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28/02/2023 | FRANCE | N°21BX01167

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 28 février 2023, 21BX01167


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la Dordogne a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les délibérations du 9 septembre et du 16 décembre 2019 par lesquelles le conseil municipal de Sanilhac a approuvé la conclusion d'un bail emphytéotique administratif avec Mme C... B... épouse A..., propriétaire du crématorium de Sanilhac.

Par un jugement n°1906250 du 8 février 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a entièrement fait droit à ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une

requête enregistrée le 18 mars 2021 et un mémoire enregistré le 12 juillet 2021, M. et Mme A......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la Dordogne a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les délibérations du 9 septembre et du 16 décembre 2019 par lesquelles le conseil municipal de Sanilhac a approuvé la conclusion d'un bail emphytéotique administratif avec Mme C... B... épouse A..., propriétaire du crématorium de Sanilhac.

Par un jugement n°1906250 du 8 février 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a entièrement fait droit à ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 mars 2021 et un mémoire enregistré le 12 juillet 2021, M. et Mme A..., représentés par Me Duchet, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 février 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Ils soutiennent que :

- Le crématorium n'est pas un bien de retour dès lors qu'il est la propriété d'un tiers au contrat de délégation de service public, qu'il résulte de la volonté des parties au contrat de bail que ce bien demeure la propriété de son propriétaire, qu'en conséquence aucune disposition contractuelle du contrat de bail n'a prévu son indemnisation et que l'ensemble constitué par ce contrat de bail et le contrat de délégation de service public est divisible ;

- Rien ne s'oppose à ce qu'un contrat de délégation de service public porte sur des biens appartenant à des tiers, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public ;

- Les dispositions de l'article L. 2223-40 du code général des collectivités territoriales n'interdisent pas aux personnes privées d'être propriétaires d'un crématorium.

Par un mémoire enregistré le 14 juin 2021, le préfet de la Dordogne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Duchet, représentant M et Mme A..., et de Me Clerc, représentant la commune de Sanilhac.

Considérant ce qui suit :

1. La commune Notre-Dame-de-Sanilhac, devenue, à la faveur d'une réunion de communes, commune de Sanilhac, a conclu le 26 mai 1998 un contrat de délégation de service public avec la société A... Frères pour la gestion et l'exploitation d'un crématorium pendant une durée de vingt ans. Par un contrat du même jour conclu en présence de la commune, les installations du crématorium, appartenant à Mme C... A..., ont été louées pour la même durée, à la société A... Frères, en qualité de preneur. La durée de la délégation de service public et celle du contrat de bail ont été prolongées jusqu'au 25 mai 2021. Par une délibération du 9 septembre 2019 transmise au contrôle de légalité le 12 septembre 2019, le conseil municipal de Sanilhac a décidé de conclure un bail emphytéotique avec Mme A... concernant ce crématorium afin de permettre le lancement d'une nouvelle procédure de passation d'une concession du service public de crémation. Par lettre du 25 septembre 2019, le préfet de la Dordogne a demandé au maire de Sanilhac de retirer cette délibération. Cette demande a été rejetée le 28 octobre 2019, et ce rejet a été confirmé par une délibération du conseil municipal de Sanilhac du 16 décembre 2019. Par un jugement du 8 février 2021 le tribunal administratif de Bordeaux a, sur demande du préfet de la Dordogne, considéré que ce crématorium était entré dans le patrimoine de la commune à compter de la conclusion de la signature de la délégation de service public, le 26 mai 1998, en a déduit que les délibérations des 9 septembre et 16 décembre 2019 étaient dépourvues de cause juridique et les a, par suite, annulées. M. et Mme A... relèvent appel de ce jugement.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 3132-4 du code de la commande publique : " Lorsqu'une autorité concédante de droit public a conclu un contrat de concession de travaux ou a concédé la gestion d'un service public : 1° Les biens, meubles ou immeubles, qui résultent d'investissements du concessionnaire et sont nécessaires au fonctionnement du service public sont les biens de retour. Dans le silence du contrat, ils sont et demeurent la propriété de la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition (...) ".

3. Dans le cadre d'une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique. Le contrat peut attribuer au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d'une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s'opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée.

4. A l'expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l'exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu'elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public. Le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d'une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession.

5. Lorsque la convention arrive à son terme normal ou que la personne publique la résilie avant ce terme, le concessionnaire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, lorsqu'ils n'ont pu être totalement amortis, soit en raison d'une durée du contrat inférieure à la durée de l'amortissement de ces biens, soit en raison d'une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement. Lorsque l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d'une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus.

6. Les règles énoncées ci-dessus, auxquelles la loi du 9 janvier 1985 n'a pas entendu déroger, trouvent également à s'appliquer lorsque le cocontractant de l'administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu'il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci. Une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions énoncées au point 3. Elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l'expiration de la convention, dans les conditions énoncées au point 4. Les parties peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l'équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l'acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n'en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique. Dans l'hypothèse où la commune intention des parties a été de prendre en compte l'apport à la concession des biens qui appartenaient au concessionnaire avant la signature du contrat par une indemnité, le versement d'une telle indemnité n'est possible que si l'équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l'exploitation. En outre, le montant de l'indemnité doit, en tout état de cause, être fixé dans le respect des conditions énoncées ci-dessus afin qu'il n'en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique.

7. Il ressort du contrat de délégation de service public conclu, après appel d'offre, entre la société A... Frères et la commune de Sanilhac que la gestion et l'exploitation du crématorium se dérouleront sur un terrain qui n'est pas la propriété du délégataire mais celle de Mme A..., qui le lui donne à bail, et que Mme A... demeurera propriétaire des bâtiments à l'achèvement du contrat de délégation de service public. Par ailleurs, le contrat de bail tripartite conclu entre Mme A..., la société A... Frères et la commune a pour seul objet la location du crématorium dans le respect des conditions prévues à l'article L. 2223-40 du code général des collectivités territoriales, en vertu desquelles les crématoriums ne peuvent être gérés que par les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, soit directement, soit par délégation, ce qui implique notamment que la durée de ce bail soit identique à celle de la délégation de service public. En outre, ce contrat de bail, qui ne crée pas d'obligation pour la commune, n'implique aucune participation de Mme A... à l'exécution du service public funéraire ainsi qu'aux aléas inhérents à cette exécution, ne prévoit aucun transfert de propriété en faveur de la société A... ou même de la commune ni, a fortiori, aucune indemnisation de ce transfert de propriété.

8. Dans ces conditions, les appelants sont fondés à soutenir que cette délégation de service public et ce contrat de bail ne constituent pas un ensemble contractuel unique. Au demeurant et en tout état de cause, la seule mise à disposition du délégataire, par Mme A..., d'un bien lui appartenant, dans les conditions rappelées ci-dessus, ne saurait avoir pour effet d'attraire cette dernière au contrat de délégation de service public et de lui conférer la qualité de délégataire.

9. Par suite, le crématorium dont elle est propriétaire et qui n'a pas fait l'objet d'investissements par le délégataire n'est pas au nombre des biens qui sont entrés dans la propriété de la commune en application des principes rappelées aux points 2 à 6 quand bien même il est nécessaire au fonctionnement du service public funéraire. Ainsi, les appelants sont fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la commune étant devenue propriétaire du crématorium dès la conclusion du contrat de délégation de service public, les délibérations dont s'agit étaient dépourvues de cause juridique.

10. En second lieu, le préfet a renoncé, en appel, au moyen tiré de ce que le projet de bail emphytéotique délibéré le 9 septembre 2019 méconnaîtrait les dispositions des articles L. 3132-4 et suivant du code de la commande publique.

11. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué que M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, les premiers juges ont annulé les délibérations du conseil municipal de la commune de Sanilhac des 9 septembre et 16 décembre 2019. Par suite ils sont également fondés à demander l'annulation de ce jugement et le rejet de la requête présentée par le préfet de la Dordogne devant le tribunal administratif de Bordeaux.

12. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance par M. et Mme A....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 février 2021 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par le préfet devant le tribunal administratif est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Sylvette B... épouse A..., à M. E... A..., à la commune de Sanilhac et au préfet de la Dordogne.

Délibéré après l'audience du 3 février 2023 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 février 2023.

Le rapporteur,

Manuel D...

Le président,

Didier ArtusLa greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au préfet de la Dordogne en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°21BX01167 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01167
Date de la décision : 28/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : CLERC

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-02-28;21bx01167 ?
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