La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/02/2024 | FRANCE | N°21BX04739

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 15 février 2024, 21BX04739


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner solidairement le centre hospitalier d'Angoulême et son assureur, la société AM

Trust International Underwriters DAC, à lui verser une indemnité d'un montant total

de 1 379 574,32 euros en réparation des complications de la radiothérapie qu'il a subie

du 8 septembre au 30 octobre 2015 pour le traitement d'un mélanome.



Par un jugement n° 2002556 du 10 décembr

e 2021, le tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner solidairement le centre hospitalier d'Angoulême et son assureur, la société AM

Trust International Underwriters DAC, à lui verser une indemnité d'un montant total

de 1 379 574,32 euros en réparation des complications de la radiothérapie qu'il a subie

du 8 septembre au 30 octobre 2015 pour le traitement d'un mélanome.

Par un jugement n° 2002556 du 10 décembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 décembre 2021 et un mémoire enregistré le 20 septembre 2022, M. D..., représenté par la SELARL Chambaud, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner à titre principal solidairement le centre hospitalier d'Angoulême et son assureur, ou à titre subsidiaire l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à lui verser une indemnité d'un montant total de 1 423 649,12 euros ;

3°) de mettre à la charge des défendeurs une somme de 10 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- si les experts missionnés par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) ont validé l'indication de radiothérapie, ils ont estimé que la dose totale délivrée, de l'ordre de 90 gray (Gy), avait nettement majoré le risque de radiolésions tardives et diminué les possibilités de restauration tissulaire, de sorte qu'elles n'avaient pas été conformes aux règles de bonne pratique ; l'avis du docteur B..., médecin conseil du centre hospitalier, n'a pas été soumis au contradictoire lors de l'expertise ; c'est ainsi à tort que le tribunal s'est fondé sur cet avis pour refuser de retenir la responsabilité pour faute médicale du centre hospitalier d'Angoulême ;

- il a conservé à sa charge des dépenses de santé avant consolidation de 2 345,74 euros, dont 467,64 euros de frais de pharmacie, 79 euros de cannes anglaises, 1 707,88 euros de chaussures orthopédiques et 91,22 euros de bas de contention ;

- au titre des frais divers, il sollicite les sommes de 5 000 euros pour les déplacements au cabinet de son médecin conseil, aux réunions d'expertises et auprès de spécialistes, de 4 699 euros de frais d'assistance par son médecin conseil et de 242,84 euros pour les copies de son dossier médical ;

- selon les experts, les lésions nécrotiques expansives constituent une complication gravissime du protocole de radiothérapie à compter du 18 novembre 2015 ; son arrêt de travail est ainsi imputable à la faute du centre hospitalier à compter de cette date ; ses pertes de revenus durant 41 mois jusqu'à la consolidation de son état de santé fixée au 2 mai 2019 s'élèvent à 2 503,40 euros après déduction des indemnités journalières puis de la pension d'invalidité qu'il a perçues ;

- les experts ont retenu un besoin d'assistance par une tierce personne avant consolidation de 14 heures par semaine durant 33 semaines, puis de 9 heures par semaine durant 266 jours correspondant à 37,89 semaines ; ce préjudice doit être évalué à 12 045 euros sur la base de 15 euros par heure ;

- les dépenses de santé après consolidation restant à sa charge peuvent être évaluées à un capital de 359 791 euros, incluant un traitement d'un coût annuel de 12 369,24 euros susceptible d'améliorer la fonction sexuelle ;

- au titre des frais liés au handicap, il sollicite un capital de 8 852,06 euros pour l'acquisition d'un tapis de marche et d'un scooter électrique à trois roues, le tout à remplacer tous les 5 ans ;

- compte tenu d'un renouvellement tous les 5 ans, le surcoût d'un véhicule avec boîte automatique s'élève à un montant capitalisé de 8 725,50 euros ;

- il justifie d'un coût d'aménagement de son domicile de 15 974,60 euros pour l'aménagement d'une salle de bains, le rehaussement du sol de la cuisine et l'installation d'un monte-escalier ;

- ses pertes de gains professionnels après consolidation peuvent être évaluées à 237 539,84 euros, et il sollicite une somme de 100 000 euros au titre de l'incidence professionnelle caractérisée par l'interruption définitive de l'activité professionnelle ;

- le besoin d'assistance par une tierce personne après consolidation a été évalué à 6 heures par semaine ; il sollicite à ce titre un capital de 214 142,64 euros, sur la base d'un coût horaire de 18 euros ;

- il sollicite les sommes de 19 275 euros au titre de 771 jours de déficit fonctionnel correspondant aux périodes d'hospitalisation entre le 18 novembre 2015 et le 10 août 2018, sur la base de 25 euros par jour de déficit total, et de 9 337,50 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel retenues par les experts ;

- il sollicite les sommes de 35 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire de 6 sur 7, de 50 000 euros au titre des souffrances endurées de 6 sur 7, de 208 175 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 55 %, de 35 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent de 5 sur 7, de 50 000 euros au titre du préjudice d'agrément, de 35 000 euros au titre du préjudice sexuel et de 10 000 euros au titre du préjudice moral d'impréparation.

Par des mémoires en défense enregistrés le 11 février 2022 et le 21 mars 2023, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut à sa mise hors de cause.

Il fait valoir que :

- les demandes de M. D... à son encontre, présentées pour la première fois en appel après l'expiration du délai de recours, sont tardives et par suite irrecevables ;

- il s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne le caractère fautif du dosage de la radiothérapie ;

- si la cour retenait la responsabilité pour faute du centre hospitalier d'Angoulême, celle-ci serait exclusive d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ;

- si la cour retenait la survenue d'un accident médical non fautif, M. D... aurait été exposé à un risque de décès à court terme en l'absence de traitement par radiothérapie, et les complications ne présentaient pas une probabilité faible, dès lors que l'importance des doses et la surface de la zone irradiée exposaient le patient à un risque aggravé, de sorte que la condition d'anormalité du dommage permettant une indemnisation au titre de la solidarité nationale n'est pas remplie.

Par des mémoires en défense enregistrés les 7 mars et 15 juillet 2022, le centre hospitalier d'Angoulême et la société AM Trust International Underwriters DAC, représentée en France par le Bureau européen et assurances hospitalières (BEAH), ayant pour avocat la SELARL Fabre et Associés, concluent à titre principal au rejet de la requête et de la demande de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Charente-Maritime à l'exception de l'allocation à M. D... d'une somme de 5 000 euros au titre de son préjudice d'impréparation, et à titre subsidiaire à la mise hors de cause du BEAH et à l'allocation des sommes de 172 392,76 euros à M. D... et de 212 891,41 euros à la caisse après application d'un taux de perte de chance de 50 %, ainsi que d'une rente trimestrielle de 507 euros à M. D... au titre des frais futurs de tierce personne, et du remboursement annuel des débours futurs de la caisse sur présentation de justificatifs.

Il fait valoir que :

- la procédure a été communiquée au BEAH, lequel n'est pas son assureur mais son courtier, et doit être mis hors de cause ;

- alors qu'il n'existe pas de référentiel concernant l'irradiation de mélanomes de grande taille, compte tenu de la rareté de cette prise en charge, le protocole de 54 Gy en 9 séances a été décidé par une radiothérapeute expérimentée, afin d'optimiser les chances de guérison du patient ; l'irradiation hypo-fractionnée d'une dose supérieure aux 2 Gy classiques sur une courte période s'est largement développée, et les doses utilisées dans ce contexte de mélanome en progression tumorale vont de 6 Gy à plus de 12 Gy par séance, avec une dose totale délivrée d'au moins 50 Gy ; contrairement à ce qu'ont retenu les experts qui ne justifient pas leur calcul, M. D... n'a pas reçu 90 Gy, mais 54 Gy en 9 séances de 6 Gy, et ce dosage important, qui n'est pas un surdosage, a été validé en réunion de concertation pluridisciplinaire ; selon le docteur B..., l'espérance de survie du patient était inférieure à 6 mois en l'absence de ce traitement de la dernière chance ; c'est ainsi à bon droit que le tribunal n'a pas retenu de faute médicale ; une étude coréenne récente confirme la pratique du traitement d'un mélanome métastatique par une radiothérapie à haute dose ;

- il n'est pas contesté que M. D... aurait dû être informé des risques trophiques majorés du fait du dosage important de la radiothérapie, mais il n'aurait pas renoncé à cette option thérapeutique qui était la dernière possibilité pour tenter d'enrayer un cancer évolutif dont l'issue aurait été fatale ; il est proposé de lui allouer une somme de 5 000 euros au titre de son préjudice d'impréparation ;

A titre subsidiaire :

- si la cour retenait des manquements du centre hospitalier en lien avec les séquelles, il n'est pas certain, au regard de l'ampleur de la zone irradiée, que des doses plus faibles auraient permis d'éviter la toxicité cutanée, de sorte qu'une perte de chance de 50 % devrait être retenue ;

- après exclusion des soins antérieurs à la complication radique et application d'un taux de perte de chance de 50 %, une somme de 294,22 euros peut être allouée à M. D... au titre des dépenses de santé restées à sa charge, et une somme de 183 261,71 euros à la caisse au titre des frais médicaux ;

- la facture du médecin conseil du 20 décembre 2018 doit être écartée car elle ne correspond à aucune prestation, celle du 14 février 2019 n'est pas contestée, et celle du 29 janvier 2020 mentionne 14 heures de prestation, ce qui est excessif ; après application du taux de perte de chance, les sommes de 1 173 euros au titre des honoraires du médecin conseil et de 242,84 euros au titre des frais de photocopie peuvent être admises ;

- la demande de M. D... relative aux frais de déplacement doit être rejetée en l'absence de justificatif, et celle de la caisse peut être admise à hauteur de 50 %, soit 7 269,40 euros ;

- l'arrêt de travail n'est en lien avec les complications radiques qu'à compter du 10 mai 2016, date de l'hospitalisation pour une dermophytodermite infectieuse ; la créance de la caisse peut être admise à hauteur de 50 %, soit 18 972,88 euros, et il ne reste aucun reliquat pour M. D..., dont les pertes de revenus ont été intégralement prises en charge par la caisse ;

- après application du taux de perte de chance, les frais d'assistance par une tierce personne avant consolidation retenus par les experts peuvent donner lieu à l'allocation de 2 046,06 euros ;

- un capital de 1 845,69 euros peut être alloué à M. D... au titre des dépenses de santé futures, en excluant les traitements aidant la fonction sexuelle, que les experts ont qualifiés de peu efficaces ; une somme de 3 387,42 euros est admise au titre des dépenses de santé après consolidation échues de la caisse, dont les dépenses à échoir seront remboursées à mesure de leur engagement, sur présentation de justificatifs ;

- après application du taux de 50 %, une somme de 2 134,32 euros est admise au titre de l'achat et du renouvellement d'un tapis de marche et d'un scooter électrique ;

- après application du taux de 50 %, les pertes de gains professionnels après consolidation pourront donner lieu à l'allocation des sommes de 50 558,75 euros à M. D... et de 52 424,97 euros à la caisse ; en l'absence de toute possibilité de reprendre un emploi, M. D... n'est pas fondé à demander l'indemnisation d'un préjudice d'incidence professionnelle ;

- le surcoût d'aménagement du véhicule n'est pas justifié ;

- les frais d'aménagement du domicile sont admis à hauteur de 7 987,30 euros après application du taux de 50 % ;

- sur la base d'un coût horaire de 13 euros et après application du taux de perte de chance, l'assistance par une tierce personne après consolidation peut être indemnisée à hauteur de 6 084 euros pour les frais échus au 2 mai 2022, et pour les frais futurs par une rente trimestrielle de 507 euros, revalorisée conformément aux dispositions de l'article L. 434-7 du code de la sécurité sociale et suspendue en cas d'hospitalisation supérieure à 30 jours ;

- après application du taux de perte de chance, il pourra être alloué à M. D... 11 410,87 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire imputables aux complications radiques après le 10 mai 2016, 10 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 7 500 euros au titre des souffrances endurées, 60 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 5 750 euros au titre du préjudice esthétique permanent et 7 500 euros au titre du préjudice sexuel ; la pratique d'activités sportives antérieurement au dommage n'étant pas justifiée, la demande relative au préjudice d'agrément doit être rejetée.

Par un mémoire enregistré le 17 juin 2022, la CPAM de la Charente-Maritime agissant pour le compte de la CPAM de la Charente, représentée par la SCP b2f Avocats, demande à la cour d'annuler le jugement, de condamner solidairement le centre hospitalier d'Angoulême et son assureur à lui rembourser la somme de 837 094,24 euros avec intérêts à compter du 3 décembre 2020, et de mettre à leur charge les sommes de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 1 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- selon les experts, la dose par fraction et la dose totale de radiothérapie délivrées n'ont pas été conformes aux règles de l'art, et le jugement qui s'est fondé sur l'avis non contradictoire du médecin conseil du centre hospitalier d'Angoulême doit être annulé ;

- sa créance définitive, dont l'imputabilité est justifiée par l'attestation de son médecin conseil, s'élève à 837 094,24 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Dauche, représentant M. D..., celles de Me Romatif, représentant le centre hospitalier d'Angoulême et la société AM Trust International Underwriters DAC représentée en France par le Bureau européen et assurances hospitalières (BEAH), et de Me Vitek, représentant l'ONIAM.

Une note en délibéré présentée pour l'ONIAM a été enregistrée le 30 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., alors âgé de 44 ans, a été pris en charge au centre hospitalier d'Angoulême pour un mélanome lombaire gauche métastasé au niveau ganglionnaire iliaque gauche, diagnostiqué en décembre 2013. Après une première exérèse chirurgicale et un curage ganglionnaire en février 2014, suivie d'une chimiothérapie, la récidive du mélanome a nécessité une seconde exérèse en juin 2014, suivie d'une immunothérapie en août 2014. En raison de la progression des métastases sous-cutanées, une radiothérapie associée à une immunothérapie a été réalisée entre le 8 septembre et le 30 octobre 2015, ce qui a permis une rémission complète du mélanome, constatée à partir du 24 février 2016. Toutefois, la radiothérapie a été à l'origine d'une dermo-hypodermite grave, d'abord infectieuse puis nécrosante avec perte de substance de la fesse et de la cuisse gauches, nécessitant de nombreuses greffes et de multiples hospitalisations à partir du 18 novembre 2015, notamment dans le service des grands brûlés du CHU de Bordeaux du 8 décembre 2016 au 20 juin 2017, ainsi qu'un lourd traitement antalgique à base de morphine, administré par une pompe intrathécale à partir du 1er mars 2017. Des épisodes de leuco-encéphalopathie postérieure réversible, dite " posterior reversible encephalopathy " (PRES) syndrome, sont survenus en avril et mai 2018 à la suite du changement de cette pompe. Ce syndrome, qui a causé à deux reprises une cécité corticale temporaire, a laissé comme séquelles définitives une paralysie des releveurs du pied gauche et des extenseurs des orteils, ainsi que des troubles de la mémoire et de la concentration.

2. Le 5 juin 2019, M. D... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), laquelle a ordonné une expertise confiée à un collège constitué par un oncologue médical, une dermatologue, un oncologue radiothérapeute et un neurologue. Dans leur rapport remis le 13 mai 2020, les experts ont estimé que la radiothérapie était indiquée, mais que les doses délivrées, excessives comparativement à un traitement classique, avaient majoré le risque de radiolésions tardives et diminué les possibilités de restauration tissulaire. Ils ont conclu que ces doses n'avaient pas été conformes aux règles de bonne pratique, et devaient être considérées comme fautives. Toutefois, dans son avis du 3 septembre 2020, la CCI a estimé que compte tenu de l'échec des deux premières lignes de traitement et de la gravité de la maladie, les praticiens avaient pu légitimement fixer le dosage de la radiothérapie en considération du risque d'échec du traitement, et que le choix thérapeutique, qui avait permis au patient de bénéficier d'une rémission, ne pouvait être considéré comme fautif. La CCI a en outre exclu la possibilité d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale en relevant que l'état de santé de M. D..., qui justifiait le traitement en cause, l'exposait particulièrement au risque qui s'est réalisé. En conséquence, elle a seulement retenu un défaut d'information sur ce risque, générant un préjudice d'impréparation devant être réparé par l'assureur du centre hospitalier d'Angoulême.

3. M. D..., qui n'a pas accepté la proposition d'indemnisation présentée par le centre hospitalier d'Angoulême pour le seul préjudice d'impréparation, a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande de condamnation solidaire de l'hôpital et de son assureur à lui verser une indemnité d'un montant total de 1 379 574,32 euros, et la CPAM de la Charente-Maritime, agissant pour le compte de la CPAM de la Charente, a demandé le remboursement de ses débours à hauteur de 837 094,24 euros. Par un jugement du 10 décembre 2021 dont M. D... relève appel, le tribunal a rejeté ces demandes au motif que le centre hospitalier n'avait pas commis de faute.

Sur la responsabilité pour faute :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...). "

5. Il ressort de la classification de la tumeur (T4bN3bM1a) qu'elle envahissait les structures adjacentes, avec au moins 16 ganglions lymphatiques régionaux et la présence de métastases à distance, ce qui était de mauvais pronostic. Il est constant qu'il n'existait pas de référentiel concernant l'irradiation de mélanomes de grande taille, cette prise en charge étant extrêmement rare, et qu'il était admis que l'efficacité d'un tel traitement imposait des doses par fraction nettement supérieures à celles utilisées pour traiter d'autres cancers. Si les experts ont admis que la dose importante de radiations avait permis de contrôler la tumeur, ils ont estimé, par une comparaison avec les doses habituelles de radiothérapie reposant sur un modèle mathématique qu'ils reconnaissent difficile à manier et en se reposant sans autre précision sur " l'expérience clinique ", que les doses administrées de 54 grays (Gy), équivalant à 90 Gy dans une radiothérapie conventionnelle, s'écartaient des bonnes pratiques et devaient de ce fait être regardées comme fautives. Toutefois, il appartient aux médecins d'apprécier l'utilité de s'écarter des bonnes pratiques pour donner au patient les meilleures chances de survie, et les experts n'ont pas suggéré que la rémission aurait pu être obtenue avec des doses moindres. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que le tribunal a jugé qu'aucune faute ne pouvait être reprochée au centre hospitalier d'Angoulême dans le choix du traitement.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...). " Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

7. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

8. Il est constant que M. D... n'a pas été informé des risques d'atteinte cutanée grave et de PRES syndrome aux conséquences potentiellement graves. Toutefois, eu égard à l'évolution du cancer métastasé qui avait résisté aux autres traitements et aurait entraîné son décès dans un délai de trois à six mois, il résulte de l'instruction qu'il aurait accepté cette dernière tentative thérapeutique s'il avait été informé de ces risques. Le défaut d'information ne l'a donc privé d'aucune chance d'échapper à leur réalisation.

9. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques encourus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

10. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral d'impréparation subi par M. D... du fait du défaut d'information mentionné au point 8 en condamnant le centre hospitalier d'Angoulême à lui verser une somme de 5 000 euros.

Sur l'engagement de la solidarité nationale :

11. Aux termes de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique : " I. - Lorsque la juridiction compétente, saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du II de l'article L. 1142-1 ou au titre de l'article L. 1142-1-1, l'office est appelé en la cause s'il ne l'avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure. / (...). " Dès lors que la juridiction est tenue de l'appeler en cause si les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale sont réunies, l'ONIAM n'est pas fondé à opposer une tardiveté aux conclusions présentées à son encontre par M. D... après l'expiration du délai d'appel.

12. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " L'article D. 1142-1 du même code fixe à 24 % le seuil de gravité prévu par ces dispositions.

13. Au sens des dispositions citées au point précédent, la condition d'anormalité du dommage doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage. Une probabilité de survenance du dommage inférieure ou égale à 5 % présente le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale. Il incombe au juge administratif, dans le cas où il est demandé à l' ONIAM de réparer au titre de la solidarité nationale plusieurs dommages résultant d'un même accident médical, d'une même affection iatrogène ou d'une même infection nosocomiale, de procéder à une appréciation globale des conditions, d'une part, d'anormalité et, d'autre part, de gravité de l'ensemble de ces dommages.

14. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que la dermo-hypodermite nécrosante est une complication du traitement du mélanome par radiothérapie, et que le premier épisode de PRES syndrome est survenu le 29 avril 2018, dans un contexte de rebond hyperalgique majeur au cours du changement de la pompe intrathécale destinée à calmer les douleurs causées par la complication cutanée gravissime. Si les experts précisent que ce syndrome rare, dû en général à une élévation brutale de la tension artérielle chez un patient hypertendu, peut aussi s'observer dans d'autres contextes, notamment lors de l'utilisation de traitements cytotoxiques, il ne peut, dans ces circonstances, présenter un lien avec ni avec les traitements par chimiothérapie administrés en dernier lieu en février 2015, ni avec le mélanome dont la rémission complète avait été constatée en février 2016, mais ne peut être qu'une conséquence du stress provoqué par le rebond hyperalgique en lien avec le changement de la pompe intrathécale. La dermo-hypodermite nécrosante et le PRES syndrome, lequel a laissé comme séquelles définitives, ainsi qu'il a été dit au point 1, une paralysie des releveurs du pied gauche et des extenseurs des orteils, ainsi que des troubles de la mémoire et de la concentration, résultent ainsi du même accident médical causé par la radiothérapie. Leurs conséquences ne sont pas notablement plus graves que le décès dans un délai de trois à six mois auquel M. D... était exposé en l'absence de ce traitement. Les experts ont qualifié le risque de survenue de la dermo-hypodermite nécrosante gravissime d'" exceptionnel et non chiffrable " en tenant compte de l'état de santé spécifique du patient, et le PRES syndrome de " rare ". La probabilité d'une survenue conjointe de ces deux complications ne peut donc qu'être inférieure à 5 %. Dès lors que les séquelles des irradiations ont conduit à un taux de déficit fonctionnel permanent de 55 %, les conditions d'engagement de la solidarité nationale appréciées globalement sont réunies.

Sur les préjudices indemnisables au titre de la solidarité nationale :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des frais divers :

15. M. D... justifie avoir exposé 4 968 euros de frais d'assistance par un médecin conseil, ainsi que 242,84 euros de frais de copie de son dossier médical. En revanche, sa demande d'une somme globale de 5 000 euros au titre des frais de déplacements exposés pour se rendre auprès de son médecin conseil, à la réunion d'expertise et auprès de divers médecins n'est assortie d'aucune précision ni d'aucune preuve. Par suite, il est seulement fondé à demander une somme de 5 210,84 euros au titre des frais divers.

S'agissant des dépenses de santé restées à charge :

Quant à la période antérieure à la consolidation :

16. Par les factures produites, M. D... justifie avoir conservé à sa charge, entre l'apparition de la dermo-hypodermite infectieuse sur radio-épithélite diagnostiquée le 18 novembre 2015 et la consolidation de son état de santé fixée au 2 mai 2019, les sommes de 467,08 euros au titre des frais pharmaceutiques incluant des collants de contention, de 279 euros pour une orthèse élastique de contention sur mesure facturée le 1er avril 2016, et de 15,10 euros pour des cannes anglaises facturées le 29 novembre 2017. En revanche, il résulte de la facture du 30 octobre 2018 que les chaussures orthopédiques ont été prises en charge à 100 % par la sécurité sociale, à l'exception de 45 euros de " supplément exigence particulière " dont la nécessité n'est pas démontrée. Il y a donc lieu de retenir une somme de 761,18 euros.

Quant à la période postérieure à la consolidation :

17. Il résulte de l'instruction que M. D..., âgé de 50 ans à la date de consolidation de son état de santé, a besoin d'un collant de contention par an avec une somme restant à sa charge pouvant être évaluée à 13 euros, soit un capital de 405,74 euros après application du coefficient de 31,211 issu du barème de la Gazette du Palais. Les cannes anglaises pour lesquelles il supporte un coût de 15,10 euros étant à renouveler tous les cinq ans, il y a lieu de retenir un montant capitalisé de 94,26 euros. Si les experts ont retenu la nécessité d'un suivi médical, de traitements antalgiques, de drainages lymphatiques et d'une pommade cutanée, M. D... ne démontre pas qu'il devrait supporter des frais non pris en charge par la sécurité sociale et sa mutuelle, dès lors que la somme annuelle de 116,91 euros qu'il invoque correspond à la moyenne des frais restés à sa charge entre 2015 et 2018, antérieurement à la consolidation de son état de santé. Alors que les experts ont relevé que les injections tentées durant six mois à compter du 26 septembre 2018 pour améliorer la fonction sexuelle " n'ont pas été concluantes ", la demande de 12 369,24 euros par an pour la poursuite de ce traitement ne peut être accueillie. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, les frais de chaussures orthopédiques restant à la charge de M. D... ne peuvent être admis. Le préjudice relatif aux dépenses de santé après consolidation s'élève ainsi à 500 euros.

S'agissant des frais liés au handicap

Quant à l'aménagement du logement :

18. Les experts ont retenu la nécessité de supprimer la différence de niveau entre la cuisine et le séjour par le rehaussement du sol de la cuisine, ainsi que d'installer soit la chambre et une salle de bains au rez-de-chaussée, soit un monte-personne. Ces derniers aménagements étant exclusifs l'un de l'autre, M. D... n'est pas fondé à en demander la prise en compte concomitante, et il ne ressort pas du devis de 6 159,66 euros relatif à la réalisation d'une salle de bains que la chape de mortier de ciment qu'il inclut se rapporterait au sol de la cuisine. Dans ces circonstances, il y a seulement lieu d'admettre la somme de 9 454,94 euros correspondant à l'installation d'un monte-escaliers.

Quant à l'adaptation du véhicule :

19. Si M. D... a besoin d'un véhicule avec boîte automatique lui permettant d'éviter l'usage du membre inférieur gauche pour la conduite, il n'apporte aucun élément tendant à démontrer qu'il en résulterait un surcoût de 1 500 euros. Sa demande présentée à ce titre ne peut donc être accueillie.

Quant aux matériels divers :

20. Il résulte de l'instruction que l'utilisation d'un tapis de marche est nécessaire à l'exercice quotidien permettant le maintien de la fonctionnalité du membre inférieur gauche. Il y a lieu d'admettre le coût d'acquisition de 200 euros justifié par M. D... et de prévoir un renouvellement tous les cinq ans, soit un capital de 1 248,44 euros.

21. Le rapport d'expertise indique qu'il conviendrait également de prendre en compte l'acquisition d'un scooter électrique à trois roues afin de permettre à M. D... un plus grand périmètre de déplacement dans les endroits où les véhicules motorisés ne sont pas autorisés. La nécessité de cet équipement n'est cependant pas établie, de sorte que cette demande ne peut être accueillie.

S'agissant de l'assistance par une tierce personne :

22. Les experts ont retenu un besoin d'assistance par une tierce personne de 14 heures par semaine entre les deux longues périodes d'hospitalisation du 8 décembre 2016 au 26 juin 2017 et du 30 janvier au 10 août 2018, de 9 heures par semaine du retour au domicile le 11 août 2018 à la veille de la consolidation, et de 6 heures par semaine après consolidation.

23. Il résulte de l'instruction que la première période de retour au domicile avant consolidation, du 27 juin 2017 au 29 janvier 2018 (217 jours), a été interrompue par une hospitalisation du 15 au 21 décembre 2017 (7 jours). La durée à prendre en compte est ainsi de 210 jours correspondant à 30 semaines. L'assistance ne présentant pas un caractère spécialisé, il y a lieu de l'évaluer au coût horaire moyen du salaire minimum au cours de la période en cause, majoré afin de tenir compte des charges sociales, des majorations de rémunération dues les dimanches et jours fériés et des congés payés, soit 15,40 euros. Le coût de 420 heures d'aide humaine (30 semaines à 14 heures) s'élève ainsi à 6 468 euros.

24. La seconde période passée au domicile du 11 août 2018 au 1er mai 2019, veille de la consolidation de l'état de santé de M. D..., d'une durée de 264 jours, correspond à 37,7 semaines. Il y a lieu de retenir, selon les modalités indiquées au point précédent, un coût horaire de 15,60 euros. Le coût de 339 heures (37,7 semaines à 9 heures) est de 5 288,40 euros.

25. A compter du 2 mai 2019, il y a lieu de retenir, selon les mêmes modalités, un coût horaire de 15,80 euros. Le coût annuel s'élève à 4 929,60 euros (52 semaines x 6 heures x 15,80), et le préjudice peut être fixé à 153 858 euros par application du coefficient de 31,211 mentionné au point 17.

S'agissant des pertes de gains professionnels :

26. Il résulte de l'instruction que M. D..., qui était ouvrier dans une entreprise de négoce en spiritueux, a été déclaré inapte à tout reclassement par un avis du médecin du service de santé au travail du 25 mars 2019 et licencié à compter du 2 mai 2019. Il demande l'indemnisation de ses pertes de revenus professionnels entre le 18 novembre 2015, date de sa première hospitalisation pour les complications de la radiothérapie, et son admission à la retraite.

Quant à la période antérieure au licenciement :

27. Dès lors que l'aspect de rémission complète du mélanome a été constaté pour la première fois le 24 février 2016, il y a lieu d'admettre qu'en l'absence des complications de la radiothérapie, M. D... aurait pu reprendre le travail à compter du 1er mars 2016. Il résulte de l'instruction qu'il a perçu des indemnités journalières d'un montant unitaire de 33,55 euros jusqu'au 25 février 2017, puis une pension d'invalidité d'un montant annuel de 12 798 euros à compter du 1er mars 2017. Ses revenus se sont ainsi élevés à 39 911 euros du 1er mars 2016 au 1er mai 2019, alors qu'il aurait dû percevoir 41 960 euros au cours de la même période sur la base du salaire annuel de 19 366 euros déclaré en 2013. La perte de revenus antérieure au licenciement doit ainsi être fixée à 2 049 euros.

28. Il résulte de l'instruction qu'à la date de consolidation de son état de santé, M. D..., âgé de 50 ans, conserve comme séquelles d'importantes difficultés à la marche et des phénomènes douloureux majeurs, ce qui lui impose des séjours hospitaliers réguliers pour entretenir la fonctionnalité du membre inférieur gauche et pour recharger la pompe à morphine tous les quinze jours. Dans ces circonstances, il se trouve dans l'impossibilité de reprendre une activité comparable à celle qu'il exerçait avant son licenciement, de sorte qu'il a droit, comme il le demande, à l'indemnisation de ses pertes de revenus entre le 2 mai 2019 et l'âge de 65 ans auquel il indique qu'il aurait pris sa retraite. Sur la base d'une perte de revenus annuelle de 6 568 euros (19 366 - 12 798), le préjudice doit être fixé à 93 916 euros par application du coefficient de 14,299 issu du barème de la Gazette du Palais, sous déduction des indemnités de licenciement et de chômage éventuellement perçues, dont il appartiendra à M. D... de justifier le montant devant l'ONIAM.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

29. Alors que l'interruption définitive de l'activité professionnelle est indemnisée au titre de la perte de revenus, M. D... ne démontre pas l'existence du préjudice distinct d'incidence professionnelle dont il sollicite l'indemnisation à hauteur de 100 000 euros. Cette demande doit donc être rejetée.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

30. Il résulte de l'instruction que les complications de la radiothérapie ont nécessité des hospitalisations du 18 au 25 novembre 2015 (8 jours), du 16 mars au 1er avril 2016 (17 jours), du 10 au 30 mai 2016 (21 jours), du 13 juillet au 23 novembre 2016 (134 jours), du 8 décembre 2016 au 26 juin 2017 (201 jours), du 15 au 21 décembre 2017 (7 jours) et du 30 janvier au 10 août 2018 (193 jours), soit un déficit fonctionnel temporaire total durant 581 jours. Les experts ont retenu un déficit fonctionnel de 75 % entre les périodes d'hospitalisations, soit durant 680 jours. Sur la base de 20 euros par jour de déficit total, il y a lieu d'évaluer ce préjudice à 35 420 euros.

31. La dermo-hypodermite infectieuse puis nécrosante a affecté la région fessière gauche et toute la face externe de la cuisse jusqu'au genou. Eu égard à l'aspect du vaste placard cicatriciel à la période aigüe, ainsi qu'aux soins, à la paralysie et à l'usage de cannes, les experts ont retenu un préjudice esthétique temporaire de 6 sur 7, qu'il y a lieu d'évaluer à 8 000 euros.

32. Les experts ont coté les souffrances endurées à 6 sur 7 pour les soins, les investigations, l'importance des douleurs et le retentissement moral des lésions. Ainsi qu'il a été dit au point 30, les complications de la radiothérapie ont nécessité 581 jours d'hospitalisation entre le 18 novembre 2015 et le 10 août 2018. Il résulte de l'instruction que l'hospitalisation continue du 8 décembre 2016 au 26 juin 2017 a été marquée par plusieurs épisodes de dermo-hypodermite nécrosante pris en charge en infectiologie et en chirurgie plastique, avec des douleurs majeures qui ont empêché la rééducation tentée en juin 2017, qu'un important lymphœdème hyperalgique et des douleurs neuropathiques du membre inférieur gauche ont nécessité une nouvelle hospitalisation à partir du 30 janvier 2018, que le remplacement de la pompe à morphine intrathécale le 24 avril 2018 s'est compliqué d'un rebond hyperalgique majeur et d'un PRES syndrome caractérisé par des céphalées, une crise comitiale généralisée et deux épisodes de cécité corticale bilatérale le 29 avril et le 6 mai 2018, et que cette seconde hospitalisation de longue durée ne s'est achevée que le 10 août 2018. Dans ces circonstances, il y a lieu d'évaluer les souffrances physiques et morales à 35 000 euros.

33. Les experts ont retenu un déficit fonctionnel permanent de 55 % compte tenu des déficits de fonctionnalité du membre inférieur gauche, de l'impotence totale du pied gauche (paralysie des releveurs et des extenseurs des orteils), ainsi que du retentissement moral et des phénomènes douloureux majeurs nécessitant notamment l'utilisation d'une pompe à morphine à recharger tous les quinze jours. En outre, il convient de tenir compte des troubles de la mémoire et des difficultés de concentration en lien avec le PRES syndrome qu'ils ont mentionnés dans leur rapport. Dans ces circonstances, il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel permanent en fixant son indemnisation à 130 000 euros.

34. Le préjudice esthétique permanent, coté à 5 sur 7, est caractérisé par un vaste placard cicatriciel de la fesse au genou gauches avec perte de substance, anfractuosités, boursouflures et rétractations, un lymphœdème au niveau de la jambe et du pied gauches imposant le port permanent d'une contention, et une marche avec canne et chaussures orthopédiques avec un membre inférieur gauche peu mobile et en demi-flexion. Il y a lieu de l'évaluer à 15 000 euros.

35. Les experts relèvent que M. D... peut pratiquer la gymnastique à domicile ou en salle avec des adaptations au handicap des membres inférieurs, mais que la course à pied, la marche prolongée et " la moto qui était une de ses activités " sont devenues impossibles. Toutefois, en l'absence de tout élément relatif à une pratique sportive régulière antérieurement au dommage, le renoncement à ces activités relève des troubles de toute nature dans les conditions d'existence indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent.

36. Il résulte de l'instruction que la radiothérapie a eu pour conséquence une atteinte de la fonction sexuelle peu améliorée par les traitements. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 15 000 euros.

37. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM doit être condamné à verser une somme de 517 174,80 euros à M. D....

Sur la demande de la CPAM de la Charente-Maritime :

38. Dès lors que les complications de la radiothérapie ne sont pas imputables à une faute du centre hospitalier d'Angoulême, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de la CPAM de la Charente-Maritime tendant au remboursement de ses débours.

39. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 2002556 du 10 décembre 2020 qui a rejeté la demande de M. D... doit être annulé, que le centre hospitalier d'Angoulême et l'ONIAM doivent être condamnés à verser à M. D... les sommes respectives de 5 000 euros et de 517 174,80 euros, et que la demande de la CPAM de la Charente-Maritime doit être rejetée.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

40. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les sommes de 1 000 euros à la charge du centre hospitalier d'Angoulême et de 1 500 euros à la charge de l'ONIAM au titre des frais exposés par M. D... à l'occasion des litiges de première instance et d'appel.

41. La CPAM de la Charente-Maritime étant une partie perdante, elle n'est pas fondée

à demander l'allocation de sommes au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ses conclusions relatives à des dépens inexistants ne peuvent qu'être également rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 2002556 du 10 décembre 2020 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier d'Angoulême est condamné à verser une somme de 5 000 euros à M. D... au titre de son préjudice d'impréparation.

Article 3 : L'ONIAM est condamné à verser une somme de 517 174,80 euros à M. D..., sous déduction des indemnités de licenciement et de chômage éventuellement perçues,

dont il appartiendra à M. D... de justifier le montant.

Article 4 : Le centre hospitalier d'Angoulême versera à M. D... une somme

de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : L'ONIAM versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., au centre hospitalier d'Angoulême, à la société AM Trust France représentée par le Bureau européen et assurances hospitalières, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie

de la Charente-Maritime et à la mutuelle GFP Prestations.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2024.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX04739


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04739
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CABINET FABRE & ASSOCIEES

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;21bx04739 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award