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19/09/2023 | FRANCE | N°20BX04171

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 19 septembre 2023, 20BX04171


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 décembre 2020, 29 septembre et 29 octobre 2021 et 12 mai 2023, la société Parc éolien de la Boëme, représentée par Me Gelas, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 3 novembre 2020 par lequel la préfète de la Charente a refusé de lui délivrer une autorisation d'exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Mouthiers-sur-Boëme et de Fouquebrune ;

2°) de lui délivrer l'autorisation sollicité

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3°) subsidiairement, d'enjoindre à la préfète de la Charente de lui délivrer cette autor...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 décembre 2020, 29 septembre et 29 octobre 2021 et 12 mai 2023, la société Parc éolien de la Boëme, représentée par Me Gelas, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 3 novembre 2020 par lequel la préfète de la Charente a refusé de lui délivrer une autorisation d'exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Mouthiers-sur-Boëme et de Fouquebrune ;

2°) de lui délivrer l'autorisation sollicitée ;

3°) subsidiairement, d'enjoindre à la préfète de la Charente de lui délivrer cette autorisation, dans un délai de trente jours à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat et de chacun des intervenants une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les interventions sont irrecevables dès lors qu'ayant été produites avant le mémoire en défense de la ministre de la transition écologique et ayant conduit à reporter la clôture de l'instruction, elles sont contraires aux prescriptions de l'article R. 632-1 du code de justice administrative ; ni l'association Eole 16, ni l'association Vent Debout de la Boëme, ni les personnes physiques n'ont intérêt à intervenir ;

- la décision attaquée est insuffisamment motivée et méconnaît, ainsi, les prescriptions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle méconnaît l'autorité de la chose jugée, l'absence d'atteinte au paysage par le projet ayant été reconnue à deux reprises par deux jugements du tribunal administratif de Poitiers revêtus de l'autorité de la chose jugée ;

- elle est entachée de deux erreurs de fait dès lors, d'une part, que la hauteur en bout de pâle des éoliennes est de 149,4 mètres, 150 mètres et 149,9 mètres, et non pas de 180 mètres, d'autre part, qu'ont été effectuées, non pas une seule simulation paysagère du parc éolien, mais, ainsi qu'il ressort de l'étude paysagère, vingt-et-une depuis les remparts d'Angoulême, un chapitre entier de ladite étude y étant consacré ;

- la prétendue opposition locale, qui n'est pas avérée, n'est pas au nombre des motifs qui peuvent être opposés pour refuser l'autorisation qu'elle a sollicitée ;

- la préfète ne pouvait opposer une prétendue incomplétude du dossier liée à l'insuffisance de l'étude paysagère sans l'avoir, au préalable, invitée à le compléter, ainsi que le prévoit l'article R. 181-16 du code de l'environnement ; la conduite de l'enquête publique confirme que la préfète a considéré le dossier complet ;

- la décision attaquée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en raison de l'absence d'intérêt particulier du site d'implantation du projet et de l'absence d'atteinte au paysage, aux sites et monuments ;

- la circulaire n° 2008/007 du ministère de la culture ne justifiait pas en l'espèce de protéger un rayon de 10 km autour des monuments en l'absence de vues remarquables s'agissant du château de la Foy ; il s'agit d'une circulaire non impérative ; le moyen tiré de l'application de cette circulaire est donc inopérant ;

- l'impact allégué du projet sur la faune ailée n'est pas avéré ;

- le risque de dépréciation immobilière n'est pas avéré et la jurisprudence judiciaire à laquelle les intervenants font référence n'est pas pertinente ;

- le projet ne crée aucun risque pour les usagers de la route départementale n° 427.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 21 juin 2021, et un mémoire complémentaire enregistré le 22 novembre 2021, l'association La demeure historique et M. et Mme T... O..., représentés par Me Callon, concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- leur intervention est recevable ;

- le site d'implantation présente un intérêt majeur ;

- le promoteur du projet indique que le projet se situe à 2,1 km du château de la Foy alors que l'éolienne E1 la plus proche sera à 665 mètres seulement du château ; il s'agit d'une erreur capitale ; le projet porte atteinte au site du château ;

- le schéma régional éolien a été annulé et le pétitionnaire ne peut s'appuyer sur ce document pour justifier son projet ; l'administration a appliqué à bon droit les critères prévus par la circulaire n° 2008/007 du ministre de la culture ;

- le projet comporte des risques pour la faune ailée et en particulier les chiroptères ;

- le projet risque d'entrainer une dépréciation immobilière des biens situés à proximité.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 28 septembre 2021, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 1er décembre 2021 et 5 mai 2023, l'association Eole 16, l'association Vent debout de la Boëme, M. J... Q..., M. Y... Z..., M. R... N..., M. H... F..., M. G... A..., M. L... I..., M. V... U..., M. E... P..., Mme M... X..., M. B... S..., M. D... C... et Mme W... K..., représentés par Me Cadro, concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- leur intervention est recevable ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- le projet portera atteinte au cadre de vie des habitants des lieux de vie voisins ;

- les pales de l'une des éoliennes surplombent le tracé du projet emprunté par un bus scolaire, créant un danger.

Par un mémoire, enregistré le 30 septembre 2021, complété par une production de pièces le 28 avril 2023, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens développés par la société Parc Eolien de la Boëme ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 28 avril 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 12 mai 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Elisabeth Jayat ;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Kerjean-Gauducheau, représentant la société Parc éolien de la Boëme et Me Cadro, représentant l'association Eole 16, l'association Vent debout de la Boëme, M. J... Q..., M. Y... Z..., M. R... N..., M. H... F..., M. G... A..., M. L... I..., M. V... U..., M. E... P..., Mme M... X..., M. B... S..., M. D... C... et Mme W... K....

Une note en délibéré présentée par Me Gelas pour la société Parc éolien de la Boëme à été enregistrée le 1er septembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société Parc éolien de la Boëme a sollicité, le 12 mars 2015, trois permis de construire en vue de l'édification de quatre éoliennes sur le territoire de la commune de Mouthiers-sur-Boëme, d'une éolienne sur celui de la commune de Fouquebrune et d'une éolienne ainsi qu'un poste de livraison à Voulgézac (Charente). Ces demandes ont été rejetées par trois arrêtés du 1er avril 2016 du préfet de la Charente, que le tribunal administratif de Poitiers a annulé par un jugement du 25 avril 2018 devenu définitif, considérant que le motif de l'atteinte portée aux paysages, aux sites et monuments qui avait été opposé par l'administration n'était pas fondé. Consécutivement à ces jugements, le préfet de la Charente a délivré les trois permis de construire sollicités par la société Parc éolien de la Boëme, par des arrêtés du 11 juin 2018 à l'encontre desquels des recours ont été présentés et ont été rejetés par un jugement du 2 juillet 2020, également devenu définitif. Le 12 mars 2015, la société Parc éolien de la Boëme avait également déposé une demande d'autorisation d'exploiter ce parc éolien composé de six aérogénérateurs d'une hauteur en bout de pales d'environ 150 mètres et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Mouthiers-sur-Boëme, de Fouquebrune et de Voulgézac, qu'elle a modifié par sa demande du 7 mars 2019 par laquelle elle a abandonné l'éolienne E6 qu'il était prévu d'implanter à Voulgézac et déplacé de 154 mètres vers le sud-est l'éolienne E5 située à Fouquebrune. Par l'arrêté attaqué du 3 novembre 2020, la préfète de la Charente a refusé de délivrer cette autorisation au motif que ce projet était de nature à porter atteinte à la protection des paysages et à la conservation des sites et des monuments.

Sur les interventions :

En ce qui concerne les délais des interventions :

2. D'une part, l'introduction d'une intervention n'est pas subordonnée à une condition de délai autre que celle découlant de l'obligation pour l'intervenant d'agir avant la clôture de l'instruction. En l'espèce, l'intervention de l'association La demeure historique et de M. et Mme T... O... a été présentée le 21 juin 2021, et celle de l'association Eole 16, de l'association Vent debout de la Boëme, de M. J... Q..., de M. Y... Z..., de M. R... N..., de M. H... F..., de M. G... A..., de M. L... I..., de M. V... U..., de M. E... P..., de Mme M... X..., de M. B... S..., de M. D... C... et de Mme W... K... le 28 septembre 2021, tandis que l'instruction a été close le 30 septembre 2021 à 12h00 et rouverte, d'ailleurs à plusieurs reprises, en raison, notamment de la production à 11h33 ce 30 septembre, du mémoire en défense de la ministre de la transition écologique, que la cour était tenue, en vertu des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, de communiquer aux parties.

3. D'autre part, la société Parc éolien de la Boëme n'est pas fondée à soutenir que les interventions au soutien de la défense seraient irrecevables faute de mémoire en défense dès lors, ainsi qu'il vient d'être dit, que la ministre de la transition écologique a produit un mémoire le 30 septembre 2021, qui a eu pour effet de les régulariser.

En ce qui concerne l'intérêt à intervenir :

4. L'association Vent debout de la Boëme, qui a pour objet, aux termes de l'article 2 de ses statuts, de " Préserver le cadre de vie, protéger les espaces naturels, le patrimoine bâti, les sites et les paysages du département de Charente, plus particulièrement des communes de Mouthiers/Boeme, Fouquebrune, Voulgézac et des communes avoisinantes. (...) Lutter, y compris par toute action en justice, contre les projets d'installations industrielles dédaigneuses des intérêts de la nature, des gens, du patrimoine paysager et bâti, notamment contre les usines d'aérogénérateurs dites " parcs " éoliens ", justifie, au regard de son champ d'intervention, géographique comme matériel, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions de la ministre de la transition écologique.

5. Dès lors qu'au moins l'un des intervenants est recevable, une intervention collective l'est également. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'intérêt des autres intervenants, l'intervention de l'association Vent Debout de la Boëme et autres doit être admise.

6. Quant à l'objet de l'association La demeure historique, il est, aux termes de l'article 4 de ses statuts, d'œuvrer pour " la défense et la sauvegarde du patrimoine architectural, historique, artistique et naturel, ses abords, et plus largement tout ce qui concerne la protection des perspectives et paysages ". Depuis un décret du 29 janvier 1965, cette association est reconnue comme établissement d'utilité publique et, par arrêté du 11 avril 2016 du ministre chargé de l'environnement, elle a été agréée dans le cadre national au titre de l'article L. 141-1 du code de l'environnement pour une durée de cinq ans, ultérieurement renouvelée à compter du 17 août 2021 par arrêté du 11 mai 2023. Par ailleurs, en application de l'article L. 142-1 du code de l'environnement, " Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 ainsi que les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique et les associations agréées de pêcheurs professionnels justifient d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément ". Dès lors que l'installation objet du litige est susceptible d'entrainer des effets dommageables sur l'environnement paysager d'une partie du territoire pour lequel elle est agréée, elle justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la défense. Au demeurant, M. et Mme O..., qui interviennent aux côtés de l'association, sont propriétaires depuis le 23 janvier 2017 du château de la Foy, situé à moins de 700 mètres du parc éolien en projet et dont la façade et les toitures sont inscrites au titre des monuments historiques depuis 1963. Ils soutiennent sans être contredits que le parc sera visible du château et justifient à ce titre d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la défense. Dans ces conditions, l'intervention de La demeure historique et de M. et Mme O... doit également être admise.

Sur la légalité de l'arrêté du 3 novembre 2020 :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I.-L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ". Dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative d'assortir l'autorisation environnementale délivrée des prescriptions de nature à assurer la protection des intérêts mentionnés par les dispositions précitées en tenant compte des conditions d'installation et d'exploitation précisées par le pétitionnaire dans le dossier de demande, celles-ci comprenant notamment les engagements qu'il prend afin d'éviter, réduire et compenser les dangers ou inconvénients de son exploitation pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. Ce n'est que dans le cas où il estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation d'exploitation est sollicitée, que même l'édiction de prescriptions additionnelles ne permet pas d'assurer la conformité de l'exploitation à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, que le préfet ne peut légalement délivrer cette autorisation.

8. Il résulte de l'instruction que le projet est destiné à s'implanter dans une zone agricole, à environ 6 km au sud d'Angoulême, dans l'entité paysagère des Côtes de l'Angoumois, sur un plateau situé entre la vallée de la Boëme, à 1,5 km à l'ouest et celle de la Charreau, à 3 km au nord-est, non loin de celle des Eaux Claires, site naturel inscrit, à environ 5,5 km, ces vallées étant séparées par trois plateaux accueillant hameaux et habitats isolés. L'entité paysagère, marquée par son caractère bucolique et un réseau hydrographique dense, est essentiellement composée de boisements, de parcelles cultivées ou de prairies et notamment des vignobles à l'ouest, au sud et au sud-ouest d'Angoulême, de plusieurs carrières d'extraction de pierres calcaires caractéristiques du sous-sol, ainsi que de hameaux et de fermes isolés. La zone est traversée par les deux grands axes routiers que sont la N 10, reliant Bordeaux à Poitiers et la N141 reliant Cognac à Limoges, des réseaux routiers départementaux, au nombre de cinq, qui relient les bourgs du territoire entre eux, des petites routes secondaires, par la ligne ferroviaire reliant Limoges à Bordeaux et celle reliant Poitiers à Bordeaux, ainsi que par trois lignes à haute tension, dont deux se croisent dans la zone d'implantation du projet. La ligne ferroviaire reliant Limoges à Bordeaux traverse également l'aire d'étude rapprochée ainsi que deux lignes à haute tension soutenues par des pylônes. Près de 70 monuments historiques se situent à moins de 11 km de la zone d'implantation du projet. Ainsi, le paysage environnant, de type naturel et agricole et alternant plateaux boisés et vallées nettement caractérisées, bien qu'anthropisé, n'est pas dénué d'intérêt.

9. Pour rejeter la demande présentée par la société Parc éolien de la Boëme, la préfète de la Charente a estimé, en premier lieu, que le projet était de nature à entrainer un effet d'écrasement de nature à porter atteinte à la perception du relief des vallées, des hameaux proches, des clochers et des vallons et, plus largement, à entraîner un effet de " banalisation du paysage habité ". Il ne résulte toutefois pas des éléments de l'instruction et notamment pas des photomontages que comporte l'étude d'impact que des paysages de vallées, des clochers ou des hameaux présentant un intérêt particulier, sur lesquels l'administration n'apporte d'ailleurs aucune précision, seraient susceptibles de subir un effet d'écrasement du fait de la présence de l'installation projetée, la seule visibilité du parc n'étant pas de nature à traduire une atteinte justifiant un refus d'autorisation.

10. La préfète a également fondé le refus opposé sur la covisibilité du projet avec la ville d'Angoulême et sur l'atteinte à la vue panoramique que présente la ville et en particulier ses remparts. Il résulte toutefois de l'instruction et en particulier des deux photomontages figurant dans l'étude d'impact localisés sur un balcon en belvédère et à proximité du parvis de la cathédrale, que des remparts sud d'Angoulême, secteur classé situé à plus de 9 km de l'éolienne la plus proche, les éoliennes ne seront que partiellement visibles du fait de la présence d'écrans visuels et peu perceptibles en raison de la distance. Aucun élément de l'instruction ne permet de contredire ce constat et, notamment, d'identifier sur les remparts de la ville ancienne d'Angoulême une vue sur le parc éolien en projet susceptible de dénaturer le panorama remarquable proposé par ce site.

11. L'arrêté contesté est par ailleurs motivé par l'atteinte visuelle portée par le projet au village pittoresque de Mouthiers-sur-Boëme, qui comporte 6 monuments historiques et deux sites classés, à l'église de Plassac-Rouffiac, à l'église de Charmant et au château de la Rochandry. S'agissant des éléments patrimoniaux du village de Mouthiers-sur-Boëme, situés à presque 2 km de la zone d'implantation du projet, il résulte de l'instruction que seul le haut des pales de deux des éoliennes sera légèrement visible de l'église et si les éoliennes risquent d'être très partiellement visibles à partir des chemins de randonnée qui conduisent notamment au Logis de Forges, dont la toiture et des façades sont inscrites au titre des monuments historiques, cette visibilité intermittente et partielle n'est pas de nature à altérer la perception du paysage et du site historique. S'agissant de l'église de Plassac-Rouffiac, monument classé situé à plus de 7 km, il résulte de l'instruction que le parc éolien sera en covisibilité avec l'église et que depuis les abords de l'église, le parc sera nettement visible. Toutefois, compte tenu notamment de la distance, le rapport d'échelle entre l'église et les éoliennes n'est pas susceptible de dénaturer la perception du site. Quant à l'église de Charmant, église classée située à 5,5 km de la zone d'implantation du projet, si une co-visibilité a été identifiée par les auteurs de l'étude d'impact, il résulte de l'instruction, et en admettant même que le photomontage de l'étude d'impact aurait inexactement positionné le parc comme le soutiennent les intervenants, que le rapport d'échelle avec les éoliennes n'est pas défavorable au monument et ne lui porte pas une atteinte significative. S'agissant, enfin du château de la Rochandry, situé à près de 5 km du projet, il résulte de l'instruction qu'à partir de la route départementale 42, le parc sera en co-visibilité avec ce monument, deux des éoliennes apparaissant en net surplomb par rapport au château. Toutefois, cette co-visibilité ponctuelle avec le château en cours d'inscription et au bord d'une voie où est implantée une ligne électrique bien visible, ne traduit pas, à elle seule, une atteinte au paysage ou au patrimoine de nature à justifier un refus d'autorisation.

12. La préfète a, enfin, estimé que le projet était de nature à porter atteinte au site naturel inscrit de la vallée des Eaux Claires et au site naturel classé des Rochers, en bordure de la vallée, et à l'attractivité de ces sites traversés par des circuits de randonnée. Il résulte cependant de l'instruction que le projet est destiné à s'implanter à plus de 5,5 km de ces sites et que le parc ne sera que faiblement visible des hauteurs du versant de la rive droite du site, la vue étant partielle et lointaine, sans altération notable du site.

13. Les intervenants font également état d'une atteinte au château de la Foy, inscrit au titre des monuments historiques et situé à environ 680 mètres du site du projet. Ils n'apportent toutefois aucun élément permettant d'identifier une visibilité ou co-visibilité portant une atteinte suffisamment significative au paysage et aux perspectives de ce château, l'étude d'impact mentionnant, quant à elle, qu'aucune visibilité ou co-visibilité potentielle n'avait été identifiée.

14. En second lieu, la faculté de demander une substitution de motifs est réservée à l'administration, auteure de la décision attaquée. Les intervenants ne peuvent ainsi utilement se prévaloir de motifs dont ne se prévaut pas l'administration, tirés des risques pour la faune, de la dévaluation de la valeur immobilière des propriétés riveraines, circonstance au demeurant sans incidence, de l'application de la circulaire de la ministre de la culture et de la communication n° 2008/007 du 15 septembre 2008, qui ne contient d'ailleurs aucune disposition impérative, de l'atteinte à la commodité du voisinage et du danger pour les usagers de la route départementale n° 427.

15. Il résulte de tout de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Parc éolien de la Boëme est fondée à soutenir que le motif tiré de l'atteinte aux paysages et aux éléments du patrimoine historique, architectural et naturel environnant ne peut légalement fonder un refus d'autorisation et ainsi à demander l'annulation de l'arrêté du 3 novembre 2020.

Sur les conséquences de l'annulation :

16. Lorsqu'il statue en vertu de l'article L. 181-17 du code de l'environnement, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions. Dans le cas où le juge administratif fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour autoriser le fonctionnement d'une installation classée, la décision d'autorisation ainsi rendue présente le caractère d'une décision juridictionnelle et se trouve en conséquence revêtue de l'autorité de chose jugée.

17. Les risques pour la faune et en particulier pour l'avifaune et les chiroptères, invoqués par l'association La demeure historique et M. et Mme O..., sont corroborés par l'avis de l'autorité environnementale du 22 juillet 2016, lequel n'est pas contredit sur ce point par l'avis du 6 septembre 2019 émis après modification du projet, et aucun élément de l'instruction ne permet de considérer que la réduction du projet de six à cinq éoliennes, le déplacement de l'éolienne E5 et les mesures d'évitement et de réduction prévues par la pétitionnaire dans son projet permettraient de réduire ce risque à un niveau tel qu'il apparaitrait comme non caractérisé. Les éléments de l'instruction ne permettent donc pas de considérer que l'autorisation pourrait être délivrée sans qu'ait été présentée une demande de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées et de leurs habitats, prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Par suite, il ne peut être fait droit aux conclusions de la société Parc éolien de la Boëme tendant à ce que la cour lui délivre l'autorisation sollicitée ou fasse injonction à l'administration de lui délivrer cette autorisation. Il y a lieu, en revanche, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la préfète de la Charente de procéder au réexamen de la demande de la société requérante et de prendre une nouvelle décision dans un délai qu'il y a lieu de fixer à six mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à la société Parc éolien de la Boëme au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Les interventions de l'association La demeure historique et de M. et Mme T... O... et celle de l'association Eole 16, de l'association Vent debout de la Boëme, de M. J... Q..., de M. Y... Z..., de M. R... N..., de M. H... F..., de M. G... A..., de M. L... I..., de M. V... U..., de M. E... P..., de Mme M... X..., de M. B... S..., de M. D... C... et de Mme W... K... sont admises.

Article 2 : L'arrêté du 3 novembre 2020 de la préfète de la Charente est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Charente de réexaminer la demande de la société Parc éolien de la Boëme et de prendre une nouvelle décision dans le délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la société Parc éolien de la Boëme la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien de la Boëme, à l'association La demeure historique, à M. et Mme T... O..., à l'association Eole 16, désignée en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la préfète de la Charente.

Délibéré après l'audience du 29 août 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Sébastien Ellie, premier conseiller,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023.

Le premier assesseur

Sébastien Ellie

La présidente-rapporteure

Elisabeth Jayat

La greffière,

Marion Azam-Marche

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX04171


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX04171
Date de la décision : 19/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Claire CHAUVET
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : CABINET LPA-CGR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-09-19;20bx04171 ?
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