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15/02/2023 | FRANCE | N°21BX01261

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 15 février 2023, 21BX01261


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 21 décembre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de la huitième section de l'unité de contrôle UC2 de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine a autorisé son licenciement pour inaptitude.

Par un jugement n° 1900508 du 19 janvier 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :
>Par une requête enregistrée le 25 mars 2021, M. D..., représenté par Me Dabadie, demande à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 21 décembre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de la huitième section de l'unité de contrôle UC2 de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine a autorisé son licenciement pour inaptitude.

Par un jugement n° 1900508 du 19 janvier 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 mars 2021, M. D..., représenté par Me Dabadie, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 19 janvier 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 21 décembre 2018 de l'inspectrice du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande d'autorisation de licenciement a été présentée par une personne incompétente ;

- le comité social et économique n'a pas été consulté sur le projet de licenciement ;

- l'employeur n'a pas rempli ses obligations en matière de recherche loyale et sérieuse de reclassement.

Par un mémoire, enregistré le 4 octobre 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... A...,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... D... a été recruté le 5 février 1990 par la société Eaton, spécialisée dans la fabrication d'équipements aéronautiques et hydrauliques, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Il y exerçait les fonctions de magasinier cariste au sein de l'établissement de Serres-Castet (Pyrénées-Atlantiques) et détenait un mandat de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Le 5 septembre 2018, dans le cadre d'une visite de reprise, M. D... a été déclaré inapte à son poste de travail. Par un courrier en date du 22 octobre 2018, la société Eaton a demandé à l'inspectrice du travail l'autorisation de licencier M. D... pour inaptitude physique. Par une décision du 21 décembre 2018, l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement sollicité. Par un jugement du 19 janvier 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté la demande d'annulation de cette décision présentée par M. D.... Ce dernier relève appel de ce jugement.

2. En premier lieu, d'une part, il appartient à l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, de vérifier que cette demande est présentée par l'employeur de ce salarié ou par une personne ayant qualité pour agir en son nom. D'autre part, aux termes de l'article L. 227-6 du code de commerce relatif aux sociétés par actions simplifiées : " La société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. (...). / Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article. (...) ". Ces dispositions n'excluent pas la possibilité, pour ces représentants légaux, de déléguer le pouvoir d'effectuer des actes déterminés tel que celui de licencier les salariés de l'entreprise. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire n'exige que la délégation du pouvoir de déposer une demande d'autorisation de licenciement soit donnée par écrit, cette dernière pouvant être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement.

3. Il est constant que la demande d'autorisation de licenciement de M. D... a été adressée à l'inspectrice du travail, le 22 octobre 2018, par Mme E... C.... Il ressort des pièces du dossier que, le 30 janvier 2014, la présidente de la société par actions simplifiée Eaton a expressément délégué à Mme C..., responsable des ressources humaines de l'établissement de Serres-Castet dans lequel M. D... exerçait ses fonctions, les pouvoirs de représenter la société, dans tous ses rapports avec les tiers, dont l'administration du travail, et d'engager toute procédure de licenciement. En outre, Mme C..., qui est devenue le 10 juillet 2014 responsable des ressources humaines pour l'ensemble de la société Eaton, avait qualité, de par ses nouvelles fonctions, pour conduire la procédure de licenciement de M. D.... Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la demande d'autorisation de licenciement doit être écarté.

4. En deuxième lieu, M. D... reprend, dans des termes similaires et sans critique utile du jugement, le moyen invoqué en première instance tiré de ce que, faute pour le comité social et économique d'avoir été consulté, la décision en litige est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière. Il n'apporte en appel aucun élément de droit ou de fait nouveau, ni aucune nouvelle pièce à l'appui de ce moyen auquel le tribunal administratif a suffisamment et pertinemment répondu. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. / Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. ".

6. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions de l'article L. 1226-2 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Lorsqu'après son constat d'inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent, s'il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l'employeur.

7. D'une part, à supposer que M. D... ait entendu contester le caractère non professionnel de son inaptitude, si l'administration doit vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement, il ne lui appartient pas, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude. Dès lors, l'inspectrice du travail n'a pas méconnu les dispositions du code du travail en ne recherchant pas si l'inaptitude de ce salarié trouvait son origine dans un comportement fautif de l'employeur.

8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, dans un avis rédigé le 5 septembre 2018, le médecin du travail a estimé que M. D... était inapte à son poste de magasinier cariste, qu'un reclassement " était possible sur un poste sans mouvement forcé ni répétitif des 2 membres supérieurs, ni port de charge manuelle de plus de 5 kg " et que ce salarié " pourrait occuper un poste de type administratif (par exemple) ou suivre une formation professionnelle respectant ces préconisations ". Il est constant que les cinq postes compatibles avec les restrictions émises par le médecin du travail, à pourvoir au sein de l'entreprise, ne correspondaient pas au profil professionnel de M. D.... Il ressort des pièces du dossier que la recherche de reclassement a alors été élargie au sein des autres entreprises du groupe Eaton, situées sur le territoire national, et que le courrier électronique envoyé à cet égard à douze destinataires, mentionnait le motif, l'objet de la recherche et l'intégralité des recommandations du médecin du travail, permettant ainsi aux entreprises contactées de déterminer quels postes elles pouvaient proposer, et se terminait par une demande de communication de la liste de tous les postes disponibles compatibles avec les compétences de M. D... et les recommandations du médecin. L'une des entreprises du groupe Eaton, qui a répondu que les postes disponibles correspondant aux compétences professionnelles de M. D... n'étaient pas envisageables en raison de manutention de charges, a par ailleurs communiqué une liste de quatre postes sans contrainte physique, lesquels exigeaient cependant tous un niveau d'anglais courant et soit un diplôme d'ingénieur soit une expertise dans les domaines de l'export ou de la finance ou bien en qualité de responsable qualité, hygiène, sécurité et environnement. Or, M. D..., titulaire d'un brevet d'études professionnelles agent administratif, a reconnu lui-même qu'il n'avait pas les compétences linguistiques ou techniques requises, a souligné la durée trop longue des formations nécessaires pour accéder à ces postes et en a conclu, en accord avec la société, qu'ils n'étaient pas en adéquation avec ses qualifications. Par suite, le moyen tiré de ce que l'employeur aurait méconnu son obligation de reclassement doit être écarté.

9. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société Eaton.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

M. Anthony Duplan, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2023.

La rapporteure,

Karine A...

La présidente,

Florence Demurger

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX01261


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01261
Date de la décision : 15/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : DABADIE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-02-15;21bx01261 ?
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