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16/05/2023 | FRANCE | N°22BX02078

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 16 mai 2023, 22BX02078


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 2 décembre 2020 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par un jugement n° 2100311 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dan

s le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 2 décembre 2020 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par un jugement n° 2100311 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 juillet 2022, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 5 mai 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté ne méconnaissait pas les dispositions de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que la formation à laquelle était inscrite M. C... à l'université " Le Mans " ne nécessitait pas sa présence sur le territoire français et qu'il exerçait une activité professionnelle au-delà de 60% de la durée de travail annuelle ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile était inopérant dès lors que la demande de titre de séjour était présentée sur le fondement de l'article L. 422-1 du même code ; en outre, son expérience cumulée dans les fonctions d'employé qualifié de restauration s'élève à moins de deux ans, cette offre d'emploi n'a fait l'objet d'aucune publication par Pôle-Emploi et l'intéressé ne disposait pas de l'autorisation de travail prévue aux articles L. 5221-2 et suivants du code du travail ;

- la décision de refus de titre de séjour ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et ne méconnaissait pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 24 février 2023, M. B... C..., représenté par Me Plagnol, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté du 2 décembre 2020 n'est pas suffisamment motivé, la motivation est stéréotypée et ne permet pas de prouver qu'un examen approfondi de la situation a été effectué ;

- l'arrêté méconnait les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique a été entendu le rapport de Mme D... A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., né le 3 août 1991, de nationalité haïtienne, qui est entré sur le territoire français le 11 septembre 2012, a bénéficié d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. C... a demandé le 5 mai 2020, le renouvellement de son titre de séjour. Par un arrêté du 2 décembre 2020, le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours. Le préfet de la Guadeloupe relève appel du jugement du 2 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté et l'a enjoint à délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Pour prononcer l'annulation des décisions contestées, le tribunal administratif de la Guadeloupe a retenu le moyen tiré de ce que, compte tenu de l'insertion professionnelle de M. C... dans la société française, le préfet de la Guadeloupe, en refusant de l'admettre au séjour, a entaché sa décision d'une erreur manifeste quant à l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.

3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est entré en France le 11 septembre 2012. Après des études en biologie-biochimie, il s'est réorienté en sciences économiques et a obtenu un diplôme d'études universitaires générales " droit économie et gestion " en 2018 et une licence en économie en 2019. Il s'est inscrit en master 1 " territoires développement local " auprès de l'université du Mans au titre de l'année universitaire 2020/2021. S'il a bénéficié de titres de séjour sur le fondement de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ils ne lui donnaient pas vocation à s'installer durablement en France. Par ailleurs, si l'intéressé se prévaut de sa qualité d'interprète, il ressort des pièces du dossier qu'il a conclu un contrat à durée déterminée à temps plein en tant qu'interprète en créole haïtien, le 30 octobre 2019, avec l'association " ISM interprétariat " dans le cadre d'une " mission foraine " exceptionnelle de l'Office français de protection des réfugiés et apatride (OFPRA) en Guadeloupe du 4 novembre 2019 au 15 novembre 2019 ainsi qu'un deuxième contrat le 6 décembre 2019 pour une durée de deux ans avec la même association, qui a donné lieu à dix interventions au mois de février 2020 et deux interventions en septembre 2020. En outre, M. C... produit un contrat à durée indéterminée conclu le 3 janvier 2020 avec la société TLG SAS pour exercer des fonctions d'équipier polyvalent de restauration statut " employé qualifié " à compter du 4 janvier 2020 à hauteur de 25 heures de travail effectif hebdomadaire. Toutefois, ces seules expériences ponctuelles ne suffisent pas à regarder l'insertion professionnelle de M. C... comme particulière à la date de la décision contestée. Enfin, si M. C... soutient que seul un de ses frères habite en Haïti, il ressort des pièces du dossier qu'il a déclaré son père, sa mère et ses frères comme attaches dans son pays d'origine et il n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause ses déclarations. Ainsi, l'intéressé, célibataire sans enfant à charge, n'établit pas avoir développé des liens d'une particulière intensité en France et n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 21 ans au moins. Ainsi, eu égard à la courte durée de ses expériences professionnelles et à l'absence de liens d'une particulière intensité en France, le préfet de la Guadeloupe ne peut être regardé comme ayant commis une erreur manifeste quant à l'appréciation des conséquences de la décision de refus de titre de séjour sur la situation personnelle de M. C.... Le préfet est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé pour ce motif les décisions contestées.

4. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance et en appel par M. C... à l'encontre des décisions contestées.

En ce qui concerne les autres moyens :

5. L'arrêté vise notamment l'article L. 313-7, le 7° de l'article L. 313-11, l'article L. 313-14 et le 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il mentionne la situation personnelle de M. C..., notamment la date et les conditions de son entrée en France et le fondement de sa demande. L'arrêté indique les raisons pour lesquelles le préfet a estimé qu'un titre de séjour ne peut lui être délivré en qualité d'étudiant. Il énonce également qu'au vu de la situation personnelle de l'intéressé, célibataire sans enfant à charge et ne justifiant pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. C... à sa vie familiale. Enfin, il ajoute qu'il ne peut être regardé comme justifiant, par les éléments qu'il fait valoir, de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires de nature à permettre son admission exceptionnelle au séjour. Ainsi, l'arrêté contesté comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde et répond aux exigences de motivation des actes administratifs. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

6. Il ne ressort ni de la motivation de l'arrêté contesté ni des autres pièces du dossier que le préfet de la Guadeloupe n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. C....

7. Aux termes de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. La carte de séjour temporaire accordée à l'étranger qui établit qu'il suit en France un enseignement ou qu'il y fait des études et qui justifie qu'il dispose de moyens d'existence suffisants porte la mention " étudiant " (...) ".

8. Ainsi qu'il a été indiqué au point 3, il ressort des pièces du dossier qu'après avoir suivi une première année en licence de biologie-biochimie, M. C... s'est ensuite réorienté en sciences économiques et a obtenu un diplôme d'études universitaires générales en économie et gestion au titre de l'année universitaire 2017-2018 puis une licence en économie au titre de l'année universitaire 2018-2019 et a sollicité le renouvellement de sa carte de séjour en présentant, à l'appui de sa demande, une inscription au titre de l'année 2020-2021, en master 1 " territoires développement local " auprès de l'université du Mans. Un tel enseignement à distance ne nécessite pas le séjour en France de l'étranger qui désire le suivre et la seule convocation à un examen ne donne pas droit à la délivrance d'un titre de séjour étudiant. Dans ces conditions, en refusant la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étudiant, le préfet de la Guadeloupe n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Aux termes de l'article de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

10. M. C..., entré en France en 2012, n'apporte aucun élément permettant de tenir pour établie sa présence permanente et continue en France depuis cette date. Par ailleurs, l'intéressé est célibataire et sans enfant et n'est pas dépourvu de toute attache dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 21 ans au moins et dans lequel résideraient, selon ses déclarations, son père, sa mère et ses frères. En outre, l'intéressé qui se prévalait en première instance d'une relation amoureuse depuis un an avec une étudiante souhaitant obtenir un diplôme d'aide-soignant à Nanterre, n'apporte aucun élément démontrant le caractère stable et durable de cette relation, ni l'existence de liens d'une particulière intensité en France. Enfin, ainsi qu'il a été indiqué au point 3, eu égard à la courte durée de ses expériences professionnelles, M. C... ne peut être regardé comme justifiant d'une insertion professionnelle particulière en France. Dans ces conditions, et en dépit des efforts d'insertion dont l'intéressé a fait preuve, le préfet de la Guadeloupe n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels l'arrêté contesté a été pris et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Selon les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

12. Si M. C... soutient qu'il a fui Haïti, en raison de graves problèmes politiques et sécuritaires, il n'apporte aucun élément permettant de tenir pour établi qu'il encourrait des risques actuels et personnels d'atteinte à sa vie ou à son intégrité physique en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté aurait été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté contesté et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2100311 du tribunal administratif de la Guadeloupe du 5 mai 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de la Guadeloupe ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Claire Chauvet, présidente assesseure,

Mme Nathalie Gay, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.

La rapporteure,

Nathalie A...La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX02078 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02078
Date de la décision : 16/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : PLAGNOL CLÉMENTINE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-05-16;22bx02078 ?
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