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18/05/2017 | FRANCE | N°17DA00039

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre - formation à 3, 18 mai 2017, 17DA00039


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 1er décembre 2016 du préfet de la Somme lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination de l'éloignement et lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans avec signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Par un jugement n° 1603642 du 9 décembre 2016 le magistrat désigné par

le président du tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 1er décembre 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 1er décembre 2016 du préfet de la Somme lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination de l'éloignement et lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans avec signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Par un jugement n° 1603642 du 9 décembre 2016 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 1er décembre 2016 du préfet de la Somme et a enjoint au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 janvier 2017, le préfet de la Somme demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 9 décembre 2016 du tribunal administratif de Amiens ;

2°) de rejeter la demande de M. B...devant le tribunal administratif.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président-rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant que M.B..., ressortissant algérien né en France le 12 décembre 1959, a bénéficié d'un certificat de résidence de dix ans délivré en 1981 ; qu'il a, entre 1984 et 1996, fait l'objet d'une dizaine de condamnations judiciaires à des peines d'emprisonnement ; qu'après avoir purgé sa peine, il a vécu en Algérie de 1997 à 2001, à la suite de la mise en oeuvre d'un arrêté d'expulsion pris à son encontre par le ministre de l'intérieur le 25 mars 1988 ; qu'il est revenu en France à la suite de l'abrogation de cette mesure d'expulsion par un arrêté ministériel du 2 octobre 2000, intervenu en exécution d'une décision par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, avait, le 30 décembre 1998, annulé un précédent refus d'abrogation du ministre de l'intérieur du 13 juin 1994 ; qu'après son retour en France en 2001, l'intéressé a été, de nouveau, condamné en 2003 à deux ans d'emprisonnement, notamment pour recel de bien provenant d'un vol commis à l'aide d'une effraction puis, en 2006, à une peine de dix ans de réclusion criminelle, pour un viol commis en 2002, ainsi qu'à une interdiction de séjourner pendant dix années dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais ; qu'enfin, il a encore été condamné en 2013 à une peine d'emprisonnement de six mois, avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve de deux ans, pour conduite de véhicule sous l'emprise d'un état alcoolique ; que, le 7 avril 2015 il a sollicité son admission exceptionnelle au séjour en raison de sa présence en France depuis plus de 10 ans ; que, le 23 septembre 2015 il a fait l'objet d'un arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français, confirmé par le tribunal administratif d'Amiens le 10 mars 2016, puis par la cour administrative d'appel de Douai le 19 janvier 2017 ; qu'à la suite de son interpellation par les services de police d'Amiens, le 1er décembre 2016, M. B...a fait l'objet d'un arrêté l'obligeant à quitter le territoire sans délai et fixant le pays de destination de l'éloignement et lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans avec signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ; que le préfet de la Somme relève appel du jugement du 9 décembre 2016 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a annulé son arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;

3. Considérant que M.B..., qui est né en France, fait valoir qu'il y a passé l'essentiel de son existence ; qu'il y dispose de l'ensemble de ses attaches familiales dès lors qu'y résident ses parents, ses deux fils qu'il a reconnus, ses petits-enfants ainsi qu'une soeur de nationalité française ; que, toutefois, M. B...a passé une partie significative de ses deux séjours prolongés en France en prison, du fait des délits et du crime dont il s'est rendu coupable ; qu'entre 1984 et 1996, puis de nouveau en 2003, l'intéressé a notamment été condamné pour des délits de vols, recels, violences volontaires, fuite et refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter, conduite sous l'empire d'un état alcoolique, dégradation ou détérioration d'un monument ou objet d'utilité publique, rébellion et mise en danger d'autrui par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence ; qu'en 2006, il a été condamné pour un viol commis en janvier 2002, soit l'année suivant son retour en France, à une peine de réclusion criminelle de dix ans exécutée en décembre 2011 ; qu'en décembre 2012, il a été arrêté puis, en mars 2013, condamné pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique ; qu'il ressort ainsi des motifs de la décision et des pièces du dossier que le préfet de la Somme a ainsi pris en considération, notamment, la nature, le caractère répété et la gravité des faits pour lesquels l'intéressé a fait l'objet de quatorze condamnations pénales de 1984 à 2013 et de lourdes peines d'emprisonnement, dont le quantum est de plus de dix-huit ans ; que, si pendant le délai de deux ans de mise à l'épreuve prononcé à son encontre en mars 2013, M. B...n'apparaît pas avoir commis d'autres infractions, il ne ressort cependant pas des pièces du dossier et des circonstances qu'il fait état d'une aide matérielle de ses parents âgés et d'une soeur de nationalité française et a pris à bail un logement, qu'il ait sérieusement entamé une véritable démarche de réinsertion sociale et professionnelle en France depuis son retour en 2001 ; que, si des liens ont été rétablis avec ses parents, ce qui ressort d'une attestation du 2 décembre 2016 et avec une soeur de nationalité française, qui a complété le même jour une attestation en ce sens, et si des liens se sont aussi créés ou reconstitués récemment avec ses deux fils actuellement âgés de trente-deux et de trente-quatre ans, dont l'un n'a été reconnu que le 28 juillet 2016, cinq mois seulement avant la date de l'obligation de quitter le territoire en litige, au regard de leurs attestations en date respectivement du 30 novembre 2016 et du 1er décembre 2016, il ne ressort pas des documents produits qu'à la date de l'obligation de quitter le territoire, l'ensemble de ces liens présentaient une intensité et une stabilité telle qu'ils justifiaient le maintien en France de l'intéressé, alors au demeurant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est pas même allégué que M. B...entretiendrait des liens intenses avec ses autres frères et soeurs demeurant en France; que les attestations de ses parents et de sa soeur établies ne suffisent pas, non plus, à le faire regarder comme ayant cessé de présenter une menace pour l'ordre public ; que, par suite, compte tenu des conditions du séjour en France de M. B...et en dépit de sa durée, le préfet de la Somme n'a pas, dans les circonstances très particulières de l'espèce, en prenant la mesure contestée l'obligeant à quitter le territoire français, porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'il n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, le préfet de la Somme est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif d'Amiens, pour annuler sa décision portant obligation de quitter le territoire français et les autres décisions attaquées par voie de conséquence, a retenu le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés devant la juridiction administrative par M. B... ;

Sur les moyens communs aux décisions en litige :

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué a été signé par M. Jean-Charles Geray, secrétaire général de la préfecture de la Somme, qui disposait à cet effet d'une délégation de signature consentie par un arrêté en date du 1er janvier 2016 du préfet de la Somme, publié le même jour au recueil des actes administratifs de l'Etat dans le département ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté, comme manquant en fait ;

6. Considérant que les décisions en en litige comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et qui permettent à M. B...de les discuter et au juge de les contrôler ; qu'elles sont donc suffisamment motivées au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté ;

7. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et des motifs des décisions attaquées que le préfet de la Somme n'aurait pas procédé à un examen particulier et approfondi de la situation personnelle et familiale de M.B... ; qu'ainsi, le moyen tiré du défaut d'examen ne peut qu'être écarté ;

Sur la décision faisant obligation de quitter le territoire français :

8. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; / (...) " ;

9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'un certificat de résidence d'algérien a été refusé à M. B...sur le fondement des 1°) et 6°) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, en dépit de sa présence alléguée sur le territoire national depuis plus de dix ans et des attaches personnelles et familiales alléguées, et qu'il lui a été fait obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de trente jours, par arrêté du 23 septembre 2015 dont la légalité a été confirmée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 19 janvier 2017 ainsi qu'il a été précisé au point 1 ; que, s'étant néanmoins maintenu irrégulièrement sur ce territoire, il entrait ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile autorisant qu'il fasse de nouveau l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ; que, par suite, l'obligation de quitter le territoire français en litige du 1er décembre 2016, prise à cette fin par le préfet de la Somme, qui ne repose pas sur une base légale erronée, n'est pas non plus entachée d'un détournement de procédure ; que, dés lors, ce moyen doit être écarté ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (....) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans " ;

11. Considérant que M.B..., qui est né en France le 12 décembre 1959, soutient qu'un arrêté d'expulsion a été pris en son encontre par le ministre de l'intérieur le 25 mars 1988, alors qu'il était titulaire d'un certificat de résidence de dix ans expirant en 1991, et que cet arrêté a été mis à exécution en mars 1997 ; que le refus du ministre d'en prononcer l'abrogation, opposé par décision du 13 juin 1994, ayant été annulé pour excès de pouvoir par décision du Conseil d'Etat du 30 décembre 1998, il est revenu en France en 2001 et a bénéficié de la délivrance d'un récépissé ; que, toutefois, si M.B... a pu disposer d'un certificat de résidence à partir de 1981, soit à l'âge de vingt-deux ans, il ne produit aucun document concernant sa résidence habituelle en France depuis l'âge de treize ans, avant la délivrance d'un premier certificat de résidence et il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du ministre de l'intérieur du 25 mars 1988 prononçant son expulsion a été mis à exécution ; que ces périodes, au cours desquelles l'intéressé résidait à l'étranger, ne peuvent être regardées comme des périodes de résidence habituelle au sens des dispositions législatives précitées et ne peuvent, ainsi, être prises en compte dans le calcul de la résidence habituelle en France au sens du 2° de l'article L. 511-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, M. B...ne justifie pas de la durée de résidence requise par ces dispositions ; que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 2° de l'article l. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur de droit qu'aurait ainsi commise le préfet de la Somme ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

12. Considérant, que pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 3, la décision attaquée n'ayant pas porté au droit de M. B...au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel elle a été prise, au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu de la gravité et de la répétition des infractions commises et en l'absence de perspectives sérieuses de réinsertion, le préfet de la Somme n'a pas davantage commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. B...;

Sur la décision fixant le pays de destination :

13. Considérant que l'obligation de quitter le territoire n'étant pas entachée d'illégalité, la décision fixant le pays de destination de l'éloignement de M. B...n'est pas dépourvue de base légale ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Somme est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 1er décembre 2016 par lequel il a obligé M. B... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans avec signalement aux fins de non admission dans le système Schengen ; que, par voie de conséquence, les conclusions de l'intimé présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1603642 du 9 décembre 2016 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif d'Amiens et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Somme.

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N°17DA00039


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17DA00039
Date de la décision : 18/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Paul Louis Albertini
Rapporteur public ?: M. Habchi
Avocat(s) : ISMI-NEDJADI

Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2017-05-18;17da00039 ?
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