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02/06/2016 | FRANCE | N°14DA01794

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3, 02 juin 2016, 14DA01794


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Nord-Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 685 751,65 euros au titre des frais de remise en état de la jetée nord-est du port de Boulogne-sur-Mer ainsi qu'une somme de dix millions d'euros au titre des dépenses de reconstruction de cette dernière et, à titre subsidiaire, de nommer un expert judiciaire ayant pour mission d'établir le lien de causalité entre le défaut d'entretien de l'ouvrage par l'Etat et

le préjudice subi du fait de la ruine de l'ouvrage.

Par un jugement n° 12...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Nord-Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 685 751,65 euros au titre des frais de remise en état de la jetée nord-est du port de Boulogne-sur-Mer ainsi qu'une somme de dix millions d'euros au titre des dépenses de reconstruction de cette dernière et, à titre subsidiaire, de nommer un expert judiciaire ayant pour mission d'établir le lien de causalité entre le défaut d'entretien de l'ouvrage par l'Etat et le préjudice subi du fait de la ruine de l'ouvrage.

Par un jugement n° 1206134 du 16 septembre 2014, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la région Nord-Pas-de-Calais.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 novembre 2014, la région Nord-Pas-de-Calais, représentée par la SELARL Latournerie, Wolfrom et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 13 416 142,17 euros toutes taxes comprises (TTC) sauf à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa demande par le tribunal ;

3°) en tout état de cause, d'ordonner une expertise afin de déterminer le montant des investissements consentis par l'Etat, de constater l'état de l'ouvrage avant et après le transfert, de déterminer l'étendue des dommages et le coût de la réparation de la jetée nord-est et de se prononcer sur les responsabilités ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en sus les dépens.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas motivé le refus d'ordonner une expertise ;

- il n'a pas visé son mémoire en date du 15 avril 2014 ;

- il a insuffisamment motivé son jugement au regard de l'état de délabrement de l'ouvrage ;

- elle a la qualité de tiers ou, à défaut, d'usager, d'un ouvrage public dont l'Etat était propriétaire et qu'il a mal entretenu ;

- l'Etat ne l'a pas suffisamment informée de la gravité du délabrement qui affectait la jetée nord-est du port de Boulogne-sur-Mer au moment du transfert ;

- l'Etat a manqué à son obligation d'entretien et de conservation d'un ouvrage public fondée sur les articles L. 3111-1 et L. 2121-1 du code général des propriétés des personnes publiques, ce qui l'a conduit à minorer la compensation financière qui lui a été accordée ;

- l'expertise est utile compte tenu de la technicité de la matière et de l'ampleur de l'ouvrage.

Par un mémoire, enregistré le 19 janvier 2015, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des propriétés des personnes publiques ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 ;

- le décret n° 2005-1509 du 6 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Hadi Habchi, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,

- et les observations de Me A...B..., représentant la région Nord-Pas-de-Calais.

1. Considérant que, par une convention du 22 décembre 2006, établie en application du III de l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et du décret du 6 décembre 2005 pris pour l'application de l'article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, l'Etat a transféré à la région Nord-Pas-de-Calais la propriété du port de Boulogne-sur-Mer à compter du 1er janvier 2007 et les compétences relatives à sa gestion ; qu'après avoir constaté l'instabilité de la jetée nord-est, située à l'entrée du port intérieur, à proximité de la plage, la région Nord-Pas-de-Calais a engagé d'importants travaux de restructuration de l'ouvrage ; que la région, qui sollicite de l'Etat la réparation de ses préjudices ou, à tout le moins, la désignation d'un expert, relève appel du jugement du tribunal administratif de Lille qui a rejeté ses demandes ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que le tribunal administratif, qui avait préalablement estimé au vu des moyens et des pièces dont il était saisi que la responsabilité de l'Etat n'était pas engagée, a pu, sans entacher son jugement d'irrégularité, rejeter implicitement mais nécessairement les conclusions de la région Nord-Pas-de-Calais tendant à la désignation d'un expert à titre subsidiaire dès lors qu'il résultait nécessairement du jugement qu'une telle expertise, qui n'aurait pu en tout état de cause porter sur des questions de droit, était dépourvue d'utilité ;

3. Considérant qu'il ressort de la minute du jugement que le tribunal a visé et analysé le mémoire de la région Nord-Pas-de-Calais enregistré le 15 avril 2014, conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

4. Considérant que le tribunal n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments des parties ; que la circonstance qu'il ne se soit pas prononcé sur celui tiré de l'état de vétusté de la jetée nord-est du port, développé dans un mémoire produit avant la clôture d'instruction, n'a pas eu d'incidence sur le sens du jugement et donc sur sa régularité ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 4 que le jugement du tribunal administratif de Lille n'est pas entaché d'irrégularité ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public :

6. Considérant qu'en cas de défaut d'entretien normal de l'ouvrage public, la responsabilité de la collectivité qui a la qualité de maître de l'ouvrage ne peut être recherchée que par la victime d'un dommage de travaux publics ; qu'à la date où le dommage est survenu, la région Nord-Pas-de-Calais n'avait pas la qualité de tiers ni celle d'usager ; qu'elle n'avait pas davantage subi un dommage de travaux publics à l'époque où l'Etat avait la propriété de l'ouvrage ; qu'ayant la qualité de maître d'ouvrage lors de la constatation des délabrements du port, elle ne saurait rechercher, sur le fondement du défaut d'entretien normal, la responsabilité sans faute de l'Etat dans les droits et obligations duquel elle a été substituée par application du III de l'article 30 de la loi du 13 août 2004 ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour défaut d'information :

7. Considérant qu'aux termes du I de l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : " La propriété, l'aménagement, l'entretien et la gestion des ports non autonomes relevant de l'Etat sont transférés, au plus tard au 1er janvier 2007 et dans les conditions fixées par le code des ports maritimes et au présent article, aux collectivités territoriales ou à leurs groupements dans le ressort géographique desquels sont situées ces infrastructures " ; qu'aux termes des deux premiers alinéas du III du même article : " Pour chaque port transféré, une convention conclue entre l'Etat et la collectivité territoriale ou le groupement intéressé, ou, à défaut, un arrêté du ministre chargé des ports maritimes dresse un diagnostic de l'état du port, définit les modalités du transfert et fixe sa date d'entrée en vigueur. / La collectivité ou le groupement bénéficiaire du transfert succède à l'Etat dans l'ensemble de ses droits et obligations à l'égard des tiers " ;

8. Considérant que l'annexe 3-1-1 de la convention de transfert du port de Boulogne-sur-Mer, négociée par l'Etat et la région Nord-Pas-de-Calais et signée le 22 décembre 2006, comporte un état des lieux au moment de la cession dont il ressort que l'ouvrage a été partiellement endommagé au cours de la seconde guerre mondiale et qu'en 1984 celui-ci " au niveau de sa liaison maçonnerie et caissons a glissé vers le chenal de navigation " ; qu'il n'est d'ailleurs pas contesté qu'il était également expressément stipulé dans cette même convention que " l'ouvrage nécessite une opération de stabilisation et de traitement du corps de maçonnerie " ;

9. Considérant que la région Nord-Pas-de-Calais qui avait ainsi connaissance, avant la cession, de l'état d'instabilité et de risques d'affaissement imminent de la jetée, et de la nécessité des travaux qu'il lui incomberait de prendre en charge après le transfert, ne peut donc rechercher la responsabilité de l'Etat en invoquant l'insuffisance des informations fournies ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour insuffisance de compensation financière :

10. Considérant que l'article L. 3111-1 du code général des propriétés des personnes publiques, qui pose le principe que les biens des personnes publiques sont inaliénables, et l'article L. 2121-1 du même code qui prévoit que les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique, ne créent pas à la charge de la personne publique propriétaire de l'ouvrage une obligation générale, qui ne saurait résulter que de dispositions législatives particulières ou de stipulations conventionnelles, de consacrer des investissements pour l'entretien d'un ouvrage en cause ;

11. Considérant qu'aux termes de l'article 119 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : " Sous réserve des dispositions prévues au présent article et à l'article 121, les transferts de compétences à titre définitif inscrits dans la présente loi et ayant pour conséquence d'accroître les charges des collectivités territoriales ou de leurs groupements ouvrent droit à une compensation financière dans les conditions fixées par les articles L. 1614-1 à L. 1614-7 du code général des collectivités territoriales. / Les ressources attribuées au titre de cette compensation sont équivalentes aux dépenses consacrées, à la date du transfert, par l'Etat, à l'exercice des compétences transférées, diminuées du montant des éventuelles réductions brutes de charges ou des augmentations de ressources entraînées par les transferts. / Le droit à compensation des charges d'investissement transférées par la présente loi est égal à la moyenne des dépenses actualisées, hors taxes et hors fonds de concours, constatées sur une période d'au moins cinq ans précédant le transfert de compétences " ;

12. Considérant que, s'agissant des ports maritimes, le décret du 6 décembre 2005, pris pour l'application de l'article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, fixe à dix ans la période prise en compte pour le calcul des dépenses ouvrant droit à compensation des charges d'investissement transférées ;

13. Considérant que, contrairement à ce qu'allègue la région Nord-Pas-de-Calais, il ne résulte ni des dispositions citées aux deux points précédents, ni d'une autre disposition, ni d'aucun principe, que l'Etat était légalement tenu de lui transférer des ouvrages portuaires parfaitement entretenus ou qui ne nécessiteraient aucun investissement nouveau ;

14. Considérant qu'à supposer que l'Etat ait délibérément réduit ses dépenses d'entretien ou qu'il ait renoncé à certains investissements lorsque le transfert du port de Boulogne-sur-Mer à la région Nord-Pas-de-Calais a été envisagé à partir de 2005, il ne résulte pas de l'instruction que cette circonstance a été, en l'espèce, de nature à réduire de manière significative le montant de la compensation financière qu'il devait lui verser, dès lors notamment que celle-ci a été calculée à partir des dépenses engagées au cours des dix années qui ont précédé le transfert et donc en prenant en compte une période de temps qui a largement précédé cette hypothèse d'un transfert ; qu'en tout état de cause, le montant a été négocié entre les parties et fixé en connaissance de cause en application des dispositions législatives précitées ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de prescrire l'expertise sollicitée qui ne présente pas de caractère utile, que la région Nord-Pas-de-Calais n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la région Nord-Pas-de-Calais est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.

Copie en sera adressée pour information à la préfète du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 19 mai 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- M. Hadi Habchi, premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 juin 2016.

Le rapporteur,

Signé : H. HABCHILe premier vice-président de la cour,

Président de chambre,

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : S. DUPUIS

La République mande et ordonne à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Sylviane Dupuis

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N°14DA01794 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14DA01794
Date de la décision : 02/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Biens des collectivités territoriales.

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Dispositions financières - Compensation des transferts de compétences.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: M. Hadi Habchi
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : SOCIÉTÉ D'AVOCATS LATOURNERIE WOLFROM et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-06-02;14da01794 ?
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