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17/10/2023 | FRANCE | N°22BX03177

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 17 octobre 2023, 22BX03177


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 23 septembre 2022 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par une ordonnance n° 2201577 du 1er décembre 2022, la vice-présidente du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa d

emande comme irrecevable.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 23 septembre 2022 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par une ordonnance n° 2201577 du 1er décembre 2022, la vice-présidente du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande comme irrecevable.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 29 décembre 2022, M. A... B..., représenté par Me Duponteil, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance de la vice-présidente du tribunal administratif de Limoges du 1er décembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral en litige du 23 septembre 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de

1 200 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient, que :

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

- sa demande a été rejetée à tort comme irrecevable dès lors que la notification d'une obligation de quitter le territoire français par voie postale ne fait pas courir le délai de recours de 48 heures prévu par l'article R. 776-2 du code de justice administrative en cas de notification par voie administrative ;

En ce qui concerne le refus de titre de séjour, que :

- cette décision aurait dû être précédée de la consultation de la commission du titre de séjour prévue par l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il justifie d'une résidence habituelle en France depuis plus de dix ans ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu des liens privés et professionnels qu'il a noués en France depuis son arrivée dans ce pays en 2012 ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi, que :

- ces décisions sont illégales au regard des mêmes moyens que ceux soulevés contre le refus de titre de séjour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juin 2023, la préfète de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la demande de première instance est irrecevable pour tardiveté ;

- au fond, les moyens sont infondés.

M. B... n'a pas été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 9 février 2023.

Par une ordonnance du 14 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au

31 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant congolais né le 13 novembre 1976, est entré sur le territoire français en mars 2012 pour y déposer une demande d'asile, laquelle a été définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 19 décembre 2013. Il a cependant bénéficié d'un titre de séjour pour raisons de santé le 27 juin 2014, renouvelé à plusieurs reprises jusqu'au 21 septembre 2018, date à laquelle un refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français a été pris à son encontre. Le 14 juin 2022, M. B... a déposé en préfecture de la Haute-Vienne une demande d'admission exceptionnelle au séjour en se prévalant de sa présence habituelle sur le territoire français depuis plus de dix ans. Par un arrêté du 23 septembre 2022, la préfète de la Haute-Vienne a rejeté cette demande et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire à destination de son pays d'origine et d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Par une ordonnance du 1er décembre 2022, la vice-présidente du tribunal administratif de Limoges a rejeté comme tardive la demande d'annulation de l'arrêté du 23 septembre 2022 présentée par M. B..., qui relève appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure / (...) ". Aux termes du II de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " Conformément aux dispositions de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour (...) notifiées simultanément (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées que les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire peuvent faire l'objet d'un recours devant la juridiction administrative dans un délai de quarante-huit heures lorsqu'elles sont notifiées à l'étranger par voie administrative. Dès lors, la notification d'une telle obligation de quitter le territoire français par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, quand bien même elle comporte l'indication de ce délai de recours contentieux, n'est pas de nature à le faire courir.

4. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige du 23 septembre 2022 a été notifié à M. B... le 26 septembre 2022 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Par suite, une telle notification n'était pas de nature à faire courir le délai de recours contentieux d'une durée de 48 heures imparti par les dispositions citées au point 2 ci-dessus. Il s'ensuit que M. B... est fondé à soutenir qu'en rejetant pour tardiveté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en litige, la vice-présidente du tribunal administratif de Limoges a entaché son ordonnance d'irrégularité.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Limoges.

Sur la demande d'annulation de l'arrêté du 23 septembre 2022 :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

6. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger (...) qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article L. 435-1 du même code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention (...) " vie privée et familiale " (...). Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. (...) ".

7. La consultation obligatoire de la commission du titre de séjour, telle qu'elle est prévue par les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a pour objet d'éclairer l'autorité administrative sur la possibilité de régulariser la situation administrative d'un étranger et constitue pour ce dernier une garantie substantielle. Et le préfet est tenu de saisir cette commission si l'étranger sollicitant un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions justifie d'une présence habituelle de dix ans sur le territoire français.

8. Il ressort des motifs de l'arrêté en litige que la préfète de la Haute-Vienne a estimé que M. B... n'apportait pas de preuve probante de sa présence en France au cours des années 2019 et 2020, de sorte que la condition tenant à l'existence d'une résidence habituelle en France de plus de dix années, imposant de soumettre la demande de titre de séjour à l'avis de la commission prévue à l'article L. 432-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, n'était pas remplie.

9. Pour établir sa présence en France au cours de l'année 2019, M. B... produit une attestation de la caisse d'assurance maladie de la Haute-Vienne dont il ressort qu'il a déposé une demande d'aide médicale d'Etat le 1er juillet 2019, plusieurs courriers de convocation à des rendez-vous médicaux, une attestation d'affiliation à une mutuelle, un relevé de remboursement de soins médicaux, une attestation d'hébergement auprès d'un centre de réinsertion sociale, une attestation d'élection de domicile, un avis d'impôt sur les revenus de l'année 2019 ainsi qu'un relevé d'opérations bancaires. Ces pièces, qui mentionnent toutes que M. B... dispose d'une adresse à Limoges, sont suffisantes pour établir la présence de ce dernier sur le territoire français pendant l'année 2019.

10. Pour établir sa présence en France au cours de l'année 2020, M. B... produit un relevé bancaire, un avis d'impôt sur les revenus de l'année considérée, un certificat médical relatif à un bilan ORL, plusieurs convocations à des rendez-vous médicaux ainsi que des relevés d'analyses médicales. Ces pièces, qui mentionnent toutes que M. B... dispose d'une adresse à Limoges, sont également suffisantes pour établir la présence de ce dernier sur le territoire français pendant l'année 2020.

11. Par ailleurs, si la préfète de la Haute-Vienne allègue, devant la Cour, que

M. B... n'établit pas sa présence en France au cours de l'année 2012, il ressort des pièces du dossier que ce dernier a bénéficié le 2 avril 2012 d'un récépissé de demande de titre pour l'instruction de sa demande d'asile. Aucun élément du dossier d'appel comme de première instance ne permet d'estimer que M. B... aurait quitté le territoire français au cours de l'année 2012 alors que sa résidence habituelle en France à compter de l'année 2013 n'est pas contestée par la préfète.

12. Dans ces conditions, M. B... justifiait d'une résidence habituelle de plus de dix années sur le territoire français à la date de l'arrêté en litige. Il incombait en conséquence à la préfète de la Haute-Vienne de saisir la commission du titre de séjour pour avis sur la demande de titre de l'intéressé. En l'absence d'une telle saisine, qui constitue une garantie pour

M. B..., l'arrêté en litige a été pris au terme d'une procédure irrégulière. Il est, par suite, entaché d'illégalité, de même que, par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français sans délai, la décision fixant le pays de destination et la décision prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français.

13. Il résulte de ce qui précède que l'arrêté du 23 septembre 2022 en litige doit être annulé.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

14. Eu égard au motif d'annulation retenu, alors qu'aucun autre moyen opérant et fondé n'est susceptible d'être accueilli et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, le présent arrêt implique seulement que la préfète de la Haute-Vienne procède à un nouvel examen de la demande de M. B..., en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, après avoir recueilli l'avis de la commission du titre de séjour. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre à la préfète de la Haute-Vienne de procéder à ce réexamen dans le délai de trois mois suivant la date de notification du présent arrêt.

Sur les frais de l'instance :

15. Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2201577 du 1er décembre 2022 de la vice-présidente du tribunal administratif de Limoges et l'arrêté de la préfète de la Haute-Vienne du 23 septembre 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Haute-Vienne de réexaminer la demande de titre de séjour de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie pour information en sera délivrée à la préfète de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2023.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Ghislaine MarkarianLa greffière,

Stéphanie Larrue

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX03177 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03177
Date de la décision : 17/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : DUPONTEIL

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-10-17;22bx03177 ?
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