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25/01/2023 | FRANCE | N°21BX00172

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 25 janvier 2023, 21BX00172


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau :



1°) d'annuler ou de réformer l'arrêté du 20 août 2018 par lequel le président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées a fixé son indemnité forfaitaire de fonctions, de sujétions et d'expertise, ensemble la décision implicite et la décision expresse du 18 février 2019 par lesquelles cette même autorité a rejeté son recours gracieux ;



2°) d'annuler " par la voi

e de l'exception d'illégalité " ou de réformer la délibération du 8 décembre 2017 par laquelle le conseil départementa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau :

1°) d'annuler ou de réformer l'arrêté du 20 août 2018 par lequel le président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées a fixé son indemnité forfaitaire de fonctions, de sujétions et d'expertise, ensemble la décision implicite et la décision expresse du 18 février 2019 par lesquelles cette même autorité a rejeté son recours gracieux ;

2°) d'annuler " par la voie de l'exception d'illégalité " ou de réformer la délibération du 8 décembre 2017 par laquelle le conseil départemental des Hautes-Pyrénées a instauré pour ses agents un nouveau régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel ;

3°) d'annuler " par la voie de l'exception d'illégalité " ou de réformer l'arrêté du 24 juillet 2018 par lequel le président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées a classé les métiers de la collectivité entre les groupes de fonctions.

Par un jugement n° 1900761 du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Pau a annulé les arrêtés du président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées du 24 juillet 2018 et du 20 août 2018 ainsi que la décision prise par cette même autorité le 18 février 2019, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme B....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 14 janvier 2021 et le 23 décembre 2021, le conseil départemental des Hautes-Pyrénées, représenté par Me Landot, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 17 novembre 2020 ;

2°) de rejeter la demande de Mme B... ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... une somme de 6 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que, d'une part, il n'a pas répondu à la fin de non-recevoir tirée de ce que les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 juillet 2018 étaient tardives et que, d'autre part, il a fait droit à ces conclusions qui étaient irrecevables ; en ne rejetant pas ces conclusions comme irrecevables et en les accueillant, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité ;

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas répondu à la fin de non-recevoir tirée de l'absence d'intérêt à agir de Mme B... ; aucune économie de moyens n'était possible pour le tribunal qui a rendu un jugement d'annulation ; cette fin de non-recevoir était en outre fondée dès lors, d'une part, qu'à la date des décisions attaquées, elle ne pouvait se prévaloir d'un quelconque droit à se voir appliquer le RIFSEEP et, d'autre part, qu'elle a obtenu grâce à l'assimilation de son régime indemnitaire à celui du RIFSEEP un régime plus favorable que celui auquel elle aurait normalement pu prétendre ;

- les conclusions dirigées contre la délibération du 8 décembre 2017 étaient bien tardives ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, qui a statué ultra petita, la délibération du 8 décembre 2017 n'est pas illégale en ce qu'elle définit des groupes de fonctions pour l'ensemble des métiers de la collectivité dès lors que, sous réserve de respecter le principe de parité entre les agents de la fonction publique d'Etat et ceux de la fonction publique territoriale, qui se borne à faire obstacle à ce qu'un agent territorial puisse bénéficier d'un régime indemnitaire plus avantageux qu'un agent de l'Etat, elle pouvait procéder à une telle définition ;

- le principe de parité impose seulement que les plafonds fixés pour les groupes de fonction ne soient pas dépassés ; aucun texte ni aucune jurisprudence n'impose de définir des groupes de fonctions par cadre d'emplois dans les mêmes conditions que la définition des groupes de fonctions pour les corps équivalents dans la fonction publique de l'Etat ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, d'une part, il pouvait au nom de la libre administration des collectivités territoriales définir librement les critères d'attribution de l'IFSE et les hiérarchiser pour la répartition des fonctions au sein des groupes et, d'autre part, il ne s'est pas uniquement fondé sur le critère de la responsabilité dès lors que les groupes de fonctions ne résultent pas que de la position dans l'organigramme et prennent en compte à la fois le niveau de responsabilité mais également l'expertise requise par les fonctions, respectant ainsi les trois critères prévus par l'article 2 du décret du 20 mai 2014 ;

- aucun des moyens invoqués par Mme B... devant le tribunal n'était fondé : la constitution des groupes de fonctions et le mode d'attribution des points par critères n'étaient pas irréguliers ; le classement des métiers dans les groupes de fonctions n'est pas arbitraire ; la fiche de poste de l'intéressée n'a fait l'objet que d'une modification de forme et non de fond dans le but de la classer dans le groupe de fonctions n° 6 ; son classement dans ce groupe n'est pas erroné ; le mode de calcul de ses points n'est pas erroné ; aucune erreur n'a été commise dans le mode d'attribution des points au regard des indicateurs ; le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation est infondé ;

- les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées dès lors que l'annulation d'une décision concernant l'attribution d'une prime ou d'une indemnité n'entraîne pas l'obligation pour l'administration d'attribuer ladite prime ou indemnité à un montant déterminé mais seulement, le cas échéant, le réexamen de la situation.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 avril 2021 et le 6 mai 2022, Mme A... B..., représentée par Me Riou, conclut à titre principal au non-lieu à statuer et à titre subsidiaire au rejet de la requête, à la confirmation du jugement attaqué, à la déclaration d'illégalité de la délibération du 8 décembre 2017 du conseil départemental des Hautes-Pyrénées, à l'annulation des arrêtés du président dudit conseil départemental du 24 juillet 2018 et du 20 août 2018 ainsi qu'à celle de la décision prise par cette même autorité le 18 février 2019. Elle demande en toute hypothèse qu'il soit enjoint au conseil départemental des Hautes-Pyrénées de procéder à un nouveau calcul du montant de l'indemnité prenant en considération, a minima, son classement dans le groupe de fonctions 5 avec une cotation de 56 points, rétroactivement à compter du 1er janvier 2018, et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du conseil départemental des Hautes-Pyrénées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête d'appel est dépourvue d'objet dès lors que de nouvelles décisions se sont substituées aux précédentes décisions relatives à la mise en place du RIFSEEP au sein de la collectivité : le conseil départemental a adopté une nouvelle décision le 18 décembre 2020 puis le 11 juin 2021 relative au régime indemnitaire des agents et, par arrêté du 15 juillet 2021, a fixé le montant de son indemnité forfaitaire de fonctions, de sujétions et d'expertise ;

- le jugement attaqué n'a pas omis de se prononcer sur une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des conclusions dirigées contre l'arrêté du 24 juillet 2018 dès lors qu'aucune fin de non-recevoir n'a été opposée sur ce point et que c'est le tribunal qui a informé les parties qu'il était susceptible de relever d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité de ces conclusions, moyen sur le bien-fondé duquel il n'était ensuite pas tenu de se prononcer ; il pouvait être excipé de l'illégalité de cet arrêté du 24 juillet 2018 ;

- le département avait en première instance seulement conclu au rejet de la requête sans opposer explicitement de fin de non-recevoir tirée de son défaut d'intérêt à agir ; le tribunal pouvait procéder à une économie de moyens ; elle avait au demeurant intérêt à agir à l'encontre des décisions instaurant un nouveau régime indemnitaire des agents de la collectivité dont elle fait partie alors même que ce nouveau régime indemnitaire lui était favorable ;

- le tribunal administratif a à bon droit annulé les décisions contestées qui étaient illégales.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Butéri,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Fouace représentant le conseil départemental des Hautes-Pyrénées et de Me Riou représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 8 décembre 2017, le conseil départemental des Hautes-Pyrénées a, en application de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, défini pour ses agents un nouveau régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) en s'inspirant de celui institué, pour les agents de l'Etat, par le décret du 20 mai 2014 portant création de ce régime. Cette délibération prévoit ainsi notamment l'attribution d'une indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) aux agents de droit public occupant un poste permanent et détermine, en vue de la fixation du montant de cette indemnité, des groupes de fonctions, au nombre de huit, auxquels correspond une valeur du point. Par un arrêté du 24 juillet 2018, le président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées a procédé au classement des métiers de la collectivité dans ces différents groupes. Le métier de psychologue a alors été classé dans le groupe 6 " Instruction avec expertise et diagnostic ", groupe pour lequel la valeur du point a été fixée à 18 euros.

2. Mme A... B..., recrutée le 2 juin 1997 par le département des Hautes-Pyrénées en qualité de psychologue, a été titularisée le 1er juin 2004 et promue au 4ème échelon du grade de psychologue territorial hors classe à compter du 1er mai 2016. Par un arrêté du 20 août 2018, le président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées a, en application du nouveau régime indemnitaire exposé au point précédent, notifié à Mme B... le montant mensuel de son IFSE égal à la somme de 576 euros obtenue en multipliant la valeur du point défini pour son groupe de fonctions, soit 18 euros, par la cotation de son poste, à savoir 32 points. Estimant ce montant insuffisant, Mme B... a saisi, le 6 novembre 2018, le président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées d'un recours gracieux qui a été implicitement rejeté. Par une décision du 18 février 2019, cette autorité a finalement expressément rejeté le recours gracieux formé par son agent contre l'arrêté du 20 août 2018. Par un jugement du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Pau a annulé les arrêtés du président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées du 24 juillet 2018 et du 20 août 2018 ainsi que la décision prise par cette même autorité le 18 février 2019, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme B.... Le conseil départemental des Hautes-Pyrénées relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé ces arrêtés et décision.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

3. Si, avant que le juge n'ait statué sur un recours dirigé contre un acte administratif, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu pour le juge de statuer sur le mérite du recours dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution.

4. Mme B... soutient que la requête est dépourvue d'objet dès lors que, à la suite du jugement attaqué, la commission permanente du conseil départemental des Hautes-Pyrénées a adopté deux délibérations, le 18 décembre 2020 puis le 11 juin 2021, pour la mise en œuvre du régime indemnitaire des agents et que le président du conseil départemental a pris un nouvel arrêté, le 15 juillet 2021, pour fixer le nouveau montant de son IFSE. Toutefois, la délibération du 18 décembre 2020, qui abroge seulement les délibérations du conseil départemental en date des 2 décembre 2017, 22 juin 2018 et 21 juin 2019, a été abrogée par la délibération du 11 juin 2021 sur le fondement de laquelle a été pris l'arrêté du 15 juillet 2021. En admettant même que la délibération du 11 juin 2021 et l'arrêté du 15 juillet 2021 aient implicitement mais nécessairement retiré respectivement la délibération du 8 décembre 2017 et l'arrêté du 20 août 2018, ce retrait n'était pas définitif à la date d'enregistrement de la requête du département des Hautes-Pyrénées puisque cette délibération et cet arrêté faisaient alors l'objet d'une demande d'annulation qui est toujours pendante. Dès lors, l'exception de non-lieu à statuer doit être écartée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

5. Il résulte de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif de Pau a omis de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée dans le mémoire en défense n° 2 du département des Hautes-Pyrénées tirée de ce que Mme B... était dépourvue d'intérêt à agir dès lors que l'application du nouveau régime indemnitaire des agents de la collectivité aboutissait, la concernant, à une indemnité plus élevée que celle qu'elle aurait obtenue si le régime indemnitaire précédent avait été maintenu. Ainsi, le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motifs et doit être annulé sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité soulevé.

6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Pau.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir :

7. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'enregistrement de la demande, à laquelle s'apprécie l'intérêt à agir, Mme B... était au nombre des agents du département des Hautes-Pyrénées auxquels s'appliquait le nouveau régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) instauré par la délibération du 8 décembre 2017. Ainsi, et contrairement à ce que soutient le conseil départemental des Hautes-Pyrénées, elle présente une qualité lui donnant intérêt à agir pour contester la délibération du 8 décembre 2017 définissant ce nouveau régime indemnitaire notamment par la détermination de groupes de fonctions, l'arrêté du 24 juillet 2018 procédant au classement des métiers de la collectivité, dont le sien, dans ces différents groupes et l'arrêté du 20 août 2018 lui notifiant le montant mensuel de son IFSE en application de ce nouveau régime indemnitaire. La circonstance, à la supposer établie, que le nouveau régime indemnitaire serait plus favorable que celui dont elle bénéficiait jusqu'alors n'est pas de nature à la faire regarder comme étant dépourvue d'intérêt à agir. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense doit être écartée.

Sur les conclusions tendant à la réformation de la délibération du 8 décembre 2017, de l'arrêté du 24 juillet 2018 et de l'arrêté du 20 août 2018 :

8. Mme B... a notamment demandé au tribunal administratif de " réformer " la délibération du conseil départemental des Hautes-Pyrénées du 8 décembre 2017, l'arrêté du président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées du 24 juillet 2018 et l'arrêté de cette même autorité du 20 août 2018. Il n'appartient toutefois pas au juge de l'excès de pouvoir de réformer un acte administratif soumis à son examen. Par suite, ces conclusions sont irrecevables et doivent être rejetées comme telles pour ce motif sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir, tirées de leur tardiveté, opposées aux conclusions en réformation dirigées contre la délibération du 8 décembre 2017 et l'arrêté du 24 juillet 2018.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 août 2018 et des décisions implicite et explicite de rejet du recours gracieux exercé à l'encontre de cet arrêté :

9. A l'appui de ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 20 août 2018 et de la décision expresse du 18 février 2019 qui s'est substituée à la décision implicite de rejet de son recours gracieux, Mme B... soulève le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la délibération du 8 décembre 2017 par laquelle le conseil départemental des Hautes-Pyrénées a défini, pour ses agents, un nouveau régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP). Elle soutient à cet égard que le conseil départemental a commis une erreur de droit en ce qu'il n'a pas procédé à la définition de groupes de fonctions au niveau de chaque cadre d'emplois mais les a déterminés en fonction du niveau hiérarchique des fonctions occupées indépendamment du cadre d'emploi dont ces fonctions relèvent.

10. Aux termes de l'article 88 de loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale alors applicable : " Les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics fixent les régimes indemnitaires, dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l'Etat. Ces régimes indemnitaires peuvent tenir compte des conditions d'exercice des fonctions et de l'engagement professionnel des agents. Lorsque les services de l'Etat servant de référence bénéficient d'une indemnité servie en deux parts, l'organe délibérant détermine les plafonds applicables à chacune de ces parts et en fixe les critères, sans que la somme des deux parts dépasse le plafond global des primes octroyées aux agents de l'Etat. ".

11. Aux termes de l'article 1er du décret du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les fonctionnaires relevant de la loi du 11 janvier 1984 susvisée peuvent bénéficier, d'une part, d'une indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise et, d'autre part, d'un complément indemnitaire annuel lié à l'engagement professionnel et à la manière de servir, dans les conditions fixées par le présent décret (...) ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Le montant de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise est fixé selon le niveau de responsabilité et d'expertise requis dans l'exercice des fonctions. Les fonctions occupées par les fonctionnaires d'un même corps ou statut d'emploi sont réparties au sein de différents groupes au regard des critères professionnels suivants : 1° Fonctions d'encadrement, de coordination, de pilotage ou de conception ; 2° Technicité, expertise, expérience ou qualification nécessaire à l'exercice des fonctions ; 3° Sujétions particulières ou degré d'exposition du poste au regard de son environnement professionnel. Le nombre de groupes de fonctions est fixé pour chaque corps ou statut d'emploi par arrêté du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget et, le cas échéant, du ministre intéressé. Ce même arrêté fixe les montants minimaux par grade et statut d'emplois, les montants maximaux afférents à chaque groupe de fonctions (...) ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Les fonctionnaires mentionnés à l'article 1er peuvent bénéficier d'un complément indemnitaire annuel qui tient compte de l'engagement professionnel et de la manière de servir (...) Il est compris entre 0 et 100 % d'un montant maximal par groupe de fonctions fixé par arrêté du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget et, le cas échéant, du ministre intéressé (...) ".

12. Il résulte des dispositions citées au point 10 de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984, qui permettent à une collectivité locale de mettre en place pour ses agents le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) institué par le décret du 20 mai 2014, qu'il revient à l'assemblée délibérante de chaque collectivité territoriale de fixer elle-même la nature, les conditions d'attribution et le taux moyen des indemnités bénéficiant aux fonctionnaires de la collectivité, sans que le régime ainsi institué puisse être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l'Etat d'un grade et d'un corps équivalents au grade et au cadre d'emplois de ces fonctionnaires territoriaux et sans que la collectivité soit tenue de faire bénéficier ses fonctionnaires de régimes indemnitaires identiques à ceux des fonctionnaires de l'Etat.

13. Il découle également des dispositions de l'article 88 de la loi du 11 janvier 1984 que les collectivités territoriales qui souhaitent mettre en œuvre un régime indemnitaire lié aux fonctions, lorsque les services de l'Etat servant de référence bénéficient d'une indemnité servie en deux parts, doivent le faire en décomposant aussi l'indemnité en deux parts. Dans ce cas, la première de ces parts tient compte des conditions d'exercice des fonctions et la seconde de l'engagement professionnel des agents. Les collectivités territoriales qui décident de mettre en place un tel régime demeurent libres de fixer les plafonds applicables à chacune des parts, sous la réserve, compte tenu du principe de parité rappelé ci-dessus, que leur somme ne dépasse pas le plafond global des primes accordées aux agents de l'Etat servant de référence, et de déterminer les critères d'attribution des primes correspondant à chacune de ces parts.

14. Enfin, il résulte des dispositions citées au point 11 des articles 2 et 4 du décret du 20 mai 2014 que le montant maximal des deux parts de ce régime indemnitaire est, pour les fonctionnaires de l'Etat, défini par groupe de fonctions. Dès lors, le respect de la seule contrainte imposée par l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 aux collectivités territoriales dans la mise en place de ce régime indemnitaire, qui consiste à fixer des plafonds pour chacune des parts dont la somme n'excède pas le plafond global des primes octroyées aux agents de l'Etat, implique, implicitement mais nécessairement, que les collectivités territoriales définissent les plafonds de chacune des parts en faisant usage des mêmes termes de référence que ceux employés pour les agents de l'Etat. Par conséquent, les collectivités territoriales doivent définir les plafonds de chacune des parts par référence aux groupes de fonctions mentionnés aux articles 2 et 4 du décret. Une telle interprétation de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 est conforme au principe de libre administration des collectivités territoriales dès lors qu'il résulte des articles 34 et 72 de la Constitution que le législateur peut assujettir les collectivités territoriales à des obligations à condition que celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général sans entraver la compétence propre des collectivités concernées ni leur libre administration. En l'espèce, l'obligation imposée vise à garantir une certaine parité entre le régime indemnitaire applicable aux agents de l'Etat et celui applicable aux agents des collectivités territoriales. Cette obligation contribue ainsi à l'harmonisation des conditions de rémunération au sein des fonctions publiques étatiques et territoriale et poursuit donc un objectif d'intérêt général. Or, comme rappelé au point 13, les collectivités territoriales demeurent libres de fixer les plafonds applicables, sous la réserve énoncée au même point, et de déterminer les critères d'attribution des primes.

15. Par une délibération du 8 décembre 2017, le conseil départemental des Hautes-Pyrénées a notamment institué l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise. Cette délibération définit huit groupes de fonctions (" direction générale ", " direction générale adjointe ", " direction, encadrement de service ou de structure ", " aide à la décision et transversalité ", " instruction avec expertise et diagnostic ", " encadrement de proximité et instruction technique ", " exécution ") auxquels correspond pour chacun une valeur du point allant de manière dégressive de 48 euros à 16 euros, les métiers de la collectivité devant ensuite être cotés par un nombre de points et classés dans ces groupes de fonctions pour le calcul de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise de chaque agent. Toutefois, ces groupes de fonctions sont fixés pour l'ensemble des métiers de la collectivité, sans distinction de corps ou de statut d'emploi comme prévu par l'article 2 du décret du 20 mai 2014. Or, contrairement à ce que soutient le conseil départemental des Hautes-Pyrénées et en application de ce qui a été dit au point précédent, les collectivités territoriales doivent, pour leurs agents, définir les plafonds de chacune des parts en faisant usage des mêmes termes de référence que ceux employés pour les agents de l'Etat. Dans ces conditions, Mme B... est fondée à soutenir que la délibération du 8 décembre 2017 est, sur ce point, entachée d'une erreur de droit. Par suite, l'arrêté du 20 août 2018 dont cette délibération constitue la base légale doit être annulé sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête. Il y a également lieu d'annuler la décision expresse du 18 février 2019 de rejet du recours gracieux exercé à l'encontre de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

16. L'annulation des décisions mentionnées au point précédent n'implique pas, eu égard au motif retenu, qu'il soit fait droit aux conclusions de Mme B... tendant à ce qu'il soit enjoint au conseil départemental des Hautes-Pyrénées de procéder à un nouveau calcul du montant de son IFSE en la classant dans le groupe de fonctions 5 avec une cotation de 56 points à compter du 1er janvier 2018, mais seulement qu'il réexamine sa situation. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre à l'exécutif territorial d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que le conseil départemental des Hautes-Pyrénées demande au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du conseil départemental des Hautes-Pyrénées une somme de 1 500 euros à verser à Mme B... au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900761 du 17 novembre 2020 du tribunal administratif de Pau est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 20 août 2018 du président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées et la décision du 18 février 2019 de cette même autorité portant rejet du recours gracieux formé par Mme B... contre ledit arrêté sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le conseil départemental des Hautes-Pyrénées versera la somme de 1 500 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au département des Hautes-Pyrénées et à Mme A... B....

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 janvier 2023.

La rapporteure,

Karine Butéri

La présidente,

Florence Demurger

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet des Hautes-Pyrénées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX00172


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00172
Date de la décision : 25/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : CABINET LANDOT & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-01-25;21bx00172 ?
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