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02/05/2024 | FRANCE | N°22BX00951

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 02 mai 2024, 22BX00951


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane

de condamner le centre hospitalier de Cayenne Andrée Rosemon à lui verser une indemnité

de 81 320 euros en réparation des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie dans cet établissement le 31 août 2017.



Par un jugement n° 2000310 du 16 décembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 25 mars 2022 et un mémoire enregistré le 31 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Page, deman...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane

de condamner le centre hospitalier de Cayenne Andrée Rosemon à lui verser une indemnité

de 81 320 euros en réparation des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie dans cet établissement le 31 août 2017.

Par un jugement n° 2000310 du 16 décembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 mars 2022 et un mémoire enregistré le 31 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Page, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Cayenne à lui verser une indemnité

de 81 320 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Cayenne une somme de 5 000 euros

au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les frais d'expertise.

Elle soutient que :

- l'expert a retenu une faute dans l'organisation du service en ce que rien ne justifiait que l'hystéroscopie opératoire, initialement prévue dans la journée du 31 août 2017, soit réalisée à 21 heures ; cet horaire tardif a nécessairement diminué l'attention du médecin et augmenté le risque de maladresse et de complication ; c'est ainsi à tort que le tribunal a jugé que l'intervention avait été réalisée dans les règles de l'art ; alors même que les perforations utérine et digestive sont des complications connues de l'hystéroscopie, elles sont en l'espèce imputables à une maladresse fautive ; elle a été victime à tout le moins d'une perte de chance d'éviter cette complication ;

- elle sollicite les sommes de 2 320 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par l'expert sur la base de 50 euros par jour de déficit total, de 20 000 euros au titre des souffrances endurées, de 5 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

de 3 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, de 3 500 euros au titre du préjudice d'agrément, de 25 000 euros au titre du préjudice sexuel, de 15 000 euros au titre de l'incidence professionnelle et de 7 940,74 euros au titre de l'assistance temporaire par une tierce personne.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 mai 2023, le centre hospitalier de Cayenne, représenté par la SELARL Fabre et Associés, conclut à titre principal au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et à titre subsidiaire à ce que l'indemnisation de Mme B... soit limitée à une somme totale de 2 908 euros.

Il fait valoir que :

- l'intervention était d'indication impérative, et l'expert a qualifié les complications d'aléas, la perforation utérine étant fréquente et la perforation digestive rare mais référencée, et la prise en charge chirurgicale digestive a été qualifiée d'exemplaire ; si l'expert estime que l'absence de report de l'intervention non urgente était fautive, il admet que la complication aurait pu survenir à tout moment et quel que soit l'opérateur ; c'est ainsi à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de Mme B... ;

A titre subsidiaire, si la cour retenait sa responsabilité :

- la demande relative à l'assistance temporaire par une tierce personne est imprécise et non justifiée ;

- en l'absence de déficit fonctionnel permanent, le préjudice d'incidence professionnelle invoqué n'est pas caractérisé ;

- sur la base de 20 euros par jour de déficit total, une somme de 908 euros peut être allouée au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par l'expert ;

- les souffrances endurées peuvent être indemnisées à hauteur de 1 500 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire de 2 sur 7 du 1er au 18 septembre 2017 ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour ouvrir droit à une indemnisation ;

- le préjudice d'agrément n'est pas caractérisé ;

- l'expert n'a pas retenu de préjudice sexuel en lien avec la complication chirurgicale ;

- une somme de 500 euros peut être allouée au titre du préjudice esthétique permanent de 1 sur 7.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., alors âgée de 23 ans, s'est présentée au service des urgences du centre hospitalier de Cayenne le 20 août 2017 pour des ménorragies. Elle a été hospitalisée en raison d'une anémie à 6,8 grammes et a reçu des transfusions sanguines. Les examens ont permis de diagnostiquer un possible polype calcifié au sein d'une muqueuse endométriale très épaisse, à l'origine d'hémorragies menstruelles rebelles au traitement médical, responsables d'une anémie sévère. L'indication d'hystéro-résection a été posée, et l'intervention a été réalisée le 31 août 2017. Dès le lendemain, la patiente a présenté des douleurs abdominales intenses. Un scanner ayant fait suspecter une perforation du côlon sigmoïde, une coelioscopie réalisée en urgence a mis en évidence une perforation utérine et une perforation du sigmoïde de 2,5 cm de large au niveau de la charnière recto-sigmoïdienne, ainsi qu'une péritonite stercorale. Un lavage et une suture simple avec drainage sans colostomie ont été réalisés, et Mme B... est sortie de l'hôpital le 18 septembre 2017. Les rendez-vous post-opératoires des 17 et 18 octobre dans les services de chirurgie viscérale et de gynécologie ont permis de conclure à la guérison.

2. Mme B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane d'une demande d'expertise, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance

du 18 juin 2019. Après le dépôt du rapport d'expertise, elle a présenté au centre hospitalier de la Guyane une réclamation préalable restée sans réponse, puis elle a saisi le tribunal administratif de la Guyane d'une demande de condamnation de cet établissement à lui verser une indemnité

de 81 320 euros en réparation de ses préjudices. Elle relève appel du jugement du 16 décembre 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande au motif que le centre hospitalier n'avait pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...) / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical (...) ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. / A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : / 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; / 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. "

4. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que l'intervention

du 31 août 2017 avait été programmée sans urgence, que la patiente a été transférée au bloc opératoire à 17 heures, et que l'intervention, d'une durée de 60 minutes, a commencé à 21 heures seulement en raison d'une " recrudescence d'activité ". Si l'expert a retenu une faute dans l'organisation des soins au motif que cet horaire était trop tardif et que " la patiente aurait dû être reprogrammée à un horaire de meilleure vigilance ", il ne peut en être déduit que le chirurgien aurait nécessairement commis une maladresse en raison d'une fatigue accumulée au cours d'une longue journée de travail, alors que l'expert a relevé qu'il était expérimenté et que la perforation utérine et la perforation digestive sont des complications connues de l'hystéroscopie opératoire, la première fréquente et la seconde rare. L'existence d'une faute à l'origine de ces perforations ne peut donc être retenue. Par ailleurs, et au surplus, le seuil de gravité ouvrant droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale n'est pas atteint, dès lors que le déficit fonctionnel permanent en lien avec les complications de l'intervention du 31 août 2017 a été évalué à 0 %, que le déficit fonctionnel temporaire a été supérieur ou égal à 50 % durant moins de trois semaines, que Mme B... n'exerçait pas d'activité professionnelle au moment des faits, et qu'elle n'a pas subi de troubles particulièrement graves dans ses conditions d'existence.

5. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.

6. Il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés, liquidés et taxés à la somme de 3 573,83 euros TTC par une ordonnance du président du tribunal administratif de la Guyane du 3 janvier 2020, à la charge de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

7. Mme B..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à sa charge au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Cayenne à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés, liquidés et taxés à la somme de 3 573,83 euros TTC par une ordonnance du président du tribunal administratif de la Guyane du 3 janvier 2020, sont mis à la charge de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Cayenne au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... et au centre hospitalier de Cayenne Andrée Rosemon. Une copie en sera adressée à l'expert.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX00951


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00951
Date de la décision : 02/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : PAGE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-02;22bx00951 ?
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