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02/03/2023 | FRANCE | N°21BX00410

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 02 mars 2023, 21BX00410


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme O... B..., M. P... M..., son compagnon agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de leurs six enfants mineurs, et M. G... M..., M. F... M... et M. D... M..., leurs enfants majeurs, ont demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie :

- à verser à Mme B... les sommes de 159 200,71 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux et de 1 264 000 euros au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux, sous déduction de la provision p

erçue, ainsi qu'une rente annuelle de 247 800 euros au titre de l'assistance ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme O... B..., M. P... M..., son compagnon agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de leurs six enfants mineurs, et M. G... M..., M. F... M... et M. D... M..., leurs enfants majeurs, ont demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie :

- à verser à Mme B... les sommes de 159 200,71 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux et de 1 264 000 euros au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux, sous déduction de la provision perçue, ainsi qu'une rente annuelle de 247 800 euros au titre de l'assistance par une tierce personne, payable trimestriellement, suspendue à partir de 46 jours consécutifs d'hospitalisation et revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, et de sursoir à statuer sur les frais divers futurs ainsi que sur les frais futurs de logement et de véhicule aménagé ;

- à verser à M. P... M..., au titre de ses préjudices propres, les sommes

de 392 770 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux et de 180 000 euros au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux, sous déduction de la provision perçue, ainsi qu'une rente annuelle de 4 343,50 euros indexée sur le coût de la consommation des ménages, à compter

du 1er janvier 2020 et jusqu'au retour à domicile de Mme B..., au titre de ses frais de déplacement ;

- à verser à M. P... M..., en sa qualité de représentant légal de ses six enfants mineurs, une somme de 100 000 euros pour chacun d'eux au titre de leur préjudice moral, sous déduction des provisions perçues ;

- à verser à M. G... M..., M. F... M... et M. D... M..., une somme

de 100 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, sous déduction des provisions perçues.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) Pau-Pyrénées a demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie à lui rembourser la somme de 6 252 538,06 euros, avec intérêts à compter de la date d'enregistrement de sa demande.

Par un jugement n° 1800020 du 3 décembre 2020, le tribunal a condamné le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie à verser, sous déduction des provisions perçues :

- à Mme B..., une rente trimestrielle de 37 080 euros, payable par trimestre échu

à compter de la date du jugement, au prorata du nombre de nuits passées au domicile, au taux

de 360 euros par jour revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, ainsi qu'une somme de 620 500 euros au titre de ses préjudices

extra-patrimoniaux ;

- à M. P... M... la somme de 87 162 euros au titre de ses préjudices propres, ainsi que des indemnisations de ses pertes de revenus à compter du 1er janvier 2020, à concurrence de 3 840 euros par an, sous déduction des revenus perçus au cours de l'année, et de ses frais de déplacement pour se rendre au chevet de sa compagne à compter du 1er janvier 2018, sur présentation de justificatifs ;

- à M. P... M... une somme de 120 000 euros en sa qualité de représentant légal de ses six enfants mineurs ;

- à M. G... M..., M. F... M... et M. D... M..., une somme

de 20 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral.

Ce jugement a également condamné le centre hospitalier à verser à la CPAM Pau-Pyrénées la somme de 487 112,47 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2018, et à rembourser les débours futurs de la caisse à compter du 1er septembre 2019 sur présentation de justificatifs.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire enregistrée le 2 février 2021 et des mémoires enregistrés

le 3 février 2022, le 7 juin 2022, le 7 septembre 2022 et le 19 septembre 2022, le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie, représenté par la SELARL Le Prado, Gilbert, demande à la cour à titre principal d'annuler ce jugement et de rejeter les demandes présentées devant le tribunal par les consorts B... et M... et la CPAM Pau-Pyrénées, et à titre subsidiaire de ramener les indemnités allouées à de plus justes proportions et de condamner le docteur N... à le garantir à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé au regard des moyens dont le tribunal a été saisi ;

En ce qui concerne l'appel en garantie :

- comme l'a jugé le tribunal, le contrat de praticien libéral associé au service public hospitalier ne conférait pas la qualité d'agent public au docteur N..., et le juge administratif est compétent pour connaître de son recours en garantie à l'encontre de ce médecin ;

- le docteur N..., qui exerce dans une maternité de moins de 400 accouchements par an, est titulaire d'un CES d'obstétrique et de chirurgie médicale, ce qui lui permet seulement de réaliser des césariennes non compliquées ; alors qu'il s'est trouvé face à une situation exceptionnelle présentant d'importantes difficultés, il aurait été plus prudent qu'il demande en per-opératoire l'aide d'un chirurgien digestif, ce qui aurait permis de s'assurer de la réalisation correcte de l'hémostase ; c'est ainsi à tort que le tribunal a retenu que l'accouchement avait été réalisé compétemment par le docteur N..., sans d'ailleurs s'en expliquer ;

- comme l'ont relevé les experts, les difficultés opératoires et d'hémostase devaient faire redouter un possible saignement dans les suites de la césarienne, et à l'issue de l'intervention, le docteur N... n'a ni décidé, ni discuté avec le docteur L..., anesthésiste, du transfert de la patiente en soins post-opératoires, et n'a pas prescrit d'examens complémentaires ;

- le docteur L..., dont l'attention n'a pas été suffisamment attirée sur l'état de la patiente et les risques qu'il existe encore un saignement actif, a imputé à tort l'instabilité tensionnelle de la patiente aux effets de l'analgésie péri-médullaire, alors qu'un échange avec le docteur N... aurait permis d'envisager une cause chirurgicale ;

- si le docteur N... a pris des nouvelles par téléphone vers 22 heures et a été informé d'une hypotension, il s'est fié au sentiment du docteur L... qui n'était pas présente, ne s'est pas rendu au chevet de la patiente et n'a pas prescrit d'examen complémentaire ;

- le docteur N... a finalement vu la patiente vers minuit, alors que son état était fortement dégradé, et n'a pas décidé la reprise chirurgicale qui s'imposait quels que soient les résultats de l'échographie ; il est ensuite rentré chez lui sans prendre ultérieurement de nouvelles et en laissant le docteur L... décider seule des mesures de prise en charge ;

- eu égard aux fautes qu'il a commises, le docteur N... doit être condamné à garantir le centre hospitalier à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre ;

- à titre subsidiaire les sommes allouées doivent être ramenées à de plus justes proportions, et sous déduction de la prestation de compensation du handicap ;

En ce qui concerne les préjudices de Mme B... :

- les sommes allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire ne sont pas insuffisantes ;

- il conviendra de maintenir le principe du versement d'une rente au titre de l'assistance par une tierce personne en cas seulement de retour au domicile, de retenir un taux horaire correspondant au SMIC dès lors que les soins médicaux sont assurés par du personnel médical, et de déduire les aides perçues ;

- les frais d'aménagement du logement et du véhicule ne sont pas certains ;

- en l'absence d'activité professionnelle antérieure et de preuve de l'existence d'un projet professionnel, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande relative au préjudice professionnel ;

- les sommes allouées au titre du déficit fonctionnel permanent et du préjudice esthétique permanent doivent être réduites ;

- en l'absence de preuve de l'existence d'activités sportives ou de loisirs, et alors que Mme B... avait fondé une famille, c'est à tort que le tribunal indemnisé un préjudice d'agrément et un préjudice d'établissement ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande relative à un préjudice lié à des pathologies évolutives ;

En ce qui concerne les préjudices de M. M... :

- la somme allouée au titre du préjudice sexuel n'est pas insuffisante ;

- si l'on peut admettre que M. M... n'a pas pu reprendre une activité professionnelle au cours des premières années suivant les évènements litigieux compte tenu du jeune âge de ses derniers enfants nés en 2010, 2013 et 2015, la rente allouée par le tribunal n'est actuellement plus justifiée en l'absence d'inaptitude à l'emploi ;

- la somme de 39 918 euros allouée au titre des frais de déplacement du 25 août 2015 est erronée et doit être ramenée à 6 186,75 euros, et c'est à bon droit que le tribunal a subordonné le remboursement des frais ultérieurs à la présentation de justificatifs ;

En ce qui concerne le préjudice moral et le préjudice d'accompagnement des proches :

- les sommes allouées à M. M... et aux enfants sont suffisantes ;

En ce qui concerne la demande de la CPAM Pau-Pyrénées :

- il s'oppose au versement d'un capital au titre des débours futurs.

Par des mémoires en défense enregistré le 17 février 2022 et le 21 octobre 2022,

Mme B..., M. P... M..., agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de ses six enfants mineurs, M. G... M..., M. F... M... et M. D... M..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et Associés, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour, par la voie de l'appel incident, de condamner le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie :

- à verser à Mme B... les sommes de 311 601,87 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux et de 934 000 euros au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux, sous déduction de la provision perçue, ainsi qu'une rente annuelle de 247 800 euros au titre de l'assistance par une tierce personne à compter du retour au domicile, payable trimestriellement, suspendue à partir de 46 jours consécutifs d'hospitalisation et revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, et de sursoir à statuer sur les frais divers futurs ainsi que sur les frais futurs de logement et de véhicule aménagé ;

- à verser à M. P... M..., au titre de ses préjudices propres, les sommes

de 204 146 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux et de 125 000 euros au titre de

ses préjudices extra-patrimoniaux, sous déduction de la provision perçue, ainsi qu'une rente annuelle de 4 343,50 euros indexée sur le coût de la consommation des ménages, à compter

du 1er janvier 2022 et jusqu'au retour à domicile de Mme B..., au titre de ses frais de déplacement pour se rendre à son chevet ;

- à verser à M. P... M..., en sa qualité de représentant légal de ses six enfants mineurs, une somme de 100 000 euros pour chacun d'eux au titre de leur préjudice moral, sous déduction des provisions perçues ;

- à verser à M. G... M..., M. F... M... et M. D... M..., une somme

de 100 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, sous déduction des provisions perçues.

Les consorts B... et M... demandent en outre à la cour de mettre à la charge

du centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie une somme de 4 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- les nombreux manquements fautifs du docteur L..., médecin anesthésiste présente lors de la césarienne, à laquelle incombait la prescription d'un bilan biologique et d'une transfusion, ainsi que les défauts d'organisation relevés par les experts, engagent la responsabilité pour faute du centre hospitalier ; à titre subsidiaire, si la cour estimait que le docteur N... est partiellement responsable du dommage, il conviendrait de condamner le centre hospitalier à réparer intégralement leurs préjudices, à charge pour ce dernier de solliciter d'être garanti par le docteur N... ;

En ce qui concerne les préjudices de Mme B... :

- aucune somme n'est restée à charge au titre des dépenses de santé et de l'assistance par une tierce personne ;

- le déficit fonctionnel total retenu par les experts du 25 juin 2015 au 24 juin 2016, auquel s'ajoute un préjudice sexuel temporaire, doit être évalué à 1 000 euros par mois,

soit 12 000 euros, ou à titre subsidiaire à 900 euros par mois ;

- les souffrances endurées, cotées à 6 sur 7, ne tiennent pas compte de l'angoisse ressentie, et doivent être indemnisées à hauteur de 50 000 euros ;

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu un préjudice esthétique temporaire indemnisable, mais la somme allouée est insuffisante et doit être portée à 12 000 euros ;

- il convient de réserver les dépenses de santé futures susceptibles de rester à charge après le retour au domicile de Mme B..., ainsi que les éventuels frais divers futurs ;

- Mme B... a besoin d'une assistance par une tierce personne spécialisée du fait de la difficulté d'identifier un inconfort, de la gestion des sondages et des manipulations spécifiques pour la repositionner, de sorte que le taux horaire de 15 euros retenu par le tribunal est insuffisant et doit être porté à 25 euros, ce qui est corroboré par le devis établi ; la rente annuelle, payable trimestriellement, suspendue à partir de 46 jours consécutifs d'hospitalisation et revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, doit ainsi être fixée à 247 800 euros à compter du retour au domicile ; eu égard au projet de retour au domicile, ils s'opposent à la capitalisation des frais futurs d'hospitalisation au bénéfice de la caisse ;

- il est demandé un sursis à statuer sur les dépenses de logement adapté et de véhicule aménagé ;

- Mme B... a été privée de toute perspective d'exercer une activité professionnelle,

ce qu'elle aurait pu faire à partir de 2022, lorsque son plus jeune enfant aurait atteint l'âge

de 7 ans ; il y a lieu d'évaluer la perte de chance de se procurer des revenus professionnels

à 261 601,87 euros ;

- l'inaptitude définitive à toute profession caractérise un préjudice d'incidence professionnelle, dont la réparation est demandée à hauteur de 50 000 euros ;

- la somme de 450 000 euros allouée au titre du déficit fonctionnel permanent de 100 % doit être portée à 620 000 euros car le tribunal n'a tenu compte ni des souffrances permanentes, ni de la perte de qualité de vie ;

- il est demandé 40 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent de 6 sur 7 et la confirmation des 25 000 euros alloués par le tribunal au titre du préjudice sexuel ;

- c'est à bon droit que le tribunal a alloué les sommes de 45 000 euros au titre du préjudice d'agrément et de 30 000 euros au titre du préjudice d'établissement ;

- dès lors que l'état pauci-relationnel de Mme B... la rend vulnérable aux infections avec un risque de décès prématuré, c'est à tort que le tribunal n'a pas fait droit à la demande de 100 000 euros au titre du préjudice lié à des pathologies évolutives ;

En ce qui concerne les préjudices des proches :

- les sommes allouées au titre du préjudice moral sont insuffisantes et doivent être portées à 100 000 euros pour M. M... et pour chacun des enfants ;

- l'indemnisation du préjudice sexuel de M. M... doit être portée de 6 000 euros

à 25 000 euros ;

- la somme de 446 euros allouée au titre des pertes de revenus de 2015 et le salaire annuel moyen de 3 840 euros retenu par le tribunal pour évaluer les pertes de revenus ultérieures de M. M... ne sont pas contestés ; ces pertes de revenus se sont élevées à 15 806 euros

de 2016 à 2019 et à 11 520 euros de 2020 à 2022 ; dès lors que M. M... ne travaille plus depuis 2015 pour élever ses enfants et ne serait pas susceptible de retrouver un emploi

compte tenu de son âge, il y a lieu, à compter du 1er janvier 2023, de lui allouer un capital

de 118 640,64 euros en appliquant à la perte annuelle de 3 840 euros retenue par le tribunal l'indice de 30,896 afin de tenir compte de la perte de droits à la retraite ;

- M. M... a exposé 438 euros de frais de déplacement pour se rendre deux fois

par semaine au centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie du 26 juin au 25 août 2015,

puis 39 918 euros pour se rendre trois fois par semaine à Bagnères-de-Bigorre entre

le 25 août 2015 et le 1er janvier 2018 ; la somme de 40 356 euros allouée par le tribunal doit ainsi être confirmée ; depuis le 1er janvier 2018, la famille réside à 10 km de Bagnères-de-Bigorre où M. M... se rend tous les jours, soit un coût annuel de 17 374 euros

jusqu'au 31 décembre 2021, dont le versement ne doit pas être subordonné à la présentation de justificatifs du nombre de visites que l'établissement n'est pas en mesure de fournir,

mais simplement d'un justificatif de ce que Mme B... est toujours hospitalisée à Bagnères-de-Bigorre ; pour la période postérieure au 1er janvier 2022, il est demandé une rente annuelle de 4 343,50 euros, indexée sur le coût de la consommation des ménages France entière hors tabac.

Par des mémoires enregistrés le 26 octobre 2021 et le 30 mai 2022, la CPAM

Pau-Pyrénées, représentée par la SELARL Bardet et Associés, demande à la cour de condamner le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie à lui verser la somme de 726 211,71 euros au titre de ses débours échus et de rembourser ses frais futurs sur présentation de justificatifs, ou s'il préfère par le versement immédiat d'un capital de 5 485 308,35 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, de faire application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, et de mettre à la charge du centre hospitalier les sommes de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu l'entière responsabilité du centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie ; à titre subsidiaire, si la cour estimait que la responsabilité du docteur N... est également engagée, ses débours devront être intégralement remboursés par le centre hospitalier, à charge pour celui-ci d'être garanti par ce médecin ;

- ses dépenses de santé échues s'élèvent à 726 211,71 euros, et ses frais futurs

à 5 485 308,35 euros.

Par des mémoires enregistrés le 23 novembre 2021 et le 12 avril 2022, M. N..., représenté par la SELARL Racine Bordeaux, conclut à sa mise hors de cause et demande à la cour de mettre à la charge du centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- il n'a commis aucune faute dans la réalisation de la césarienne et de l'hémostase, comme l'ont retenu les experts ;

- les critiques émises à son encontre par les experts ne sont pas fondées, comme l'ont relevé la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) et le tribunal ;

- ainsi que l'a jugé le tribunal, l'arrêt cardiaque sur choc hémorragique trouve entièrement son origine dans les fautes commises par le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie, et en particulier par le médecin anesthésiste ;

- en tout état de cause, les consorts B... et M... ne présentent pas de demande à son encontre ;

- dès lors qu'il participe directement au service public hospitalier en vertu du contrat de praticien libéral associé conclu le 29 mars 2011, il a le statut d'agent contractuel de droit public ; en outre, les faits se sont déroulés après 18 h 30, et c'est à l'occasion d'une garde qu'il a réalisé la césarienne et la prise en charge post-opératoire ; ainsi, seule la responsabilité du centre hospitalier peut être recherchée.

Par ordonnance du 24 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée

au 25 novembre 2022.

Par lettre du 30 janvier 2023, les parties ont été informées, en application de

l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que l'appel en garantie du docteur N... par le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie, qui met en cause la responsabilité personnelle de ce médecin dans le cadre de son exercice libéral, est porté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Des observations en réponse à ce moyen d'ordre public ont été présentées pour les consorts B... et M... le 1er février 2023, et pour le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie le 2 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Demailly, représentant le centre hospitalier

d'Oloron-Sainte-Marie, celles de Me Dauphin représentant les consorts B... et M...,

et de Me Berland, représentant le Dr N....

Considérant ce qui suit :

1. Mme M... a été admise à la maternité du centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie le 24 juin 2015 à 9 heures 10, au terme de sa neuvième grossesse. A 19 h 10, le docteur N..., praticien libéral associé participant au service public hospitalier, a réalisé une césarienne en raison d'une présentation frontale de l'enfant. L'extraction de celui-ci, un garçon en bonne santé, a été difficile du fait d'une descente profonde de la tête. Au cours de l'intervention, les deux commissures de l'hystérotomie ont fusé, notamment à droite sur le ligament large. Le médecin a vérifié le tarissement du saignement après la réalisation de la suture, et la patiente a été transférée en salle de réanimation, puis dans un box au bloc d'accouchement à la demande de l'anesthésiste, praticienne hospitalière, laquelle ne s'est pas inquiétée d'une hypotension qu'elle a attribuée aux effets de l'analgésie par anesthésiques locaux péri-médullaires administrée en post-opératoire. Vers minuit, le docteur N..., suspectant un saignement intra-abdominal en raison d'une pression artérielle basse et d'une anémie, a réalisé une échographie abdominale et pelvienne qui s'est avérée normale, de même que l'examen clinique. L'état de Mme B... s'est aggravé après le départ du médecin, avec des angoisses, une incohérence, puis une agitation et des convulsions. Un arrêt cardio-respiratoire, survenu lors de l'intubation de la patiente vers 4 h 30, a été récupéré au bout de 15 minutes. Un scanner a mis en évidence un hémopéritoine, traité chirurgicalement à 8 h 15. L'arrêt cardio-respiratoire a provoqué des lésions anoxiques des noyaux gris centraux et une nécrose laminaire corticale, à l'origine d'un état végétatif chronique.

2. M. M..., compagnon de Mme B..., agissant en son nom propre ainsi qu'en ses qualités de représentant légal de leurs enfants alors tous mineurs et de tuteur de Mme B..., a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Aquitaine, laquelle a organisé une expertise confiée à un gynécologue-obstétricien, un anesthésiste réanimateur et un neurologue vasculaire. Les experts ont retenu de nombreuses fautes dans la surveillance post-opératoire, ayant conduit à un coma végétatif post-anoxique dont ils ont estimé qu'il était évitable. Par un avis du 14 décembre 2016 rectifié le 19 janvier 2017, la CCI a écarté les conclusions des experts en tant qu'elles imputaient une part de responsabilité au docteur N..., et a estimé qu'il appartenait à l'assureur du centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie de présenter une offre d'indemnisation.

3. Après avoir présenté une réclamation préalable au centre hospitalier, les consorts B... et M... ont saisi le tribunal administratif de Pau d'une demande de condamnation de cet établissement à verser les sommes de 1 423 200,71 euros à Mme B..., de 572 570 euros à M. M... et de 100 000 euros à chacun des neuf enfants, ainsi que des rentes annuelles de 247 800 euros à Mme B... au titre de l'assistance par une tierce personne et de 4 343,50 euros à M. M... au titre de ses frais de déplacement. Dans la même instance la CPAM Pau-Pyrénées a demandé le remboursement de ses débours échus et futurs à hauteur de 6 252 538,06 euros, avec intérêts à compter de l'enregistrement de sa demande. Par un jugement du 3 décembre 2020, le tribunal a condamné le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie à verser à Mme B... une somme de 620 500 euros ainsi qu'une rente trimestrielle de 37 080 euros, payable par trimestre échu au prorata du nombre de nuits passées au domicile, à M. M... une somme de 87 162 euros et une rente annuelle de 3 840 euros à compter du 1er janvier 2020 sous déduction des revenus perçus, à rembourser les frais de déplacement de M. M... sur présentation de justificatifs à compter du 1er janvier 2018, et enfin à indemniser les préjudices des enfants à hauteur de 20 000 euros chacun. En outre, le tribunal a condamné le centre hospitalier à verser à la CPAM Pau-Pyrénées la somme de 487 112,47 euros avec intérêts à compter du 20 juillet 2018, et à rembourser les débours " futurs " de la caisse à compter

du 1er septembre 2019 sur présentation de justificatifs. Le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie relève appel de ce jugement. Par leur appel incident, les consorts B... et M... demandent le rehaussement des sommes allouées par le tribunal. La CPAM Pau-Pyrénées sollicite le remboursement des mêmes débours qu'en première instance.

Sur la régularité du jugement :

4. En premier lieu, le moyen soulevé dans la requête sommaire, tiré de ce que le jugement serait insuffisamment motivé au regard des moyens dont le tribunal a été saisi, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

5. En second lieu, aux termes de l'article L. 6133-1 du code de la santé publique : " Le groupement de coopération sanitaire de moyens a pour objet de faciliter, de développer ou d'améliorer l'activité de ses membres. / Un groupement de coopération sanitaire de moyens peut être constitué pour : / (...) / 3° Permettre les interventions communes de professionnels médicaux et non médicaux exerçant dans les établissements ou centres de santé membres du groupement ainsi que des professionnels libéraux membres du groupement. / (...). " L'article L. 6133-6 du même code prévoit que les professionnels médicaux libéraux membres du groupement peuvent assurer des prestations médicales au bénéfice des patients pris en charge par l'un ou l'autre des établissements de santé membres du groupement et participer à la permanence des soins, et qu'ils continuent à relever, au titre de l'activité exercée dans le cadre d'un groupement de coopération sanitaire, des professions libérales mentionnées à l'article L. 622-5 du code de la sécurité sociale.

6. Il résulte de l'instruction que le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie et l'association des praticiens libéraux d'Oloron-Sainte-Marie ont constitué le groupement de coopération sanitaire (GCS) Haut Béarn et Soule afin de permettre aux praticiens libéraux de participer au service public hospitalier dans le respect de leur statut libéral, conformément aux dispositions citées au point précédent. L'article 14-3 de la convention constitutive du GCS prévoit que le centre hospitalier est responsable des éventuels dommages causés aux usagers du service public à l'occasion des soins pratiqués en son sein, y compris par les praticiens libéraux, que le praticien libéral exerçant en toute indépendance est seul responsable à l'égard de l'hôpital des conséquences dommageables liées aux actes effectués sur les usagers du service public, et que le centre hospitalier pourra, le cas échéant, exercer une action récursoire à l'encontre de ce praticien, lequel devra être assuré à ses frais et en justifier. L'article 7 du contrat de praticien libéral associé au service public hospitalier conclu le 29 mars 2011 entre le directeur du centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie et le docteur N..., membre du GCS, stipule que ce dernier exerce son art au centre hospitalier à titre libéral, en toute indépendance et sous sa seule responsabilité, pour laquelle il doit être assuré à ses frais et en justifier. Cette convention et ce contrat prévoient la participation du praticien libéral à la permanence des soins sans aucune dérogation au caractère libéral et indépendant de son exercice. En invoquant des fautes commises par le docteur N... dans la prise en charge de Mme B..., le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie met en cause la responsabilité personnelle de ce médecin dans le cadre de son exercice libéral. Par suite, les conclusions du centre hospitalier tendant à ce que le docteur N... soit condamné à le garantir de 50 % des condamnations prononcées à son encontre devaient être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, et le jugement est irrégulier en ce qu'il a statué sur ces conclusions.

Sur la responsabilité :

7. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...). "

8. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que l'accouchement par césarienne a été conduit conformément aux règles de l'art, que l'hémostase a été correctement faite, et qu'il n'y avait pas de saignement en fin d'intervention. Lorsqu'à 22 h 06, le docteur N... s'est enquis par téléphone de l'état de la patiente, la sage-femme lui a répondu que la pression artérielle était basse mais le pouls normal, et que la chute de tension était attribuée par l'anesthésiste réanimatrice à l'analgésie péridurale. Le docteur N..., appelé sur place peu après minuit, a recherché une éventuelle hémorragie en réalisant une échographie abdominale et pelvienne qui s'est avérée normale, de même que l'examen clinique, ainsi qu'il a été dit au point 1. Par la suite, malgré la dégradation de l'état de santé de Mme B... à partir de 1 h 30, ce médecin n'a plus été joint, et toutes les décisions ont été prises par l'anesthésiste réanimatrice.

9. Il résulte également de l'instruction que le placement durant 30 minutes en salle de surveillance post-interventionnelle a été trop court pour faire face aux complications éventuelles liées à l'intervention, en méconnaissance des dispositions du décret du 5 décembre 1994 relatif aux conditions techniques de fonctionnement des établissements de santé en ce qui concerne la pratique de l'anesthésie, lequel prescrivait une surveillance continue post-interventionnelle jusqu'au retour et au maintien de l'équilibre circulatoire. En l'espèce, cet équilibre, dont l'évaluation relève de la responsabilité du médecin anesthésiste, n'était pas rétabli au moment du transfert au bloc d'accouchement décidé par l'anesthésiste réanimatrice, agente de droit public du centre hospitalier. En outre, alors qu'il n'existait pas d'appareil analyseur d'hémoglobine Hémocue(r) en salle d'accouchement, ce qui constitue un défaut d'organisation du service imputable au centre hospitalier, et que les pertes sanguines de 1 500 ml notées dans le dossier d'anesthésie caractérisaient une hémorragie du post-partum sévère, les examens sanguins recommandés dans les suites d'une telle hémorragie n'ont pas été prescrits, et seul un Hémocue(r) mettant en évidence une anémie a été pratiqué tardivement. Les experts ont aussi relevé que de nombreuses prescriptions de l'anesthésiste ont été faites par téléphone, sans déplacement auprès de la patiente et sans examen clinique, malgré de nombreux appels traduisant l'inquiétude de la sage-femme, et que les signes cliniques du choc hémorragique apparus à partir de 1 h 30, avec hypotension, agitation, angoisse, anurie et mouvements anormaux, ont été négligés par ce médecin, qui aurait dû évoquer ce diagnostic et faire appel au docteur N... pour le partager. Enfin, la transfusion a été prescrite par l'anesthésiste sur un mode non urgent, trois heures après le constat de l'hémorragie du post-partum, ce qui a conduit à la réception des produits sanguins dans un délai d'environ 2 heures au lieu de 30 minutes.

10. Il résulte de ce qui a été exposé au point précédent que les fautes commises par le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie portaient en elles l'intégralité du dommage constitué par l'arrêt cardiaque sur choc hémorragique.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices de Mme B... :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

Quant aux frais en lien avec le handicap :

11. En mars 2017, une évaluation des aides matérielles et humaines nécessaires en vue d'un éventuel retour à domicile a été réalisée par le personnel médical et paramédical du centre hospitalier de Bagnères-de-Bigorre, où Mme B... est hospitalisée depuis le 28 août 2015. La cadre de santé a rappelé que la prise en charge de la patiente en état végétatif chronique incluait notamment les soins d'hygiène, la mobilisation pour la prévention d'escarres, l'aspiration des encombrements, l'alimentation entérale et la gestion de la sonde urinaire. Dans le cadre de la description d'une journée type, il a été précisé que la toilette devait être faite par deux soignants, que des soins de trachéotomie étaient nécessaires, de même qu'une surveillance régulière et des soins de nursing et d'aspiration de jour comme de nuit, avec systématiquement deux nursings et un positionnement la nuit. Parmi les éléments à prendre en considération en vue d'un éventuel retour à domicile, il a été relevé que tous les soins induisant une mobilisation nécessitaient la présence de deux soignants, et que les soins spécifiques, notamment de trachéotomie, auxquels le personnel libéral n'est pas toujours formé, nécessiteraient un déplacement en structure de soins. En outre, il résulte de l'instruction que Mme B... est porteuse chronique de germes bêtaclamase à spectre élargi (BSLE) imposant des mesures d'isolement. Ainsi, l'état de Mme B... et la prise en charge extrêmement lourde qu'il requiert n'apparaissent pas compatibles avec une hospitalisation à domicile. Dans ces circonstances, l'assistance permanente par une tierce personne, l'aménagement du domicile et l'adaptation d'un véhicule sont des préjudices purement éventuels qui ne peuvent être indemnisés en l'état. Il appartiendrait à la famille, en cas d'amélioration de l'état de santé de Mme B..., de présenter une nouvelle demande sur ces points si un retour à domicile pouvait effectivement être mis en œuvre. Par suite, l'article 1er du jugement qui a condamné le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie au versement d'une rente au prorata du nombre de nuits que Mme B... aura passées à son domicile doit être annulé, et la demande de majoration de la rente présentée par les consorts B... et M... en appel doit être rejetée.

Quant aux préjudices professionnels :

12. Il est constant que Mme B... n'a jamais exercé d'activité professionnelle. En se bornant à faire valoir qu'elle aurait pu envisager une activité lorsque son neuvième enfant né

le 24 juin 2015 aurait atteint l'âge de sept ans, les consorts B... et M... ne démontrent pas la réalité d'une perte de chance sérieuse de percevoir des revenus professionnels. Dans ces circonstances, l'existence d'un préjudice d'incidence professionnelle du fait de l'inaptitude définitive à toute activité n'apparaît pas davantage caractérisée.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

13. La somme de 7 500 euros allouée par les premiers juges au titre du déficit fonctionnel temporaire total retenu par les experts du 25 juin 2015 jusqu'à la consolidation fixée un an après l'accouchement le 24 juin 2016, incluant le préjudice sexuel temporaire, n'apparaît pas insuffisante.

14. Le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation du préjudice esthétique temporaire d'une durée de douze mois, qualifié de majeur par les experts, en l'évaluant

à 8 000 euros.

15. Contrairement à ce que soutiennent les consorts B... et M..., les experts ont tenu compte de l'angoisse de mort imminente ressentie par Mme B... en post-césarienne pour coter les souffrances endurées à 6 sur 7. Ce préjudice n'a pas été sous-évalué par les premiers juges, qui en ont fixé la réparation à 30 000 euros.

16. Le déficit fonctionnel permanent, coté à 100 %, inclut l'ensemble des conséquences de l'état végétatif post-anoxique, y compris les souffrances et les troubles dans les conditions d'existence en lien avec le handicap. Alors que Mme B... était âgée de 41 ans le 24 juin 2016, date de consolidation de son état de santé, les premiers juges ont fait de ce préjudice une appréciation qui n'est ni insuffisante, ni excessive, en l'évaluant à 450 000 euros.

17. En évaluant à 25 000 euros le préjudice esthétique permanent de 6 sur 7 retenu par les experts, les premiers juges en ont fait une appréciation qui n'est ni insuffisante, ni excessive.

18. Le centre hospitalier est fondé à soutenir qu'en l'absence d'activités spécifiques auxquelles Mme B... aurait dû renoncer, c'est à tort que les premiers juges ont alloué une indemnité de 45 000 euros au titre de la privation des sorties et activités en famille habituelles, laquelle relève des troubles de toute nature dans les conditions d'existence déjà pris en compte au titre du déficit fonctionnel permanent. Si la pratique du vélo, de la natation et de la marche en montagne est invoquée pour la première fois en appel, aucune justification n'en est apportée. Ainsi, l'existence d'un préjudice d'agrément n'est pas établie.

19. La somme de 25 000 euros allouée par le tribunal au titre du préjudice sexuel n'est pas contestée par les parties.

20. L'impossibilité de toute vie familiale de Mme B... avec ses neuf enfants, dont l'aîné était âgé de 17 ans à la date du dommage, caractérise un bouleversement dans le projet de vie. La somme de 30 000 euros allouée à ce titre par les premiers juges n'apparaît pas excessive.

21. Si les consorts B... et M... font valoir que l'état pauci-relationnel de Mme B... la rendrait vulnérable aux infections avec un risque de décès prématuré, il ne résulte pas

de l'instruction qu'elle serait effectivement exposée à une pathologie évolutive susceptible d'engager son pronostic vital. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté leur demande tendant à l'indemnisation d'un préjudice lié à des pathologies évolutives.

22. Il résulte de ce qui précède que les préjudices de Mme B... doivent être fixés

à 575 500 euros.

En ce qui concerne les préjudices de M. P... M... :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

Quant aux frais de transport :

23. Les frais de transport alloués par le tribunal à M. M... au titre de ses déplacements pour se rendre au chevet de Mme B... du 25 juin 2015 au 31 décembre 2017 correspondent à deux visites hebdomadaires du 25 juin au 27 août 2015 à Oloron-Sainte-Marie,

à 23 km du domicile familial alors situé à Lourdios-Ichère, puis à environ trois visites hebdomadaires entre le 28 août 2015 et le 31 décembre 2017 à Bagnères-de-Bigorre, à 95 km de ce domicile. Contrairement à ce que soutient le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie, qui ne tient pas compte de cette dernière distance, la somme de 40 356 euros retenue par le jugement n'est entachée d'aucune erreur de calcul.

24. Il résulte de l'instruction que depuis le 1er janvier 2018 et jusqu'à la date du présent arrêt, M. M..., dont le nouveau domicile est situé à 10 km de Bagnères-de-Bigorre, a rendu visite à Mme B... à une fréquence de trois fois par semaine. Eu égard aux justificatifs produits, ses frais de déplacements jusqu'à la date du présent arrêt doivent être fixés à la somme

de 5 692 euros.

25. Pour la période postérieure au présent arrêt, il y a lieu de condamner le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie à rembourser les frais de déplacements de M. M... sur présentation de justificatifs annuels de l'hospitalisation de Mme B..., de la fréquence de ses visites et de la puissance fiscale du véhicule utilisé.

Quant aux pertes de revenus :

26. Il résulte de l'instruction que M. M..., qui travaillait occasionnellement en intérim, avait conclu le 29 mai 2015 un contrat de professionnalisation pour une qualification de poseur de voies ferrées, auquel il a dû mettre fin le 25 septembre 2015 en raison des contraintes familiales résultant de l'état de santé de Mme B.... Il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait pu percevoir des allocations pour perte d'emploi. Eu égard aux justificatifs produits et à la rémunération que lui aurait procurée ce contrat, il y a lieu d'évaluer à 3 840 euros le revenu annuel moyen de référence des années 2013, 2014 et 2015, et de fixer à 19 614 euros les pertes de revenus des années 2015 à 2020.

27. Il ne résulte pas de l'instruction que M. M... se trouverait dans l'incapacité totale d'exercer une activité professionnelle, alors que quatre de ses enfants sont aujourd'hui majeurs, l'une étant au demeurant polyhandicapée et prise en charge en institution spécialisée, et que ses cinq enfants mineurs sont scolarisés. Cependant, le tribunal a pris en compte cette situation, ainsi que les contraintes familiales qui perdurent, en assortissant la condamnation du centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie à indemniser les pertes de revenus à compter du 1er janvier 2020, dans la limite de 3 840 euros par an, d'une réserve portant sur la déduction des revenus du travail ou assimilés sur la présentation annuelle d'un avis d'imposition ou de tout autre document probant établissant le montant de ces revenus. Dans ces circonstances, cette rente doit être maintenue dans les mêmes conditions à compter du 1er janvier 2021, et la demande du centre hospitalier tendant à sa suppression doit être rejetée.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

28. Il sera fait une juste appréciation du préjudice sexuel de M. M... en portant son indemnisation à la somme de 10 000 euros.

29. Il résulte de l'instruction que l'état végétatif post-anoxique chronique dans lequel se trouve Mme B... cause à M. M... un préjudice d'accompagnement et un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à une somme globale de 40 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices des enfants :

30. Il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence des neuf enfants de Mme B..., dont l'aîné était âgé de 17 ans au moment de la naissance du plus jeune, en portant à 25 000 euros la somme allouée à chacun d'eux.

Sur la demande de la caisse :

31. La CPAM Pau-Pyrénées justifie avoir exposé, du 25 juin 2016 au 30 juin 2021, des débours en lien avec l'arrêt cardio-respiratoire et ses conséquences à hauteur d'un montant total de 726 213,21 euros. Pour la période à compter du 1er juillet 2021, il y a lieu, comme elle le demande à titre principal, de condamner le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie à rembourser ses débours sur présentation annuelle de justificatifs, dans la limite d'une somme totale de 5 485 308,35 euros.

32. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la somme que le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie a été condamné à verser à Mme B... doit être ramenée de 620 500 euros à 575 500 euros, que la somme qu'il a été condamné à verser au titre des préjudices de M. P... M... doit être portée de 87 162 euros à 115 662 euros, que les sommes qu'il a été condamné à verser au titre des préjudices des enfants doivent être portées de 20 000 euros

à 25 000 euros pour chacun d'eux, le tout sous déduction des provisions versées, et d'autre part, que la somme que le centre hospitalier a été condamné à verser à la CPAM Pau-Pyrénées

doit être portée de 487 112,47 euros à 726 213,21 euros. En outre, le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie doit être condamné à rembourser à M. P... M... ses frais de transport futurs et ses pertes de revenus à compter du 1er janvier 2021 dans les conditions exposées aux points 25 et 27, et à rembourser les débours justifiés par la caisse à compter du 1er juillet 2021 dans les conditions exposées au point précédent.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

33. Aux termes de l'article 1231-7 du code civil : " En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement (...) ". Il résulte de ces dispositions que même en l'absence de demande en ce sens et même lorsque le juge ne l'a pas explicitement prévu, tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts, du jour de son prononcé jusqu'à son exécution. Par suite, les conclusions de la CPAM Pau-Pyrénées tendant à ce que les sommes qui lui sont allouées portent intérêts à compter de la date de l'arrêt sont dépourvues d'objet.

Sur l'appel en garantie :

34. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les conclusions du centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie tendant à ce que le docteur N... soit condamné à le garantir de 50 % des condamnations prononcées à son encontre doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

35. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie les sommes de 2 000 euros au titre des frais exposés par les consorts B... et M... et de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. N... à l'occasion du présent litige.

36. La CPAM Pau-Pyrénées s'est vu allouer l'indemnité forfaitaire de gestion en première instance pour un montant de 1 091 euros. Elle n'obtient et ne demande en appel aucun supplément d'indemnité, mais seulement la fixation d'une nouvelle répartition entre ses débours échus et futurs. Par suite, ses conclusions tendant au bénéfice d'une seconde indemnité forfaitaire de gestion au titre de l'instance d'appel ne peuvent qu'être rejetées. Pour

le même motif, la caisse n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau n° 1800020 du 3 décembre 2020 est annulé en ce qu'il a statué sur l'appel en garantie du docteur N... par le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie.

Article 2 : L'appel en garantie du docteur N... par le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie est rejeté comme porté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Pau n° 1800020

du 3 décembre 2020 condamnant le centre hospitalier à verser à Mme B... une rente au prorata du nombre de nuits éventuellement passées à domicile est annulé.

Article 4 : La somme que le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie a été condamné à verser

à Mme B... est ramenée de 620 500 euros à 575 500 euros.

Article 5 : La somme que le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie a été condamné à verser à M. P... M... est portée de 87 162 euros à 115 662 euros.

Article 6 : Le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie est condamné à rembourser

à M. P... M... ses frais de transport futurs dans les conditions exposées au point 25 et ses pertes de revenus à compter du 1er janvier 2021 dans les conditions exposées au point 27.

Article 7 : Le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie est condamné à verser à M. P... M... une somme de 125 000 euros en sa qualité de représentant légal de ses cinq enfants mineurs G... M..., E... M..., K... M..., J... M... et I... M....

Article 8 : Le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie est condamné à verser à M. G... M..., M. F... M..., M. D... M... et Mme C... M... une somme

de 25 000 euros chacun.

Article 9 : Le surplus du jugement du tribunal administratif de Pau n° 1800020

du 3 décembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 10 : Le centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie versera une somme de 2 000 euros

aux consorts B... et M... et une somme de 1 500 euros à M. N... au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 11 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 12 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie, à M. P... M..., représentant unique pour les consorts B... et M..., à la caisse primaire d'assurance maladie Pau-Pyrénées et à M. A... N....

Délibéré après l'audience du 7 février 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2023.

La rapporteure,

Anne H...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX00410


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00410
Date de la décision : 02/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : CABINET BARDET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-03-02;21bx00410 ?
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