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21/03/2023 | FRANCE | N°21BX04079

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 21 mars 2023, 21BX04079


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2014.

Par un jugement n° 1505631 du 25 octobre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure initiale devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 décembre 2017 et un mémoire enregistré le 14 décembre 2018, M. C..., représenté par Me Terrien, demande à la cour : r>
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 octobre 2017 ;

2°) de prono...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2014.

Par un jugement n° 1505631 du 25 octobre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure initiale devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 décembre 2017 et un mémoire enregistré le 14 décembre 2018, M. C..., représenté par Me Terrien, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 octobre 2017 ;

2°) de prononcer la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges se sont mépris sur le régime de preuve applicable en lui faisant supporter la charge d'établir l'absence de cause réelle et sérieuse à son licenciement ;

- il démontre, au demeurant, que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par deux mémoires, enregistrés les 19 juin 2018 et 17 janvier 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un arrêt n° 17BX04090 du 17 octobre 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 octobre 2017 et a fait droit aux conclusions en décharge présentées par M. C....

Par une décision n° 436983 du 26 octobre 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de l'action et des comptes publics, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :

Par des mémoires enregistrés les 29 novembre 2021, 3 août 2022, 15 novembre 2022 et 20 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures.

Il soutient qu'au vu de l'accord transactionnel signé entre M. C... et son employeur le 15 juillet 2014, la procédure de licenciement était fondée ; l'indemnité transactionnelle perçue par M. C... n'entre donc pas dans un cas d'exonération prévu au 1 de l'article 80 du code général des impôts ; il n'apparaît pas que le licenciement serait la conséquence de la situation économique de la société ni que M. C... aurait, comme il le soutient, perçu en 2012 et 2013 des primes d'intéressement correspondant à la réalisation de 100 % de ses objectifs.

Par des mémoires enregistrés les 15 décembre 2021, 30 août 2022 et 22 novembre 2022 M. C..., représenté par Me Terrien-Crette, conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures et chiffre à 5 000 euros le montant de la somme demandée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la dénaturation alléguée par le ministre devant le Conseil d'Etat n'était pas établie ; il a bien perçu la totalité de ses primes d'intéressement ; la cour a retenu à juste titre que l'indemnité transactionnelle qu'il a reçue visait à réparer le préjudice matériel et moral subi du fait des conditions de rupture de son contrat et qu'il pouvait ainsi prétendre à une exonération totale ;

- son licenciement était bien dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- ce licenciement est intervenu dans un contexte économique de réorganisation de l'entreprise et de suppression de son poste de travail.

Par une ordonnance du 23 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 janvier 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... A...,

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public,

- et les observations de Me Bressolles représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Après avoir fait l'objet le 3 mars 2014 d'une procédure de licenciement, M. C... a signé le 15 juillet suivant un protocole transactionnel par lequel son employeur s'engageait à lui verser une indemnité, en plus de l'indemnité conventionnelle à laquelle il avait droit. M. C... a été assujetti à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2014 à raison de la totalité des indemnités perçues, y compris cette indemnité transactionnelle. Soutenant qu'à hauteur de 97 057 euros, l'indemnité transactionnelle n'était pas imposable, il a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la réduction de l'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti. Il fait appel du jugement du 25 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

2. Aux termes du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 2014 : " Toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes. / Ne constituent pas une rémunération imposable : / 1º Les indemnités mentionnées aux articles L. 1235-2, L. 1235-3 et L. 1235-11 à L. 1235-13 du Code du travail (...) ". Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail : " Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. / Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L 1234-9 ". Enfin, aux termes de l'article L. 1235-1 du même code " (...) A défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles (...) Si un doute subsiste, il profite au salarié ".

3. Pour déterminer si une indemnité versée en exécution d'une transaction conclue à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail est imposable, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, de rechercher la qualification à donner aux sommes qui font l'objet de la transaction. Ces dernières ne sont susceptibles d'être regardées comme une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mentionnée à l'article L. 1235-3 du code du travail que s'il résulte de l'instruction que la rupture des relations de travail est assimilable à un tel licenciement. Dans ce cas, les indemnités accordées au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse sont exonérées. Il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, au vu de l'instruction, de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction, en recherchant notamment si elles ont entendu couvrir, au-delà des indemnités accordées au titre du licenciement, la réparation de préjudices distincts, afin de déterminer dans quelle proportion ces sommes sont susceptibles d'être exonérées.

4. Il résulte de l'instruction que M. C... a été engagé par la société Fresenius medical care, entreprise allemande spécialisée dans les centres et produits de dialyse, en 1994 en qualité de commercial pour le secteur Sud-ouest. Il y a ensuite exercé les fonctions de directeur régional des ventes pour le sud de la France, de directeur des ventes pour la France, de responsable des ressources externes pour les cliniques puis de coordonnateur des achats pour les cliniques et produits FMC et, en dernier lieu, depuis 2009, de coordonnateur des achats et des approvisionnements pour les cliniques et produits FMC. Le 3 mars 2014, après un entretien préalable à un licenciement qui s'est tenu le 14 février 2014, une lettre de licenciement lui a été adressée, faisant état de " nombreuses défaillances et carences " " depuis plus de deux ans ", ayant conduit sa hiérarchie à se substituer à lui, et notamment des négociations trop longues et laborieuses sans résultats significatifs et un manque de rigueur dans le suivi de certains dossiers qui sont précisés. M. C... ayant exprimé, par courrier du 27 mars suivant envoyé en courrier recommandé avec demande d'avis de réception, l'intention de saisir le tribunal des prudhommes, il est constant qu'un accord transactionnel a finalement été passé le 15 juillet 2014 entre M. C... et son employeur, aux termes duquel l'employeur s'engage à verser à M. C... une indemnité destinée " à réparer le préjudice matériel et moral que Monsieur B... C... estime avoir subi du fait de l'exécution, de la rupture et des conditions de la rupture de son contrat " en contrepartie, notamment, de sa renonciation à contester la cessation de son contrat de travail.

5. Si la lettre de licenciement de M. C..., ainsi que l'exposé des arguments de la société contenu dans l'accord transactionnel du 15 juillet 2014 font état d'une insuffisance professionnelle résultant d'une dégradation de la prestation de travail du salarié depuis plus de deux ans sans réaction de sa part, les griefs ainsi exprimés à l'encontre de M. C... ne sont corroborés par aucun autre élément de l'instruction et ont fait l'objet, de la part de M. C..., d'une contestation précise, exprimée dans son courrier du 27 mars 2014 mentionné au point précédent, lequel affirme qu'aucune remarque n'avait jamais été faite sur ses résultats ni sur sa manière de conduire ses missions. Il résulte par ailleurs de l'instruction et en particulier des fiches d'évaluation professionnelle de M. C... établies jusqu'à l'année 2012, que ses objectifs ont toujours été estimés comme remplis. Si M. C... n'a pas fourni l'évaluation de ses résultats de l'année 2013, il produit le témoignage précis et circonstancié de son supérieur hiérarchique de l'époque affirmant que, du fait de l'engagement de la procédure de licenciement, il n'avait pas été établi de fiche d'évaluation au titre de cette année. Il résulte également de l'instruction que les plans de primes établis pour 2012 et 2013 prévoyaient de verser à M. C... une somme de 10 756,19 euros au titre de chacune de ces deux années, correspondant à la réalisation de 100 % des objectifs qui lui étaient fixés. Ces primes lui ont été effectivement versées en totalité au titre de l'année 2012 comme en attestent les bulletins de paie des mois d'avril, juillet et octobre 2012 et janvier 2013 mentionnant, chacune, le versement d'une prime de 2 689,05 euros. Il résulte encore de l'instruction que, pour l'année 2013, les fiches de paie qui ont été établies font apparaître également les montants de 2 689,05 euros versés aux mois d'avril, juillet et octobre 2013 et qu'au titre du solde de tout compte, M. C..., dont le contrat a pris fin le 4 juin 2014, a perçu une prime de 6 588 euros dont rien n'indique qu'elle ne correspondrait pas pour partie, à la prime de 2 689 euros qui aurait dû lui être versée au mois de janvier 2014 pour atteindre le montant de prime de 10 756,19 euros correspondant à la réalisation de 100 % des objectifs pour l'année 2013. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment des comptes-rendus de réunion de la délégation unique du personnel produits au dossier que le licenciement de M. C... est intervenu dans un contexte de moindre performance économique de la société qui a mis en place, en 2013 un " global efficiency program ", programme destiné entre autres à " réduire les coûts ", et que la délégation unique a demandé des précisions à la direction en ce qui concerne l'impact de ce programme sur les emplois et notamment en ce qui concerne la diminution, de 210 à 194 salariés entre le mois de janvier 2014 et le mois d'avril 2015. Eu égard à ce contexte et compte tenu de la contradiction qui apparaît entre, d'une part, le grief d'insuffisance professionnelle fait à M. C... et, d'autre part, les évaluations portées sur la réalisation de ses objectifs en 2012 et le versement des primes qui lui ont été attribuées au titre des années 2012 et 2013, le grief d'insuffisance professionnelle constatée depuis plus de deux ans fait à M. C... ne peut être considéré comme constitué et la rupture des relations de travail doit être regardée en l'espèce comme assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

6. Il résulte de l'article 2 du protocole transactionnel du 15 juillet 2014 que les sommes versées à M. C... en exécution de cet accord sont en totalité destinées à réparer le préjudice matériel et moral que M. C... estime avoir subi du fait de l'exécution, de la rupture et des conditions de la rupture de son contrat.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité transactionnelle perçue par M. C... est exonérée en application du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts et que le requérant est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande en réduction de l'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti à raison de la somme de 97 057 euros.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 octobre 2017 est annulé.

Article 2 : La base de l'impôt sur le revenu auquel M. C... a été assujetti au titre de l'année 2014 est réduite de la somme de 97 057 euros.

Article 3 : M. C... est déchargé de la cotisation d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 2014 correspondant à la réduction de la base d'imposition définie à l'article 2.

Article 4 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. B... C....

Une copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 28 février 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Elisabeth Jayat, présidente de la 5ème chambre,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2023

La présidente-rapporteure,

Elisabeth A...Le président,

Luc Derepas

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX04079


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04079
Date de la décision : 21/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Elisabeth JAYAT
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : TERRIEN-CRETTE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-03-21;21bx04079 ?
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