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16/11/2010 | FRANCE | N°09DA00402

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3, 16 novembre 2010, 09DA00402


Vu la requête, enregistrée par télécopie le 9 mars 2009 et régularisée par la production de l'original le 10 mars 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, et le mémoire ampliatif enregistré par télécopie le 17 avril 2009 et régularisé par la production de l'original le 23 avril 2009, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS, dont le siège social est situé avenue Paul Rouge, BP 121 à Senlis cedex (60309), par Me Le Prado ; il demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0601476 du 30 décembre 2008 par lequel le Tribunal administratif d'Ami

ens l'a condamné à verser à M. et Mme Stéphane A une somme de 61 500 euros...

Vu la requête, enregistrée par télécopie le 9 mars 2009 et régularisée par la production de l'original le 10 mars 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, et le mémoire ampliatif enregistré par télécopie le 17 avril 2009 et régularisé par la production de l'original le 23 avril 2009, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS, dont le siège social est situé avenue Paul Rouge, BP 121 à Senlis cedex (60309), par Me Le Prado ; il demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0601476 du 30 décembre 2008 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens l'a condamné à verser à M. et Mme Stéphane A une somme de 61 500 euros en réparation des préjudices subis par eux-mêmes et leur fils Anthony et à verser une somme de 24 063,30 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Creil ;

2°) de rejeter les conclusions de M. et Mme A et de la caisse primaire d'assurance maladie de Creil ;

Il soutient qu'il résulte des jurisprudences du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'homme que, si les dispositions de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 ne peuvent trouver à s'appliquer aux requêtes introduites avant leur entrée en vigueur le 5 mars 2002 et tendant à la réparation des préjudices résultant d'un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute, toute requête introduite après cette date du 5 mars 2002 doit être examinée sous l'empire de ce texte, dont seule la rétroactivité a été censurée ; que la première requête des époux A aux fins de désignation d'un expert ayant été déposée le 22 janvier 2003, les dispositions de cette loi sont applicables ; que le jugement en ayant écarté l'application doit, de ce fait, être annulé ; qu'en application des dispositions de la loi du 4 mars 2002, l'enfant handicapé ne peut se voir accorder une quelconque indemnisation du seul fait de sa naissance ; que les premiers juges ont commis une erreur de droit en indemnisant les préjudices extra patrimoniaux de l'enfant Anthony, les souffrances subies étant nécessairement en lien avec les malformations dont il est atteint et qui sont inhérentes à son patrimoine génétique ; qu'ils ont également, à tort, fait droit aux conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Creil, en l'absence de lien de causalité entre la faute commise et les dépenses de soins engagées pour traiter ces malformations congénitales ; que, de même, les troubles psychologiques subis par Mme A ne sont pas en relation directe et certaine avec la faute reprochée à l'hôpital mais seulement avec le handicap résultant du patrimoine génétique de l'enfant ; que, si l'application de la loi du 4 mars 2002 devait être écartée, en tout état de cause, l'enfant ne pourrait être indemnisé pour le préjudice qu'il subirait du seul fait de sa naissance ni la caisse remboursée de ses débours liés au handicap congénital ;

Vu le mémoire, enregistré le 13 juillet 2009, présenté pour M. et Mme Stéphane A et leur enfant, Anthony A, demeurant ..., par Me Bettati ; ils demandent à la Cour :

1°) de réformer partiellement le jugement attaqué en ce qui concerne le quantum de la réparation qui leur a été accordée ;

2°) de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS à leur verser une somme totale de 250 000 euros en réparation des préjudices subis par eux-mêmes et leur fils ;

3°) de rejeter la requête du centre hospitalier ;

4°) de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS à leur verser une somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme que c'est, non seulement l'application aux instances en cours de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 qui a été censuré, mais également son atteinte aux espérances légitimes, découlant de l'état du droit applicable au moment des faits dommageables ; que ce n'est pas l'introduction d'une action en justice qui fait naître la créance en réparation mais son fait générateur, à savoir la faute commise et la survenance du dommage, ainsi que l'a reconnu la Cour de cassation dans un arrêt du 8 juillet 2008 et l'a confirmé une réponse ministérielle publiée au Journal officiel le 26 mai 2009 ; que les premiers juges ont fait une exacte application de cette jurisprudence ; que c'est également à bon droit qu'ils ont condamné le centre hospitalier à indemniser le préjudice de leur enfant lié aux souffrances subies et à subir par leur enfant ; que les divergences de jurisprudence entre le juge administratif et le juge judiciaire, quant à l'indemnisation des préjudices subis par l'enfant et résultant de son handicap, crée une différence de traitement discriminatoire au regard de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales suivant le lieu où la grossesse de la mère a été suivie ; qu'ils sont donc fondés à demander la réparation intégrale des préjudices subis et à subir par leur enfant du fait de son handicap ; que le jugement doit, par contre, être réformé en ce qui concerne l'indemnisation du préjudice des parents, dont le préjudice moral doit être indemnisé à hauteur de 25 000 euros compte tenu du choc psychologique au moment de la naissance et de l'angoisse permanente dans laquelle ils vivent quant à l'état de santé de leur enfant, qui nécessite de lourds et douloureux traitements ; que Mme A est dépressive et a dû interrompre son activité professionnelle ; que les parents subissent des troubles dans leurs conditions d'existence compte tenu des difficultés d'éducation et d'entretien de leur enfant, lesquels doivent être indemnisés à hauteur de 25 000 euros ; que le handicap de leur fils a eu des répercussions sur les revenus professionnels de M. et Mme A, à hauteur de 150 000 euros ; que la prise en charge du handicap de leur fils a engendré et engendrera des frais, non pris en charge par l'assurance maladie, à hauteur de 50 000 euros ;

Vu le mémoire, enregistré le 15 juillet 2009, présenté pour M. et Mme A et leur enfant, Anthony A, par Me Bettati qui concluent aux mêmes fins que leur précédent mémoire par les mêmes moyens ;

Vu l'ordonnance, en date du 9 mars 2010, fixant la clôture de l'instruction au 9 avril 2010 à 16 heures 30 ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 30 mars 2010 et régularisé par la production de l'original le 1er avril 2010, présenté pour le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS qui conclut aux mêmes fins que sa requête et au rejet des conclusions d'appel incident de M. et Mme A ; il soutient, en outre, que dès lors que les malformations dont est atteint Anthony A sont inhérentes à son patrimoine génétique, elles ne peuvent donner lieu à indemnisation de la part du centre hospitalier ; subsidiairement, si la responsabilité du centre hospitalier devait être retenue, l'indemnisation ne pourrait intervenir que sur le terrain de la perte de chance laquelle était faible ; que les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par les parents de l'enfant ; que les modifications de carrière de Mme A ne sont pas imputables au centre hospitalier ; que M. A n'établit pas le préjudice professionnel dont il fait état ; que les requérants ne justifient pas le montant des frais qui resteraient à leur charge pour la prise en charge du handicap de leur fils ;

Vu le mémoire, enregistré le 1er avril 2010, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de Creil, dont le siège social est situé rue Ribot à Creil cedex (60313), par Me Kramer ; elle demande à la Cour :

1°) de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS à lui payer la somme de 2 696,58 euros, correspondant aux débours exposés au profit de Mme A ;

2°) de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS à lui verser la somme de 21 623,65 euros, correspondant aux débours exposés au profit d'Anthony A ;

3°) de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS à lui verser une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que si la responsabilité du centre hospitalier est retenue, elle a droit au remboursement de débours exposés en lien avec la faute ; qu'elle a servi à Mme A des indemnités journalières s'élevant à 2 696,58 euros pour la période du 21 avril au 30 juin 2002 ; qu'elle a déboursé au profit d'Anthony A des frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation à raison de 21 623,65 euros, sous réserve des frais futurs ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 7 avril 2010 et régularisé par la production de l'original le 8 avril 2010, présenté pour M. et Mme A et leur fils Anthony, par Me Bettati ; ils concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures et demandent, en outre, la réparation du préjudice professionnel subi à hauteur de 200 000 euros et la réparation des charges particulières découlant du handicap à hauteur de 250 000 euros ; ils demandent que les sommes allouées portent intérêt au taux légal à compter du 27 février 2006 et que ceux-ci soient capitalisés ; ils soutiennent que Mme A est de nouveau sans emploi ; que la perte de salaires qu'elle a subie représente une somme globale de 145 101 euros ; que sa mise en invalidité de 2ème catégorie représente également un préjudice qui doit être indemnisé à hauteur de 50 000 euros ; qu'ils n'entendent pas faire supporter au centre hospitalier les frais inhérents à leur installation en Guadeloupe ; que le coût des traitements et opérations futurs de leur fils entraînera des frais restant à leur charge à hauteur de 250 000 euros ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 8 avril 2010 et régularisé par la production de l'original le 12 avril 2010, présenté pour le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS ; il conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures et au rejet des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Creil par les mêmes moyens et, fait valoir, en outre, que la caisse ne peut prétendre au remboursement des frais au traitement d'un handicap uniquement inhérent à la malformation congénitale de l'enfant ; qu'en toute hypothèse sa responsabilité n'est pas engagée, l'absence de diagnostic des malformations de l'enfant n'étant, en l'espèce, pas fautive compte tenu de l'efficacité relative des échographies pour déceler les malformations dont était atteint Anthony A ; qu'il ne s'oppose pas à une expertise sur ce point ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 8 avril 2010 et régularisé par la production de l'original le 12 avril 2010, présenté pour M. et Mme A et Anthony A, par Me Bettati ; ils concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures et soutiennent, en outre, que les malformations de leur enfant devaient être normalement décelées par une réalisation attentive des échographies ; qu'il aurait fallu notamment examiner les deux membres supérieurs de l'enfant ; que la faute de service est patente, seule une sage femme ayant réalisé les échographies dont une seule a été relue par un médecin ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 9 avril 2010 et régularisé par la production de l'original le 12 avril 2010, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Creil, dont le siège est situé 1 rue de Savoie, BP 30326 à Beauvais cedex (60000) ; elle conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;

Vu l'ordonnance, en date du 19 avril 2010, reportant la clôture de l'instruction au 30 avril 2010 à 16 heures 30 ;

Vu l'ordonnance, en date du 10 mai 2010, reportant la clôture de l'instruction au 28 mai 2010 à 16 heures 30 ;

Vu le mémoire, enregistré le 11 mai 2010, présenté pour M. et Mme A et Anthony A, par Me Sanviti ; ils concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures et demandent, en outre :

1°) que l'instruction de l'affaire soit rouverte et une expertise ordonnée ;

2°) qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la loi du 4 mars 2002 ;

3°) que le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS soit condamné à leur verser une somme provisionnelle de 500 000 euros au titre de l'assistance qui devra être apportée à leur fils ;

4°) que le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS soit condamné à leur verser une somme provisionnelle de 235 000 euros en réparation des préjudices subis par leur fils Anthony ;

5°) de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS à leur verser une somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 mai 2010, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Creil ; elle conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;

Vu l'ordonnance, en date du 27 juillet 2010, reportant la clôture de l'instruction au 17 septembre 2010 à 16 heures 30 ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 7 septembre 2010 et régularisé par la production de l'original le 8 septembre 2010, présenté pour M. et Mme A et Anthony A, par Me Sanviti ; ils concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures et soutiennent, en outre, que, par décision du 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le 2 du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 14 septembre 2010 et régularisé par la production de l'original le 16 septembre 2010, présenté pour le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS ; il conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et soutient, en outre, que le Conseil constitutionnel a validé l'application aux instances introduites après le 5 mars 2002 du dispositif de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision n° 2010-2 QPC du Conseil constitutionnel du 11 juin 2010, publiée au Journal officiel de la République Française le 12 juin 2010 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Perrine Hamon, premier conseiller, les conclusions de M. Patrick Minne, rapporteur public et les parties présentes ou représentées ayant été invitées à présenter leurs observations, Me Biacabe, substituant Me Sanviti, pour M. et Mme A et leur fils, Anthony A ;

Considérant que Mme A, dont la grossesse a fait l'objet d'un suivi échographique au CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS, a donné naissance, le 30 décembre 2001, à un garçon prénommé Anthony atteint d'un ensemble de malformations, défini comme syndrome de Vaterl , lesquelles n'avaient pas été diagnostiquées avant la naissance ; que le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS relève appel du jugement du 30 décembre 2008 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens, après avoir désigné un expert, l'a condamné à indemniser M. et Mme A des préjudices résultant, pour eux et pour leur fils, de la faute commise lors du suivi de cette grossesse, à hauteur de la somme totale de 61 500 euros, et à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Creil une somme de 24 063,30 euros au titre des débours exposés par elle pour les soins de l'enfant ; que M. et Mme A ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie de Creil demandent, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs conclusions ;

Sur l'application de la loi du 4 mars 2002 :

Considérant qu'aux termes du I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002, dont les trois premiers alinéas ont été codifiés à l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale ; qu'aux termes du 2. du II de l'article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, telle que publiée au Journal officiel de la République française le 12 février 2005 : Les dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles (...) sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation ;

Considérant qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé (...) ; qu'aux termes de l'article 62-2 de la Constitution : (...) Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article

61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ;

Considérant que, par une décision en date du 11 juin 2010, publiée au Journal officiel de la République française le 12 juin 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré le 2. du II de l'article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 contraire à la Constitution ; que, faute de conditions particulières prévues par ladite décision, cette abrogation a pris effet le 12 juin 2010 ;

Considérant, enfin, que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause, et ce, indépendamment de la date d'introduction d'une demande en justice tendant à la réparation de ce dommage ;

Considérant, en l'espèce, que les divers préjudices dont M. et Mme A demandent réparation trouvent leur origine dans la faute commise par le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS dans le suivi de la grossesse de Mme A jusqu'à la naissance de leur fils, Anthony, le 30 décembre 2001, soit, en tout état de cause, antérieurement à la date d'entrée en vigueur, le 5 mars 2002, des dispositions précitées de la loi du 4 mars 2002 désormais codifiées à l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ; que, dès lors, et nonobstant l'introduction de la procédure indemnitaire par M. et Mme A postérieurement au 5 mars 2002, lesdites dispositions du code de l'action sociale et des familles ne sont pas applicables à la présente instance ; que, par suite, le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a écarté l'application de ces dispositions ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par ordonnance du 18 février 2003, que lors du suivi échographique de la grossesse de Mme A au CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS, réalisé par une sage-femme en cours de formation à l'échographie, aucun examen n'a été réalisé personnellement par un médecin ; que seule l'échographie de la 22ème semaine d'aménorrhée a donné lieu à un contrôle visuel, a postériori, par un médecin qui n'a pas décelé d'anomalie du membre supérieur droit, dans la mesure où seul le membre supérieur gauche avait été observé par la sage femme lors de cet examen, comme lors des autres examens échographiques du foetus ; qu'en s'abstenant ainsi de vérifier, selon les règles de l'art, la conformation des deux membres supérieurs du foetus, une faute a été commise qui a empêché M. et Mme A d'opérer un choix éclairé, notamment quant à l'éventualité d'une interruption de grossesse pour motif thérapeutique, à laquelle ils pouvaient avoir recours en application des dispositions de l'article L. 2213-1 du code de la santé publique, compte tenu de la gravité de la pathologie de l'enfant à naître ; que, par ailleurs, compte tenu de l'importance de ce choix pour M. et Mme A, à raison d'un contexte familial qui les avaient amenés à pratiquer un dépistage de la trisomie 21, il n'est pas sérieusement contesté qu'ils auraient pris la décision d'interrompre cette grossesse ; que, dès lors, la faute commise par le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS est à l'origine directe du préjudice subi par M. et Mme A du fait de la naissance d'un enfant gravement handicapé ; que le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS n'est, dès lors, pas fondé à se plaindre de ce que les premiers juges l'ont déclaré responsable de l'intégralité des préjudices subis par M. et Mme A du fait de la faute ainsi commise ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les dépenses de santé :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après.(...) ; qu'il résulte de l'instruction que le handicap dont est atteint le jeune Anthony A n'est pas imputable à la faute commise par le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS mais inhérent à son patrimoine génétique ; que, dès lors, le CENTRE HOSPITALIER est fondé à soutenir que, en l'absence de tout lien de causalité, c'est à tort que les premiers juges l'ont condamné, à hauteur de 24 063,30 euros, à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de Creil les débours qu'elle a exposés pour les soins de l'enfant, en lien avec son handicap ;

Considérant, toutefois, que la caisse primaire d'assurance maladie de Creil est fondée à demander le remboursement par le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS de la somme de 2 696,58 euros correspondant aux indemnités journalières servies à Mme A à raison d'un arrêt de travail ayant pour origine l'état psychologique causé par la naissance d'un enfant handicapé, ces débours présentant un lien de causalité direct avec la faute du CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS ;

En ce qui concerne les dépenses liées à la prise en charge par ses parents du handicap de l'enfant :

Considérant qu'au titre de ces dépenses, M. et Mme A font valoir que le traitement du handicap de leur enfant engendre d'importants frais de déplacements notamment liés à leur installation, en 2007, à la Guadeloupe où les soins dont a besoin leur fils ne sont pas disponibles ; que ces frais, au demeurant non justifiés pour une grande partie, ne sont pas en lien direct avec le handicap de l'enfant mais avec le choix de la famille de s'installer en Guadeloupe, dont il n'est pas établi qu'il était rendu nécessaire par le handicap d'Anthony ; que, dans ces conditions, M. et Mme A ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement par lequel le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS a été condamné à leur verser, à ce titre, la somme de 1 500 euros ;

Considérant, par ailleurs, que si, dans le dernier état de leurs écritures, M. et Mme A demandent qu'une expertise soit ordonnée aux fins de déterminer exactement les frais futurs liés au handicap d'Anthony qui resteront à leur charge, et notamment les frais pour aide d'une tierce personne, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'état de l'enfant, âgé à la date du présent arrêt de neuf ans, est amené à évoluer dans des conditions et des proportions non déterminables à ce jour compte tenu de l'incertitude quant aux résultats des diverses opérations chirurgicales qu'il sera amené à subir ; que les conclusions présentées à ce titre doivent, dès lors, être rejetées ;

En ce qui concerne les préjudices professionnels de M. et Mme A :

Considérant qu'en se bornant à faire état de son refus d'une promotion professionnelle du fait des contraintes liés au handicap de son enfant, M. A n'établit ni le montant du préjudice professionnel dont il demande réparation, ni l'existence d'un lien de causalité direct entre ce refus et le handicap de son fils ;

Considérant, par ailleurs, que si Mme A fait valoir que son état de santé s'est dégradé depuis la naissance de son fils au point de rendre impossible toute activité professionnelle, elle n'établit, par les pièces qu'elle produit, ni le montant des pertes de revenus dont elle demande l'indemnisation, ni le lien de causalité entre la perte de plusieurs emplois dont elle fait état et le handicap de son fils ;

En ce qui concerne les préjudices personnels de M. et Mme A :

Considérant que M. et Mme A, qui avaient lors de la grossesse recherché à éviter la naissance d'un enfant handicapé, subissent d'importants troubles dans leurs conditions d'existence du fait du grave handicap dont est atteint leur fils Anthony, lequel devra subir de nombreux traitements et opérations chirurgicales dont le résultat n'est pas certain ; que, par suite, ils sont fondés à demander que l'indemnité mise à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS et réparant ces troubles ainsi que leur préjudice moral, dans les circonstances de l'espèce, soit portée à la somme de 50 000 euros ;

En ce qui concerne les préjudices d'Anthony A :

Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ; qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à ladite convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ; que les divergences des jurisprudences issues des deux ordres de juridictions nationaux existant en France, que font valoir M. et Mme A en matière d'indemnisation des préjudices subis par les enfants nés handicapés à la suite d'un défaut de diagnostic prénatal de leur handicap, ne constituent pas une discrimination contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entre les usagers des services publics hospitaliers et les patients des établissements de santé privés ;

Considérant, par ailleurs, qu'il résulte de l'instruction que le handicap dont est atteint le jeune Anthony A est inhérent à son patrimoine génétique et sans lien de causalité avec la faute commise par le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS ; que, par suite, les conclusions que présentent M. et Mme A aux fins d'indemnisation des divers préjudices subis par leur fils Anthony, du fait de son handicap, doivent être rejetées ;

Considérant, par voie de conséquence, que le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamné à indemniser, à hauteur de 30 000 euros, les souffrances subies par l'enfant à raison des opérations chirurgicales qu'il a subies et devra subir, celles-ci étant exclusivement imputables à son handicap ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

Considérant que M. et Mme A ont droit aux intérêts de la somme de 51 500 euros à compter du 27 février 2006, date de réception de leur première demande indemnitaire présentée au CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS ; que, par application des dispositions de l'article 1154 du code civil, ils ont droit à la capitalisation de ces intérêts à compter du 27 février 2007 et pour chaque année postérieure ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;

Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par M. et Mme A et par la caisse primaire d'assurance maladie de Creil doivent, dès lors, être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'indemnité que le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS est condamné à verser à M. et Mme A, en réparation de leurs préjudices propres, est portée à 51 500 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 27 février 2006. Ces intérêts seront capitalisés à la date du 27 février 2007 et à chaque échéance annuelle, à compter de cette date, pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La demande présentée par M. et Mme A au nom de leur fils Anthony A est rejetée.

Article 3 : L'indemnité que le CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Creil, est ramenée à la somme de 2 696,58 euros.

Article 4 : Le jugement n° 0601476 du Tribunal administratif d'Amiens, en date du 30 décembre 2008, est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A est rejeté.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au CENTRE HOSPITALIER DE SENLIS, à

M. et Mme A et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Creil.

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N°09DA00402


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09DA00402
Date de la décision : 16/11/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - APPLICATION DANS LE TEMPS - TEXTE APPLICABLE - ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - APPLICATION DANS LE TEMPS - TEXTE APPLICABLE.

01-08-03 Les dispositions dites « anti-Perruche » de la loi du 4 mars 2002 n'étant plus applicables aux instances en cours à raison de l'inconstitutionnalité de ce dispositif, c'est la date du fait générateur des dommages et non celle d'introduction de la requête indemnitaire qui détermine le régime juridique applicable.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITÉ EN RAISON DES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTÉ - ÉTABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITÉ POUR FAUTE MÉDICALE : ACTES MÉDICAUX - EXISTENCE D'UNE FAUTE MÉDICALE DE NATURE À ENGAGER LA RESPONSABILITÉ DU SERVICE PUBLIC - ERREUR DE DIAGNOSTIC - RESPONSABILITÉ POUR ABSENCE DE DIAGNOSTIC PRÉNATAL D'UN HANDICAP - APPLICATION DANS LE TEMPS DE LA LOI DU 4 MARS 2002 - DROIT À INDEMNISATION DE L'ENFANT POUR SES PRÉJUDICES PROPRES - NON - DISCRIMINATION DU FAIT DES DIVERGENCES DES JURISPRUDENCES JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIVE - NON.

60-02-01-01-02-01-01


Composition du Tribunal
Président : M. Mortelecq
Rapporteur ?: Mme Perrine Hamon
Rapporteur public ?: M. Minne
Avocat(s) : SANVITI

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2010-11-16;09da00402 ?
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