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18/07/2023 | FRANCE | N°23BX00887

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 18 juillet 2023, 23BX00887


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 9 février 2023 par lequel le préfet de la Gironde a décidé son transfert aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile et d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer un récépissé de demande d'asile.

Par un jugement n° 2300487 du 6 mars 2023, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 9 février 2023 et enjoin

t au préfet de la Gironde, dans un délai d'un mois à compter de la notification du prés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 9 février 2023 par lequel le préfet de la Gironde a décidé son transfert aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile et d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer un récépissé de demande d'asile.

Par un jugement n° 2300487 du 6 mars 2023, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 9 février 2023 et enjoint au préfet de la Gironde, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... en procédure normale, de lui délivrer l'attestation de demande d'asile afférente ainsi que l'imprimé lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Procédure devant la cour :

I- Par une requête enregistrée le 27 mars 2023 sous le n° 23BX00887, le préfet de la Gironde demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2300487 du 6 mars 2023 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de mettre à la charge de Mme B... le versement à l'Etat d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'état de grossesse d'un demandeur d'asile en procédure Dublin n'est pas de nature à nécessiter l'application de la clause discrétionnaire ; la grossesse de Mme B... ne faisait pas obstacle à son transfert vers l'Espagne ; il était possible d'organiser une réorientation avant le 6ème mois de grossesse pour permettre à la requérante d'accoucher en Espagne, Etat membre disposant de maternités et d'un système de santé équivalent à la France, et de faire suivre son enfant dans les premiers mois de la grossesse ;

- la présence en France du supposé père de l'enfant n'était pas non plus de nature à justifier de l'application de la clause discrétionnaire ; Mme B... n'est arrivée en France que récemment, le 3 septembre, quand bien même M. A... serait effectivement le père de son enfant et son compagnon, rien ne démontre l'ancienneté et la stabilité de leur relation ;

- l'article L. 572-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu ; l'injonction prononcée est illégale ;

- il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 juin 2023, Mme B..., représentée par Me Masson conclut :

1°) à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) au rejet de la requête ;

3°) à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que :

- les moyens soulevés par le préfet de la Gironde ne sont pas fondés ;

- à ce jour, le jugement n'est pas respecté par l'administration ;

- les autorités espagnoles ont donné leur accord le 29 novembre 2022, depuis plus de six mois : sa demande d'asile incombe désormais à la France ;

- elle entend à titre subsidiaire reprendre les moyens développés à l'appui de sa requête devant le tribunal.

Par ordonnance du 22 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 22 juin 2023 à 12h00.

II- Par une requête enregistrée le 27 mars 2023 sous le n° 23BX00888, le préfet de la Gironde demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2300487 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Poitiers.

Il soutient que :

- il soulève des moyens sérieux de nature à lui permettre d'obtenir le sursis à exécution du jugement attaqué ;

- l'état de grossesse d'un demandeur d'asile en procédure Dublin n'est pas de nature à nécessiter l'application de la clause discrétionnaire ;

- la présence en France du supposé père de l'enfant n'était pas non plus de nature à justifier de l'application de la clause discrétionnaire ;

- l'article L. 572-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu ; l'injonction prononcée est illégale.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 juin 2023, Mme B..., représentée par Me Masson conclut :

1°) à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) au rejet de la requête ;

3°) à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que :

- les moyens soulevés par le préfet de la Gironde ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 22 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 22 juin 2023 à 12h00.

Mme B... a été admise au maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 20 juin 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bénédicte Martin a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante guinéenne née le 3 février 2002, a présenté une demande d'asile le 7 octobre 2022 auprès du préfet de la Vienne. Le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé que l'intéressée était connue des autorités espagnoles. Ces autorités, saisies d'une demande de prise en charge du traitement de la demande d'asile sur le fondement du 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont accepté leur responsabilité par un accord explicite du 29 novembre 2022. Par un arrêté du 9 février 2023, le préfet de la Gironde a, en conséquence, décidé le transfert de Mme B... aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 6 mars 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de la Gironde d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... et de lui délivrer l'attestation de demande d'asile afférente ainsi que l'imprimé lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement. Le préfet relève appel de ce jugement et demande à la cour d'en ordonner le sursis à exécution.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées sous les nos 23BX00887 et 23BX00888 du préfet de la Gironde tendent, pour l'une, à l'annulation et, pour l'autre, au sursis à exécution du même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

3. Par une décision du 20 juin 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a maintenu l'aide juridictionnelle totale à Mme B.... Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de statuer sur sa demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur la caducité de l'arrêté du 9 février 2023 :

4. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du règlement n° 604/2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 " et aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".

5. Aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. (...) ". Aux termes de l'article L. 572-4 du même code : " L'étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 572-1 peut, dans les conditions et délais prévus à la présente section, en demander l'annulation au président du tribunal administratif.(...) ". Aux termes de l'article L. 572-5 du même code : " Lorsque la décision de transfert est notifiée sans assignation à résidence ou placement en rétention de l'étranger, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision. (...) / Il est statué dans un délai de quinze jours à compter de la saisine du président du tribunal administratif, selon les conditions prévues à l'article L. 614-5. (...) ". L'article L. 572-7 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre VII. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ".

6. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et des articles L. 572-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre une décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 paragraphe 2 de ce règlement, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'État membre requis. Ce délai recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions de l'article 29 paragraphe 2 du règlement précité, l'État membre requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

7. Le délai de six mois prévu par les dispositions précitées a été interrompu par l'introduction, par Mme B..., d'un recours enregistré le 21 février 2023 contre l'arrêté du 9 février 2023 et un délai de six mois a couru de nouveau à compter de la date de notification du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux du 6 mars 2023, dont la préfecture de la Gironde a accusé réception le même jour. Dans ces conditions, l'Espagne est toujours responsable de l'examen de la demande de protection internationale de l'intéressée et la décision de transfert en litige n'est pas caduque. Le moyen soulevé par l'intimée tiré de ce qu'il revient aux autorités françaises d'examiner sa demande d'asile doit être écarté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

8. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée par ces dispositions à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

9. Pour prononcer l'annulation de l'arrêté du 9 février 2023 du préfet de la Gironde, la magistrate désignée du tribunal administratif de Poitiers s'est fondée sur le moyen tiré de ce que, eu égard à l'état de grossesse de Mme B... à la date de la décision en cause, à la nécessité d'un suivi médical régulier et à la résidence du père de l'enfant à la Rochelle, le préfet avait, en décidant son transfert aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile, commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire application de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions citées au point précédent.

10. Toutefois, il ne ressort pas des éléments médicaux versés au dossier, tant en première instance qu'en appel, que la grossesse de Mme B..., dont le début a été estimé au 24 novembre 2022, aurait présenté des conditions difficiles ou particulières imposant que son suivi se déroule uniquement en France. Il n'en ressort pas davantage que son état de santé interdisait, à la date de la décision contestée, tout voyage vers l'Espagne ou que les soins appropriés à son état de grossesse ne pouvaient lui être assurés dans ce pays. Si le premier juge a également retenu que le père de l'enfant à naître résidait à La Rochelle, il ne ressort pas des pièces du dossier que la filiation soit démontrée, ni que l'ancienneté et la stabilité de la relation des parents soit établie, au regard notamment de la date d'entrée de l'intimée en France le 3 septembre 2022. Dans ces conditions, en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue par les dispositions citées au point 3, le préfet de la Gironde n'a pas méconnu l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation. Par suite, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Poitiers a, pour ce motif, annulé l'arrêté du 9 février 2023.

11. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... en première instance.

Sur les autres moyens invoqués par Mme B... :

12. En premier lieu, par un arrêté du 30 janvier 2023, publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial n° 33-2023-021 de la préfecture de la Gironde, Mme C..., cheffe du pôle régional Dublin Nouvelle-Aquitaine, a reçu délégation à l'effet de signer notamment, en lieu et place du préfet de la Gironde, les arrêtés de transfert. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision attaquée doit être écarté.

13. En deuxième lieu, en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement européen dont il est fait application.

14. L'arrêté contesté mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dont il est fait application et précise que les autorités espagnoles ont donné leur accord explicite le 29 novembre 2022, après leur saisine à cet effet le 16 novembre 2022 par les autorités françaises. Il indique également que Mme B... ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France et qu'elle n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Espagne ni l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités espagnoles. Dès lors, et malgré la circonstance que le préfet n'a pas repris dans sa motivation l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle de l'intéressée, notamment son état de grossesse et sa relation avec le père présumé de l'enfant à naître, la décision en litige fait état des éléments de fait sur lesquels l'autorité préfectorale s'est fondée pour estimer que l'examen de sa demande d'asile relève de la responsabilité des autorités italiennes. Elle comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Cette motivation révèle que le préfet de la Gironde a procédé à un examen particulier de la situation de Mme B.... Les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen particulier doivent dès lors être écartés.

15. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) d) de la possibilité de contester une décision de transfert (...) e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ". Il résulte de ces stipulations que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tous les cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

16. Il ressort des pièces du dossier de première instance que, lors du dépôt de sa demande d'asile, Mme B..., s'est vue remettre la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'UE - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " et la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", sur lesquelles elle a apposé sa signature. Ces documents, qui ont été remis à l'intéressée dans leur version française, langue qu'elle a déclaré comprendre et parler, comportent l'ensemble des informations prévues à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le guide du demandeur d'asile en France ainsi que les règlements communautaires n'étant pas, pour leur part, au nombre des informations devant être obligatoirement transmises au demandeur en application de ces stipulations. Dans ces conditions, Mme B... doit être regardée comme ayant bénéficié d'une information délivrée conformément aux stipulations de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et le moyen tiré de leur méconnaissance doit être écarté.

17. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. 2. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".

18. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le 7 octobre 2022, Mme B... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les stipulations précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, en français, langue qu'elle a déclaré comprendre et lire, ainsi qu'en atteste sa signature apposée sans réserve au bas du résumé de cet entretien, après avoir déclaré qu'elle avait compris la procédure et que les renseignements la concernant étaient exacts. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à se prévaloir d'une quelconque méconnaissance des stipulations de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

19. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

20. Mme B... soutient qu'à la date de la décision attaquée, elle souhaite rester avec le père de son enfant à naitre, recevoir son soutien et bénéficier d'un suivi médical de sa grossesse. Le début de la grossesse de l'intimée a été estimé au 24 novembre 2022 et l'intéressée a indiqué, lors de son entretien, être entrée sur le territoire français le 3 septembre 2022, être célibataire et n'avoir aucun autre membre de sa famille en France. Dès lors, nonobstant la mention du père présumé de l'enfant, M. A..., qui réside à La Rochelle, Mme B..., présente en France depuis moins de six mois à la date de l'arrêté contesté, ne justifie pas de l'ancienneté et de la stabilité de cette relation et de ce qu'elle aurait désormais, ainsi, ancré en France l'essentiel de sa vie privée et familiale. Enfin, il résulte de ce qui a été exposé au point 10 que l'état de grossesse de l'intéressée ne faisait pas obstacle à son transfert vers l'Espagne. Par suite, compte tenu des conditions et de la durée du séjour en France de l'intimée, le préfet de la Gironde n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure de transfert a été prise et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

21. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

22. Si Mme B... soutient que son transfert aux autorités espagnoles l'exposerait à un renvoi en Guinée, où elle encourrait des risques de traitements inhumains et dégradants au sens des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'arrêté en litige a seulement pour objet de la renvoyer en Espagne et non dans son pays d'origine. Le moyen ne peut qu'être écarté.

23. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 9 février 2023, a enjoint à l'autorité préfectorale, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... en procédure normale et de lui délivrer l'attestation de demande d'asile afférente ainsi que l'imprimé lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et enfin, a mis à la charge de l'Etat la somme de 900 euros à verser à la SCP Breillat-Dieumegard-Masson, en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, ce jugement doit être annulé et les conclusions de première instance de Mme B..., y compris celles à fin d'injonction et présentées au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.

Sur la demande de sursis à exécution :

24. Le présent arrêt statuant au fond sur les conclusions du préfet de la Gironde tendant à l'annulation du jugement du 6 mars 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23BX00888 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur les frais liés au litige :

25. Si une personne publique qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat peut néanmoins demander au juge le bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais spécifiques exposés par elle à l'occasion de l'instance, elle ne saurait se borner à faire état d'un surcroît de travail de ses services et doit faire état précisément des frais qu'elle aurait exposés pour défendre à l'instance. En l'espèce, le préfet de la Gironde, qui n'est pas représenté par un avocat, ne justifie pas de frais non compris dans les dépens que l'Etat aurait spécifiquement exposés dans le cadre de la présente instance. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être rejetées.

26. Les dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au conseil de Mme B....

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2300487 du 6 mars 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Poitiers et le surplus de ses conclusions devant la cour sont rejetés.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer ni sur la demande de Mme B... tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire, ni sur les conclusions de la requête n° 23BX00888 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2300487 du 6 mars 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers.

Article 4 : Les conclusions du préfet de la Gironde présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme D... E... B....

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Pauline Reynaud, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juillet 2023.

La rapporteure,

Bénédicte MartinLa présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Nos 23BX00887, 23BX00888


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00887
Date de la décision : 18/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Bénédicte MARTIN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SCP BREILLAT DIEUMEGARD MASSON

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-07-18;23bx00887 ?
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