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30/05/2023 | FRANCE | N°21BX00722

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 30 mai 2023, 21BX00722


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E..., M. A... Z..., M. C... V..., M. W... P..., M. K... H..., M. U... N..., M. B... S..., M. T... I..., M. Y... P...,

M. X... AC..., M. AA... D..., M. L... G..., M. F... AB...,

M. O... M... et M. Q... R... ont demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la note de service n°001/19 et la note d'information n° 002/19 du

3 janvier 2019 par lesquelles le président du directoire de la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes a informé le personnel opéra

tionnel du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs des nouvelles mo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E..., M. A... Z..., M. C... V..., M. W... P..., M. K... H..., M. U... N..., M. B... S..., M. T... I..., M. Y... P...,

M. X... AC..., M. AA... D..., M. L... G..., M. F... AB...,

M. O... M... et M. Q... R... ont demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la note de service n°001/19 et la note d'information n° 002/19 du

3 janvier 2019 par lesquelles le président du directoire de la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes a informé le personnel opérationnel du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs des nouvelles modalités de planification des horaires de travail, destinées à permettre le fonctionnement continu de l'aéroport.

Par un jugement n° 1900700 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de la Martinique, auquel la demande de M. E... et autres a été attribuée en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative par une ordonnance n° 43258 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 8 novembre 2019, a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 février 2021, M. B... E..., M. A... Z..., M. C... V..., M. W... P..., M. K... H..., M. U... N..., M. B... S..., M. T... I..., M. Y... P..., M. X... AC..., M. AA... D..., M. L... G..., M. F... AB..., M. O... M... et M. Q... R..., représentés par Me Deporcq, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 19 novembre 2020 ;

2°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

- le tribunal a dénaturé leurs écritures en estimant qu'ils étaient soumis aux notes de service en litige et a insuffisamment motivé son jugement ;

- les premiers juges ne pouvaient se fonder, pour légitimer les notes de service en litige, sur la convention de mise à disposition produite par la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes qui est dépourvue d'authenticité, inexistante et n'est pas opposable ; cette convention ne fait l'objet d'aucun suivi administratif, référencement ou enregistrement ; elle méconnaît les articles 3 et 20 des statuts de la société ; elle constitue un faux en écriture publique en ce qu'elle comporte des irrégularités quant à ses signataires, lesquels ne sont pas identifiables et aux annexes qu'elle contient ; en outre, cette convention s'applique à des agents de droit privé qui sont pourtant assujettis à la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien ; par ailleurs, ils n'ont pas été informés par le repreneur de l'activité aéroportuaire de la CCI dans les conditions prévues par le décret n° 2019-867 du 21 août 2019 ;

- les notes de service litigieuses ont été prises à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence de consultation de la commission paritaire régionale de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe ;

- elles méconnaissent l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 16BX03131 du 8 octobre 2018 ;

- la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe ne pouvait leur imposer de nouveaux horaires de travail sans leur accord ; la modification qui en résulte les contraint à travailler avec trois équipes différentes, ce qui nécessite une adaptation permanente et une absence de stabilité qui leur est préjudiciable ;

- les notes de service litigieuses portent une atteinte excessive à leur droit de mener une vie privée et familiale normale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elles méconnaissant le principe d'égalité de traitement entre les agents travaillant au sein du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs dès lors que les modalités d'organisation de travail des cinq équipes permanentes et de l'équipe de renfort divergent et conduisent à désavantager les agents de l'équipe de renfort ;

- elles traduisent une volonté manifeste de leur employeur de leur porter atteinte.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2021, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe, représentée par Me Bach, conclut au rejet de la requête, à ce que les requérants soient condamnés à une amende de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article R. 741-12 du code de justice administrative, et à ce que soit mise à la charge de chacun des requérants, outre les entiers dépens, la somme de 500 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du même code.

Elle fait valoir que :

- la demande de première instance des requérants est irrecevable car tardive ; il s'ensuit que le moyen tiré du vice de procédure invoquée par les requérants ne peut plus être invoqué à l'appui de leur recours pour excès de pouvoir ;

- les autres moyens invoqués par les requérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 9 juillet 2021, la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes, représentée par Me Bach, demande à la cour d'admettre son intervention et de mettre à la charge des requérants, outre les entiers dépens, la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle a un intérêt direct à intervenir dans la présente instance au soutien des conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe, eu égard aux incidences de l'arrêt à intervenir sur les conditions et modalités de la mise à disposition à son bénéfice du personnel de cette dernière, parmi lesquels les requérants, dans le cadre de l'application de la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports, désormais codifiée à l'article L. 6322-3 du code des transports.

La clôture d'instruction a été fixée au 28 septembre 2022 à 12 heures par une ordonnance du 7 septembre 2022.

Un mémoire présenté pour M. E... et autres, a été enregistré le 28 septembre 2022 à 17 heures 45, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'aviation civile ;

- le code de commerce ;

- le code du travail ;

- le code des transports ;

- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;

- l'arrêté du 25 juillet 1997 relatif au statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, des chambres régionales de commerce et d'industrie, des chambres de commerce et d'industrie et des groupements consulaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de M. J...,

- les conclusions de Mme Madelaigue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Rodrigo, représentant la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe et la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes.

Une note en délibéré pour M. E... et autres a été enregistrée le 20 mai 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par une note de service n° 001/19 et une note d'information n° 002/19 du 3 janvier 2019, le président du directoire de la société anonyme (SA) Société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes (SAGPC) a informé les agents du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs de l'aéroport de Point-à-Pitre - Le Raizet (Guadeloupe) de la mise en place, à compter du 10 janvier 2019, d'une nouvelle organisation de la planification de leurs horaires de travail, conduisant notamment à ce qu'ils exercent leurs missions entre minuit et six heures du matin, afin de permettre le fonctionnement continu de l'aéroport.

M. E..., M. Z..., M. V..., M. P..., M. H..., M. N..., M. S...,

M. I..., M. P..., M. AC..., M. D..., M. G..., M. AB..., M. M... et

M. R..., agents de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe mis à disposition de la société SAGPC pour exercer les fonctions de sapeurs-pompiers ont, après avoir exercé en vain un recours gracieux, demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler ces notes de service. Par une ordonnance du

8 novembre 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a désigné le tribunal administratif de la Martinique, en application de l'article R. 312-5 du code de justice administrative, pour statuer sur la requête. Par un jugement du 19 novembre 2020 dont

M. E... et autres relèvent appel, le tribunal a rejeté leur demande.

Sur l'intervention de la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes :

2. La société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes qui était défenderesse en première instance et a produit devant le tribunal des observations en défense conjointement avec la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe, a reçu communication de la requête d'appel de M. E... et autres. Il s'ensuit que le mémoire enregistré le 9 juillet 2021 constitue non une intervention mais des observations en défense à cette requête.

Sur la régularité du jugement :

3. Si les requérants soutiennent que les premiers juges ont dénaturé leurs écritures en considérant que les personnels du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs étaient soumis aux notes litigieuses, l'erreur qu'ils invoquent, susceptible d'affecter la validité de la motivation du jugement et son bien-fondé, dont le contrôle est opéré dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, est, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité du jugement. En outre, les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement, en particulier leur réponse au moyen tiré de ce que les notes de service litigieuses auraient été prises à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence de consultation de la commission paritaire régionale de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 6322-3 du code des transports : " Les agents publics affectés à la concession transférée sont mis à la disposition de la société [aéroportuaire] pour une durée de dix ans. Une convention conclue entre l'ancien et le nouvel exploitant détermine les conditions de cette mise à disposition (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que, sur le fondement de ces dispositions, le personnel administratif de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe, en particulier le personnel affecté au service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs, a, par une convention du 30 septembre 2014, été mis à disposition de la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes, nouvellement créée et à qui la concession aéroportuaire attribuée à la CCI a été transférée par un traité d'apport du même jour en vue de l'exploitation de l'aéroport de Pointe-à-Pitre. Il ne résulte ni des dispositions de l'article L. 6322-3 du code des transports, ni d'aucune autre disposition législative ou règlementaire que cette convention devrait faire l'objet d'un suivi ou d'un enregistrement auprès de l'administration. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, cette convention est paraphée à chacune de ses pages, y compris ses annexes, par les signataires, représentants légaux des deux personnes morales, lesquels sont clairement identifiables. Si les requérants relèvent que la liste du personnel annexée à la convention, à titre purement informatif, mentionne des agents de droit privé qui dépendent de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien, ainsi que le directeur, cette circonstance n'est ni de nature à faire douter de l'authenticité et de la validité de la convention ni ne conduit à la regarder comme inexistante. Si les appelants soutiennent encore que la convention n'a pas été conclue dans les conditions définies aux articles 3 et 20 des statuts de la société, ils n'apportent aucune précision à l'appui de leurs allégations. Enfin, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir des dispositions de l'article D. 712-11-2 du code de commerce relatives à l'information des agents publics des chambres de commerce et d'industrie en cas de reprise d'activité par une personne de droit privé ou de droit public dès lors que ces dispositions, introduites par l'article 1er du décret n° 2019-867 du 21 août 2019, n'étaient pas en vigueur à la date de signature de la convention de mise à disposition contestée. Ainsi, les requérants n'apportent aucun élément sérieux à l'appui de leurs affirmations selon lesquelles la convention en cause constituerait un faux en écriture publique. A cet égard, est sans incidence la circonstance qu'ils ont déposé une plainte auprès du procureur de la République du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre le 19 janvier 2021, et ce alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une suite y aurait été donnée.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 10 décembre 1952 susvisée relative à l'établissement obligatoire d'un statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers : " La situation du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers de France est déterminée par un statut établi par des commissions paritaires nommées, pour chacune de ces institutions, par le ministre de tutelle. ". Aux termes du III de l'annexe de l'article 56 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie, relatif aux modalités sociales spécifiques liées au transfert de concession, introduit par une décision de la commission paritaire nationale du 19 décembre 2007 : " Cette disposition concerne le personnel agent public statutaire restant lié à la CCI et mis à disposition dans le cadre d'un apport de concession. / Dans le cadre d'une mise à disposition et dans le but de permettre aux collaborateurs de bénéficier en permanence d'une représentation, les partenaires sociaux conviennent des règles suivantes afin d'éviter de cumuler une représentation du personnel au sein de plusieurs instances : / (...) b) Présence ou création d'une instance représentative du personnel : -lors d'un apport de concession, dès lors qu'une instance représentative du personnel est présente ou créée au sein de la structure d'accueil, le personnel mis à disposition n'est plus électeur ni éligible en commission paritaire (ou au sein de toute autre instance de représentation du personnel de la CCI) (...) ".

7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions et de celles citées au point 4 que la commission paritaire nationale a modifié le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie afin de confier aux instances représentatives du personnel mises en place au sein des sociétés aéroportuaires les attributions relatives à la gestion du personnel administratif mis à disposition de ces sociétés.

8. Il ressort des termes mêmes des stipulations de la convention précitée du 30 septembre 2014 que le personnel administratif de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe, dont fait partie le personnel affecté au service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs, relève des instances représentatives du personnel de la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes. Il est par ailleurs constant que les agents de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe, mis à disposition de cette société, ont pu participer, ainsi que l'a jugé le tribunal d'instance de Pointe-à-Pitre le 1er décembre 2015, à l'élection du comité d'entreprise de la société, qui s'est tenue les 7 et 21 janvier 2016. Il est également constant que ce comité d'entreprise, ainsi que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ont été consultés, le 7 décembre 2018, préalablement à l'adoption des deux notes de service litigieuses. Dans ces conditions, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, pour contester la légalité de ces notes de service, de ce que la commission paritaire régionale de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe, au sein de laquelle ils ne sont ni électeurs ni éligibles, n'aurait pas été consultée. Le moyen tiré de ce que ces notes de service auraient été adoptées à l'issue d'une procédure irrégulière doit donc être écarté.

9. En troisième lieu, l'autorité relative de la chose jugée peut être invoquée à l'encontre de toutes les personnes qui ont été partie en la même qualité dans l'instance qui a donné lieu à la décision passée en force de chose jugée, quelle qu'ait été leur situation dans cette instance. L'autorité de la chose jugée d'une décision juridictionnelle, qui s'attache au dispositif de cette décision et aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, est subordonnée à la triple identité de parties, d'objet et de cause.

10. Les requérants se prévalent de l'arrêt n° 16BX03131 du 8 octobre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé deux notes de service des 9 juin et 19 juillet 2013 modifiant la planification des horaires de travail au sein du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs au motif que la commission paritaire régionale de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe n'avait pas été consultée. Toutefois, d'une part, cet arrêt, qui a fait l'objet d'un pourvoi en cassation le 2 janvier 2019, n'était pas devenu définitif à la date des notes de service attaquées et a, au demeurant, été annulé par une décision du Conseil d'Etat n° 426766 du 20 décembre 2019. D'autre part, et tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les agents de la chambre de commerce et d'industrie affectés à ce service ont été mis à disposition de la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes à compter du 11 août 2014. Ce changement du statut juridique des requérants constitue une circonstance nouvelle, postérieure aux notes de service des 9 juin et 19 juillet 2013. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a jugé que la demande des requérants n'avait pas le même objet que celle ayant donné lieu à l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 16BX03131 du 8 octobre 2018. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt doit être écarté.

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1103 du code civil : " Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. ". L'article L. 1221-1 du code du travail dispose que : " Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter. ". Le principe général du droit dont s'inspirent ces dispositions implique que toute modification des termes d'un contrat de travail recueille l'accord à la fois de l'employeur et du salarié.

12. Il résulte de l'article 1er de la loi du 10 décembre 1952, cité au point 6, que la situation du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie est déterminée par un statut établi par la commission paritaire nationale nommée, pour chacune de ces institutions, par le ministre de tutelle et qui fixe notamment les règles en matière de durée du travail. Ni l'existence d'un tel statut ni l'effet de ce dernier, qui fait que toute modification susceptible de lui être apportée, sans s'incorporer aux contrats individuels de travail liant l'entreprise ou l'établissement à chacun de ses agents, s'impose nécessairement à ces contrats, ne sont pas par eux-mêmes inconciliables avec le principe général du droit énoncé au point précédent. Cependant, il convient, d'une part, d'appliquer, au cas par cas, ce principe en tenant compte de l'économie générale du statut, et notamment des limitations qu'il peut apporter à la possibilité pour l'employeur de mettre fin au contrat et, d'autre part, de réserver les hypothèses dans lesquelles les nécessités du service public confié à l'établissement feraient obstacle à son application.

13. Par ailleurs, aux termes de l'article 5 de la convention de mise à disposition précitée, relatif à la durée du travail : " Les agents mis à disposition restent soumis aux dispositions en vigueur au sein de la CCI IG (statut du personnel des CCI, article 26 et ses annexes, règlement intérieur régional du personnel et règlement intérieur des horaires, le cas échéant). / En revanche, le pouvoir organisationnel relève de la compétence de la Société aéroportuaire. (...) ".

14. Eu égard à leur objet, qui ne se borne pas à un simple changement d'horaires mais impose désormais aux agents du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs de travailler entre minuit et six heures du matin de façon régulière, les notes de service en litige modifient les conditions de travail de ces agents et doivent, dès lors, être regardées comme une modification du contrat de travail qui les lie à leur employeur, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe.

15. Toutefois, il résulte de l'article 5, cité au point 13, de la convention de mise à disposition que, si les agents mis à disposition restent soumis, s'agissant de la durée du travail, aux dispositions statuaires en vigueur au sein de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe, en particulier celles relatives à la durée du travail, en revanche, le pouvoir d'organisation et de planification horaire relève de la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes agissant, le cas échant, par la voie d'accords d'entreprise. Dans ce cadre, il ressort des pièces du dossier que la société a, le 19 juin 2017, signé un " accord de transposition " qui prévoit que les agents mis à disposition bénéficient des dispositions relatives notamment à l'organisation du temps de travail mise en place au sein de la société aéroportuaire, telle que définie par un accord d'entreprise signé avec les organisations syndicales le 16 décembre 2016. L'article 11.1 de cet accord prévoit notamment que : " Le recours au travail de nuit est justifié par des impératifs de continuité de service, de continuité territoriale et / ou la nécessité d'assurer la sécurité des biens et des personnes. (...) Le travail de nuit concerne en particulier les salariés impliqués dans les missions (...) concourant à la sécurité des biens, des personnes et du trafic aérien (...) ". Il ressort des pièces du dossier que la nouvelle planification horaire mise en place par les notes de service en litige vise à assurer un fonctionnement continu du service aéroportuaire et un niveau de sécurité conforme à la règlementation et répond ainsi aux nécessités du service confié à la société aéroportuaire auprès de laquelle les agents du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs ont été mis à disposition sans modification du lien contractuel les unissant à la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe. Dans ces conditions, le président de cette société a pu légalement modifier les horaires de travail de ces agents sans que ni lui, ni l'employeur de ces agents n'ait eu à recueillir au préalable l'accord des intéressés.

16. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

17. Il ressort des pièces du dossier que les notes de service en litige prévoient la mise en place au sein du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs de cinq équipes permanentes selon un rythme de travail de trois jours travaillés suivis de deux jours de repos avec des horaires réguliers de 6 heures à 14 heures, de 14 heures à 22 heures et de 22 heures à 6 heures du matin, sur la base d'un cycle de travail de cinq semaines. L'équipe de renfort est planifiée pour venir renforcer l'effectif journalier des équipes permanentes de 13 heures à 23 heures, selon un rythme hebdomadaire de deux jours suivis de deux jours de repos et sur la base d'un cycle de travail de quatre semaines. Cette planification des horaires de travail vise à permettre un fonctionnement en continu de l'aéroport de Pointe-à-Pitre, seul aéroport international de l'archipel, et assurer un niveau de protection conforme à la réglementation relative à la sécurité du trafic aérien, en fonction des créneaux horaires. En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les plannings mensuels qui sont établis selon un rythme hebdomadaire précis et remis aux intéressés avec un préavis d'au moins sept jours avant le début de leur exécution, ainsi que le prévoit l'article 6 de l'accord d'entreprise relatif à l'organisation du temps de travail signé le 16 décembre 2016, permet aux agents de s'organiser. Il ressort également des pièces du dossier que la nouvelle planification horaire respecte l'ensemble des règles de limitation du temps de travail, en particulier celle prévue à l'article 26 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie, lequel renvoie au décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat. Dans ces conditions, et en dépit des contraintes, justifiées par les nécessités du service, qu'elle fait peser sur les agents, cette planification des horaires de travail, qui a recueilli l'avis favorable du comité d'entreprise et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des agents, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de ce que les notes de service litigieuses méconnaîtraient ces stipulations doit être écarté.

18. En sixième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité administrative règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

19. Il résulte de la planification du temps de travail décrite au point 17 que, d'une part, comme l'indiquent eux-mêmes les requérants dans leurs écritures, les agents de l'équipe renfort ne sont pas placés dans la même situation que les agents des équipes permanentes dès lors qu'ils travaillent chaque jour durant la même plage horaire alors que les autres agents du service de sauvetage et de lutte contre les incendies et les accidents ont des horaires de travail différents chaque jour incluant des horaires de nuit. D'autre part, cette planification répond à un objectif de continuité du service aéroportuaire et de sécurité. Ainsi, la différence de traitement des agents du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs qui en résulte n'apparaît pas manifestement disproportionnée au regard de l'intérêt du service public aéroportuaire. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit donc être écarté.

20. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard à ce qui a été dit précédemment, que les notes de service litigieuse traduiraient une volonté de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe de nuire aux requérants.

21. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande tendant à l'annulation des notes de service du 3 janvier 2019.

Sur l'amende pour recours abusif :

22. L'application des dispositions de l'article R. 741-12 du code de justice administrative constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe tendant à ce que les requérants soient condamnés à une amende pour recours abusif sur le fondement de ces dispositions ne peuvent être accueillies.

Sur les frais d'instance :

23. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la CCI de région des îles de Guadeloupe, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les requérants demandent au titre exposés par eux et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants une somme globale de

1 000 euros à verser ensemble à chacune des défenderesses au titre des frais de même nature.

24. D'autre part, la présente instance n'ayant occasionné aucuns dépens, les conclusions de la CCI de région des îles de Guadeloupe et de la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes présentées sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête M. E... et autres est rejetée.

Article 2 : M. E... et autres verseront ensemble la somme de 1 000 euros à la chambre du commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe et la somme de 1 000 euros à la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la chambre du commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe et de la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... V..., désigné représentant unique en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe et à la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Florence Demurger, présidente de la 6ème chambre,

M. Anthony Duplan, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mai 2023.

Le rapporteur,

Anthony J...

Le président,

Luc DerepasLa greffière,

Catherine JussyLa République mande et ordonne au ministre l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires chacun en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21BX00722


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00722
Date de la décision : 30/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: M. Anthony DUPLAN
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : DEPORCQ

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-05-30;21bx00722 ?
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