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23/02/2023 | FRANCE | N°21BX00458

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 23 février 2023, 21BX00458


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 février 2021 et le 28 mars 2022, la société Ferme Eolienne des Groies de Parançay, représentée par Me Guiheux, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 décembre 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé sa demande d'autorisation environnementale en vue de construire et d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Bernay-Saint-Martin ;

2°) de lui accorder l'autorisation environnementale sollicitée ;


3°) à titre subsidiaire d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer cette au...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 février 2021 et le 28 mars 2022, la société Ferme Eolienne des Groies de Parançay, représentée par Me Guiheux, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 décembre 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé sa demande d'autorisation environnementale en vue de construire et d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Bernay-Saint-Martin ;

2°) de lui accorder l'autorisation environnementale sollicitée ;

3°) à titre subsidiaire d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer cette autorisation dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte ; à défaut de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- le site d'implantation, majoritairement rural, agricole et déjà anthropisé ne présente pas de caractère particulier, la végétation jouant en outre un rôle d'écran naturel ;

- le motif tiré de l'impact patrimonial et touristique du projet est entaché d'erreur d'appréciation en l'absence d'impact visuel significatif par ordonnance du 19 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 24 juin 2022 à 12h00 ;

- le motif tiré de l'effet de saturation et d'encerclement est entaché d'erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé lié par des critères non réglementaires et d'erreur d'appréciation en ne tenant pas compte notamment des projets existants ;

- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation quant au caractère insuffisant et inadapté des mesures de réduction et de compensation.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 novembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Une ordonnance du 15 novembre 2022, a prononcé la clôture d'instruction à la date d'émission, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... B...,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me Rochard, représentant la société Ferme Eolienne des Groies de Parançay.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ferme Eolienne des Groies de Parançay, a déposé, le 19 avril 2019, une demande d'autorisation environnementale pour exploiter un parc éolien composé de 2 aérogénérateurs d'une hauteur maximale de 180 mètres sur le territoire de la commune de Bernay-Saint-Martin (Charente-Maritime). La société demande l'annulation de l'arrêté du 18 décembre 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de délivrer cette autorisation.

Sur la légalité de l'arrêté du 18 décembre 2020 :

2. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) ". Les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code comprennent les dangers ou inconvénients " pour la commodité du voisinage (...) pour l'agriculture (...) pour la protection (...) des paysages (...) pour la conservation des sites et des monuments (...) ".

En ce qui concerne le motif de l'atteinte aux paysages :

3. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

4. Le projet en litige s'implante dans la zone de la plaine d'Aunis, qui se caractérise par un relief peu marqué, des paysages ouverts composés de grandes parcelles agricoles céréalières et de petits boisements. Ce paysage qui ne présente aucun caractère particulier, comporte un certain nombre d'éléments de type plus industriel comme des lignes haute tension et des silos à grains ainsi que des parcs éoliens en fonctionnement. Il résulte de l'instruction que si, du fait de leur taille, les éoliennes sont très prégnantes dans les vues très rapprochées, et génèrent un effet d'écrasement, la zone d'implantation est relativement isolée, dans un secteur à dominante agricole et l'éloignement estompe rapidement cet effet, du fait notamment de la présence de haies et de bosquets qui permettent d'équilibrer les échelles et de masquer en partie les machines. Les effets de rupture d'échelle par rapport aux hameaux sont limités et la prégnance des deux éoliennes du projet est peu prononcée dans les vues plus lointaines. Compte tenu du faible nombre de machines qu'elle comporte, cette installation ne peut être regardée comme entraînant une augmentation significative de la visibilité d'aérogénérateurs depuis les différents points du territoire de nature à créer ou renforcer un effet de saturation de ce paysage. Par suite le motif de l'atteinte aux paysages n'était pas de nature à justifier le refus opposé à la demande d'autorisation.

En ce qui concerne le motif tiré de la conservation des sites et des monuments :

5. La zone d'implantation des éoliennes en litige est riche en monuments historiques protégés, qui s'élèvent à 81 dans un rayon de 20 kilomètres, dont 14 dans le périmètre rapproché de 10 kilomètres. Ces monuments sont pour la plupart des églises, ainsi que quelques châteaux et logis isolés et des habitations ou monuments situés dans les centres historiques de Saint-Jean-d'Angely et Surgères. Les situations de visibilité concernent d'une part l'église Saint-Pierre de Puyrolland, site inscrit situé sur un promontoire à 2,7 km des éoliennes, qui sont très visibles au-delà du cimetière proche, mais sont situées dans le prolongement immédiat des 7 éoliennes du parc autorisé des " Chênaies Hautes ", d'autres parcs étant également visibles à distance, et d'autre part l'église classée Saint-Pierre-ès-Lens de Breuil-la-Réorte située à environ 4 km des éoliennes, la vue étant toutefois atténuée par la présence d'arbres et d'un hameau à même échelle. Une situation de covisibilité existe pour l'église classée Saint-Pierre de Lozay située à 9,3 km des éoliennes. Toutefois, les éoliennes immédiatement dans l'axe de ce monument sont celles du parc autorisé des " Chênaies Hautes ", les éoliennes du projet étant pour leur part décalées vers la droite. En outre, l'église se situe clairement au premier plan et la distance permet d'atténuer la prégnance des machines en l'absence de rupture d'échelle. Enfin, la covisibilité avec l'église classée Saint-Pierre des Nouillers située à 15,8 km est lointaine, dans un paysage peu lisible du fait de la présence de bosquets d'arbres, de lignes électriques et de bâtiments, le parc éolien autorisé de " Tout vent " situé en premier plan étant nettement plus prégnant. Dans ce contexte, au regard des caractéristiques des sites concernés, il ne résulte pas de l'instruction que le projet litigieux altérerait de manière sensible la perception visuelle de ces édifices, et ce d'autant moins du fait de son implantation en extension limitée du parc autorisé des " Chênaies Hautes ". Par suite, ce projet ne peut être regardé comme portant une atteinte à ces éléments de patrimoine et le préfet ne pouvait rejeter la demande pour ce motif.

En ce qui concerne le motif tiré de l'atteinte à la commodité du voisinage :

6. Le préfet s'est fondé, pour retenir ce motif, sur l'existence d'un effet de saturation visuelle et d'encerclement pour les lieux-dits d'habitation de Parançay, Trueil-Mureau, Puyrolland, Bernay-Saint-Martin et Nachamps, ainsi que sur l'augmentation de l'effet d'occupation de l'horizon de plus de 80% des villages et hameaux riverains et la présence dans un rayons de 10,8 km autour du projet de 14 parcs construits, autorisés, en cours d'instruction ou connus représentant 82 éoliennes visibles pour les riverains proches. Il ajoute en défense que les seuils d'alerte sur un ou plusieurs des indices d'alerte sont dépassés pour plusieurs villages et lieux-dits.

7. En l'absence d'autres précisions, les circonstances tirées de l'augmentation de l'occupation de l'horizon dans 80% des villages de la zone d'implantation ou du dépassement des seuils d'alerte des indices théoriques d'occupation de l'horizon et de densité sur l'horizon ne sont pas à elles seules significatives de l'existence d'un effet d'encerclement ou de saturation pour leurs habitants, dès lors que ces données théoriques doivent être combinées avec l'analyse concrète du contexte paysager dans lequel se déploie le champ visuel, qui a été faite par le reste de l'étude paysagère jointe au dossier de demande et que seul cet examen combiné permet de déterminer concrètement s'il existe un effet de saturation visuelle de nature à porter atteinte à la commodité du voisinage. Il en est de même du nombres d'éoliennes installées ou potentielles, aucun élément ne permettant d'étayer l'existence d'une visibilité sur l'ensemble de ces éoliennes pour les riverains de la zone d'implantation.

8. Il résulte de l'instruction et notamment des indicateurs figurant dans l'étude paysagère que s'agissant du bourg de Puyrolland, du fait de la concentration des éoliennes sur l'horizon plus lointain, et au vu des indices d'occupation et des angles de respiration, l'effet d'encerclement n'est pas établi. Il en est de même du hameau de Nachamps. S'agissant des lieux-dits de Parançay, de Treuil-Mureau et du bourg de Bernay-Saint-Martin, il convient pour apprécier l'impact du projet litigieux sur l'effet d'encerclement de tenir compte du parc éolien de la " Chênaie Haute " autorisé par le préfet le 18 octobre 2019, qui n'était encore qu'au stade de l'instruction lors de la réalisation de l'étude paysagère. Or, les deux éoliennes du projet, qui ont été conçues comme une extension de ce parc de 7 éoliennes, n'ont pas d'impact sur les espaces de respiration, ne détériorent l'indice de densité que marginalement pour le bourg de Bernay Saint-Martin et n'entraînent qu'un accroissement de 5° de l'occupation des horizons à Bernay et Treuil-Mureau et 11° à Parançay, dont une part concerne des éoliennes situées à plus de 5 km. En outre, s'agissant du bourg de Bernay-Saint-Martin, la visibilité des machines sera nécessairement limitée par le nombre et de la densité plus importante des habitations. S'agissant du hameau de Parançay, si les éoliennes sont très prégnantes sur le photomontage n°1 réalisé à 500 mètres des éoliennes, le cœur du bourg en est plus éloigné, à 1 300 mètres, et bénéficie de l'effet de masque créé par les maisons ainsi que les arbres implantés le long de la RD939 et dans les jardins. S'agissant des villages de Saint-Félix et de Migré, que le préfet évoque en défense, ils sont situés respectivement à 5,7 et 7,9 km du projet, et la détérioration liée au projet des indices théoriques ne concerne que l'indice d'occupation de l'horizon pour des très faibles valeurs de 4° et 2° et l'espace de respiration de moins de 1° pour Migré, ces calculs ne tenant en outre pas compte de l'existence de masques du fait de la distance d'implantation. Dans ce contexte, il ne résulte pas de l'instruction que l'implantation de ces deux éoliennes serait de nature à créer ou accentuer le risque de saturation et d'effet d'encerclement pour les lieux d'habitations pris en compte par le préfet, d'autant que le projet comporte des mesures de plantations de haies pour les riverains proches de nature à réduire l'impact visuel des éoliennes.

En ce qui concerne le motif tiré du caractère confus, contradictoire et erroné des mesures paysagères réductrices annoncées :

9. Il résulte de l'instruction que l'étude d'impact à la page 339 et l'étude paysagère aux pages 201 et 202 prévoient la plantation de 205 mètres linéaires de haies et le renforcement de 60 mètres de haies existantes pour un montant de 5 000 euros HT ainsi que la mise en place d'un budget de 10 000 euros HT à destination des riverains ayant une vue directe sur le projet qui se manifesteraient durant la première année de fonctionnement. L'étude paysagère comporte des cartes des lieux d'implantation et de renforcement des haies et un recensement des zones proches concernées. Dès lors la circonstance que la reprise de ces mesures à la page 345 de l'étude d'impact, qui rappelle le budget de 5 000 euros, mentionne un métrage de haies à créer de 115 mètres au lieu de 205 mètres du fait d'une simple erreur de plume, n'est pas de nature à faire regarder ces mesures comme confuses, contradictoires ou erronées.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, qu'aucun des motifs de refus n'étant fondé, l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 18 décembre 2020 doit être annulé.

Sur l'injonction :

11. Lorsqu'il statue en vertu de l'article L. 181-17 du code de l'environnement, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 de ce code. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.

12. Dès lors que la ministre de la transition écologique ne se prévaut d'aucun autre motif susceptible de justifier un nouveau refus d'autorisation d'exploiter les éoliennes du parc litigieux, il y a lieu pour la cour, eu égard aux motifs d'annulation retenus par le présent arrêt, de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction en délivrant à la société Ferme Eolienne des Groies de Parançay, l'autorisation environnementale sollicitée. La société requérante est renvoyée devant le préfet de la Charente-Maritime aux fins de fixation par celui-ci, dans un délai de trois mois, des conditions qui, le cas échéant, doivent assortir l'autorisation environnementale.

13. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de mettre en œuvre les mesures de publicité prévues à l'article R. 181-44 du code de l'environnement s'agissant de l'autorisation environnementale délivrée.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Ferme Eolienne des Groies de Parançay et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 18 décembre 2020 est annulé.

Article 2 : Il est délivré à la société Ferme Eolienne des Groies de Parançay l'autorisation environnementale sollicitée pour son projet. La société est renvoyée devant le préfet de la Charente-Maritime pour la fixation des conditions qui devront, le cas échéant, assortir ladite autorisation, dans un délai de trois mois.

Article 3 : Il est prescrit au préfet de la Charente-Maritime de mettre en œuvre les mesures de publicité prévues à l'article R. 181-44 du code de l'environnement s'agissant de l'autorisation environnementale délivrée au présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à la société Ferme Eolienne des Groies de Parançay une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme Eolienne des Groies de Parançay, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 février 2023.

La rapporteure,

Christelle B...Le président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Stéphanie LarrueLa République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et cohésion des territoires en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21BX00458 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00458
Date de la décision : 23/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Christelle BROUARD-LUCAS
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : CABINET VOLTA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-02-23;21bx00458 ?
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