... à titre disciplinaire au motif qu'elle avait exercé une activité lucrative pendant son congé de maladie. Par un courrier reçu le 24 décembre 2018, Mme C... a formé auprès de la commune une réclamation indemnitaire préalable par laquelle elle a sollicité le paiement d'une somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de préjudices qu'elle estime avoir subis en raison, d'une part, de faits répétés de harcèlement moral à son encontre et, d'autre part, d'accidents de service dont elle aurait été la victime à la suite de manquements de la commune aux règles applicables en matière de sécurité et de protection de la santé des agents. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par la commune sur cette demande préalable. Mme C... a sollicité du tribunal administratif de la Martinique la condamnation de la commune de Schœlcher à lui verser une indemnité de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite des fautes commises par cette commune. Mme C... relève appel du jugement du 11 juin 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité de la commune :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune à raison d'agissements de harcèlement moral :

3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".

4. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

5. Mme C... soutient que ses conditions de travail, et notamment ses relations avec le directeur général des services de la commune, se sont dégradées après sa nomination comme cheffe de service chargée de la coordination générale des activités de la Maison de la Cohésion Sociale. Mme C... soutient également n'avoir jamais reçu de promotion ni obtenu les moyens appropriés à ses missions. Il résulte de l'instruction que, le 2 juillet 2010, Mme C... a effectué un signalement auprès de la gendarmerie et écrit au maire pour dénoncer des faits de harcèlement commis à son encontre. Il résulte également de l'instruction que Mme C..., estimant que ses conditions de travail ne cessaient de se dégrader, a procédé à de nouveaux signalements auprès de la gendarmerie les 13 août et 25 octobre 2011 après avoir repris ses fonctions qui avaient été interrompues par sa chute, survenue le 29 mars 2011, sur son lieu de travail dans des escaliers. Mme C... a, de plus, été hospitalisée en décembre 2011 pour un syndrome dépressif, puis placée en congé pour longue maladie jusqu'en janvier 2015. Elle fait valoir qu'à sa reprise de fonctions, l'administration l'a déplacée dans un bureau dépourvu d'ordinateur et qu'aucune tâche ne lui a été confiée, ce qui a entraîné une nouvelle dégradation de son état de santé, son départ en congé pour maladie le 26 mai 2015 et le dépôt de nouvelles plaintes en 2016 auprès de la gendarmerie.

6. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que Mme C... aurait fait l'objet de brimades ou de reproches, en particulier de la part du directeur général des services de la commune ou de tout autre agent. Au contraire, dans un courrier du 17 avril 2008, le directeur général adjoint de la commune a félicité Mme C... " pour la compétence et le sérieux dont elle a fait preuve dans le traitement d'un dossier " tandis que le maire lui-même, à l'occasion d'un discours prononcé le 6 octobre 2009, a souligné la " perspicacité et l'application " de Mme C... dans son travail. Quant aux mails que Mme C... a reçus de sa hiérarchie le 8 juin 2011 au sujet de son accident du 29 mars 2011, ils ne comportent aucune menace ou reproche particuliers à son encontre ni d'éléments vexatoires.

7. De manière plus générale, Mme C... n'apporte aucun élément suffisamment probant qui permettrait de faire présumer qu'elle aurait été victime, entre 2008 et 2018, d'agissements de harcèlement moral au sein de la commune de la part du directeur général des services ou de tout autre agent. De tels éléments, en particulier, ne ressortent pas du contenu des procès-verbaux d'audition effectués par les services de police entre 2010 et 2016 qui ne font que relater le ressenti de Mme C... sur ses conditions de travail, lequel n'est corroboré par aucun autre élément circonstancié et objectif. De même, les certificats médicaux établis entre 2010 et 2018, s'ils attestent de la dégradation de l'état de santé de Mme C..., ne font que relayer ses déclarations et son ressenti propres.

8. Quant à la photographie, versée au dossier, d'un bureau encombré de cartons, elle ne suffit pas à rendre plausible l'allégation de Mme C... selon laquelle la commune l'aurait mise à l'écart lors de sa reprise de travail en janvier 2015.

9. Le rapport intitulé " analyse de situations au travail " établi à la demande de Mme C... par un expert en santé, sécurité et conditions de travail, agréé par le ministère du travail, ne comporte aucun élément rendant plausibles les allégations de l'intéressée selon lesquelles la commune aurait eu contre elle des agissements de harcèlement. De même, le rapport d'expertise établi dans le cadre de l'instance judiciaire engagée par Mme C... contre la commune pour faute inexcusable ne comporte pas de développements permettant de rattacher ses problèmes de santé à des faits de harcèlement au travail.

10. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que les premiers juges, qui n'ont pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve, ont considéré que la requérante n'apportait pas d'éléments susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement à son encontre, en méconnaissance des dispositions de l'article 6 quinquies précité de la loi du 13 juillet 1983.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune à raison de la survenance d'accidents de service :

11. Aux termes de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale : " (...) aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit. ". Aux termes de l'article L. 452-1 du même code : " Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur (...) la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants. ". L'article L. 452-3 de ce code prévoit que, dans le cas d'une faute inexcusable de l'employeur, la victime a le droit de demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale qui ont résulté pour elle de l'accident. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 452-5 du code de la sécurité sociale : " Si l'accident est dû à la faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre ".

12. Il résulte de ces dispositions qu'un agent contractuel de droit public peut demander au juge administratif la réparation par son employeur du préjudice que lui a causé l'accident du travail dont il a été victime, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du code de la sécurité sociale, lorsque cet accident est dû à la faute intentionnelle de cet employeur ou de l'un de ses préposés. Il peut également exercer une action en réparation de l'ensemble des préjudices résultant de cet accident non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale, contre son employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de ce dernier.

13. Une faute intentionnelle, qu'il appartient à la juridiction administrative d'apprécier, est caractérisée par des actes volontaires accomplis dans l'intention de causer des lésions corporelles.

14. Au cas d'espèce, il ne résulte nullement de l'instruction que la commune de Schœlcher ou l'un de ses préposés aurait volontairement, dans l'intention de causer des lésions corporelles à Mme C..., méconnu ses obligations en matière de sécurité et de prévention des risques, s'agissant de la chute d'escalier dont l'intéressée a été la victime sur son lieu de travail le 29 mars 2011. De même, aucun élément de l'instruction ne permet d'estimer que les autres accidents de service dont Mme C... soutient avoir été la victime, entre 2008 et 2015, seraient le résultat d'une faute intentionnelle de son employeur ou de l'un de ses préposés. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la commune est engagée sur ce fondement.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune à raison du non-respect de la législation du travail :

15. Mme C... allègue que la commune n'aurait pas élaboré un document unique d'évaluation des risques ni mis en place les actions d'informations et de formations prévues à l'article L. 4121-1 du code du travail. Toutefois, Mme C... n'établit aucunement subir un quelconque préjudice en lien direct et certain avec les carences, à les supposer établies, dont aurait fait preuve la commune. Par suite, elle n'est pas davantage fondée à soutenir que la responsabilité de la commune est engagée sur ce fondement.

16. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires de Mme C... ne peuvent qu'être rejetées.

17. Dès lors, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :

18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Schœlcher présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et à la commune de Schœlcher.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Frédéric Faïck, président,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 novembre 2022.

La rapporteure,

Florence D...

Le président,

Frédéric Faïck

La greffière,

Angélique Bonkoungou

La République mande et ordonne au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX02612


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre bis (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 20BX02612
Date de la décision : 30/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. FAÏCK
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : LABOR etCONCILIUM

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-11-30;20bx02612 ?
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