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16/01/2024 | FRANCE | N°23BX02244

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 16 janvier 2024, 23BX02244


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2300243 du 6 avril 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :
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Par une requête, enregistrée le 11 août 2023, M. B... A..., représenté par Me Hugon, demande à la Cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2300243 du 6 avril 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 11 août 2023, M. B... A..., représenté par Me Hugon, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2300243 du 6 avril 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral en litige ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à défaut, de prendre une nouvelle décision dans le même délai et sous la même astreinte, en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

- les actes d'état civil produits sont authentiques et justifient de son état civil et notamment de sa minorité lors de son arrivée en France ; il s'agit d'un jugement supplétif d'acte de naissance, du volet n° 3 de son acte de naissance, de sa carte d'identité consulaire ; il produit également au dossier sa carte d'identité malienne ; par ailleurs, il a suivi avec assiduité et sérieux une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, quand bien même il n'a pas validé son certificat d'aptitude professionnelle ; sa structure d'accueil a émis un avis reconnaissant ses efforts d'insertion dans la société française ;

- l'arrêté en litige a porté une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu de ses efforts d'insertion dans la société française et des liens privés qu'il y a noués.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- cette décision doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 octobre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 juin 2023.

Par une ordonnance du 29 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 novembre 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- et les observations de Me Hugon pour M. A..., présent.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant malien, se disant né le 18 mars 2003, a déclaré être entré sur le territoire français en février 2019 à l'âge de quinze ans et a été confié par le juge des enfants près le tribunal judiciaire de Bordeaux, par un jugement du 28 mai 2020, au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Gironde. A compter du 18 mars 2022, M. A... a bénéficié d'une prise en charge par le département de la Gironde dans le cadre d'un contrat d'accompagnement en tant que jeune majeur. Entre temps, le 16 septembre 2021, il a déposé en préfecture de Gironde une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 22 juillet 2022, la préfète de la Gironde a rejeté cette demande, a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destination. M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2022. Il relève appel du jugement rendu le 6 avril 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la légalité du refus de titre de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. (...). ". Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

3. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour produit à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil (...) l'intervention de la décision relative au séjour sollicité sont subordonnés à la production de ces documents (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". L'article 47 du code civil dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

4. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que, pour rejeter la demande de titre de séjour sollicitée par M. A... sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète de la Gironde s'est fondée d'une part, sur le caractère frauduleux des documents d'état civil présentés à l'appui de sa demande et d'autre part, sur la circonstance que la demande ne répond pas à des critères d'admission exceptionnelle au séjour.

5. A l'appui de sa demande de titre de séjour, M. A... a présenté un acte de naissance, un extrait de jugement supplétif d'acte de naissance ainsi qu'une carte d'identité consulaire. Les rapports établis par la cellule de fraude documentaire et à l'identité de Bordeaux de la direction zonale Sud-Ouest de la police aux frontières, reconnaissent que le jugement supplétif produit, qui est un extrait des minutes du tribunal civil de Diéma signé par l'officier d'état civil de la commune, présente un caractère conforme. De plus, M. A... produit au dossier sa carte d'identité malienne, comprenant des mentions concordant avec celles portées sur l'extrait du jugement supplétif en ce qui concerne son âge, et dont l'authenticité n'est pas contestée par le préfet. Si l'acte de naissance a été regardé par la cellule documentaire comme provenant d'une contrefaçon au motif qu'il a été imprimé sans prédécoupe en laser toner et non en offset, M. A... produit une attestation du consul du Mali à Lyon, datée du 27 mai 2019, indiquant qu'aucun support ou mode d'impression avec une imprimante particulière n'est exigé sur le territoire malien où l'informatisation, pour l'établissement des actes d'état civil, n'est effective ni dans la capitale du pays ni a fortiori dans les régions et communes rurales. Par ailleurs, la seule circonstance que M. A... ait déclaré aux autorités espagnoles, durant un séjour en Espagne, être né en 1996 ne suffit pas pour estimer qu'il était en réalité majeur lors de son arrivée en France alors que le juge des enfants a indiqué que les informations transmises par le Département confirment le caractère très probable de la minorité de M. A.... Dans ces conditions, l'administration ne peut être regardée comme établissant que la demande de titre de séjour de M. A... serait entachée de fraude à l'identité. Dès lors, la préfète de la Gironde ne pouvait légalement rejeter la demande dont elle était saisie au motif que M. A... ne justifiait pas de son état civil.

6. Par ailleurs, il résulte également des dispositions précitées de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le titre de séjour est délivré sous réserve du caractère réel et sérieux de la formation suivie par l'étranger, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française.

7. Dans son rapport du 23 août 2021 adressé à la préfète de la Gironde, la structure d'accueil de M. A... a décrit ce dernier comme une personne assidue, impliquée et motivée. A la suite d'un stage dans un restaurant d'un EHPAD, il a entamé des démarches pour effectuer un apprentissage dans le domaine de la restauration et obtenu un contrat d'apprentissage. Les retours à son sujet ont été très positifs, son employeur le décrivant comme une personne respectueuse, assidue et intégrée à son équipe professionnelle, suscitant la confiance des adultes qui l'entourent. M. A... a ainsi obtenu du ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, le 8 juin 2022, le titre professionnel d'agent de restauration, inscrit au répertoire national des certifications professionnelles. Ainsi, alors même que M. A... n'a pas obtenu son certificat d'aptitude professionnelle, il doit néanmoins être regardé comme justifiant du caractère réel et sérieux de la formation qu'il suit en France et bénéficie d'un avis très favorable de la structure d'accueil quant à son insertion dans la société française, dont les membres sont venus très nombreux l'assister à l'audience. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... continuerait d'entretenir des liens avec sa famille restée au Mali. Dans les circonstances propres au cas d'espèce, la préfète de la Gironde a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en rejetant la demande de titre de séjour présentée par le requérant.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation. Dès lors, ce jugement doit être annulé ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté en litige du 22 juillet 2022, portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".

10. Le motif d'annulation de l'arrêté en litige, retenu au présent arrêt, implique nécessairement qu'il soit prescrit au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... le titre de séjour sollicité sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais d'instance :

11. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761- du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Hugon, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Hugon d'une somme de 1 000 euros.

DECIDE

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2300243 du 6 avril 2023 et l'arrêté de la préfète de la Gironde du 22 juillet 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Hugon une somme de 1 000 euros, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Hugon renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 11 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Julien Dufour, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2024.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Ghislaine MarkarianLa greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX02244 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02244
Date de la décision : 16/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : HUGON

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-16;23bx02244 ?
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