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06/09/2023 | FRANCE | N°23BX01662

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre (juge unique), 06 septembre 2023, 23BX01662


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 20 juin 2023 et un mémoire enregistré le 29 août 2023, la société Ferme éolienne des genêts, représentée par Me Guiheux, demande au juge des référés de la cour :

1°) de prononcer la suspension de l'exécution de l'arrêté du 24 avril 2023 par lequel la préfète des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour la création et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire des communes de Melle, Lusseray et Chef-Boutonne ;

2°) d'enjoindre au préfet de lui dé

livrer l'autorisation sollicitée dans un délai d'un mois à compter de l'ordonnance à interveni...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 20 juin 2023 et un mémoire enregistré le 29 août 2023, la société Ferme éolienne des genêts, représentée par Me Guiheux, demande au juge des référés de la cour :

1°) de prononcer la suspension de l'exécution de l'arrêté du 24 avril 2023 par lequel la préfète des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour la création et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire des communes de Melle, Lusseray et Chef-Boutonne ;

2°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai d'un mois à compter de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses conclusions sont présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que la décision met en péril la faisabilité du projet, compte tenu de l'évolution du coût des carburants et des matières premières, des taux d'intérêt et de l'augmentation du coût et des délais de raccordement ; elle ne peut bénéficier de la procédure d'inscription en file d'attente sur le poste de raccordement envisagé car le gestionnaire Gérédis ne propose pas une telle procédure ; le raccordement sur un autre poste occasionnerait des impacts supérieurs pour la biodiversité ; le plan de financement prévu risque d'être remis en cause si le projet n'est pas autorisé à brève échéance et la viabilité de ce projet risque d'être compromise ; plusieurs centaines de milliers d'euros ont déjà été exposés pour le développement du projet ; l'attente d'une décision au fond l'expose à une perte financière conséquente et à des dépenses supplémentaires si les diagnostics du milieu naturel devaient être actualisés ; le retard pris par le projet ferait par ailleurs obstacle à la mise en œuvre des démarches d'accompagnement prévues au bénéfice des riverains et citoyens locaux, telles que la création d'une communauté énergétique et la fourniture de chèques énergie ; plusieurs communes sont favorables au projet et ne s'opposeraient pas à la mise en œuvre des mesures d'accompagnement ;

- la condition d'urgence est également remplie compte tenu de l'intérêt général du projet et de l'urgence environnementale et énergétique ; les objectifs nationaux en matière d'énergie renouvelable et de réduction des gaz à effet de serre auxquels le projet doit contribuer ont un caractère contraignant ; leur respect présente un intérêt public majeur pour la santé et l'avenir de la planète ; aucun intérêt particulier ne s'attache en revanche à l'exécution immédiate de la décision de refus litigieuse ;

- l'arrêté de refus repose sur des motifs entachés d'erreurs de fait, d'appréciation et de droit ; le seul constat du nombre d'éoliennes présentes dans l'aire d'étude ne suffit pas à caractériser un phénomène de saturation ; le projet sera distant d'au moins 900 mètres des habitations les plus proches et le scénario d'implantation retenu, consistant à densifier à l'intérieur de l'existant, suffit à prévenir les effets de saturation visuelle ; l'augmentation, du fait du projet, de l'indice de densité sur l'horizon occupé est très faible ; l'étude de l'occupation visuelle présente les seuils d'alerte et une représentation des critères pour chaque lieu de vie concerné en tenant compte des masques visuels ; le projet ne conduit à atteindre ou dépasser les seuils d'alerte pour aucun des lieux de vie ; le motif tiré de la visibilité lointaine du projet n'est pas davantage fondé ; le projet a une faible emprise visuelle et les filtres existants limitent son aire de visibilité ; de plus, le paysage déjà anthropisé et occupé par d'autres parcs éoliens ne présente pas d'intérêt particulier ; aucun champ visuel n'est ajouté par le projet ; la préfète ne pouvait davantage fonder le refus sur l'insuffisance des mesures de réduction de l'impact visuel ; les plantations de haies champêtres et de haies d'arbres de haut jet de 2 mètres de hauteur initiale et qui pourront atteindre 20 mètres, sont de nature à minimiser cet impact ; ces moyens sont de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

Par un mémoire enregistré le 28 août 2023, le préfet des Deux-Sèvres conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie ; le dossier de demande indique que le modèle d'éoliennes n'est pas encore choisi ; la société pourra adapter son choix en fonction du coût ; les surcoûts invoqués ne sont pas chiffrés ; les projections de la Banque centrale envisagent un repli de l'inflation ; la société peut entrer en file d'attente pour se prémunir contre les difficultés et le coût de raccordement au poste source envisagé ; le business plan prospectif n'est pas suffisamment détaillé ; les coûts exposés pour les études sont inhérents à l'établissement d'un projet et ne suffisent pas à caractériser une situation d'urgence ; la société ne chiffre pas les coûts qui seraient induits par la nécessité d'actualiser l'étude d'impact et n'établit pas l'impact de ces coûts sur sa santé financière ; de plus, la perspective d'une obligation d'actualiser l'étude n'est pas certaine ; les mesures d'accompagnement n'ont pas reçu l'adhésion des communes et des riverains ; il n'est donc pas certain qu'elles puissent être mises en œuvre même si le projet était autorisé ; au surplus, ces mesures n'ont de raison d'être que si le projet est autorisé ; l'urgence environnementale ne justifie pas davantage le sursis ; la région Nouvelle-Aquitaine affiche des chiffres conséquents en matière d'énergie renouvelables ; la contribution du projet aux objectifs nationaux et régionaux apparaît négligeable ; le secteur d'implantation du projet est déjà couvert par de nombreux parcs éoliens ; un intérêt particulier s'attache à l'exécution de la décision de refus dès lors que le risque d'atteinte à la commodité du voisinage est constitué ;

- aucune erreur de droit n'a été commise dans l'appréciation de la saturation visuelle ; les seuils d'alerte sont dépassés pour plusieurs lieux de vie ; les visibilités lointaines sont attestées par plusieurs photomontages de l'étude d'impact ; dès lors que la saturation visuelle est avérée, les mesures de plantations prévues apparaissent insuffisantes.

Vu :

- la requête au fond enregistrée sous le n° 23BX01659 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la cour a désigné Mme C... A... en qualité de juge des référés, en application du livre V du code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... A...,

- les observations de :

* Me Rochard, représentant la société Ferme éolienne des genêts, qui reprend les moyens exposés dans ses écritures en insistant sur la position favorable de plusieurs communes au projet, qui traduit l'adhésion de la population, et sur le scénario d'implantation, en extension d'autres parcs, de nature à minimiser les impacts ; s'agissant de l'urgence, elle confirme que le raccordement ne relève pas de RTE et qu'elle ne peut donc s'inscrire en file d'attente ; elle soutient qu'au surplus, l'inscription en file d'attente augmenterait le coût du projet ; elle souligne également, s'agissant de l'absence de bien-fondé des motifs de refus, le fait que le parc ne créera aucun champ visuel supplémentaire et ne viendra qu'en densification de certains cônes de vue, sans aggravation, la hauteur des éoliennes prévues étant la même que celle des autres éoliennes présentes ou en projet ; elle regrette, enfin, qu'un refus fondé sur des motifs qui ne sont pas valables génère une perte de temps ; en réponse à une question de la juge des référés, elle indique que la délivrance d'une autorisation provisoire par le juge des référés permettrait le raccordement et le commencement de réalisation du projet ; elle précise que ce serait un signal en faveur du projet ;

* Mme B..., représentant le préfet des Deux-Sèvres, qui renvoie aux écritures de l'administration ; elle ajoute que la hausse des coûts avait débuté au moment du dépôt du dossier de demande de la société et que celle-ci n'a pas, pour autant, retiré son projet en considération de cette hausse ; elle souligne que la hausse des coûts doit être mise en perspective avec les résultats attendus du projet ; elle indique que le raccordement relève de la compétence de RTE compte tenu de la puissance du projet et qu'ainsi, la procédure de file d'attente est bien applicable, que le raccordement envisagé dans le dossier de demande ne peut pas être garanti et qu'il y a peu de risque qu'un autre projet soit autorisé dans ce secteur compte tenu de la saturation, de sorte qu'il est probable que les possibilités demeurent de raccordement sur le poste souhaité par la société requérante.

Considérant ce qui suit :

1. Le 20 octobre 2021, la société Ferme éolienne des genêts a demandé la délivrance d'une autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien de huit aérogénérateurs d'une hauteur de 179 mètres sur le territoire des communes de Melle, Lusseray et Chef-Boutonne. Par arrêté du 24 avril 2023, la préfète des Deux-Sèvres a rejeté sa demande. La société Ferme éolienne des genêts, qui a présenté devant la cour une demande en annulation de cet arrêté préfectoral, demande dans la présente instance, la suspension de son exécution.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".

3. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier objectivement et concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant et de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

4. En premier lieu, pour justifier de la condition d'urgence, la société invoque les surcoûts auxquels l'expose un retard dans la délivrance de l'autorisation demandée. Elle ne donne toutefois pas de précision étayée et chiffrée sur l'incidence de la hausse des prix des carburants et des matières premières qu'elle invoque. En admettant que le raccordement du projet au poste source Sud Deux Sèvres qu'elle envisage puisse être compromis par un retard dans la délivrance de l'autorisation, les impacts d'un raccordement à un autre poste source en terme de coût financier et d'atteinte la biodiversité ne sont pas non plus justifiés. Elle ne produit pas davantage d'éléments permettant d'apprécier l'incidence de la hausse des taux d'intérêt et de la hausse de la quote-part unitaire due au titre du raccordement qu'elle invoque. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction qu'un retard dans la délivrance d'une autorisation l'exposerait nécessairement à devoir actualiser les études environnementales produites à l'appui de sa demande, ni que le coût éventuel d'une telle actualisation mettrait en cause sa santé financière ou la faisabilité du projet. Si elle soutient qu'en prenant en compte ces différentes augmentations cumulées, le taux de rentabilité du parc qui s'établissait à 4,42 % selon ses prévisions, pourrait s'avérer négatif si le projet n'était pas réalisé à brève échéance, compromettant ainsi sa faisabilité, elle n'indique pas précisément les hypothèses et calculs lui permettant de parvenir à une telle conclusion. Ainsi, et malgré les dépenses déjà exposées pour l'étude du projet, qui sont inhérentes au dépôt d'une demande d'autorisation, la société ne démontre pas qu'elle serait exposée à des coûts financiers de nature à remettre en cause la faisabilité de son projet ou à compromettre gravement sa situation. La société ne peut davantage se prévaloir de l'urgence à mettre en œuvre les mesures d'accompagnement qui n'ont pas par elles-mêmes d'intérêt mais sont destinées à réduire ou compenser les impacts dans l'hypothèse de réalisation du parc éolien.

5. En second lieu, comme le soutient la société, son projet est de nature à participer à la réalisation des objectifs européens, nationaux et régionaux de développement des énergies renouvelables, notamment éolienne, et compte tenu de sa puissance de 35 MW et de sa capacité de production d'environ 74,3 millions de kWh par an, soit la consommation d'environ 16 000 foyers, sa contribution aux objectifs de production d'énergies renouvelable n'est pas négligeable. Toutefois, l'intérêt public qui s'attache à la réalisation de ces objectifs ne peut être en l'espèce être regardé comme caractérisant l'existence d'une situation d'urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, le refus d'autorisation soit suspendu dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la suspension d'un refus et le prononcé de mesures provisoires, seules mesures relevant des pouvoirs du juge des référés, permettrait d'accélérer le démarrage des démarches et travaux de réalisation du parc de façon significative au regard de l'urgence climatique.

6. Ainsi, il n'est pas justifié que les effets de l'arrêté attaqué seraient de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence au sens des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Par suite, et dès lors que la condition d'urgence à laquelle l'article L. 521-1 du code de justice administrative subordonne la mesure de suspension n'est pas remplie, il n'y a pas lieu de rechercher si la société fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Ferme éolienne des genêts n'est pas fondée à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral du 24 avril 2023. Sa requête en référé doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions en injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1 : La requête de la société Ferme éolienne des genêts est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Ferme éolienne des genêts, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet des Deux-Sèvres.

Fait à Bordeaux, le 6 septembre 2023

La greffière, La juge des référés,

Sylvie Hayet C... A...

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2

N° 23BX01662


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre (juge unique)
Numéro d'arrêt : 23BX01662
Date de la décision : 06/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Elisabeth JAYAT
Avocat(s) : CABINET VOLTA

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-09-06;23bx01662 ?
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