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16/12/2022 | FRANCE | N°20BX00798

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 16 décembre 2022, 20BX00798


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée sous le n° 1800778, la commune de Fort-de-France a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler les délibérations n° 2009-014 du 17 décembre 2009, n° 2010-007 du 10 décembre 2010, n° 2011-018 du 12 décembre 2011, n° 2012-004 du 11 décembre 2012, n° 2013-008 du 24 décembre 2013, n° 2014-025 du 29 décembre 2014 et n° 2015-011 du 3 décembre 2015, par lesquelles le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique

a déterminé les contributions financières des communes au budget de ce service, po...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée sous le n° 1800778, la commune de Fort-de-France a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler les délibérations n° 2009-014 du 17 décembre 2009, n° 2010-007 du 10 décembre 2010, n° 2011-018 du 12 décembre 2011, n° 2012-004 du 11 décembre 2012, n° 2013-008 du 24 décembre 2013, n° 2014-025 du 29 décembre 2014 et n° 2015-011 du 3 décembre 2015, par lesquelles le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique a déterminé les contributions financières des communes au budget de ce service, pour chacune des années 2010 à 2016.

Par une requête enregistrée sous le n° 1800779, la commune de Fort-de-France a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler les titres de recettes, émis les 4 février 2010, 15 février 2011, 10 février 2012, 11 janvier 2013, 23 janvier 2014, 28 janvier 2015, 19 janvier 2016, 6 janvier 2017 et 23 janvier 2018, par le service départemental d'incendie et de secours de la Martinique, pour un montant total de 37 156 834 euros, correspondant à la contribution de la commune de Fort-de-France au budget de ce service, et de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme.

Par un jugement n° 1800778, 1800779 du 5 décembre 2019, le tribunal administratif de de la Martinique a rejeté ses requêtes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 mars 2020, la commune de Fort-de-France, représentée par Me Relouzat-Bruno, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 5 décembre 2019 ;

2°) d'annuler les délibérations n° 2009-014 du 17 décembre 2009, n° 2010-007 du 10 décembre 2010, n° 2011-018 du 12 décembre 2011, n° 2012-004 du 11 décembre 2012, n° 2013-008 du 24 décembre 2013, n° 2014-025 du 29 décembre 2014 et n° 2015-011 du 3 décembre 2015, par lesquelles le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique a déterminé les contributions financières des communes au budget de ce service, pour chacune des années 2010 à 2016 ;

3°) d'annuler les titres de recettes, émis les 4 février 2010, 15 février 2011, 10 février 2012, 11 janvier 2013, 23 janvier 2014, 28 janvier 2015, 19 janvier 2016, 6 janvier 2017 et 23 janvier 2018, par le service départemental d'incendie et de secours de la Martinique, pour un montant total de 37 156 834 euros, correspondant à sa contribution au budget de ce service, et de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme ;

4°) d'enjoindre au président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard, de procéder au retrait des titres de recettes et d'établir de nouveaux titres de recettes conformes aux prescriptions de l'article R. 1424-32 du code général des collectivités territoriales ;

5°) de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier, pour défaut de visa et d'analyse de son mémoire enregistré le 1er août 2019, en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, qui contenait une argumentation relative à la recevabilité de sa requête en annulation des délibérations attaquées en établissant leur nature réglementaire ;

- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation, dès lors qu'il se borne à reprendre l'argumentation du service départemental d'incendie et de secours pour qualifier les délibérations d'actes individuels, alors qu'il s'agit d'actes réglementaires ; ce faisant, le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que les délibérations litigieuses méconnaissent les articles L. 1424-35 et R. 1424-32 du code général des collectivités territoriales, dès lors que les modalités de calcul des contributions des communes ont été adoptées par le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours, sans débat, et sans qu'une délibération ait été régulièrement adoptée avant le 1er novembre ; il n'a pas non plus répondu au moyen tiré de l'inexistence matérielle et juridique des titres exécutoires émis à son encontre ;

- c'est à tort que le tribunal a accueilli la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de la tardiveté de sa requête pour méconnaissance du délai raisonnable au sens de la décision du Conseil d'Etat Czabaj ; sa requête introductive d'instance était recevable, dès lors que les délibérations attaquées présentent un caractère réglementaire, et n'ont pas fait l'objet d'une publication régulière de sorte que le délai de recours contentieux lui était inopposable ;

- les délibérations contestées sont entachées d'erreur de droit liée à la méconnaissance des articles L. 1424-35 et R. 1424-32 du code général des collectivités territoriales ; les modalités de calcul des contributions des communes ont été adoptées par le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours sans débat préalable, et sans qu'une délibération ait été régulièrement adoptée avant le 1er novembre ;

- son recours dirigés contre les titres exécutoires est recevable, dès lors que les voies et délais de recours ne lui ont pas été régulièrement notifiés ; elle peut se prévaloir de circonstances particulières, faisant obstacle à l'expiration du délai raisonnable pour former un recours ; de surcroît, les titres de recette litigieux doivent être regardés comme des actes nuls et de nul effet, susceptibles d'être contestés sans condition de délai ;

- les titres de recettes des années 2010 à 2016 sont dépourvus de fondement, du fait de l'illégalité des délibérations du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours, fixant les contributions des communes au budget de ce service ;

- les titres de recettes litigieux sont irréguliers, dès lors qu'ils ne mentionnent pas les bases de liquidation de la créance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2020, le service départemental d'incendie et de secours de la Martinique, représenté par Me Mbouhou, conclut au rejet de la requête de la Commune de Fort-de-France et à ce qu'il soit mis à la charge de cette dernière la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la demande de première instance était irrecevable car tardive, en raison de l'expiration du délai raisonnable pour former un recours ;

- le jugement attaqué n'est pas irrégulier ;

- les moyens tirés de l'absence de débat sur la répartition des contributions financières au budget du service à l'occasion du renouvellement du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique, et de la méconnaissance de l'article L. 1424-32 du code général des collectivités territoriales, sont inopérants ;

- les autres moyens soulevés par la commune de Fort-de-France ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... B...,

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Platel, représentant le service départemental d'incendie et de secours de la Martinique.

Considérant ce qui suit :

1. Par sept délibérations, adoptées les 17 décembre 2009, 10 décembre 2010, 12 décembre 2011, 11 décembre 2012, 24 décembre 2013, 29 décembre 2014 et 3 décembre 2015, le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique, en application de l'article L. 1424-35 du code général des collectivités territoriales, a déterminé le montant des contributions financières des communes au budget de ce service, pour chacune des années 2010 à 2016. En outre, le service départemental d'incendie et de secours de la Martinique a émis neuf titres de recettes, les 4 février 2010, 15 février 2011, 10 février 2012, 11 janvier 2013, 23 janvier 2014, 28 janvier 2015, 19 janvier 2016, 6 janvier 2017 et 23 janvier 2018, pour un montant total de 37 156 834 euros, correspondant à la contribution de la commune de Fort-de-France à son budget, pour les années 2010 à 2018. La commune de Fort-de-France a alors saisi le tribunal administratif de la Martinique, par une requête enregistrée sous le n° 1900778, d'une demande tendant à l'annulation de ces délibérations et, par une requête enregistrée sous le n° 1800779, d'une demande tendant à l'annulation de ces titres de recettes et au prononcé de la décharge de l'obligation de payer la somme de 37 156 834 euros. La commune de Fort-de-France relève appel du jugement n° 1800778 1800779 du 5 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses demandes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la commune requérante fait valoir que le tribunal administratif a, en méconnaissance des prescriptions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, omis de mentionner, dans les visas de son jugement, le mémoire complémentaire enregistré le 1er août 2019 et les observations qu'elle avait apportées en réplique au mémoire en défense du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique, lequel avait été produit avant la clôture de l'instruction fixée au 2 août 2019. S'il est exact que les premiers juges ont omis de mentionner dans les visas ce mémoire complémentaire, ils ont toutefois analysé, au point 5 de leur décision, l'argumentation développée par la commune requérante tendant à réfuter la fin de non-recevoir opposée par le service départemental d'incendie et de secours dans son mémoire enregistré le 14 mai 2019. Ainsi, une telle omission n'est, par elle-même, pas de nature à vicier la régularité du jugement attaqué dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que ces écritures n'apportaient aucun élément nouveau auquel il n'aurait pas été répondu dans les motifs.

3. En deuxième lieu, si la commune de Fort-de-France soutient que le tribunal a omis de répondre à plusieurs moyens présentés pour contester la légalité, d'une part, des délibérations attaquées, d'autre part, des titres de recettes des années 2010 à 2016, les premiers juges ont écarté les conclusions en annulations dirigées contre ces délibérations et ces titres de recettes comme étant tardives, de sorte qu'ils n'avaient pas à répondre aux moyens relatifs à leur bien-fondé.

4. En troisième lieu, la commune de Fort-de-France critique la régularité du jugement attaqué au motif que les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré par elle de l'illégalité par voie d'exception de la délibération n°2017-026 du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique pour l'année 2018, à l'appui de ses conclusions dirigées contre le titre exécutoire du 9 février 2018. Si le jugement attaqué n'a pas répondu à ce moyen, il n'était toutefois pas soulevé en première instance par la commune requérante.

5. Enfin, s'agissant de la fin de non-recevoir opposée en défense aux conclusions dirigées contre les titres de recettes litigieux, le tribunal a répondu, au point 7 de son jugement, à l'argument de la commune de Fort-de-France selon lequel le délai raisonnable d'un an ne pouvait lui être opposé au motif qu'ils étaient nuls et de nul effet. En tout état de cause, la critique quant à la pertinence de la réponse apportée au moyen est, par elle-même, sans incidence sur la régularité du jugement dès lors qu'elle se rattache au bien-fondé du raisonnement des premiers juges.

6. Par suite, la commune de Fort-de-France n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularités.

Sur les conclusions en annulation des délibérations litigieuses :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

7. Il résulte des dispositions de l'article R. 1424-17 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors en vigueur issue du décret n° 2000-318 du 7 avril 2000, que : " Les délibérations du conseil d'administration sont prises à la majorité absolue des suffrages exprimés,(...) /Le dispositif de ces délibérations ainsi que les actes du président, qui ont un caractère réglementaire, sont publiés dans un recueil des actes administratifs du service départemental d'incendie et de secours ayant une périodicité au moins semestrielle. (...) ". Et selon l'alinéa 7 de l'article L. 1424-35 du même code : " Avant le 1er janvier de l'année en cause, le montant prévisionnel des contributions mentionnées à l'alinéa précédent, arrêté par le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours, est notifié aux maires et aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale. ".

8. Ainsi qu'en a jugé à bon droit le tribunal, les délibérations en litige, en tant qu'elles se bornent à fixer le montant global et la répartition de la contribution financière des communes à son budget annuel et le montant de la contribution de la commune de Fort-de-France, par application de critères de répartition préétablis, présentent le caractère de décisions d'espèce, non réglementaires. Le délai de recours contentieux contre une délibération prise sur le fondement des dispositions de l'article L. 1424-35 du code général des collectivités territoriales ne peut courir, pour les communes intéressées, qu'à compter de la date à laquelle celle-ci leur a été notifiée, peu important que cette décision ait été par ailleurs publiée ou affichée.

9. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ". L'article R. 421-5 de ce code dispose que : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ". Il résulte de ces dispositions que lorsque la notification ne comporte pas les mentions requises, ce délai n'est pas opposable.

10. Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance. Ces règles sont également applicables à la contestation des décisions non réglementaires qui ne présentent pas le caractère de décisions individuelles, lorsque la contestation émane des destinataires de ces décisions à l'égard desquels une notification est requise pour déclencher le délai de recours.

11. En application du septième alinéa de l'article L. 1424-35 du code général des collectivités territoriales, les délibérations des 17 décembre 2009, 10 décembre 2010, 12 décembre 2011, 11 décembre 2012, 24 décembre 2013, et 3 décembre 2015, ont été notifiées à la commune de Fort-de-France les 17 décembre 2009, 16 décembre 2010, 16 décembre 2011, 18 décembre 2012, 24 décembre 2013, et 8 décembre 2015, sans mention des voies et délais de recours. Cette notification était incomplète au regard des dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, de sorte que le délai de deux mois fixé par les dispositions de l'article R. 421-1 ne lui était pas opposable. Si la commune allègue que les délibérations en litige présentent un caractère d'acte réglementaire, il résulte de ce qui a été dit au point 8 que ces délibérations, qui se bornent à fixer le montant global et la répartition de la contribution financière des communes au budget annuel du service départemental d'incendie et de secours et le montant de la contribution de la commune de Fort-de-France, par application de critères de répartition préétablis, présentent le caractère de décisions d'espèce. Par suite, en application de la règle du délai raisonnable rappelée au point 10, les conclusions en annulation des délibérations litigieuses présentées par la commune de Fort-de-France, enregistrées au greffe du tribunal administratif de la Martinique le 31 décembre 2018, étaient tardives. Dans ces conditions, la commune de Fort-de-France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique a accueilli la fin de non-recevoir tirée de l'expiration du délai raisonnable d'un an pour former un recours contentieux.

12. S'il est exact que la délibération n° 2014-025 du 29 décembre 2014 en litige a décidé que la contribution globale des communes au budget du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique serait répartie entre ces dernières à partir de l'année 2015, à raison de 30 % selon le critère de la population, 10 % selon celui du nombre d'interventions, 10 % selon celui du paiement des sapeurs-pompiers, 40 % selon le critère du potentiel fiscal des trois taxes et 10 % selon celui du revenu fiscal par habitant, toutefois, cette délibération, qui ne crée pas pour autant une nouvelle catégorie de dépenses à la charge des communes, et dès lors ne présente pas le caractère d'un acte administratif réglementaire, faute d'avoir été contestée dans le délai raisonnable d'un an, est devenue définitive. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont accueilli la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des conclusions en annulation dirigées contre la délibération n° 2014-025 du 29 décembre 2014.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement, en tant qu'il a rejeté les conclusions aux fins d'annulation des titres de recettes et de décharge :

S'agissant de la recevabilité des conclusions aux fins d'annulation des titres de recettes litigieux :

13. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Aux termes du 2° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, alors applicable : " L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite ". Il résulte de ces dernières dispositions, d'une part, que cette notification doit, s'agissant des voies de recours, mentionner, le cas échéant, l'existence d'un recours administratif préalable obligatoire ainsi que l'autorité devant laquelle il doit être porté ou, dans l'hypothèse d'un recours contentieux direct, indiquer si celui-ci doit être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle et, d'autre part, qu'une mention portée sur un titre exécutoire indiquant au débiteur d'une créance qu'il peut la contester devant le tribunal judiciaire ou le tribunal administratif compétent selon la nature de cette créance, suivie d'une liste d'exemples ne comportant pas celui de la créance en litige, ne peut faire courir les délais de recours.

14. S'il ressort des pièces du dossier que les titres de recettes émis les 4 février 2010, 15 février 2011, 10 février 2012, 11 janvier 2013, 23 janvier 2014 et 28 janvier 2015, mentionnent les délais de recours contentieux, toutefois, la seule mention " vous pouvez contester la somme mentionnée en saisissant directement le tribunal judiciaire ou le tribunal administratif compétent selon la nature de la créance ", qui ne précise pas quelle est la juridiction compétente, n'a pas pu faire courir le délai de recours contentieux. Il ressort également de l'examen des titres exécutoires émis par le service départemental d'incendie et de secours de la Martinique les 19 janvier 2016 et 6 janvier 2017 à l'encontre de la commune de Fort-de-France qu'il était indiqué, au verso de chacun d'eux que : " Dans le délai de deux mois suivant la notification du présent acte (article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales), vous pouvez contester la somme mentionnée au verso en saisissant directement le tribunal judiciaire ou le tribunal administratif compétent selon la nature de la créance " et qu'étaient cités ensuite plusieurs exemples de créances pour lesquelles était précisée la juridiction compétente mais que la contribution financière annuelle de la commune au financement du service départemental d'incendie et de secours ne figurait pas dans cette liste. Dès lors, une telle notification, qui ne peut être regardée comme comportant l'indication des voies de recours requise par les dispositions précitées de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, n'a pu davantage faire courir les délais de recours contentieux.

15. Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable.

16. S'agissant des titres exécutoires, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, le délai raisonnable ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre ou, à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance.

17. Il est constant que la commune de Fort-de-France a reçu les avis des sommes à payer pour les années 2010 à 2015 les 9 février 2010, 22 mars 2011, 14 mars 2012, 11 janvier 2013, 17 février 2014, 19 février 2015, et les titres de recettes pour les années 2016 et 2017, les 11 février 2016 et 24 janvier 2017, ainsi qu'en fait foi le cachet apposé par les services de cette collectivité. Si la commune de Fort-de-France se prévaut, pour justifier l'extension du délai raisonnable pour exercer un recours juridictionnel à l'encontre du titre exécutoire au-delà du délai d'un an, de la nécessité de préserver les deniers publics, cette circonstance n'est pas au nombre des circonstances particulières au sens du principe rappelé au point 10. Si la commune requérante soutient également que les titres de recettes sont en réalité des actes nuls et de nul effet, elle n'apporte toutefois au soutien de cette allégation aucun justificatif. Par suite, le recours formé par la commune de Fort-de-France devant le tribunal administratif de la Martinique le 31 décembre 2018 est intervenu au-delà du délai raisonnable d'un an dont elle disposait pour contester la validité de ces titres de recettes. Ainsi, pour les titres de recettes émis les 4 février 2010, 15 février 2011, 10 février 2012, 11 janvier 2013, 23 janvier 2014, 28 janvier 2015, 19 janvier 2016 et 6 janvier 2017, la commune de Fort-de-France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli la fin de non-recevoir opposée en défense par le service départemental d'incendie et de secours de la Martinique tirée de la tardiveté de la requête dirigées contre ces titres exécutoires, en tant qu'elles excèdent le délai raisonnable.

18. Toutefois, s'agissant du titre de recettes émis le 23 janvier 2018, il est constant qu'il est parvenu à la commune de Fort-de-France le 9 février 2018. Dès lors, c'est à bon droit que le tribunal administratif de la Martinique a considéré que le recours, introduit par la commune de Fort-de-France le 31 décembre 2018, n'excède pas le délai raisonnable d'un an durant lequel il pouvait être exercé.

S'agissant du titre de recettes émis le 23 janvier 2018 :

19. Ainsi qu'il a été dit au point 4, la commune de Fort-de-France n'a pas soulevé en première instance le moyen tiré de l'illégalité par voie d'exception de la délibération n°2017-026 du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique pour l'année 2018 à l'appui de ses conclusions dirigées contre le titre exécutoire du 9 février 2018.

20. Ainsi qu'il a été dit au point 8, la délibération en cause se bornant à reconduire au titre de l'année 2018 la répartition des contributions des communes précédemment adoptée, ne présente pas le caractère d'un acte réglementaire. Dès lors qu'il n'est pas contesté que la commune requérante a reçu notification de cette délibération n°2017-026 du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique, elle est devenue définitive. Il y a lieu, par suite, d'écarter le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la délibération n° 2017-026.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Fort-de-France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des délibérations du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique du 17 décembre 2009, du 10 décembre 2010, du 12 décembre 2011, du 11 décembre 2012, du 24 décembre 2013, et du 3 décembre 2015, des titres de recettes émis par le service départemental d'incendie et de secours les 4 février 2010, 15 février 2011, 10 février 2012, 11 janvier 2013, 23 janvier 2014, 28 janvier 2015, 19 janvier 2016, 6 janvier 2017 et 23 janvier 2018, et à la décharge de son obligation de payer la somme totale de 37 156 834 euros correspondant à sa contribution au budget de ce service, au titre des années 2010 à 2016.

22. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation et de décharge, n'appelle aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par la commune de Fort-de-France ne peuvent qu'être rejetées.

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique, qui n'est pas partie perdante à l'instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune requérante le versement au SDIS de la Martinique de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Fort-de-France est rejetée.

Article 2 : La commune de Fort-de-France versera au service départemental d'incendie et de secours de la Martinique la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Fort-de-France et au service départemental d'incendie et de secours de la Martinique.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 décembre 2022.

La rapporteure,

Agnès B...Le président,

Didier ARTUSLa greffière,

Sylvie HAYET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 20BX00798


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00798
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Agnès BOURJOL
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : RELOUZAT BRUNO

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-12-16;20bx00798 ?
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