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06/04/2023 | FRANCE | N°21BX02633

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 06 avril 2023, 21BX02633


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le centre communal d'action sociale de Latresne a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'enjoindre à M. C... A... de libérer l'appartement n° 3 de la résidence pour personnes âgées " Les Arpèges " dans un délai d'un mois et d'autoriser le centre communal d'action sociale de Latresne à requérir, en tant que besoin, le concours de la force publique.

Par un jugement n° 2004556 du 20 mai 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a enjoint à M. A... d'évacuer le logement qu'il occupait

irrégulièrement au sein de la résidence autonomie " Les Arpèges " dans un délai d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le centre communal d'action sociale de Latresne a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'enjoindre à M. C... A... de libérer l'appartement n° 3 de la résidence pour personnes âgées " Les Arpèges " dans un délai d'un mois et d'autoriser le centre communal d'action sociale de Latresne à requérir, en tant que besoin, le concours de la force publique.

Par un jugement n° 2004556 du 20 mai 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a enjoint à M. A... d'évacuer le logement qu'il occupait irrégulièrement au sein de la résidence autonomie " Les Arpèges " dans un délai d'un mois, a autorisé le centre communal d'action sociale de Latresne à requérir le concours de la force publique pour faire procéder d'office à son expulsion et a mis à la charge de M. A... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 juin 2021 et le 15 novembre 2022, M. A..., représenté par Me Danglade, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 mai 2021 ;

2°) de rejeter la demande du centre communal d'action sociale de Latresne ;

3°) de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Latresne la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour se prononcer sur le litige qui l'oppose au centre communal d'action sociale de Latresne, leurs relations étant régies dans un cadre contractuel de droit privé qui relève de la loi du 6 juillet 1989 ; le juge judiciaire a d'ailleurs été également saisi ;

- le juge du fond ne peut prononcer une injonction à une personne privée ou ordonner l'expulsion d'une personne privée ;

- il est âgé de de quatre-vingt-deux ans, handicapé, et dans l'impossibilité de se reloger ; la résiliation de son bail et son expulsion sont interdites en vertu du III de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989 ; les différents éléments versés au dossier ne permettent pas la résolution de la convention.

Par des mémoires en défense enregistrés le 25 novembre 2021 et le 30 novembre 2022, le centre communal d'action sociale de Latresne, représenté par Me Gauci, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 mai 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à ce que l'injonction prononcée soit assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

2°) de prononcer une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du délai d'un mois suivant la notification du jugement du tribunal administratif de Bordeaux, ou, à défaut, de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens de M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... B...,

- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,

- les observations de Me Danglade, représentant M. A..., et les observations de Me Gault-Ozimek représentant le centre communal d'action sociale de Latresne.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... bénéficie depuis le 12 octobre 2006 d'un logement au sein de la résidence " Les Arpèges ", laquelle appartient au centre communal d'action sociale de Latresne, qui en assure également la gestion. Par une délibération du 29 avril 2020, le conseil d'administration du centre communal d'action sociale de Latresne a décidé de mettre fin au contrat de séjour de M. A.... L'intéressé relève appel du jugement du 20 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, à la demande du centre communal d'action sociale de Latresne, lui a enjoint d'évacuer l'appartement n° 3 qu'il occupe au sein de la résidence autonome " Les Arpèges " dans un délai d'un mois, et a autorisé le centre communal d'action sociale de Latresne à requérir, en tant que besoin, le concours de la force publique passé ce délai. Par la voie de l'appel incident, le centre communal d'action sociale de Latresne demande que ce jugement soit annulé en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à ce que l'injonction soit assortie d'une astreinte.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 123-5 du code de l'action sociale et des familles : " (...) Le centre communal d'action sociale peut créer et gérer en services non personnalisés les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés à l'article L. 312-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 123-6 du même code : " Le centre d'action sociale est un établissement public administratif communal ou intercommunal (...) ". Et aux termes de l'article L. 312-1 de ce code : " I.- Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : (...) 6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ; (...) ".

3. La prise en charge d'une prestation d'accueil et d'hébergement des personnes âgées par un centre communal d'action sociale, établissement public administratif en vertu des dispositions de l'article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles cité ci-dessus, a le caractère d'un service public administratif. Les usagers de ce service public ne sauraient être regardés comme placés dans une situation contractuelle vis-à-vis de l'établissement concerné, alors même qu'ils concluent avec celui-ci un " contrat de séjour " ou signent " un engagement d'occupation ", lesquels ne font que préciser le cadre réglementaire dans lequel intervient l'accueil de la personne âgée. A cet égard, les circonstances que M. A... n'a pas signé le document intitulé " contrat de séjour ", que l'engagement d'occupation du 12 octobre 2006 prévoit le paiement d'un loyer ainsi que le dépôt d'une garantie et qu'un courrier du 31 juillet 2007 du maire de Latresne désigne ce document comme étant un " bail " sont sans incidence sur sa situation d'usager d'un service public à caractère administratif et sur le rapport né de cette situation, qui est unilatéral et réglementaire. Par ailleurs, M. A... ne saurait utilement faire valoir qu'il occupait les locaux de la résidence " Les Arpèges " en tant que locataire de droit privé sans bénéficier des services offerts par cette résidence dès lors qu'il ressort des termes de l'engagement d'occupation qu'il a signé que " les appartements sont attribués aux personnes âgées d'au moins 65 ans " et que les admissions ne sont effectives qu'après l'avis favorable du médecin traitant. Ainsi, contrairement à ce qu'il soutient, M. A... n'était pas dans une situation contractuelle régie par la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.

4. En second lieu, la circonstance que M. A... a saisi, avant l'introduction de la demande du centre communal d'action sociale de Latresne devant le tribunal administratif de Bordeaux, le juge judiciaire d'une demande tendant à juger que la résiliation de son contrat avec ce centre n'est pas justifiée est sans incidence sur la compétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur la demande du centre communal d'action sociale de Latresne. Au demeurant, il résulte de l'instruction que le tribunal judiciaire de Bordeaux a, par un jugement du 22 juin 2021, rejeté l'action engagée par M. A... après avoir constaté son incompétence.

5. Par suite, l'exception d'incompétence soulevée par M. A... doit être écartée.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

6. D'une part, le logement occupé par M. A... dans la résidence " Les Arpèges ", qui a été créée en 1978, appartient au domaine public du centre communal d'action sociale de Latresne dès lors qu'il était, avant l'entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques, affecté au service public de l'accueil des personnes âgées et spécialement aménagé en vue de ce service public. D'autre part, la règle formulée par l'article R. 421-1 du code de justice administrative selon lequel " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) " ne fait pas obstacle à ce que les collectivités publiques demandent directement à la juridiction administrative d'obtenir la libération de parcelles du domaine public occupés par des administrés. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par M. A... tirée de ce qu'il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions aux personnes privées doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

7. Aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous ".

8. Il résulte de l'instruction que par un courrier du 24 mars 2020, le président du centre d'action sociale et communale de Latresne a informé les résidents de la résidence autonomie " Les Arpèges " et leurs familles des consignes du ministère de la santé et de l'agence régionale de santé dans le cadre de la crise sanitaire, lesquelles l'obligeaient à appliquer un confinement total à l'ensemble des résidents. Toutefois, en dépit de ces instructions, M. A... a continué à circuler librement dans les parties communes de la résidence et à l'extérieur, sans respecter les gestes barrières, et est entré en contact avec d'autres occupants de cette résidence. Il résulte de l'instruction que les différents rappels à l'ordre et la mise en demeure du 10 avril 2020 de respecter les règles de confinement total qui ont été adressés à M. A... sont restés sans effet. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, cette attitude, qui était de nature à mettre en danger la sécurité des personnes vulnérables accueillies, caractérise un manquement aux règles de l'établissement portant atteinte au bon fonctionnement de la résidence et à la tranquillité de ses résidents, et révèle une incompatibilité à la vie en collectivité. De tels manquements justifiaient que, par la délibération du 29 avril 2020 notifiée le même jour à M. A..., le conseil d'administration du centre communal d'action sociale de Lastrene mette fin à son hébergement au sein de la résidence " Les Arpèges " avec un préavis d'un mois, alors même qu'il était alors âgé de quatre-vingt-deux ans et qu'il présente un handicap. Ainsi, M. A... occupe irrégulièrement, depuis le 31 mai 2021, le logement n° 3 au sein de la résidence autonomie " Les Arpèges ", qui appartient au domaine public du centre communal d'action sociale de Lastrene. Ce centre était ainsi fondé à demander son expulsion de son domaine public.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux lui a enjoint de quitter ce logement dans un délai d'un mois et a autorisé le centre communal d'action sociale de Latresne, passé ce délai, à requérir en tant que besoin le concours de la force publique.

Sur l'astreinte :

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir l'injonction faite à M. A... d'une astreinte. Par suite, et en tout état de cause, les conclusions d'appel incident présentées par le centre communal d'action sociale de Latresne doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre communal d'action sociale de Latresne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme 1 500 euros à verser au centre communal d'action sociale de Latresne, en application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... versera au centre communal d'action sociale de Latresne une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions du centre communal d'action sociale de Latresne est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au centre communal d'action sociale de Latresne.

Délibéré après l'audience du 16 mars 2023 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

La rapporteure,

Charlotte B...Le président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX02633 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02633
Date de la décision : 06/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SCP CGCB et ASSOCIES BORDEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-04-06;21bx02633 ?
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